ABSTRACT LE DESESPOIR DE VIVRE DANS L ... - McGill University

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D'ailleurs obtiendrons-nous, par ce fait même, une analyse plus exacte et plus scientifique. 6une saison dans la vie d'Emmanuel; p. 90. 7David Sterne; p. 12.
~.

, ABSTRACT LE DESESPOIR DE VIVRE DANS L 1 OEUVRE DE MARIE-CLAIRE BIAIS by Azade Godin

M.A. Frenc h Dept . July 1969

Le dése spoir de vivre est le thème le plus frapp ant qui se dégag e de l'oeu vre de Mari e-Cla ire Blai s. Au tout débu t, il se dissi mule sous les masqu es de oisse la misè re, de l'ign oran ce, de la solit ude ou de l'ang qu'il traîn e norm aleme nt avec lui.

Puis, souda in, il dévo ilera

tt. son vrai visag e conto rsion né par l'ame rtume et le dégof Ce dése spoir ravag e tout sur son passa ge.

Les per-

David Stern e sonna ges innoc ents ou coup ables , tels que Patri ce, et Reine , tous, péris sent dans ses filet s.

Perso nne ne résis te

au poiso n qu'i l char rie. Pour tant, plus d'un héros de l'oeu vre s'exp rime par urs le l'amo ur et cherc he à suppr imer la misè re •. Mais toujo

.,

\

désespoir est là, à l'intérieur, qui les guette, tout comme le cancer de Louise dans La Belle Bête, il ronge lentement ses victimes qui défaillent un peu plus chaque jour.

Ici, au contraire des beaux romans, jamais l'amour ne triomphe.

Mais dans un curieux paradoxe, le désespoir

semble, dans un moment de coexistence créer un équilibre subtil; puis soudainement, comme pour montrer sa puissance, le détruit.

Aussi clest dans ce "subtil équilibre" que lion recon-

naît le grand talent de Marie-Claire Blais.

LE DESESPOIR DE VIVRE DANS L • OEUVRE DE MARIE-CIAIRE BIJI.. IS

by Azade Godin

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research, in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts.

Department of French Language and Literature, McGill University Montreal.

@

Azade Godin

Ju1y 1969.

1970

TABLE DES MA TIERES

page

INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

1

PREMIER CHAPITRE:

5

Acheminement vers le désespoir • • •

l - L'auteur II - L'oeuvre

7 15

Comble du désespoir dans: • • • • • •

31

l - Une saison dans la vie d'Emmanuel. II - David Sterne • • • • • • • • • •

33

DEUXIEME CHAPITRE:

TROISIEME CHAPITRE: Même thème retrouvé dans: .

83

• 107

QUATRIEME CHAPITRE:. • . • • • • • -

71

74

l - Sa poésie. • • • • • II - Son thé~tre.

l

49

• 109

Influences:. Claire Martin-Françoise Sagan Kafka -Kierkegaard

II - Style. • • • • • • • • • • • • • • • 121

CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 130

BIBLIOGRAPHIE • • • • • . . . . .

ii

. .

. .

.

.

. .

• . . . 136

INTRODUCTION

2

Pourquoi parler de "désespoir"? mani~re

N1est-ce pas là une

facile d1analyser et de classer un auteur?

Car assu-

rément, l'oeuvre de Marie-Claire Blais a ses côtés tendres et ses moments de

lumi~re.

Aussi n I y a-t-il pas de haine sans

amour et de désespoir sans espoir.

Alors nous faut-il vrai-

ment choisir le désespoir?

Certes,

apr~s

une lecture

compl~te

de lloeuvre de

Marie-Claire Blais, un lecteur honnête et attentif avouera que cette oeuvre se déroule plutôt comme une longue tragédie. Elle est remplie de "noir" et de "désespoir".

D'ailleurs,

Marie-Claire Blais elle-même qualifie de "noirs" certains de ses romans.

1

Au cours de cette étude, il nous est donc important de nous laisser imprégner par le climat de l'oeuvre et nous sensibiliser au souffle générateur de celle-ci et que llauteur de cette

th~se consid~re

comme étant le nerf central de l'oeuvre:

"le désespoir de vivre".

IULe Sel de la Semaine": Marie-Claire Blais, François 4 janvier, 1967 - réseau français de télévision (Radio Canada) bande magnétoscopique, Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal. Reic~enbach,

3

Aussi nous touchons là un thème autour duquel slorganise la trame des romans et des autres écrits de l'auteur. Les thèmes secondaires de l'oeuvre existent toujours en fonction du thème central où ils trouvent leur raison d'être et leur finalité. Ainsi, nous sera-t-il plus facile d'analyser cette oeuvre en se laissant guider par le thème centrali chaque roman étant imbibé d'une atmosphère pestilente de solitude, d'angoisse, de peur, de misère physique, morale et psychologique où croupissent les personnages.

Les désirs de ces derniers n'étant jamais

satisfaits, ils s'abandonnent au désespoir ou à la mort. Et que nous disent les

person~ages

du premier au dernier

roman? 2 IIEt moi, alors, suis-je responsable de ma laideur" IIJe n'ai que la force de haïr, la force de l'orgueili •• La vie ment ll3 IIL'espérance ne vient qu'à la mort ll4 liOn dit que je suis heureuse. De celà je ne suis pas aussi sûre Il 5 2 La Belle Bêtei p. 24. 3Tête Blanchei p. 199. 4Le Jour est Noiri p. 43. SL'lnsoumisei p. 9.

4

"0 ciel! ayez pitié de ces animaux que l'on mène à l'abattoir ••• ,,6 "Je suis malad , je pourris sur place, j'ai dix-huit ans" 7 Faut-il en dire plus pour éveiller la curiosité du lecteur et lui donner un aperçu du désespoir de vivre dans cette

oeuvre? Aussi l'auteur de cette thèse, afin de ne pas tomber

dans de fausses interprétations ou dans la pédanterie littéraire de certains critiques, laissera aux personnages de l'oeuvre ce soin d'exprimer leur "désespoir de vivre".

D'ailleurs

obtiendrons-nous, par ce fait même, une analyse plus exacte et plus scientifique.

6une saison dans la vie d'Emmanuel; p. 90. 7David Sterne; p. 12.

Il

Et dans cette lente marche vers la mort, moi qui cherchais la vie? ..

Ier CHAPITRE

Acheminement vers le

déses~oir

L"AUTEUR

Le premier roman de Marie-Claire Blais l La Belle Bête l paru en 1959 1 suscita un grand intérêt dans le public littéraire canadien-français.

Ce roman fut par la suite traduit en anglais

et également publié à Paris. Si à l'époque l on s'est vivement interrogé sur l'auteur dlun roman pareil, Marie-Claire Blais a su tenir son public en haleine.

Elle n'a cessé depuis d'écrire des pièces de théatre,

des romans et des poèmes qui ont ravi le monde littéraire.

En

1966 1 son roman Une Saison dans la' Vie' d'Eminanuel l remportait le

prix Médicis. internationale.

Cet éclatant succès lui donnait une réputation Enfin 1 1969 apporte à l'auteur une nouvelle vic-

toire: le prix littéraire du Gouverneur Général du Canada. La

notoriété de Marie-Claire Blais l non seulement nous

étonne, mais nous laisse fascinés devant son génie. "Elle l écrivain canadien-français l ajoute (et sans doute est-elle la première dans nos lettres à le faire) quelque chose de neuf et d'autochtone au domaine littéraire français"l lJean-Ethier BlaiS I Signet II. (Montréal: Le Cercle du Livre de France, 1967); p.229. 7

8

" ••• cette réalité, elle la prend dans ses mains de jeune femme de génie (eh oui! je le l~che ce grand mot qui fera mal) et la poétise. II2 liOn peut rêver des heures sur le cas de Mademoiselle Marie-Claire Blais,,3 Mais qui est cette mystérieuse jeune fille?

Cette ques-

tion, il faut se la poser, même s'il n'est fas facile d'y répondre. Et cette tache est d'autant plus difficile que l'auteur se refuse (sans doute avec raison) à divulguer les détails personnels de sa vie.

Mais il nous semble cependant impérieux d'exposer tous les

détails connus de la vie de l'auteur: car une grande partie de son oeuvre y trouve irrévocablement sa source. d'~~fance

Aussi sa vie

et d'adolescence est sans aucun doute un élément pri-

mordial dans l'explication de l'oeuvre.

C'est vraiment à cette

époque, semble-t-il,où elle a éprouvé le plus d'amertume et l'horreur de vivre.

L'auteur nous laisse d'ailleurs deviner un

peu ces· choses dans un interview qu'elle accordait à Pierre Paquet de Radio Canada. 4 2Jean-Ethier Blais, op. cit., p. 232. 3 Ibid ., p. 228. 4Interview par Pierre Paquet. (Bande magnétoscopique) le 4 janvier 1967. Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

9

Marie-Claire Blais est lla!née d1une famille de quatre enfants.

Née en 1939, elle grandit dans un milieu ouvrier et

fait des études au couvent Saint-Roch.

Très tôt, elle fait un

cours de secrétariat et quitte le foyer paternel en prenant son premier emploi, agée d1à peine dix-sept ans. IIII fallait bien gagner sa vie ll5 Une explication logique mais qui sonne faux!

Elle

avoue candidement son refus de continuer sa vie sous le toit paternel.

Pourquoi? ••

Enfin, cette position dans un bureau fut pour elle un cauchemar.

Pour oublier, elle se met à écrire.

Et voilà, en

1958, elle fait une heureuse rencontre: celle du père Georges-

Henri Lévesque.

Ce dernier, ainsi que mademoiselle Jeanne

Lapointe, tous deux professeurs à llUniversité Laval, llencouragent fortement et llaident à faire publier son premier roman: La Belle Bête, en 1959.

Très enthousiasmée par le succès de

son premier roman, elle se consacre entièrement à son nouveau métier.

Elle lit énormément et se passionne pour Anne Hébert,

SInterview par Pierre Paquet (bande magnétoscopique) le 4 janvier 1967. Centre de Documentation' des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

10

Kafka, Virginia Woolf, Lautréamont, André Breton.

En

1960,

lors dlun séjour à Montréal, elle publie son deuxième roman: Tête Blanche.

En 1961, elle obtient une bourse du Conseil des

Arts et se dirige vers Paris où elle écrira son roman: Le Jour est Noir.

De ce séjour à Paris, elle garde un souvenir pénible. IIC lest un seJour douloureux ( ••• ) Je n 'y étais pas préparée. 116

Une seconde rencontre d'importance en 1962 lui sera favorable.

Le grand critique littéraire américain, Edmund

Wilson, écrit à ce moment: 7 Mlle Blais is a true Iphenomenon 111 (Mlle Blais est un véritable phénomène)

Il

Aidée par ce dernier, Marie-Claire Blais obtiendra, par la suite, une bourse de la Fondation Guggenheim de New-York. Elle partit donc pour les Etats-Unis. goat, hasard ou témérité?

(Est-ce par

Elle nlen est jamais revenue).

Après

-avoir voyagé un peu, elle s'installe à Wellfleet, petite ville

6Interview par Pierre Paquet, (bande magnétoscopique) le 4 janvier 1967. Centre de Documentation des Lettres cana4iennes-françaises, Université de Montréal.

7Edmon~ Wilson,

0

Canada: p. 148.

Il

du Cap Cod, au Massachusetts, dans une maison située à l'écart, dans la forêt. "Si près de la mer et si loin à la fois .. 8 dira Pierre Paquet. C'est dans cette maison qu'elle écrira successivement: Une Saison dans la Vïe" d"'Emmanuel, son grand succès, en 1966; L'Insoumise, David Sterne et l'Exéctftibn, pièce en deux actes, en 1967; et enfin, Les Manuscrits de pauline Archange, en 1968. Ce dernier roman fut mal reçu par la critique littéraire.

Il

est à notre avis rétrograde à l'ensemble de l'oeuvre. Il n'en est cependant pas moins vrai que Marie-Claire Blais a créé des personnages inoubliables tels que Jean Le Maigre et David Sterne.

Ces personnages possèdent à la fois

les caractères de l'enfance et de l'adolescence.

Ils sont, de

plus, actuels, modernes, prototypes de la jeunesse en révolution d'aujourd'hui. Voilà pourquoi la courbe de la vie de Marie-Claire Blais nous semble d'une importance capitale.

Do Québec à Montréal, de

Paris à New-York, de New-York à Wellfleet, elle crée des person8Interview par Pierre Paquet, (bande magnétoscopique) le 4 janvier 1967. Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

12

nages de révolte qui rejettent un monde qu'ils réprouvent. Cette jeune fille qui fuit les grandes capitales, n'est-elle pas aussi en révolte contre sa propre réalité? "Je ne suis pas du tout intéressée par les écoles du nouveau roman" 9 liMon roman ne se situe nulle part." lO Et cette réalité, cette solitude, elle la défend. lui faut faire 'cavalieri seul.

Il

Et pourtant, n lest-ce··pas là

un signe de son propre écoeurement et de dégoat de se voir obligée de vivre, même dans un monde littéraire, quand elle semble fuir le monde réel? Apr~s

un bref aperçu de l'oeuvre, on se demande si la

réalité de Marie-Claire Blais n'est pas plutôt une fixation; fixation dans son enfance ou dans son adolescence dont elle n'arrive pas à se séparer?

N'est-elle pas un peu l'enfant qui

observe un monde d'horreur comme son "Emmanuel"?

Elle aussi

9EmisSion: ilLe Sel de la Semaine" avec Pierre Paquet, présentée à Radio-Canada, le 4 janvier 1967 {ruban sonore}. Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal. lOcolloque de paris, présenté à Radio-Canada, le 15 décembre 1966 {ruban sonore}. Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

13

observe et décrit ce monde sans le juger.

Elle n'a pas choisi

ce monde, elle lui est indifférente ••• "J'ai décidé d'écrire un roman sur un très mauvais petit garçon •••• L'enfant que je décrirai vivra dans un monde tout à fait séparé du monde noir où les humains souffrent." ll Mais si seulement cela était possible! L'univers irrationnel de Marie-Claire Blais est-il réel ou phantasmagorique? où la vie s'arrête?

Son microcosme prend-il source là

Reste-t-elle fidèle à la citation de

Rosamond Lehmann qu'elle inscrivait au début de son premier roman? "Des créatures d'épouvante qui ne se recroquevilleront pas, inoffensives à la lumière du jour, pour retomber dans la mixture du jour, d'où elles sont sorties, mais qui vont s'enfler et devenir des monstres ••• dont personne n'a jamais su que faire, des monstres destructifs qui vivent à jamais" 12 Regrette-t-elle son enfance malheureuse? me reste de l'incendie de l'enfance Qu'une pierre br6lée Et cette chose qui me regarde parfois de ses yeux nocturnes,

IIII

llTête Blanche: p. 87. l2La Belle B~te: p. 9.

14

Petite ombre Dans le paysage suppliant Ltenfant là-bas, l tenfant que j tétais, peut-être ••• " 13 voilà autant dthypothèses qui semblent se justifier dans Itétude de l toeuvre! •••

13

Pays Voilés; p. 16.

see death coming up the hill (Je vois la mort escaladant la colline)

III

il

'Life', le 27 juin 1969, p. 32.

Deuxième partie L'OEUVRE

D'un roman à l'autre, les héros de Marie-Claire Blais (jeunes pour la plupart) souffrent tous du même mal: victimes~

ils sont

Victimes d'eux-mêmes et plus souvent de leurs

mi~

lieux, tous voient se briser avec brutalité leurs plus beaux

espoirs.

Révoltés, ils repoussent alors en hurlant un monde

qu1ils jugent méchant et horrible. IIUn brusque siècle montait de la terre Que je ne connaissais pasll14 pourris Mère. Ta joue t'assassine. Et ne sois pas trop certaine de tes terres ••• lIlS

IlTu

Mais bien plus encore, l'erreur est d'avoir cra changer ce monde et se rendre compte tout à coup de sa faiblesse à le faire. ilLe sentiment de propriété, c'est cela dont j'ai voulu me guérir en quittant tout ( ••• ) Quand je vole, c'est pour guérir les autres du mal de la propriété. 1116

l4pays Voilés; p. 22. ISLa Belle Bête; p. 133. l6David Sterne; p. 13. 16

17

Et devant ce mur d'impuissance, le désespoir les enlise. "OUi, j'irai vers la mort comme toi tu es allé, aussi simplement, mais jamais la mort ne sera aussi belle que la vie que l'on a perdue!u17 D'un roman à l'autre également, il y a une progression d'intensité de l'impuissance et du désespoir qui sien suit. Le premier en liste des romans, La-Bélle" Bête nous présente la tragédie d'une petite famille qui préfigure à la fois une société entière.

Ici, comme dans la société, le sens

des valeurs est souvent déplacé et ruine ou bafoue sans pitié l'intelligence de l'homme.

Aussi Louise,Mère, femme très belle,

n'a de sensibilité que pour la beauté extérieure.

Son fils

Patrice, très beau, mais idiot, sera préféré à sa soeur Isabelle, intelligente et laborieuse,mais aussi très laide. Tous, dans ce roman, sont un peu victimes: à vivre intensément ce drame est Isabelle.

tout le roman.

l7 L 'Insoumise: p. 101.

mais la seule

Sa révolte embrasera

18

liMais Patrice était un idiot. Isabelle-Marie savait que sous ce visage pale, il y avait le lourd assoupissement de llintelligence, la léthargie des cerveaux qui ne vivent pas.( ••• ) Les voyageurs ne cessaient d10bserver Patrice. Isabelle-Marie se mit à rougir. Elle avait la nausée. Bientôt elle ne voyait plus rien au dehors. Un étrange goût de mourir la saisit. 1118 Cette souffrance morale mènera Isabelle à torturer son frère innocent. liEn le privant de nourriture, il deviendrait chétif et lui, que la misère n1avait jamais touché du bout des ongles, serait son vague pantin have. Oui, Isabelle-Marie voulait llenlaidir." 19 Après un "bref sursaut de bonté, "Après tout, Patrice n1est qu1un enfant" 20 elle retombe dans sa férocité et croit atteindre sa mère en défigurant son frère. "La main hésita quelques instants, puis, victorieuse, poussa la tête de Patrice dans le bassin" 2l

l8La Belle Bête; pp. 12 et 13. 19 Ibid .; p. 24. 20 Ibid .; p. 25. 2l Ibid .; p. 121.

19

Mais là ne s larrête pas la vengeance d 1Isabelle •

Rien

ne compte plus après avoir perdu son mari et le droit à llhéritage de sa mère. geance.

Elle croi't se satisfaire d1une ultime ven-

Elle fait périr sa mère en incendiant la ferme.

soudain elle slaperçoit que rien n1est réglé.

Mais

Elle se jette

sou s un train. Il

Tout est fini!

Sauf

. 22

mo~!

ilLe train venait. Repossant la jeune Anne, elle marcha jusqu1au rail, sgn ame sans coeur palpitait de frayeur .1123 La violence inou!e de ce roman traduit en proportion le désarroi et le désespoir de vivre éprouvés par Isabelle face aux frustrations physiques et morales.

La vengeance ne slavé-

rant pas à la hauteur de son désespoir, elle n1entrevoit qu1un seul moyen d1en finir: la mort.

Elle n1hésite plus!

* * * Avec le second roman, Tête Blanche, nous sommes placés à la fois devant la réalité et le rêve.

Le rêve transcende la

réalité et procure aux personnages un refuge constant contre une vie trop banale et ordinaire. 22

La Belle Bête; p. 156.

23 Ibid .; p. 156.

20

Un petit garçon abandonné dans un pensionnat ressent l'angoisse de la solitude devant une vie qulil ne comprend pas. "Ce qui prouve que nous sommes bien seuls sous le ciel. 1I24 Sa mère comédienne se donne plus à son art qu'à son mari et plus à elle-même qulà Tête Blanche.

Tête Blanche veut cependant que sa vie soit réelle.

Il

commet plus dlune esplièglerie pour prendre contact avec cette réalité. "car c lest toujours à l'écart du réel ••• que Tête Blanche rêvait le monde ••• il inventait la vie, se plaisant surtout à voir les choses finir, mourir, La mort!" 25 IIJ lai pris le chat de la cuisinière et je liai tué dans la cour: ça nia pas été très long et il a vite cessé de crier{ ••• ) J 1 aimais bien ce chat .1126 "Hier, caché dans un arbre, j lai lancé une pierre au délinquant. Maintenant il est couché une entaille au front. Dans son délire il répète souvent: "Je ne veux plus vivre.,,27 24 Tête Blanche; p. 45. 25 I bid.; p. 13. 26 I bid.; p. 25. 27 Ibid .; p. 43.

21

"Tête Blanche songea que, dès le lendemain, 28 il irait couper la tête du plu s jeune pin." Mais Tête Blanche comprendra vite que sa rêverie est un refuge plus sûr.

Sa mère meurt sans le revoir.

C'est à ce

moment qu'il ressent le poids de sa vie. "Il pensait qu'il porterait la vie, sa vie, comme une peinei et il marchait vite afin de disparaître parmi les autres, de s'y confondre inexorablement." 29 Il ne lui resile qu'un seul espoir, Emilie, qu'il a perdue.

Soudain, il croit l'entrevoir dans la foule, mais il

est entraîné par celle-ci. "Tête Blanche sentit qu'il pleurait... Il fit, de loin, un geste qu'elle ne vit pas: la nuit glacée l'emportait. 1I30 Têt€ BlanChe situe le désespoir sur un plan purement psychologique et global.

Il est le produit de l'inaptitude des

êtres à coexister et à s'adapter à la vie.

Et c'est dans son

entité que ce roman traduit le désespoir de vivre.

* * * 28Tête Blanchei p. 15. 29Ibid.i p. 203. 30Ibid.i p. 205.

22

Le roman suivant, Le Jour est Noi"r, par son style et son contenu, nous plonge dans une demi-réalité.

Les person-

nages ressemblent à des fantômes qui se marient, se perpétuent et se répudient tour à tour.

La présence de llirréel au sein

du quotidien pose ici le problème du désespoir. Yance qui aurait voulu prendre la vie au sérieux est sans cesse entraînée par Josué au pays des ombres. son corps mais toujours son esprit lui échappe:

Elle possède

Josué se sépare

d1elle par llunivers du rêve qui lui sert de refuge contre sa faiblesse. "Je reproche à Josué ses rêves ••• Je veux les choses pleines et sûres. Un homme comme Josué ne peut donc pas me les àonner?"31 "Je compris dans la révolte que le corps de Josué me fuyait pour les naufrages du rêve." 3 2 Pour toute explication, Josué répondra ou écrira: "L·homme est un être que Dieu ne peut pas sauver" "L·espérance ne vient qu1à la mort. 1I33

31 Le Jour es t

No~r~ ° p. 38 •

32 Ib d • =.;;;;.~~., p. 43. O

33 Ibid .: p. 43.

23

e

Et finalement, Josué la quittera. liMa femme Yance, je te quitte. Je ne me sens plus capable de t'approcher. Comme nous serons en paix, mon amie, quand nos deux luttes seront séparées."34 Déçu lui-même par 11 amour et par la vie,

Rapha~l

confiera à Yance: "Yance, nous sommes ap}1elés à mourir, nous aimons la mort dans cette famille, c'est notre malheur.,,35 Et celle-ci, de son côté, lui dira: "Raphaêl, Raphaêl, le désastre c1est toi qui le portes. On dirait que ton esprit désire la fin des choses. Tu ne pouvais que détruire ton premier amour .1136 Enfin cette incompatibilité à coexister isole les personnages du roman.

La fille de Yance, Roxane, et son mari Jessy,

subiront le même sort.

Et la fin du roman parlant des parents et

des enfants nous ramène au point de départ. IILa jeune femme entre seule dans la maison des morts. Et tout recommencera comme aujourd'hui, " ••••• 1137 comme h ~er

34 Le Jour est Noir; p. 69. 35 Ibid • ; p. 45. 36 Ibid .; p. 33. 37.!..1:..... b"d ; p. 121 •

24

-"Nous étions aux mêmes noces à vingt ans - Je t'avais simplement dit: IIBonjour Josué". - Et moi j'ai répondu: IIAdilu Yance ll • - Et il est encore minuit. 1I 8

* * * L'Insoumise est le dernier roman où Marie-Claire Blais situe les causes du désespoir sur un plan purement psychologique. De plus, en donnant la parole à chacun des personnages et leur faisant raconter leur vie, elle réussit merveilleusement à cristaliser le désespoir de chacun d'eux.

Tous trouvent leur mal-

heur dans les mêmes événements mais d'une façon différente. Madeleine, la mère, ose d'abord, mais combien timidement, raconter sa vie: liMon histoire est si simple, si fragi1:e qu~elle ne mérite peut-être pas d'être racontéei aussi je pense me faire à moimême ce récit d'une solitude qgi ne servirait à personne d'autre. 1I39 Sous les apparences d'une vie heureuse se joue sa tragédie.

38Le Jour est Noir; p. 122. 39 L 'Insoumisei p. 9.

25

IlRien n'a changé pourtant depuis plusieurs années. En apparence, je fus toujours la même, anonyme épouse et mère ••• Nul ne sembla jamais apercevoir, sous cette sereine immobilité, les noeuds tragiques qui se fonnaient peu à peu .1140 Et maintenant, il est trop tard, trop tard pour tout! Il

Peut-être l'unique événement de ma vie consiste-t-il en cette calme folie vers laquelle je me sens doucement glisser, à llécart de tous." 4l

Ces premiers mots de Madeleine sont d'une tristesse si profonde qu'ilsdonnent envie de pleurer.

vie aurait pu être différente.

Evide.lllIIlent sa

Mais, elle n'a jamais trouvé

le courage de rompre avec sa vie monotone d1épouse d'un homme qu 'elle n'aime pas vraiment. Ellen' a ,pas',nOn pTus le courage maintenant de résister à la folie où elle se voit sombrer. Peut-être accepterait-elle son sort s'il n'y avait pas son fils Paul qui lui aussi cherche à échapper à cette vie monotone. Ce Paul qui semble être le seul à avoir pris à la vie quelques instants de bonheur auprès de son amante Anna. passe dans ce roman comme une ombre.

40 et 41

.

L'Insoum~sei

p. 9.

Cependant, il

26

"Il Y a Paul, mon fils aîné. Paul, le grand obstacle. Car clest en commettant cette indiscrétion qui me poussa irrésistiblement à lire un carnet abandonné sur son lit, hier, que je sentis sourdre en moi le premier désespoir. Clest là que j'ai compris que le monde dans lequel je vis nlexiste pas et peut-être nia jamais existé." 42 Oui, clest bien autour de Paul que tourne le dernier acte de la tragédie de Madeleine, Rodolphe et Frédérik.

Ce

Paul, dernier espoir de Madeleine, et qui connaissait l'existence de son amant. "Et toi, et ta liaison secrète avec cet homme, tu crois que je llignore." 43 Paul qui détruit les espérances de son père: "Je n lai pas 11 intention de te succéder à l'hôpi tal, papa .1144 "-Tu te soumettras, lui disais-je, tu te

soumettras bien un jour. -Je n'aurai pas le temps. trop j eune ."~5

42L'lnsournise: p. 10. 43 Ibid • : p. 15. 44.!....!...... b"d : p. 66 • 45 Ibid • : p. 67.

Je vais mourir

27

Et Paul tiendra parole. par un beau jour

Il se tuera dans un accident banal,

dlautoIT~e,

détruisant à la fois la raison

de vivre de ses parents et fuyant llamour désespéré de Frédérik. "Chéri, pourquoi cette cruauté inutile, je sais tout, je sais que tu ne peux pas m'aimer ••• ,,46 "Je revoyais Frédérik caressant de la main les rayons de la bibliothèque. Il me sembla soudain qu'il était le seul visage sur lequel la mort de Paul avait jeté llombre du désespoir. ( ••• ) Pour Frédérik, je llavais compris, il en était bien autrement. Il avait perdu le go1ît de vivre." 47 En

plus de comprendre le désespoir de Frédérik, Rodolphe

slinterroge sur sa vie.

Lui, trahi par

lui-m~~e

dans son aveu-

glement, et par sa femme mourante qui llabandonne avec quelques enfants:

trahi enfin par la vie qulil croyait toute autre.

Pourtant, il mérite bien une belle vie, il a tellement travaillé! "-Rodolphe, tu crois pouvoir tout expliquer avec des mots, mais tu ne comprends pas, tu ne comprends jamais. Elle avait raison." 48

46L'Insoumise: p. 87. 47 Ibid.: p. 86. 48 Ibid .; p. 70.

28

"Au-delà des choses ordinaires, je ne vois plus que terreur, doute, angoisse." 49 Mais Rodolphe a fait fausse route et il le sait bien: il n'a réussi qu'à étouffer les siens avec sa bonté.

Lui qui

pensait tant posséder la vérité, la vie; le voilà, tout comme Frédérik, affaissé dans la neige contre le mur, souhaitant une mort libératrice. "Je disais 'ma vie', Ima femme 1 mais la menace de la mort, proche ou lointaine, mlinclinait à penser que si Madeleine avait été à moi, cela nlavait duré qu'un instant et qulelle-même avait repris son don, son amour, et que jlavais repris les miens aussi, d IUl~e manière différente, préiférant souvent à elle tout ce qui nlétait pas elle, et souvent aussi, tout ce qui nlétait pas moi. Je comprends qu'il en était de même pour toute chose en ce monde et j'éprouvais moins de tristesse ~ penser que je ne possédais rien, sinon de rapides apparences de tout cela que j1avais tant aimé, et que mon corps lui-même, vivant et fébrile aujourdlhui, n'aurait plus de souvenir de moi, demain. Ni mon corps ni mes cendres. Et de Paul qu'ai-je connu? Sinon qu IiI n'était pas heureux ••• " 5 0 Et que nous dit de Paul le pauvre Frédérik? croit son secret enseveli avec lui.

Pourquoi avait-il aimé Paul?

Pourquoi Paul devait-il aimé cette femme? ••

50Ibid.; p. 97.

Frédérik qui

29

II-Mais parce que j'aime une femme, c'est tout. -Mais pourquoi l'aimes-tu? -Mon petit Frédérik, tu es un enfant. 1I51 IIJe lui demandais parfois de me parler d'Anna, mais lorsqu'il le faisait, une jalousie sauvage empoisonnai t mon âme. 1152 Avec la disparition de Paul meurt tout espoir pour Frédérik de partager son plus grand amour" (si impossible qu'il soit) .• Dans son désespoir il ne lui reste plus.

qu'à attendre

ilIa balle funèbre qui fera éclater ses tempes et qui lui sifg1era doucement: Frédérik, ton tour est venu Il Il Partir, Paul, mais ne jamais plus te rejoindre!1I 54

* * * L'étude de ces premiers romans nous indique Ille désespoir de vivre" conrrne centre nerveux de l'oeuvre et nous révèle

51L 'Insoumise; p. 101. 52 Ibid • ; p. 102. "

53 Ibid • ; p. 119.

54 Ibid • i p. 101.

30

aussi, d'une manière explicite ou fictive, une progression d'intensité de ce thème central.

Résultant au début de frus-

trations d'ordre physique ou moral comme dans La Belle Bête, il prend peu à peu source sur le plan uniquement psychologique, tel que dans L'Insoumise.

Mais là, "le désespoir de vivre" nia

pas atteint son surnmun. Aussi ce nlest vraiment que dans les romans Une Saison dans la Vie d'Emmanuel et David Sterne que Marie-Claire Blais unit avec violence la misère physique, morale et psychologique pour cristaliser le désespoir à son

e

parox~me.

"Demain, l'aube les couvrira de la même rosée, la chair morte et l'acier mouillé ruisselleront de la même sueur.

Demain

viendront les oiseaux noirs." Jean-Paul Sartre.

CHAPITRE-

II

33

"

Une saison dans la vie d'Emmanuel et David Sterne peuvent être considérés un peu comme une synthèse de l'oeuvre de MarieClaire Blais.

Ces deux romans posent le problème ultime de la

valeur concrète de la société traditionnelle et de l'absurdité de l'existence. Cependant, l'auteur se garde bien de porter un.jugement; ou, si elle le fait, c'est avec beaucoup de modestie.

Mais le

soin minutieux avec lequel elle décrit son monde, ne laisse guère au lecteur un choix d'interprétation.

Elle nous présente ses

personnages unis dans une même misère et enchaînés à une existence de souffrance absurde.

A ce gouffre de misère où se débat-

tent les humains se lie irrévocablement le désespoir de vivre!

Première partie UNE SAISON DANS LA VIE D'EMMANUEL

Emmanuel naît dans un monde de misère.

Misère physique,

morale, intellectuelle ou psychologique, elle écrase l'individu et le ravale au rang de l'animal. "0 ciel, dit grand-mère Antoinette, ayez pitié de ces animaux que l'on mène à l'abattoir ••• " 1 l

Une saison dans la vie d'Emmanuel; p. 90.

34

La misère physique, très caractéristique de ce roman, entraînera les autres formes de misère.

Ici surtout, les

personnages souffrent de la faim et du froid.

Le petit Emmanuel

en fera l'expérience dès sa naissance. "(11 tremblait de froid tandis que grand-mère le lavait, le noyait plutôt à plusieurs reprises dans l'eau glacée ••• } 112 Il

Il est là ( ••• ) il a faim, il a pleuré tout le jour. 113

Et la grand-mère Antoinette, qui se croyait immortelle, "leur distribuait avec quelques coups de canne les morceaux de sucre qu'ils attendaient la bouche ouverte, haletante d'impatience et de faîm, les miettes de chocolat, tous ces trésors poisseux qu'elle avait accumulés et qui jaillissaient de ses jupes, de son corsage hautain." 4 Jean-Le Maigre et le Septième, cachés dans la cave, regrettent vite leur retard au repas. voler quelque

Ils doivent habilement

nourriture.

2Une Saison dans la vie d'Emmanuel: p. 9. 3 Ibid.: p. Il. 4 Ibid .: p. 10.

35

"Je glisse sous la table, entI!e leurs jambes, et oup •• je vole, un morceau de viande, de pain. Et c1est fini. Et nous mangeons ensemble bien paisiblement. 115 Hélolse, à son tour, se consume dans le jeûne sans oublier toutefois la "nourriture délicate u6 du couvent. "Après toutes ces heures de jeûne et d1attente, elle avait faim mais son coeur se serrait d1écoeurement à la pensée du repas refroidi que sa grand-mère avait déposé la veille au seuil de sa porte. 1I7 La faim les poursuit et colle à leur peau tout comme la vermine.

Jean-Le Maigre en nous parlant de la maison de

correction raconte: "J1étais malheureux. Chaque matin, je me réveillais un peu plus triste que la veille, le ventre un peu plus affamé." S Pour terminer le tableau de cette misère physique, slajoutent à la faim les tourments du froid, de la maladie et de la brutalité.

SUne Saison dans la vie dlEmmanueli p.20. 6 Ibid • i p. 29. 7 Ibid. i p. 77. SIbid. ; p. 69.

36

En plus des bains d'eau glacée que reçoit le jeune Emmanuel, nous retrouvons les autres enfants enfouis dans la neige ou décimés par la maladie. "Les voilà tous, les petits-enfants, les enfants, les cousins, les nièces et les neveux, on les croit ensevelis sous la neige en allant à l'école ou bien morts depuis des années ••• " 9 Il fait froid partout: à l'école,

l'uniqu~

poêle retient

l'intérêt de tous malgré tous les efforts déployés par mademoiselle Lorgnette et madame Casimir pour diffuser leur modeste savoir. Aussi le Septième n'hésitera pas à mettre le feu à l'école et terminer du même coup son supplice •• "Quelle misère pour nos coudes nus sous l'éclaircie de nos chemises. Les planches mouillées que nous rapportions des bois en revenant à l'école ne produisaient qu'une flamme grêle qui s'éteignait aussitôt. Il faut faire un feu, disait le Septième, il fau t faire un feu. Dans son sommeil, il était si obsédé par le froid qu'il parlait de voler les lampions de l'église pour réchauffer l'école. Ses cauchemars étaient pleins de brasiers et de flammes. La saison avançait, et le froid YOUS ravageait le coeur. -Il faut faire un feu, disait le Septième, dont l'oeil brillait d'une façon inquiétante sous ses cheveux rouges, il faut faire un feu.

9Une Saison dans la vie dlEmmanuel: p. 10.

37

Le soir même, il mettait le feu à llécole. Dans mon désespoir, je liai aidé un peu." IO Mais pour ce crime, ils doivent payer.

Le froid nlest

malheureusement pas absent de la maison de correction. "C l était llaube encore, il faisait froid, et le Septième se frottait les yeux en marchant vers le réfectoire." 11 Après la maison de correction, ce sera le Noviciat, du moins pour Jean-Le Maigre. "Jean-Le Maigre sentait couler la brise d1hiver par les trous de ses bottines." 12 Les tourments de la faim et du froid sont aussi peuplés de violence.

Notons la brutalité du père dont les procès du

vendredi inspiraient à Jean-Le Maigre et au Septième une sainte terreur. liTant qu'à moi, je ne buvais qu1une fois la semaine, le vendredi soiri avant de me présenter au procès de mon père (et oui, le vendredi soir était le soir du ch~tirnent) il valait mieux me préparer au verdict quelques jours à Ilavance." 13

IOUne Saison dans la vie d'Emrnanueli p. 66. IlIbid.i p. 69. 12Ibid.i p. 47. 13Ibid.i pp. 62-63.

38

Le père n'hésitant pas à se servir de sa ceinture, il leur montait parfois certaines chaleurs! •• ilLe Septième feignait de s'amuser lui aussi (ce qu'il redoutait le plus, c'est lorsque son père enlevait sa ceinture et que sa grand-mère s'écriait à chaque coup: "Voilà, voilà, sur tes fesses, mon garçon".) Ensuite, on se sentait mieux. Il faisait plus chaud et une flamme délicieuse montait dans la gorge. 1I -"Cette fois, j'ai été battu jusqu'au sang", pensait le Septième ••• 1114 Ajoutons à la violence du père, celle de la maison de correction où ils furent d'abord reçus par le Directeur. Il

(Une brute, un satyre, un vrai!) 1115

Ce dernier nia aucun ménagement pour les lIincendiaires et les assassins ll16 dont il qualifie le Septième et Jean-Le Maigre;

il les enferme

pendant trois jours dans une cellule sale, sans nourriture. " ••• trois jours à pourrir lentement dans ce trou ••• Monsieur le Directeur ouvrit la porte de notre cellule, et nous jetant à la face le récipient d'eau glacée dont nous avions besoin pour nous tenir debout ••• 1117 14Une saison dans la vie d'Emmanuel; p. 18. 15 Ibid .; p. 67. 16 Ibid .; p. 67. 17 Ibid .; p. 69.

39

Aussitôt sortis de leur trou, un nouveau danger les menace. "Tenant mon frère par la main, je longeais les murs dans la crainte que l'un de ces grands tueurs à la crinière jaune qui m'arrachait ma couverture, la nuit, et volait mon pain le jour, me plonge un poignard au milieu du dos."1 8 Pour comble de cette misère physique, la vermine, la saleté et la maladie enveloppent cette existence sordide. Citons d'abord la maladie de Jean-Le Maigre qui se meurt lentement, mais sûrement. "Il est tuberculeux, dit l'homme, à quoi peut-il bien lui servir d'étudier?"19 Au Noviciat, le frère Théodule enterrait avec tendresse ses petits morts. -

ilLe frère Théodule avait enterré Narcisse, le frère Paul, le frère victor (très je~e le frère victor, avait dit le Supérieur, ils 20 meurent très jeunes dans votre infirmerie!) Il

18Une saison dans la vie d'Emmanuel: p. 69. 19 Ibid .: p. 14. 20 Ibid .: p. 93.

40

Grand-mère Antoinette, de son côté, pensait aux funérailles qui dérangent tout le monde. "11 Y avait eu tant de funérailles depuis que grand-mère Antoinette régnait sur la maison, de petites morts noires, en hiver, disparitions d'enfants, de bébés, qui n'avaient vécu que quelques mois, mystérieuses disparitions d'adolescents en autonme." 2l Tous ceux-là n'avaient su s'accrocher à la vie car la mort collait à leur peau tout comme la saleté et la vermine. "Dans nos guenilles, les cheveux gluants de graisse sur les yeux, nous nous battions comme des animaux féroces dès que le Directeur nous laissait seuls ."22 Aussi grand-mère Antoinette ne peut retenir ses exclamations devant cette vermine, non qu'elle n'y soit pas habituée! liMon Dieu, il a encore la tête pleine de poux!"23 "Victorieuse, grand-mère Antoinette approchait la lampe, la cuvette et comptait les poux qui tombaient sous le peigne cruel ... 24 De la tête pouilleuse de Jean-Le Maigre, elle passait à celle des soeurs. 2lUnésaTsoh" dahs" la" vie a'Eininah1.:t"eli p. 22. 22 I bid.i p. 69. 23"Ibid. i p. 16. 24 Ibid • i p. 17.

41

"Et la vieille femme choisissait au hasard, par sa tresse blonde, l'une des enfants qui, sanglotante sur les genoux de sa grand-mère, ne savait pourquoi s'abattait sur son front craintif, une main sèche et violente, trop habile à chercher le s poux. u 25 Enfin, toute cette misère physique, froid, faim, violence, maladie et autres ••• n1est guère un climat où fleurissent le savoir ou l'intelligence.

Si les personnages de ce roman ne sont pas dé-

pourvus d'intelligence, leur 'ignorance crassel les ravale souvent au plus bas niveau. Le père d'Emmanuel est sans doute le plus dépourvu de tous ces êtres.

Il dira, très convaincu: "Grand-mère, l'école n1est pas nécessaire."~6

ou encore: "-Mais je ne comprends pas pourquoi ils ont 27 besoin dl étudier, dit le père, G."ms sa barbe. Il "-Je vais brûler son livre, dit la voix du père. Je te le dis, grand-mère, nous n1avons pas besoin de livres dans cette maison." 28

25 Une saison dans la vie d'Emmanuel: p. 19. 26 Ib id. : p. Il. 27 Ibid • : p. 12. 28 Ibid .: p. 14.

42

Notre pauvre Jean-Le Maigre doit évidemment se cacher pour lire: parfois, c'est sous la table de la cuisine, sous l'oeil protecteur de sa grand-mère ou encore dans la cave ou les latrines. Si Jean-Le Maigre ne compte pas sur les lumières de son père, il est difficilement éclairé par les gens supposément instruits.

L'institutrice, mademoiselle Lorgnette, a été, hélas,

promue trop vite à son poste.

Encore faut-il qu'elle se rende à

l'école, ce qui n'est pas toujours facile! "Mademoiselle, elle-même, manquait l'école très souvent. Comme le Septième, elle s'égarait dans les remous de neige, perdait sa tuque au vent et suçait la glace qui collait au pouce de sa mitaine." 29 Jean-Le Maigre, étant le plus talentueux, a souvent la chance de s'exercer au métier de professeur.

Même en présence de made-

moiselle Lorgnette, ses connaissances surpassent souvent celles de cette dernière. '.'

"Si Mademoiselle, dit-il, s'exclamait parfois sur mes connaissances, elle s'attristait de plus en plus sur les siennes .1130 Parfois monsieur le Curé remplaçait mademoiselle Lorgnette égarée dans la neige! •• 29Une saison dans la vie d'Emmanuel: p. 57. 30I bid.: p. 60.

43

"Monsieur le CUré, lorsque fuyant les vieilles filles du confessionnal, il nous arrivait d'un air ~~osant, ses cartes de géographie sous le bras" Le savoir de Monsieur le Curé laisse Jean-Le Maigre un peu perplexe. "Malgré tous ses efforts, Monsieur le Curé ne put jamais me renseigner sur les grandes vérités de la vie. Je ne sus jamais où était l'Est, et encore moins le Nord, il me semblait que l'OUest se promenait autour de la maison, la tête basse, comme une personne qui s ' ennuie" 32 La remplaçante de mademoiselle Lorgnette, madame Casimir,plutôt

en quête d'un mari que d 1 enseignement, étonne Jean-Le Maigre par sa façon de parler et de conjuguer le verbe 'absoudre ' • "Et je soupçonnais cette femme d'avoir le coeur sec, car elle ne levait jamais les yeux de son: . tricot, et ne savait pas conjuguer le verbe ABSOUDRE. J'absous ••• Tu absous ••• Il ••• ab •••• Elle s'arrêtait là, la baguette en l'air. Elle avait aussi la manie de confondre VESTE VESTIAIRE et VESTIBULE et elle me disait sur un ton raide ALLEZ DONC VOUS DEVESTIR DANS LE DEVESTOIR MONSlEUR! .. 3 3 Enfin, Jean-Le Maigre n'eut guère plus de chance au Noviciat avec les instituteurs du calibre du frère Théodule

3lUne saison dans la vie d'Emmanueli p. 57. 32Ibid.i pp. 59-60.

e

33 Ibid • i p. 65.

44

qui enseignait les sciences naturelles à des IIclasses endormies ll34 et lIil est de plus ignorant corrane la lune. 1I35 La misère morale complète finalement ce sombre tableau d'une vie désespérante.

La tragédie, cependant, clest que les

manquements continus à la morale

~:;,'rvent

tissement à cette vie de malheurs.

pratiquement de diver-

Nous n1avons ici qulà

nommer les personnages pour illustrer leur grande IImisère morale". Llimpudeur du père qui, chaque nuit, viole une femme épuisée par les labeurs du jour et lui ordonne de se taire lorsqu'elle se plaint alors que les enfants écoutent lloreille appuyée contre la cloison. IISlil-vous-plaît, les enfants écoutent ••• " 36 Jean-Le Maigre et ses frères, à leur tour, se sentent un peu coupables de leur sodomie et de leurs masturbations. Mais pas au point de sien priver. 34Une saison dans la vie dlEmmanueli p.48. 35Ibid.i p. 122. 36Ibid.i p. 98.

45

"-"Nous ferions mieux d'aller nous confesser tout de suite, demain matin", dit le Septième, qui se hatait d'enlever sa chemise, tandis que Jean-Le Maigre poussait Bornme de l'autre c6té du lit. -"Dépêchons-nous avant qu'ils se réveillent," dit Jean-Le Maigre, ces égoïstes-là nous envieraient trop!" Jean-Le Maigre se tut un instant car coulait à ses doigts la dernière caresse mouillée du Septième. 1I37 La prostitution d'Hélolse, le masochisme et la pédérastie du frère Théodule sont aussi propres à susciter des ambiguités d'oràre moral.

Hélolse, en effet, compare madame

Octavie Embonpoint, maîtresse du bordel, à sa directrice de convent et sa vie de couvent à celle de la maison de prostitution. liMais, pensait Hélolse, en jouant avec une mèche de cheveux sur son front, madame Octavie aime trop le vin, elle mange trop de fromage. .Mère Supérieure aimait bien le frmmage, elle aussi. Mais elle n'en mangeait jamais pendant le carême. Peut-être madame Octavie devrait jeaner elle . auss~, . fa~re · ". t Mè re Super~eure. ". ,,38 pen~ ence comme

37Une saison dans la vie d'Emmanuel: pp. 37 et 38. 38Ibid • i p. 106.

46

Le frère Théodule a plus d'une corde à son arc quand il s'agit de satisfaire ses passions.

Il se glisse la nuit

dans le dortoir et Jean-Le Maigre croit, pour un moment, apercevoir le diable. "C1est ainsi que le Diable conunença à apparaître à Jean-Le Maigre, avec prudence d'abord, puis de plus en plus fréquemment. Il entrait par la fenêtre du dortoir, émergeant de la lumière de la lune, avec sa robe noire, son chapeau de fourrure Sur le front, ses souliers boueux à la main ( ••• ) Vu à la lumière du jour, le Diable n'était que le frère Théodule ( ••• ),,39 Chassé du Noviciat, c1est dans "l'ombre des églises,,40 que le frère Théodule pourchasse ses victimes. La morale de monsieur le Curé a aussi son degré d'élasticité.

Il qualifie bien ses ouailles aux moeurs douteuses "SES LEPREUX, SES BUVEURS INCURABLES, SES CORROMPUS AU COEUR TENDRE ••• ,,41

Mais, parfois dans son sonuneil, il entend une voix qui lui dit: "MONSIEUR LE CURE TU AS ENC~r: TroP BU de

bière ••• encore une fois." 39 Une saison dans la vie d'Emmanuel; pp. 47 et 48. 40Ibid.i p. 95. 4l Ibid • i p. 62. 42Ibid.i p. 57.

47

Enfin, llillustration effarante de toute cette misère ne nous laisse guère le cheix de la conclusion.

La vie intolé-

rable de ces êtres terrassés, décimés et engloutis dans la misère noire, est sans issue. llattitude de chacun.

Vivre pour en finir caractérise

Ainsi grand-mère Antoinette reprochera

au vieil Horace son trop grand attachement à la vie. II-A ton ~ge, Horace, t~ devrais avoir honte d1aimer tant la vie!1I 3 . Cependant à côté du vieil Horace qui slagrippe à la vie par habitude et de grand-mère Antoinette qui, par orgueil et esprit de domination, se croit immortelle, souffrent les intelligences captives de ce milieu.

De sa vie sans espoir,

Jean-Le Maigre aura doublement raison de dire: "Quelle tristesse,,44 Son frère Léopold, le séminariste, très doué, ne peut supporter davantage la vue de la misère des siens:

il se suicide un

"Vendredi-Saint Il45

43 Une saison dans la vie dlEmmanueli p. 81. 44Ibid.i p. 25. 45Ibid.i p. 54.

48

Le désespoir de vivre contenu dans "Une saison dans la vie diErnmanuel, amplifié par la mort de Jean-Le Maigre et le suicide de Léopold, constitue une préface à David Sterne où directement ou indirectement le suicide comme tel sera le moyen par excellence de se soustraire à la vie.

e ilLe désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement ( ••• ) à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pra tique. Il Lautréamont.

Deuxi~e

partie

DAVID STERNE

Le roman David Sterne plein milieu du désespoir.

nous projette immédiatement au

Le choix est déjà fait!

Marie-

Claire Blais ne laisse plus suggérer le désespoir, mais elle le crie par la bouche de David Sterne, de Rameau et de Reine. n1y a en effet plus de doute aux yeux de ces derniers. société est un monstre et la vie est absurde.

La

Nous assistons

ici à la désagrégation complète des valeurs sociales, intellectuelles et morales.

Car pour aucun d1entre eux, ces valeurs

ne suffisent à justifier leur existence ou celle de la société. Cependant, si tous arrivent à la même conclusion, ils y sont conduits par différentes raisons; raisons que nous tacherons d1élucider pour chacun dans cette partie de la thèse. Notre premier contact est celui de David Sterne qui, mourant et pourchassé, nous dit son indifférence en face de la mort.

50

Il

51

IIJe peux mourir ce soir ou demain, cela ne m'effraie pas, c'est une douleur comme une autre. J'ai toujours vécu avec la souffrance: elle n'a fait que croître, elle prendra maintenant une forme définitive, c'est tout. 1I46 Mais David ne veut surtout pas de notre pitié et il nous met tout de suite en garde. 1111 ne faut pas croire (f.1e je fus orphelin, que j'eus une enfance malheureuse. L'un de mes frères est avocat, l'autre, prêtre. JUsqu'à l'âge de seize ans, j'ai étudié au Séminaire. Puis, j'ai tout quitté. La famille, la maison, tout. Je n'ai rien perdu. Je vais mourir et clest bien ce que j'ai voulu. J'ai créé mon destin. 1I47 Deux années se sont donc écoulées depuis que David a décidé de 'créer son destin'.

Et il est là, ironie du sort,

poursuivi comme un voleur, malade et mourant. IILa ville est étroite, les IIUlrs sont hauts: je cours, je veux disparaître, m'engloutir dans l'ombre des maisons, mais surtout des yeux me guettent ( ••• ) Je suis malad~48je pourris sur place. dix-hui tans. Il 46 David Sternei 47 Ib id. i

p. 12.

p. 12.

48Ibid.i pp. Il et 12.

J'ai

52

e Si toutefois son dénuement matériel présent est bien voulu, c'est sur un plan philosophique que David trouve une justification à ses actions. "Cela avait commencé par une conversation philosophique avec mon ami Rameau, au Séminaire. Nous voulions être les maîtres du destin. 1149 Quelles sont alors les raisons philosophiques qui l'ont mené au désespoir?

David semble nous les énumérer au tout début.

Et c'est à partir de là qu'il adopte une attitude qu'il s'efforcera de conserver jusqu'à sa mort. Face à la vie et à la mort, David s'exprime ainsi: vie, ma, mort, ce sont les seules choses que je possède. 1150

liMa

Il veut alors être seul maître de son destin et ne reconnaît aucune autorité. "Que Dieu vous le donne, ce n'est pas à vous ••• que je le tire de mes entrailles misérables, c'est tout de même à moi." Sl

49navid Sterne: p. 12. 50 Ib id.: p. 13.

51 Ibid .: p. 12.

53

Une fois l'autorité divine rejetée, il

reconnaît

encore moins celle des hommes ou les principes sur lesquels se base la société. ilLe métro abonde d'hommes satisfaits qui souffrent tous de cette maladie commune: la propriété. C'est le sentiment de propriété qui engendre les guerres. C'est de cela que j'ai voulu me guérir en quittant tout. n52 En conseq'.lence, ses actions se justifient selon les mêmes ~

principes. IIQuand je vole, c'est pour guérir les autres du mal de la propriété. Si je tuais, je le ferais peut-être pour la même raison. 1I53 Et finalement, David ne reconnaît pas l'intelligence de l'homme, ni le droit d'imposer sa loi à un autre. IIUn homme qui est sûr de lui, cela m'insulte, il mérite d'être puni. n54 Mais derrière ces raisons apparentes se cachent les

vrais motifs de David.

Car il veut lui aussi dire, tout comme

Michel Rameau vibrant d'intelligence et de santé, IIPrends ta mort et gifle-la. 1I55 52David Sterne; p. 13. 53 Ibid • ; p. 13. 54 Ibid • ; p. 13. 551' "d ~.; p. 19.

54



Mais lui, David, n'a pas ce privilège, ni ce courage. mourir, il le sait bien.

Il va

Il a peur.

IIJe suis né comme un poison. Voilà ce que je suis, rien de plus. Une maladie inconnue du code médical, dit-on! Tout ce que je sais, c'est qu'elle est mortelle. 1I56 IIJ'avais vu le médecin l'après-midi. Je me répétais que j'étais perdu, et je ne pouvais dompter un petit frémissement de sécheresse ou de rage, en moi .1157 Et voilà toute la rage et la révolte de David Sterne. Peut-on être maître de son destin lorsqu'on est déjà condamné? Non, David le sait bien!

Mais dans

ilIa verte nuit de sa colère" 58 et dans son orgueil lIinguérissable" 59 il veut, tout comme Rameau, IIcultiver l'indifférence jusqu'au suicide ll60 et tirer de ses lIentrailles misérables Il 61 ce qui lui reste de vie. 56David Sterne; p. 16.



57Ibid.; p. 19. 58--e:t""59 Ibid .; p. 15. 60 Ib id.; p. 13 • 61 I bid. ; p. 12.

55

Aussi c'est dans ce désespoir que David finira sa vie, mais pas sans avoir piétiné toutes les valeurs morales et sociales sous le couvert de l'indifférence. Chassé du couvent pour ses activités homosexuelles, David trouve dans la prostitution et le viol son défi de toute morale. "Livré à la débauche, je n'ai pas connu le plaisir, mais la violence de sensations périssables et douloureuses. ( ••• ) Asservi à une femme ou à un homme, je ne connais que la cruauté et l'ennui.,,62 "Je saute dans l'ombre du lit une gorge lisse des joues ensomeillées. Tais-toi si tu cries je peux te tuer .,,63 Les mauvais traitements que subit David pour ses vols et ses délits lui fournissent une raison de plus pour halr la société et ses cadres. "Ils m'ont fusillé de dos, de profil, des flots de sang ont jailli de ma bouche, de mes oreilles, de mon nez, mes agonies étaient nauséabondes: souillé de mes souillures, 64 j'ai entendu siffler le fouet contre mes os ( ••• )"

62DaV1°d St ernei p. 28 • 63 Ibid .: p. 47. 64 Ibid .: pp. 27 et 28.

56



A cette brutalité bestiale et fort bien connue du corps policier et aux juges qui l'incitent au repentir, David répond: "Je crache sur vous, messieurs ."65 D'ailleurs, c'est avec la même arrogance et le même dégoat que David fait face à l'autorité du couvent ou à sa famille. UJe hais votre odieuse dictature u66 dit-il au père Jaloux ••• Et parlant de ses parents, David exprime tout son mépris pour cette vie bourgeoise de gens en place. "Mes parents sont des gens satisfaits. Lorsqu'ils lisent le journal, ils ne tremblent pas: ( ••• )67 "Ah! maman, ta perfection monotone que rien ne peut troubler, combien je la hais~ Tu as bien vu mon nom parfois g~ns le· journal ou ne l'as-tu pas reconnu?" Si David repousse la société, il admet cependant qu'il partage la souffrance des hommes; UNous n'aimons qu'une chose dans la vie c'est notre souffrance. u69 et que ses vices, même s'ils ont 65 Da vid Sterne; p. 41. 66 Ibid • ; p. 102. 67 Ibid.; p. 14.



68 Ibid • ; p. 14. 69 Ib id. ; p. 43.

57



IItoujours vécu en compagnons séparés,,70 sont l'instrument de sa presque destruction. ••• ) quant à moi, je suis capable de tout: je m'étends, je détruis, à la fin je suis souvent ma propre victime.,,7l

Il (

Mais l'orgueil de David n'est pas toujours à la hauteur de sa philosophie.

Le remords le prend parfois;

liMais ce jour-là, en touchant mon genou, j'ai pensé à ma mère, et combien c'était absurde d'avoir fui si loin mais je ne pouvais plus retourner, ( ••• )1172 et tout 'maître de son

destin~

qu'il se dit, il nie sa respon-

sabilité. IIJ'ai bu le fiel de votre justice - Ah! elle est belle, votre justice, Messieurs, vous pouvez vous en féliciter.,,73 Cependant,son orgueil ne le quitte jamais.

Il repousse

l'aide de Reine qui ne demandait qu'à le sauver. - Et dans son

70David Sterne; p. 40. 7l Ibid • ; p. 23. 72 Ibid .: p. 15. 73 Ibid .; pp • 36 et 37.



58



orgueil également, David ne prononce pas les mots qui empêcheront le suicide de Rameau qui se jettera du haut du clocher. liMais si simplement David avait dit: 'Michel, il faut descendre ••• ,1174 "-Adieu, murmura Michel Rameau entre les dents. Mais David ne répondit pas. 1I75 Da vid et Rameau, "deux axes à ma course ll76 pense David, mais seul celui qui m1a enseigné la vie, l 1orgueil, la maîtrise de la peur et le mépris du monde, me fascine; lui seul est digne de moi.

Et dans ses rêves délirants,David revoit

son ami Michel Rameau. "Et je fais souvent le même rêve. Je suis dans un bar, entouré de gais camarades, c1est le crépuscule, nous buvons, fumons, jamais llexistence ne m1a semblé aussi légère; et soudain, je sens une vive odeur de putréfaction autour de nous, je me retourne et je m1aperçois que Rameau est là, derrière moi, il est assis sur un cercueil, il me sourit. 1I77

74David Sterne; p. 74. 75 76

.'

.

Ib~d.

.

Ib~d.

; p. 78. ; p. 55.

77 Ibid.; p. 17.

59



Rameau a bien raison de sourire car lui, il a eu la force de se suicider, seul. son

orgueil~

Mais David nia que la faiblesse de

Ce suicide, il ne le commettra pas directement

mais forcera la société à le tuer lentement ••• mais au juste, quelle différence y a-t-il? IIJe vais7~ourir mais clest bien ce que jlai voulu .11

* * * Michel Rameau est le seul personnage de ce roman à commettre froidement le suicide, sans contrainte extérieure apparente.

Il est fort, beau et doué. IlMichel Rameau unissait la santé du corps à une intelligence du jeu qui me fascinait 79 souvent ( ••• ) Il avait llair dlun ange. 1I

Son désespoir nlest donc ·à aucun moment apparenté à la misère physique; mais, entrevoir une fin à sa vie et à son intelligence, voilà son drame.

A quoi lui sert la beauté et 11 intelligence

slil lui faut mourir et se décomposer comme un vulgaire animal?

78David Sterne; p. 12.



79 Ibid .; p. 17 •

60



Cette horreur de vivre et de mourir, Michel Rameau ne peut la supporter. "Rappelle-toi que nous sommes tous des condamnés à mort.,,80 Mais "Il faut une raison pour s'enlever la vie ll8l Et la raison de Michel Rameau, c1est la mort: seule chose dont il se croit maître. mort se~~e est à nous et nous la servons trop mal."

IlLa

Et dans sa révolte et son impuissance, Rameau blasphème, "Dieu ne comprend pas les hommes mais toi et moi, nous pouvons nous comprendre. n83 Surtout, c1est "dépouillé de toute morale (que Rameau désire) affronter les dieux." 84 Il slassurera ainsi, avant de mourir, d1avoir tout essayé. couvent, il initie David et ses confrères à llhomosexualité.

80David Sternei p. 19. 8l Ibid .i p. 18. 82Ibid.i p. 32. 83Ibid.i p. 17.



84Ibid.i p • 48.

Au

61



A l'extérieur, il vole et viole les jeunes filles, s'assurant ainsi de ne rien laisser sur son passage qu'il n'ait souillé. embrasser tous les vices et s'éteindre. 1I8S

Il

Aussi, sachant toute l'admiration que lui porte David, Rameau sera son maître incontesté. IIJe t'apprendrai à ne pas avoir peur. Il s'agit de maîtriser sa mort. 1I86 Evidemment, l'orgueil de Rameau n'est pas moindre que celui de David; vertu à moi, c'est l'infinie violence de ma justice, de ma condamnation à mort, Vous êtes témoin, Seigneur, que ma frêle mort ne connaît pas votre pitié ••• 1187

liMa

ni son opinion de la société plus élevée, IIDans ce règne de terreur, complice de la folie des hommes autant que de la folie de Dieu qui les avait créés, comment lui, Michel Rameau, pourrait-il se permettre de vivre?1I88

8SDavid Sterne; p. 24. 86 Ibid .; p. 19. 87 Ibid.; p. 72.



88 Ibid .; p • 7S.

62

"Lui, Michel Rameau, tremblant d'horreur dans son clocher, avait vu le monde comme un champs de guerre, il avait marché parmi les cadavres d'enfants, la terre sanglante s'était ouverte sous sespieds. Il avait vu tant de choses, qu'il ne pouvait plus vivre: ces derniers jours, il n'avait pu regarder David sans le voir pourir sous ses yeux. L'univers était galeux, d'une puanteur torride, il fallait partir!1I89 Convaincu de la nécessité de son suicide, il verra un moment son orgueil et sa volonté fléchir.

Il fait appel à ce

Dieu qu'il a si souvent blasphémé et à ceux qu'il a corrompus, séduits et détestés: liMon Dieu, donnez-moi le courage. 1I90 et dans son clocher, il a peur, il.pleure et pense: IIJulie Brec, pensait-il, et vous tous que j'ai volontairement souillés et qui ne méritiez que cela, petits camarades vicieux, adolescences, jeunesses lépreuses, flétries dans les Séminaires, les couvents, père Antime, vous que je n'ai pas réussi à faire tomber de votre échelle de vanité et d'orgueil, mes supérieurs que je hais, vous tous, mes amis, venez donc me secourir maintenant puisque vous m'aimez tant! Mes fautes, approchez, si mes péchés eux-mêmes ne me soutiennent pas, qui donc le fera?1I91

89David Sterne; p. 76. 90 Ibid • ; p. 77. 9l Ibid • ; p. 79.

63

Rameau se rend alors compte de sa faiblesse: Il

Jusqu 'au bout, je serai indigne, même du néant d'où je suis sorti. 1I92

Mais son désespoir est trop grand, son destin trop irréparable! IIII ferma les yeux. La rue, lointaine et proche, à mesure qu'il se penchait pour la voir, tournait légèrement. 'Mon Dieu, mon Dieu~ pensa-t-il, puis sa pensée s'interrompit, et il sentit la chute de son corps lIirréparable ll lIirréparable ll , ces mots traversèrent son esprit brisé, et aussitôt une grande paix l'envahit, et couché sur le sol, il n'osa plus bouger de peur de la perdre." 93

* * * François Reine, au contraire de Rameau, est au départ plein d'optimisme.

Il croit en la bonté de Dieu et à la valeur

de son apostolat laïque.

Il déborde de joie à l'idée de faire

du bien autour de lui. IILes collines sont bordées d ' allégresse'94 les prairies se revêtent de troupeaux. Il

92David Sterne; pp. 78 et 79. 93 Ibid .; p. 80. 94 Ibid .; 89.

64

Etudiant en droit, Reine a fondé un journal "La Révolution idéaliste" où il entend faire valoir ses idées et par suite éliminer les guerres et soulager la misère d'autrui. Mais comment être chrétien et révolutionnaire à la fois? Reine ne désespère pas encore.

Ce qu'il faut faire, c'est

changer la société. liMais je veux réformer l'ordre social parce que je ne lui appartiens pas. 1I95 "J'étais chrétien mais cela n'a plus de sens. Il est vrai que ma pensée est vive, inconstante mais un chrétien ne peut pas être révolu tionnaire .1196 C'est donc sans

rel~che

que Reine travaille à promouvoir

son rêve d'une société juste. IIDormir. Une heure peut-être. la lutte .1197

Puis reprendre

Aussi Reine redouble-t-il ses efforts pour sauver David de son désespoir.

Car, lui, il le comprend bien et il sait que

David est une victime de la société.

95Dav~-d S terne~ p. 29 . 96 Ib~-d .~ p. 43 • 97 Ibid • ~ p. 95.

65

"J'aimerais pouvoir vous aider, vous inspirer quelque idéal, David, ( .•• ) 1198 "Je vous le dirai franchement, David, je veux vous sauver .•. J'ai confiance en vous, David. Vous êtes une victime de cette malheureuse tyrannie sociale sous laquelle nous vivons. Venez chez-moi, je vous donnerai une bible, c1est tout ce que j ' ai." 99 Mais François Reine se rend bien compte avec le temps que sauver David est une tâche au-dessus de ses forces tout autant que la réforme sociale.

Les jours qui passent avec toute cette souf-

france qui s'accumule le laissent au bord de

l'h~stérie.

"La nuit, je me réveille et je pense à la famine en Amérique Latine." lOO "Chaque jour, nous brûlons le pain des hommes, jetons des bombes ••• J'ai honte, si vous ôîviez, je me réveille la nuit et j'ai honte" l C1est le moment du désespoir de Reine. courage et la foi en Dieu. mort.

Il perd tout son beau

Il ne lui reste plus rien sinon sa

Au moins, si sa mort pouvait servir à quelque chose! •. 98 . David Sterne; p. 29. 99 Ibid • ; pp. 41 lOOIbid. i p. 42. lOlIbid. i p. 52.

et 42.

66

liMais j'ai perdu la foi en elle, en moi, en tous; soudain j'ai perdu la foi. Adieu David Sterne, c1est la dernière fois que je vous vois, adieu. lIl02 Dans la violence de sa bonté et dans le désespoir de sa cause, François Reine s'immole par le feu, pensant que cet acte spectaculaire ferait réfléchir les autorités.

Et ses pauvres

diront en apprenant son suicide: liCe p'tit Reine, ce qui lia brûlé vi~ ce n'est pas le feu non clest la pitié lll03 D'ailleurs les derniers mots de Reine indiquent clairement la lourdeur de son désespoir.

Son unique idée: se délivrer de la

vie ••• de la mort! IIJe niai rien à offrir, mon agonie, peut-être Mais, comme tu le sais, ce n1est jamais très beau de mourir ••• 11104

** * Le désespoir et la mort de David Sterne, de Mîchel Rameau et de François Reine ne sont pas sans laisser leurs traces et semer llangoisse dans leurs milieux respectifs. 102 Dav~"d Sterne; p. 53. 103 I bid. ; p. 114. 104 Ibid • ; p. 117.

Aussi nous retrouvons

67

au couvent, le bon vieux père Antime qui, devant ce malheur, réalise son échec à sauver David et Michel. "Laissez-moi sauver votre âme." lOS Il perd ses cheveux, vieillit, "C'est moi, votre ancien ami, le père Antime, vous voyez combien je suis devenu chauve depuis votre départ. Je vieillis." l06 et sombre progressivement dans la folie. "-Trop de malheurs, notre bon père Antime en a perdu la raison." l07 Rongé par la tristesse et le remords, on n'ose plus prononcer le nom de David dans sa famille.

Charles Sterne,

prêtre, pense à son frère: liMais David, corrrrne toi, hier, je ne suis pas heureux. Ils t'ont mis à nu, ils ont compté tes os. Mais, si on parle de toi honteusÎ08 ment pour t'oublier, je baisse les yeux. 1I Et sa mère, repliée dans l'ombre de son mari, excuse sa propre attitude dans la crainte de ce dernier.

10SDavid Sterne; p. 49. 106 Ibid • ; p. 31.

--

107 Ibid • ; p. 102. 108 Ibid • ; p. 104.

68

IIJe t'ai défendu de voir David. Désormais, je suis silencieuse car je crains mon mari, mes enfants. David est mort seul, David est là entre nous gui nous sépare. lIl09 Enfin, François Reine laisse derrière lui les pauvres gu'il arrivait à consoler de leur grande misère. IIAh! l'ptit Reine, nous l'avons trop regretté, voilà gui venait presque chaque jour avec du pain frais, du fromage pour les énfantsi il était comme l'bon Dieu, tout dOl.lX des yeux clairsi un bon petit celui-là. lIll 6

* * * La

révolte qui souffle comme un vent de feu à travers

le roman David Sterne nous laisse perplexes.

Ce qui étonne

surtout, dans ce roman, c'est qu'aucun de ses personnages ne soit en accord avec la vie.

Ils rejettent tout d'emblée.

Leur

haine de la religion, de la famille, de la société, de Dieu et

l09David Sternei p. Ill. 110Ib"d =.;;;;.~.;;;..: p. 113.

69

enfin de la vie même fait d'eux des personnages quasi monstrueux qui n'ont rien de compatible avec l'homme. Aussi, Marie-Claire Blais semble avoir créé ces personnages pour en éloigner toute sympathie et par le fait même, les isoler

compl~tement

dans leur désespoir.

Quoiqu'il en soit, ce

roman restera sans doute un de ceux où le désespoir est exprimé à son plus haut degré.

* * * La conclusion de ce deuxième chapitre termine de même l'étude du désespoir des principaux personnages des romans de Marie-Claire Blais. Nous avons remarqué que tous ces êtres n'existent que dans la mesure où ils peuvent lutter contre la vie.

La

vie

devient à ce moment une chose dont ils veulent se défaire.

La

vie c'est l'ennemi. Aussi, nous avons déjà démontré à force d'exemples, tirés des romans mêmes, et surtout en laissant parler les per-

e

sonnages, les divers motifs de leurs actions ou de leurs

70

attitudes.

Nous pouvons cependant noter que, du premier au

dernier roman, un élément primordial à la vie de l'homme semble presque toujours absent.

Et cet élément, c'est l'amour!

En

effet, Tête Blanche, Isabelle, Raphaêl, Jean-Le Maigre, Frédérik, David Sterne et Michel Rameau sont tous des êtres qui se sentent privés d'amour;

ceci joue sans doute un grand rôle dans leur

rejet de la vie.

Par contre, le désespoir est comme un parasite.

Il règne partout en maître et on le trouve partout sous des métamorphoses infinies.

Il sert de dynamisme qui polarise l'imagi-

nation et complète la mutation de l'individu, de la société. Cette société évidemment est largement mise en question. Et, qu'on le veuille ou non, il nous est impossible de ne pas faire de rapprochements.

La société et le milieu où évoluent les per-

sonnages de Marie-Claire Blais (bien qu'elle sien défende) sont en large partie l'image de la société canadienne-française.

Et

clest justement aux valeurs de cette société que sien prennent les personnages du roman. Marie-Claire Blais croit-elle vraiment impossible le rachat de cette société? ..

"Nourritures. Je m'attends à vous, nourritures! Ma faim ne se posera à mi-route; elle ne se taira que satisfaite; des morales n'en sauraient venir à bout et de privations je n!ai jamais pu nourrir que mon âme." André Gide

CHAPITRE I I I

Même thème retrouvé dans la poésie et le

thé~tre

73

Notre travail d'analyse pour ce chapitre s'avère un peu plus abstrait, surtout en ce qui regarde la poésie.

Car Marie-

Claire Blais possède, en effet, un tempérament poétique parfois difficile à cerner.

D'ailleurs, la forme de vers libres qu'elle

emploie permet à l'auteur beaucoup de fantaisie à la fois dans llexpression et la portée significative de ses poèmes. La compréhension des poèmes nous est cependant facilitée par un ensemble de mots clefs qui semblent soutenir le souffle poétique tout au long de lloeuvre poétique.

Et c'est surtout

en regard de la totalité des poèmes que se dégage notre thème plutôt que dans un poème en particulier.

De plus, il est bon de

noter que Marie-Claire Blais a, pendant quelque temps, cherché une forme littéraire définitive.

Du roman, elle passa à la poésie

et publia Pays voilés et Existences qui est sa contribution majeure à la poésie.

Un retour au roman semble prouver qu'elle est plus à

l'aise dans ce genre littéraire. En ce qui a trait au

thé~tre,

le nombre des pièces pro-

duites étant très restreint, le travail d1analyse est de beaucoup simplifié; et le thème central, tout comme dans les romans, est très apparent.

Première partie LA POESIE

Au cours de la lecture de lloeuvre poétique de MarieClaire Blais, notre attention est d1abord captée par le nombre considérable de titres de poèmes que lion peut classer comme étant d10rdre négatif ayant trait à la peine, llangoisse ou la destruction.

Soulignons ici quelques titres:

Solitude,

Les arbres nocturnes, Les sécheuses, Les abandonnés, Guerre, La folie,

etc •••

Aussi,dans les poèmes à titres positifs,

nous retrouvons sans cesse nombre de termes négatifs qui nous laissent irrémédiablement un sentiment d'angoisse.

En un mot,

l'ensemble de la poésie est empreint de tristesse. Dans llétude des poèmes, nous nous attacherons donc à faire ressortir la misère exprimée sous différentes formes;

le désespoir de vivre étant toujours traduit en corrélation avec celle-ci. Dans llordre des sentiments, la solitude de llêtre joue un rôle important.

Cette solitude quiisole llindividu

se rattache toujours à des situations ou états d'être exprimés

e

74

75

par un groupe de mots clefs dont nous avons déjà fait mention et qui reviennent constamment dans la phrase poétique.

Ces

mots établissent à leur tour une progression dans l'ordre des sentiments pour finalement aboutir au 'désespoir de vivre l • Le silence, llornbre, les ténèbres, la tristesse, llennui, llangoisse, la peur, la faim, la soif, le désespoir, la mort sont autant de mots qui s'enchaînent, se Icompénètrentl et régissent le rythme poétique. Clest en 1958, au tout début de sa carrière, que Marie-Claire Blais parle de solitude dans le poème Llenterrement du soleil

(Ode à la mort) • "Pourquoi ne mias-tu pas dit que jlétais seule?"

l

Le silence, à son tour, semble peser lourdement sur la vie des êtres. "Je voyais une horlogerie muette sous les arbres .. 2 dit la poétesse et

IPoèmes dans Ecrits du Canada-Français, Tome V, Montréal, 19'59: p. 186. 2

Pays voilés: p. Il.

76

"Personne ne parlait dans la maison,,3 quand je suis née. Ce silence de la poétesse semble se communiquer à son entourag.e. "Sois silencieuse, petite foule Petite foule perdue de mon rêve,,4 "Des troupes d'enfants

sortaient des villes en ruines, Silencieux, leurs souliers battaient la route, ••• ,,5 p~les

Et l'enfant qui grandit s'aperçoit que son sort est à jamais noué à sa misèrei "Un brusque siècle montait de la terre Que je ne connaissais pas, Ainsi, le silencieux chemin de mon sang Siest retiré, humilié, dans la brume ••• ,,6 et plus tard, il comprendra qu'il n'est vraiment qu'une ombre passant vaguement sur la terre. "Petite ombre Dans le paysage suppliant,,7 3pays voilési p. 14. 4Ibid.i p. 17. SIbid.i p. 18. 6Ibid.i p. 22. 7Ibid.i p. 16.

77

Cette petite ombre glisse à son tour dans les

ténèbre~



elle est complètement vaincue. IICar toutes ces choses ténébreuses demeuraient avant moi Et écrivaient mon nom dans la vie qui ne rêve plus ll8 Plongé ainsi dans les ténèbres, l'être sera soumis à toutes les turpitudes de l'existences.

Aussi Marie-Claire

Blais a soin de cristaliser ces différentes misères.

Nous

sélectionnons à cet effet certains poèmes qui illustrent bien les thèmes soulignés. Dans le poème Solitude, nous retrouvons la tristesse et la détresse de la mère qui a perdu son fils: IIMère sans attente dans la maison désertée lUne marguerite dans le coeur de mon fils Mais il me quitte aujourd'hui Conunent le reconnaîtrai-je au jardin?11I9 Cette même tristesse, nous la rencontrons aussi dans Les Seuils Muets.

Mais elle est ici l'état d'un être divisé.

8 Pays V01'1' es: p. 18 •

9 Ibid.: p • 31.

78

"Je passe parfois des seuils dans le brouillard Mon ame vient vers moi, Soeur aveugle, humble et souriante Et moi qui la vois, je suis triste, Pendant ces longs jours de transparence et de fièvre Il 10 A la tristesse s'ajoutera l'angoisse et la peur souvent causées par la bêtise de l'homme qui cherche sa propre destruction. "Les villes se sont écroulées sans bruit Le ciel submergé de mouettes noires a coulé au fond des océans, Chacun avait pensé au lourd ennui Lié à ses gestes jusqu'à l'éternité." ll Le tableau de cette misère ne serait pas complet sans y ajouter les tourments d'ordre physique qui s'y mèlent. Marie-Claire Blais n'oublie certes pas la faim et la destruction provoquées très souvent par la méchanceté de l'homme. Le poème Guerre nous parle de cette violence et de cette souffrance.

10 Ex~s . t ences i p. 74 • llIbid.i p. 59.

79

IILà-bas, une ville chaude Sous les fenêtres des chambres, les marchands Parlent de famine Les enfants grandissent ll12 "Nous allions parfois dans cette église abandonnée

Au soleil couchant, chaque dalle du cimetière nommait un homme Et la nuit souvent, quand passaient les armées Ces pierres gémissaient comme des dormeurs se retournant D~ns le soir" 13 L'être soumis à ces malheurs constants résiste mal à la révolte mais se butte contre le mur infranchissable de son destin. "Au coeur d'une gare infinie Les trains de la rumeur Partaient et revenaient encore Et nous marchions, lents, Chaque nuit plus vive,,14

l2Existencesi p. 54. l3 Ibid : p. 51. l4pays voilés: p. 22.

80

Mais nul être dans l'oeuvre de Marie-Claire Blais n'accepte la vie. noires et sombres

Et sa poésie regorge de ces situations qui~provoquent

le désespoir et la mort.

Aussi leur offrirait-on,à ces êtres, le bonheur qu'ils le refuseraient. /lEt moi je ne demande qu'un instant pour saisir le bonheur 15 Dont je suis soudain accablée." Cependant le désespoir semble se trouver une place de choix. "Et les vents, venus de quatre roses Fondaient à ma joue avec la gr~ce du feu, Et tout cela qui passait, passait encore M'apprenait peu à peu à mourir Entre mes deux bras trop vivants. 1I16

liA quoi bon vivre si je ne vois d'un oeil ardent Ce qui se déroule chez les peuples invisibles Quand, unis dans la révolte, ils descendent d'un pas indifférent Vers la transparence d'un monde d'où ils ne reviennent plus?"17

15pays voilés; p. 15. 16Ibid.; p. 29.

--

17 Ibid .; p. 37.

81

liChez-nous, il n'est plus de refuge Plus de mirage 1 Les herbes se dressent au Soleil Mais rien ne peut libérer le peuple d'ombres Sou s la terre ••• 1118

* * * La

sui te logique au désespoir est la mort.

Aussi

l'ombre de la mort semble planer sur l'oeuvre comme une fin à atteindre.

Marie-Claire Blais nous en parle longuement.

Toute la nature se doit de mourir.

Les 'arbres nocturnes',

'les sécheresses', les IIsuicidés (tombés) du soleil" 19 IIl'aurore endeuillée" 20 sont autant d'éléments qui semblent satisfaire l'esprit violent et parfois destructeur de l'auteur. ilLe Jugement Dernier traversait les landes Tandis que les fils de pasteurs parlaient de la mort ••• 1121

l8Existencesi p. 63. 19Ibid.i p. 78. 20 Ibid .: p. 62. 21

Pays voilés; p. Il.

82

"L'enfant qui avait appris le nom des papillons Le chant des nombres, Ce soir, dort, parmi les cadavres de tous les pays Son visage évadé devenu oublieux Du serment de la vie,"22 "Ils descendent vers le clair soleil des morts Parfois un garçon pauvre les regarde immobile, De son vaste lit silencieux sous les ombres vertes!" 23 En somme, nous pouvons affirmer qu'il transcende de la poésie de Marie-Claire Blais des

th~es

vent plus tard dans ses romans.

Aussi, il serait faux d 'affirmer

généraux qui se retrou-

qu'il n'existe pas, dans la poésie, le même dualisme dévastateur et le rejet de la vie que lion rencontre dans le reste de l'oeuvre. Marie-Claire Blais cependant nia pas en poésie la facilité qu'elle possède comme romancière.

Elle est bonne romancière,mais

très peu poète. D'ailleurs la confusion dans sa poésie nlest pas qulapparente.

Si elle s lest inspirée de la Bible, selon l'opini.on de

certains critiques, elle nlen a tiré que peu de profit. 22 Existences: p. 60. 23 Ibid .: p. 78.

"Oui, Et j'aimais mon frère que j'ai laissé tuer. Notre amour est si loin, pourquoi viens-tu m'en parler? Il n'avait vraiment aucune importance." Jean-Paul Sartre

Deuxième partie LE THEATRE

Le

~é~tre

de Marie-Claire Blais se limite véritable-

ment à deux pièces: Eléonor jouée pour la première fois au thé~tre

de L'Estor à Québec en 1960, et l'Exécution qui fut

créée par la Compagnie du Rideau-Vert, le 15 mars 1968.

Nous pouvons aussi mentionner deux autres textes.

Le

premier: La Roulotte aux poupées et le second, Un Acte de Pitié, tous deux présentés à Radio-Canada au cours de l'année 1967. Il est à remarquer toutefois que ces deux textes n'ont pas été publiés, mais peuvent être écoutés sur ruban sonore au Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises de l'Université de Montréal.

Marie-Claire Blais n1est qu'à ses débuts comme écrivain lorsqu'elle compose Eléonor. vingtaine d'années.

Elle est

~gée

à cette époque d'une

Chose curieuse, après avoir suggéré au

début que Marie-Claire Blais a sans doute eu une enfance malheureuse, cette pièce expose justement ce problème.

Et il est non

moins étonnant que Marie-Claire Blais ait écrit cette pièce si tôt. 84

... 85

Cette pièce fait clairement le procès de lléducation religieuse ou des croyances religieuses des Canadiens-français. L1auteur analyse à fond les motifs de cette croyance et le but de ceux qui llenseignent. Il nous semble évident que llEglise au Canada-français, afin de bien slassurer de sa suprématie autant au point de vue politique que religieux, ait enseigné la crainte de Dieu et la peur du péché et de l'enfer. et vengeur.

Nous avons connu un Dieu méchant

Aussi Borduasdisait à ce sujet: "Petit peuple issu d1une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre llinvasion de toutes les congrégations de France et de Navarre/en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c'est le commencement de la sagesse!) le prestige et les bénéfice~4du catholicisme malmené en Europe ( ••. )"

Cette pièce en un acte nous présente donc un pasteur entouré de ses trois filles, Rebecca, 20 ans, Else, 18 ans, Eléonor, 17 ans,et de madame Elisabeth, sa femme, épouse d1un second mariage.

24

Borduas, Paul-Emile, Refus Global - annexe II, Histoire de la littérature canadienne-française de Tougas. p. 277.

86

C1est le Pasteur, ici, qui dans toute sa dureté préfigure cette religion de la peur.

Car il voit le mal partout,

il le cherche, il llinvente, il le commet sans sien rendre compte et semble à certains moments ne faire qu1un avec le mali et ceci, en faisant lire les psaumes à ses filles.

Tout

crée une situation assez ironique. Mais,en Rebecca, la colère et la révolte grondent. Un jour, elle refuse de lire les psaumes. ilLe Pasteur - (il la regarde avec horreur) Ma fille qui refuse de lire la bible?

- Pourquoi ne lisez-vous pas? Rebecca

- Je ne crois pas à ces paroleslà, père. 1I25

Inutile dlimaginer la colère du Pasteur devant un tel refus dlobéissance.

Car en plus dlavoir le droit de commander

à sa femme et à ses filles, il croit que toute femme est inférieure à l'homme, (croyance très catholique dans la religion du Canadien-français) et qu'elle doit obéissance à llhomme.

25Eléonori pp. 2 et 3.

87

Rebecca répondra à Madame Elisabeth qui l'exorte à obéir à son père: "Je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous, Madame Elisabeth~ ni de père. Je suis libre. Libre! 112b et elle ajoutera: "Je partirai de cette maison.

Je la déteste." 27

Le Pasteur pétrifié devant autant d'audace, gifle Rebecca.

Et, tout de suite, selon sa logique habituelle, il

pense que les forces du mal sont liguées contre lui. ilLe Pasteur

Cette fille est un monstre. C'est le diable qui se cache en elle.

Rebecca

Le diable n'existe pas. 1I28

A l'obsession du mal dont souffre le Pasteur, s'ajoute son orgueil. liMes filles n'ont pas le droit de se perdre." 29 26 El éonori p. 3. 27 Ibid. i p. 3. 28Ibid.i p. 4. 29Ibid.i p. 5.

88

Son orgueil est aussi grandement blessé dlavoir une fille idiote: Eléonor.

Il voudrait éloigner cette enfant de

sa vie et par le fait même du 19u1en dira-t-on 1 des hommes. "Pasteur

Je ne veux plus entendre cette enfant dites-lui de cesser.

Mme Elisabeth - Eléonor nia que ce plaisir. Elle joue et ses yeux brillent. Pasteur

Eléonor est une punition de Dieu. Eléonor est une idiote. Jlai honte, mais elle reste ma fille aux yeux des hommes.

Je suis un homme fort. Est-ce gue je méritais une enfant sans esprit?,,30 Madame Elisabeth essaie de le calmer, mais le Pasteur ne veut rien entendre, surtout dlune femme. "Le Pasteur

Les femmes ne connaissent rien aux choses de Dieu .,,31

Llaversion du mal a chassé de llesprit du Pasteur toute bonté.

Et clest en croyant être bon gulil fait preuve dlune

cruauté digne de 11 Inquisi tion.

Il vend le piano pour empêcher

Eléonor de jouer et ignore les supplications de Madame Elisabeth.

30Eléonori pp. 6 et 7. 7 3l=,;;;;.~~.i Ib d p. • o

89

ilLe Pasteur

J lai vendu ce piano.

On viendra le chercher dans quelques jours.

Madame Elisabeth - Ne faites pas cela, pour elle cette pauvre gamme qulelle répète sans cesse ••• pour elle c'est la vie. Le Pasteur

Si elle est capable de comprendre il est de mon devoir de lui enseigner que le mal existe, que Dieu existe, qu'il faut craindre Dieu. 1132

Quand le Pasteur nlarrive pas à faire parler ou pleurer Eléonor, il emploie un moyen quasi démoniaque. de celle-ci avec un tisonnier rougi! •••

Il brûle la main

Elle pousse un cri! •••

Il dit alors: ilLe diable est dans mes filles, Eléonor, meme El~eonor •••• 1133 A

Toutefois, c'est dans le dialogue entre Else et sa soeur Rebecca que nous retrouvons toute la peine, llaigreur et la misère morale et psychologique qu'engendre une religion basée sur la peur et qui détruit l 1 ordre naturel de la vie. vie où les jeunes filles ne sont plus jeunes,

32Eléonori p. 8. 33 Ibid • ; p. 12.

C 1 est une

90

Il

Rebecca

Vous avez peur de vivre

Voyez ce que l'on a fait de vous. Vous cachez votre joli corps dans votre robe noire, vous relevez vos cheveux comme Madame Elisabeth, vos lèvres sont blanches comme les lèvres des mortes. Else, défaites vos cheveux comme une jeune fille, obéissez-moi, Else. Else

père le défend. 1I34

où les enfants ne jouent plus, Il

Rebecca

Suis-je méchante parce que j'ai envie de chanter quand vient le printemps? Nous avons appris à prier, mais les enfants doivent aussi jouer. Nous n'avons jamais déchiré nos habits. Nous avons oublié d'être des enfants. Et c'est si beau un enfant heureux qui joue, Else!1I35

et où les hommes ne sont plus des hommes. Il

Rebecca

Mon père n'est pas un homme. C'est un enfant vieilli par l'idée du mal ll36

34Eléonor: p. 16. 35 Ibid .: p. 22. 36 Ibid .: p. 22.

'91

Cependant, Rebecca qui s'apprête à partir a pris le parti de vivre et de ne pas se laisser détruire par son père. "Rebecca

Else, j'ai voulu vivre Else, ~e vais me marier, je suis' enceinte." 7

Rebecca partira mais pas sans oublier de dire toute sa haine de cette vie qu'elle a subit depuis sa tendre enfance. "Le Pasteur- Regardez cette fille, elle a le diable dans les yeux. - Impure, vous méritez l'enfer. Rebecca

L'enfer finira quand je vous qui tterai. ,,38

Rebecca partie, le Pasteur veut assurer le maintien de son autorité. l'entourent.

Il

~étruit

cependant le reste des êtres qui

Il couvre d'injures son épouse, qui s'efforce de

tempérer sa cruauté.

37Eléonori p. 21. 38 Ibid .; pp. 29 et 31.

92

Vous êtes une femme stér ile, vous êtes froid e et incap able de port er ma chai r et mon sang en vous .

ilLe Past eur

Je vous mépr ice pour cela vous êtes inut ile, Elisa beth . Vous 1I39 ne mlav ez pas donn é de fils . Dans son dése spoi r, Madame Elisa beth répo ndra : IIMme Elisa beth -

Mon coeu r n'a jama is été stér ile. J'ai atten du l'amo ur 1I40 et perso nne ne m'a aimé e.

nt Depu is le dépa rt de Rebe cca, la vie de ceux qui reste se désa grèg e.

Eléo nor, privé e de son pian o, tomb e mala de; et

re, se Madame Elisa beth ne pouv ant plus supp orter cette misè laiss e. alle r au dése spoi r. IIMme Elisa beth - Il ne lui rest ait qulu n peu de vie et on le lui arrac ha. Cles t ma vie qu'o n arrac ha en même temp s.

Else

Pour quoi trava illez -vou s dans l'om bre depu is le dépa rt de ma soeu r?

n41 Mme Elisa beth - Je niai plus envi e d'êtr e vue. 39El éono r; p. 27. 40 Ibid .; p. 45. 4I Ibid .; p. 37.

93

Aussi dans l'esprit d'Else se glisse le doute.

Elle

est tourmentée à l'idée que sa soeur Rebecca a peut-être raison.

Elle supplie Madame Elisabeth de la rassurer, mais

ne reçoit pas la réponse désirée. Croyez-vous en Dieu, Madame? Madame Elisabeth - Je suis profondément (elle hésite) indifférente à l'idée de Dieu, Else ."42

Mais bientôt aux paroles de son père, Else comprendra qu'elle n'est pas aimée de ce dernier et perdra tout espoir. ilLe Pasteur -

Mais Else quand comprendrez-vous que vous êtes une jeune fille laide? 1143

Elle sera cependant trop faible pour quitter son père et lui promettra de rester "Else

après un moment de refus: Non, je ne resterai pas ici toute ma vie. Je partirai. Je mourrai; mais je ner resterai pas ici.

" OU~,

è "Je Pre,

42Eléonor; p. 43. 43"d Ib~ .; p. 43 • 44"d Ib~ .; pp. 4 5·et 4 7.

"11 restera~ •••

44

94



L'aveuglement du Pasteur est total. incapable de faire le mal, il ne

~rdonne

Comme il se croit

à personne et blame

tous ceux qui l'entourent, ilLe Pasteur - Madame Elisabeth, cette enfant était un ange. C'est vous qui lui avez appris la révolte." 45 Enfin, Else,dans son désespoir, essaie de se suicider. Son père,la trouvant mourante, refuse d'appeler un médecin malgré les supplications de Madame Elisabeth. "Mme Elisabeth - Appelez un médecin, Joah. Le Pasteur - Il est trop tard. Elle a voulu mourir. Elle mourra. - Else, vous avez trompé votre père, vous m'aviez promis de vivre près de moi. (Elle meurt) 1146 Et le rideau tombe quand le Pasteur demande à sa fille idiote da le consoler.

45 EI eonori " p. 45 • 46 Ib id.i p. 48.

95

ilLe Pasteur - Eléonor (Il prend Eléonor par les épaules) ma dernière fille, dites quelque chose pour consoler votre père ••• Eléonor!"47 Cette première pièce de théatre de Marie-Claire Blais n1est pas sans nous rappeler le roman La Belle Bête.

Nous y

retrouvons la même cruauté que les adultes exercent sur les faibles.

Aussi l'auteur n'est-elle pas encore séparée de la

société où elle a vécu.

Ses personnages à ce moment n'offrent

pas un intérêt particulier dans le cadre d'une littérature internationale. Cependant, il est facile de déceler dans cette pièce le thème qui animera toute son oeuvre. Le 'désespoir de vivre 1 dans cette pièce n1est toutefois pas un refus de la vie et de la société comme nous le retrouvons dans David Sterne, mais il est ici le résultat de l'oppression que subissent les faibles.

Et s'ils s'abandonnent

au désespoir, c1est beaucoup plus par faiblesse que par un refus réfléchi de la vie.

47

Eléonor; p. 49.

96

1 , Le suic ide d'El se, le dése spoir de Madame Elisa beth d'Elé onor la crua uté du père , la révo lte de Rebe cca, la folie res qui sont auta nt de thèm es qui se retro uven t dans les oeuv s. 0nt suiv i, mais qui revê tent des visag es bien diffé rent e du Auss i verro ns-n ous dans la pièc e suiva nte que le thèm dése spoi r, tout comme dans

~avid

Stern e, est liê à des cons idé-

ratio ns d'ord re philo soph ique .

* * * L'Ex écuti on nous plac e dans un milie u de collè ge ou tueu de couv ent que Mari e-Cl aire Blai s a toujo urs très affec seme nt aimé détr uire .

C'es t dans ce milie u qu'on retro uve les

toute évirelig ieux et la relig ion que Mari e-Cl aire Blai s, de denc e, ne port e pas dans son coeu r.

Est-c e le frui t de rémi -

nisce nces de ses anné es d'étu de au couv ent? •• le. Le tram e de cette pièc e nous para ît d'abo rd asse z simp décid ent de Quel ques étud iants , sous la direc tion d'un 'lead er' comm ettre un meu rtre.

Cepe ndan t, c'es t un meur tre prém édité ,

97

réfléchi, calculé et sans aucun motif.

C'est le meurtre pour

I.e meurtre, l'action pour l'action sans y attacher aucun lien d'ordre moral ou autre. Cette_philosophie de la non-valeur de l'acte n'est pas sans nous rappeler Jean-Paul Sartre. exploité à maintes reprises.

Aussi ce thème a déjà été

Nous retrouvons par exemple une

situation semblable dans le fameux roman américain Compulsion de Meyer Levin où deux adolescents tuent un jeune garçon seulement pour avoir la sensation de cet acte. Louis Kent est dans cette pièce le chef qui impose son autorité aux autres élèves. violence calme et réfléchie. l'humanité responsable.

Louis est un type amer, déçu, d'une Malheureux lui-même, il en tient

Il veut se venger, faire souffrir •••

A cet effet, tous les moyens lui sont bons.

Il tire surtout

avantage des vices et de la faiblesse de ses camarades et n'hésite pas à ridiculiser l'amour de son ami Stéphane.

Mais il

agira toujours en chef, tirera toutes les ficelles.

Le meurtre

sera conçu et organisé par lui, mais il n'y participera pas. Il I.e fera commettre.

Et lorsqu Ion découvrira la mort du petit

garçon, il sera exonéré de tout blâme et ne dira rien pour défendre celui qu'on accuse: son meilleur ami, Stéphane.

98

Le type de personnage incarné dans le r8le de Louis Kent est sans doute dans l'esprit de Marie-Claire Blais celui que l'on retrouve tràs souvent dans notre société moderne. Celui qui, en effet, est la cause fondamentale du mal, mais n'en subit que rarement les conséquences. Une fois de plus, les faibles sont donc les victimes et semblent guidés dans un destin dont il leur est impossible de se désister.

Stéphane, par exemple, garçon sensible et intel-

ligent q suivra Louis Kent aveuglé par l'amour obscur qu'il porte à ce dernier.

Aussi lorsque Louis lui propose un meurtre, d'une

façon théorique, il est bien prêt d'accepter. IIJe veux être ton associé pour un meurtre si le meurtre est intelligent, si notre geste a un ~eu la grandeur de sa signification,1I4

Mais il nlest plus d'accord lorsqu'il s'agit de tuer un enfant, un innocent. IIII nia que quat29'ze ans. pas faire cela ll

48L'Exécutioni p. 10. 49 Ibid .; p. 15.

Nous ne pouvons

99

Certes Louis Kent avait prévu ce refus et frappera Stéphane dans son amour et son orgueil. "Je niai aucun respect pour toi et moi. Comme tu es ennuyeux ( ••• ) 115 0 "Je te croyais capable d'une oeuvre plus grande et d'un courage moins avare!"51 Mais comme ce dernier résiste toujours, Louis lui explique sa philosophie. IIC l est une sorte de philosophie du plaisir, tu ne comprends pas. J'ai toujours pensé que tu étais inférieur à moi.

"Je t'avais pourtant dit que tu devais renoncer à tout pour moi, je n'avais fait qulun seul rêve pour toi, celui de l'altitude •.• Oui, un grand rêve nietzchéen -- le tourment de la vie et de la mort, à leur sommet .•• IIS2 Devant les railleries de Louis Kent, Stéphane ne résiste plus et se conforme aux directives de ce dernier.

Il

tue Eric, aidé de quelques élèves qui suivent comme des pantins.

SOL 'Exécution: p. 16. SlIbid.: p. 19. 52 Ibid .; p. 22.

100

Après la mort d'Eric, Stéphane, qui croit encore en une valeur de rachat de ses actions, demandera à son ami Louis de mourir avec lui pour racheter la mort d'Eric.

Mais il se

butte aux sarcasmes de Louis. "Peut-être, oui, voilà ce qu'il me reste, c'est peu de chose. Ne détruis pas ce lien fragile, j e t ' en supplie. Accepte de mourir avec moi. C'est le seul moyen de racheter la mort d'Eric. 53

"Comme tu es compliqué, comme tu me fatigues! Mais je n'ai pas du tout envie de me sortir de cette situation. Bien au contraire. Je veux m'en délecter. J'aime les longs plaisirs et aussi les froides attentes qui les précèden t • Il 54

Par un jeu de circonstances et avec la complicité des autres élèves, Stéphane est accusé seul du meurtre et est mis en prison.

Cependant, il ne proteste pas.

Aussi Louis Kent

poussera l'audace à l'extrême et dira à Stéphane:

53, " t "~on; .p. 49 • L Execu

54 Ibid .; p. 49.

101

"Clest ta faute, Stéphane, après tout, tu as pris une trop grande responsabilité pour toi seul ..... 55 Et finalement, Louis se dégage de toute responsabilité,laissant Stéphane et les autres à leur propre sort avec la plus grande indifférence. "Si on soupçonne Lancelot et d'Argenteuil, ce nlest pas ma faute, je mien lave les mains ."56 Cette pièce se termine donc par le triomphe de l'injustice.

Mais, au contraire d'Eléonor, les victimes ne protestent

pas.

Ils acceptent leur sort sachant dans leur désespoir qu'ils

ne peuvent rien y changer.

Aussi cette incapacité des êtres

à se libérer de l'injustice des oppresseurs et de la société

en général nlest pas une idée nouvelle à l'oeuvre.

Elle nlest

que trop répétitive.

Voilà pourquoi cette pièce, tout en illustrant le désespoir face à la vie, n1est, ni de par les idées qulon y

55L ' Exécutioni p. 92. 56Ibid.i p. 93.

102

trouve, ni de par le milieu où elle se déroule, propre à susciter un grand intérêt.

On pourrait plutôt qualifier de

banal l'ensemble de cette pièce.

* * * La Roulotte aux Poupê"e"s, vue à la télévision, présente un certain intérêt, car ce texte a été écrit à cet effet et les jeux de scène sont impressionnants. Cependant, au point de vue des idées, on arrive à y déceler le désespoir qui est celui de Jaccomo. Jaccomo et Olympia travaillent tous deux dans un cirque. Olympia dans son rôle de marionnette est toujours sous la domination de Jaccomo, et d'autant plus qu'elle l'aime.

Ce dernier

nie tout partage de cet amour. "Tu m'aimes mais moi je tire les ficelles.

Tu es ma petite marionnette de cristal. ,,57 (bande sonore) Cf. Centre 57La Roulotte aux Poupées de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

103

Mais un idiot se glisse tout à coup dans la foule ••• Il déteste les humains gui lui font toujours du mal

et il

aime Olympia parce gu1elle n1est gu1une belle marionnette. Le jour où il découvre gue cette dernière est réellement vivante 1 il la tue! •••

Clest à ce moment gue Jaccomo l dans

son désespoir l avoue son amour, mais il est trop tard ••• IIOlympia l ne me laisse pas seul!

Je t l aime" S8

* * *

Un Acte de pitié est le monologue dlun curé de campagne face à ses ouailles.

Le curé de Vallée Dior se rend compte

qu'il nlaime pas ces gens pauvres et encrassés dans leur misère. Mais son orgueil le soutient. liMais il est trop tard, jlaime trop llimage fausse gulon a de moi. IIS9 SaLa Roulotte aux Poupées; op. cit. S9Un Acte de pitié - (ruban sonore) • Cf. Centre de Documentation des Lettres canadiennes-françaises, Université de Montréal.

104

Auss i veil le-t- il bien à conse rver cette image .

Il

exist e je6ne en pensa nt à lui-m ême mais oubl iant la faim qui dans les taudi s qu'il visit e.

La pitié en son coeur n'exi ste

pas. "Il sava it qu'il régn ait sur des vainc us"

60 Ils m'éco euren t avec leur confi ance ." D'ail leurs ce paysa ge qu'il s appe laien t le bonhe ur et d'hom mes n'éta it remp li que de misè re, de séche resse , de mort asser vis et aband onnés .

C'es t le pays où· les enfan ts meur ent

l'enf er. comme des mouc hes et où l'on parle de la crain te de 6l 1 liOn mour ait debou t à Vallé e D or." C'es t en pensa nt à sa propr e mort que le Curé se rend de lui-m ême. comp te qu'il a toujo urs vécu dans l'ava rice, celle e fut Il ne s'est jama is donné à perso nne et sa vie de prêtr inut ile.

60 et 61

Un Acte de pitié , op. cit.

105

IIMême s'il éprouvait une pitié incertaine, personne n'était là pour la recevoir. 1I62

* * * L'étude de la poésie et du

thé~tre

terminée, nous sommes

assurés que le thème majeur dans ces derniers est pareil à celui des romans.

D'ailleurs, les exemples donnés et les sujets

traités dans la poésie et le

thé~tre

nous le prouvent sans

l'ombre d'un doute. Toutefois, si l'on s'interroge sur la qualité et l'intérêt de cette poésie et de ce

thé~tre,

nous n'en sommes plus

aussi sûrs. En effet, il semble que l'auteur ne soit pas appelée à la poésie, ni à une carrière d'écrivain dramatique.

Autant

Marie-Claire Blais a le talent, dans le roman, de nous fasciner par ses créations, autant nous laisse-t-elle indifférents vis-à-vis de sa poésie et de son

thé~tre.

62Un Acte de pitié, op. cit.

106

Evidemment, on ne peut pas avoir tous les talents.

Mais

encore faut-il bien se rendre compte quels sont les siens. De plus, ce qui diminue surtout notre intérêt. c'est la répétition de mêmes situations et de mêmes trop

famili~res

dans les romans.

sc~nes

déjà

Aussi notre conclusion ne

peut pas être flatteuse envers cette partie de l'oeuvre.

"J'aime ceux qui ne savent vivre qu'à condition de périr, car en périssant, ils se dépassent." Nietzche

CHAPITRE IV

Influences et Style

Premi~re

parti e

INFLUENCES le Etab lir des comp araiso ns entre auteu rs pose un doub de l'hon nêprobl ème: celu i de la valid ité de la comp araiso n et teté litté raire .

De plus, ces rappr ochem ents sont souve nt

soum is à la subj ectiv ité de celui qui les étab lit. encé e Pourq uoi affir mer que Mari e-Cla ire Blais a été influ par un auteu r plutô t que par tel autre ? ••

Evide mmen t, ceci

ines simiest notre prop re choix , car nous y avons retro uvé certa litud es d'ord re litté raire ou philo soph ique. Cepe ndant nous n'avo ns pas la préte ntion de prése nter ce choix comme étan t rigou reux ou excl usif.

Les rappr oche-

toute honnê ments ou comp araiso ns qui suive nt sont donc faits en poss ible teté intel lectu elle sans toute fois restr eind re le cours des autre s influ ence s.

* * * Clair e

Mar~in,

issue elle-m ême du milie u canad ien-

pent au franç ais, a écri t des roman s dont certa ins thème s échap

109

110

cadre étroit de la province de Québec pour s'insérer dans celui du monde contemporain.

Nous pensons ici aux romans Doux-amer

ou Quand j'aurai payé ton visage qui nous parlent de l'amour, mais surtout du désordre qui s'infiltre dans les coeurs et des peines qu'il entraîne. Cependant, Dans un gant defér nous replace dans le milieu canadien-français.

Nous y retrouvons une certaine détresse

de la femme dont la vie ne pourra jamais être remplie.

C'est une

ame déçue qui conserve une haine pour ceux qui llont fait souffrir~

Aussi, parle-t-elle beaucoup d'amour, et elle en parle

d'autant plus qu'elle semble en avoir terriblement manqué. Aussi lorsqu'elle raconte sa vie

d'enfant~

elle se

place parmi la classe des mal-aimés de Marie-Claire Blais.

Car

Claire Martin, elle aussi, tout comme certains personnages des romans de Marie-Claire Blais, a souffert du refus qui lui a été fait de vivre la simplicité de son enfance.

L'accumulation des

petites horreurs de la contrainte d'un père tyrannique et implacable, de la détresse de se retrouver dans un pensionnat où les mesquineries des jeunes filles et les complots contre le catholicisme dont rêvent les religieuses, semblent plus importants

III

que la leçon de français, empoisonnent son enfance.

Aussi elle

nous confie les deux anecdotes qui suivent en parlant de sa vie au couvent, fiLa religieuse m'appela, me fit un long discours d'où il ressortait que je n'avais pas été aussi méchante qué les autres années. Si je voulais être bonne pendant un mois, je recevais le ruban.

Tout à coup, j'entendis entrer les deux maîtresses de la division. -Elle ne mérite pas ce ruban, disait l'une. -Que voulez-vous? Je n'ai personne d'autre pour lire l'acte de consécration. Toutes celles qui le pourraient sont déjà IIreçues du ruban ll répondit llautre,lI et de son père, Il

Parfois , quand nous arrivions à la maison, nous avions la chance que mon père en soit absent. 112

Claire Martin nous décrit dans ce roman un monde tragique, celui de l'enfance, où les grandes personnes sont des monstres et où l'avenir est toujours noir;

et quelle lourdeur pour ses

frêles épaules! •••

lMartin, Claire. ~s un gant de fer, du Livre de France, Ltée, 1965; p. 130. 2Ibid.; p. 72.

Ottawa: Le Cercle

112

Cette situa tion est donc très appa renté e à celle s que Blais . nous avons souli gnée s dans l'oeu vre de Mari e-Cla ire si ses Tout efois , au cont raire de Mari e-Cla ire Blais , même

dern ière, écrit s sont souve nt aussi acide s que ceux de cette que. Clair e Mart in sait conse rver un sour ire, même ironi

* * * ire Lorsq ue nous établ isson s le para llèle entre Mari e-Cla à leur jeuBlais et Fran çoise Sagan , nous penso ns tout d'abo rd

nesse .

le langa ge Mais assez parad oxale ment elles ne parle nt pas.

optim iste de la jeune sse.

Toute s deux expri ment le rejet de cer-

taine s struc tures socia les et

mette nt large ment en ques tion le

but de l'exi sten ce. dans Fran çoise Sagan s'att arde sur le probl ème de l'amo ur une socié té adul te. est impo ssibl e.

Elle semb le toujo urs nous dire que l'amo ur

Ce n'est qu'un mot.

Elle est à ce moment en

sont des accor d avec les roman s de Mari e-Cla ire Blais où tous mal-a imés.

113

Depuis son premier roman Bonjour Tristesse, qui remporta un succès immense, Françoise Sagan a continué son étude des sentiments.

Plusieurs romans tels que Un certain sourire, Dans un

mois, dans un an, Aimez-vous Brahms, Les Merveilleux nuages et quelques pièces dramatiques, Le Chateau eh Suède, les Violons parfois, la Robe Mauve de Valentine nous mènent à une seule conclusion. tion.

Le monde est sans but, sans valeur et sans justifica-

Le seul critère est celui de llauthenticité d1une expéri-

ence. Si llexistentialis.me de Françoise Sagan est plus vécu que pensé et plus instinctif que doctrinal, elle partage cependant llidée de Sartre: llenfer et llimmortalité commencent icibas. Aussi les personnages de Françoise Sagan, livrés à eux-mêmes, se condamnent au vide, à llaridité et à cet ennui qui reste, plus que la tristesse, le mot clé de lloeuvre.

Il suffit

de r.ous rappeler les dernières lignes de Bonjour Tristesse ou quelques mots de Dominique dans Un certain sourire pour retrouver cette "tristesse".

114

"Je suis moi, Dominique. J'aime Luc qui ne m'aime pas. Amour non partagé, tristesse obligatoire. Rompez Il 3 D'ailleurs,cette tristesse ,chez Marie-Claire Blais, existe sans doute avec une plus grande intensité. semble couvrir l'oeuvre dans son entité.

La tristesse

Il n'y a pas de moment

heureux.

* * * La lecture des oeuvres de Kafka n'est pas étrangère à Marie-Claire Blais.

Elle en parle souvent et" semble l'affec-

tionner d'une façon toute particulière.

Aussi avouait-elle

cette préférence dans l'interview (déjà mentionnée) de Pierre Paquet à Radio-canada.

Elle parle aussi de Kafka dans ses

romans. liA peine descendus de l'ambulance gui venait de les conduire à cet endroit pour une brève cure de repos et de

3

Sagan, Françoise. Julliard, 1957; p. 176.

Un certaih" sourire; Paris: René

115

lecture, des jeunes anémiques lisaient Franz Kafka, à demi-couchés dans les chaises-longues, les jambes enveloppées de couvertures de laine et les yeux protégés par d'épaisses lunettes.,,4 D'ailleurs nous reconnaissons bien l'influence de Kafka dans les lignes suivantes: "Je me demande parfois si tu n'as pu décider cette fuite soudaine dans des ténèbres qui ne ressembleraient pas aux autres, des ténèbres froides et blanches. Je te vois souvent dans mes rêves exécutant une descente gracieuse et muette vers cet enfer de blancheur et de repos ••• la neige ••• Lorsque j'accours vers toi ••• Il est trop tard, la course est finie,,5 Ce qui frappe dans l'oeuvre de Kafka et qui exprime avec force le désespoir de l'homme devant l'absurdité du monde, c'est le contraste entre la préoccupation de suivre le réel et la hantise du monde mystérieux et fantastique du rêve.

4L'lnsoumisei p. 27. 5Ibid • i p. 101.

116

Sans doute llinfluence de la religion hébralque et ses longues études donnèrent à Kafka le goût d1une vie saine, éprise de perfection et même de sainteté.

Cependant, il subit

maints revers; mentionnons entre autres, la rupture de ses fiançailles en 1914 qui le plongea dans le désespoir, et la tuberculose qui le tua lentement. Parmi ses oeuvres, celles qui nous intéressent le plus sont: Le Procès, le Journal et la MétamOrphose.

Nous pouvons

ajouter à celles-ci Les Lettres à Milena où il exprime à plusieurs reprises sa tristesse et son désespoir. La vie lamentable de Kafka, à la réflexion, justifie

sans doute le désespoir dont son oeuvre est imprégnée. Aussi l'exemple cité au début démontre que Marie-Claire Blais a su tirer profit de la lecture de Kafka à la fois de par le style et les idées.

* * * Le nom seul de Kierkegaard (qui signifie "Cimetière") appelle à notre esprit un mot: désespoir.

Aussi ne nous

attacherons-nous pas aux détails de la vie de Kierkegaard dont

117

l'énu méra tion sera it inter mina ble.

Ment ionno ns cepen dant que,

ieurs . tout comme Kafk a, sa vie fut remp lie d'acc iden ts extér qu'il Sa vie de jeune sse fut orage use et il dit que 1 1homme aima it le plus, son père, a causé son malh eur. hé Sur le plan doct rinal , Kierk egaar d siest vite détac ssem ent l • de l'Egl ise, qu'il appe lait lun instru ment d'aba tardi est dlune Et sur la plan philo soph ique, son Trait é du Dése spoir porté e incal culab le.

C'es t surto ut à ce livre que se porte ra

puisé notre atten tion, car Mari e-Cla ire Blais semb le y avoir oeuvr e: main tes idées que nous retro uvon s au somm et de son David Stern e. Kierk egaar d nous dit bien que la mala die mort elle n1es t pas la mort mais le dése spoir . "Ain si pour le chrét ien, pas même la mort ni est lIa mala die mort elle 1 et encor e moin s tout ce qui ress ortit aux souff rance s temp orell es: ••• ,,6 "La Mala die mort elle est le dése spoir .

6Kie rkega ard, Soere n. Galli mard , 1963; p. 52. 7 Ibid .; p. 55.

1I7

Trait é du déses poir; paris :

118

Aussi, c'est dans cette optique que Marie-Claire Blais présente ses personnages, sans avoir toutefois le talent pour en faire une analyse très poussée. Notre premier contact avec David Sterne où il nous dit: "Je peux mourir ce soir ou demain, cela ne m'effraie pas, c'est une douleur conune une autre." 8 nous incite à faire le rapprochement

s~ivant:

"Et de tout ce lot, si lourd, si dur soit-il aux hommes, du moins à ceux qui souffrent, qu'ils aiglent disant 'La mort n'est pas pire' ••• " Kierkegaard nous dit, plus loin, dans son traité: " ••• mais mourir la mort signifie vivre 1110 sa mort; Rameau tâche d'enseigner cette même philosophie à David.

8David Sterne; p. 12. 9Kierkegaard, Soereni op. cit., p. 53. 10Ibid.; p. 66.

119

IIII s'agit de maîtriser la mort.

._-

..;

• •• prends ta mort et gifle-la 1111 L'attitude de François Reine, qui dans son désespoir se détruit pour être lui-même l afin que sa mort puisse servir à quelque chose ••• peut-être •••

IIMoi, j'ai perdu la foi en elle en moi en tous l soudain j'ai perdu la foi ll12 IIJe n'ai rien à offrir mon agonie peut-être mais comme tu le sais ce n'est jamais très beau de mourir ••• Il 13 se justifie dans les paroles de Kierkegaard: IIDésespérer de soi l désespérer, vouloir se défaire de soi, telle est la formule de tout désespoir et la seconde: désespérer l vouloir être soi-même •••• lIl4 Enfin, toutes ces considérations sur les influences possibles dans l'oeuvre de Marie-Claire Blais nous semblent pertinentes.

Mais comme nous l'avons indiqué au tout début l

llDavid Sterne; p. 19. 12 13

Ibid.; p. 53. Ibid.; p. 117.

l4Kierkegaard, Soeren, op. cit.; p. 69.

120

il n'est jamais possible de contrôler toutes les ramifications d'influences entre auteurs. Cependant, nous sommes convaincus que les auteurs mentionnés ont tous parlé longuement de la tristesse, l'ennui, l'absurdité de l'existence et du désespoir qu'engendrent ces derniers. Marie-Claire Blais, pour sa part, s'intéresse à un nombre indéfini d'auteurs dont les idées et le style littéraire diffèrent totalement de ce qu'elle écrit.

Mais peut-on honnêtement

dire qu'ils n'influent pas la composition de ses romans? ••

.. La musique souvent me prend comme une mer! Vers ma p~le étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther Je mets à la voile; .. Baudelaire

Deuxiàme partie STYLE

Le style littéraire de Marie-Claire Blais est difficile à définir, car il change et se renouvelle avec chaque roman. Et pourtant, nous sammes convaincus qu'elle

poss~de

un style

assez particulier. Ce que lion remarque d'abord, dans l'oeuvre en général, clest la violence avec laquelle elle écrit.

Non seulement

parle-t-elle de violence, mais elle semble vouloir communiquer de la même façon.

A ce point de vue, Cl est un style presque masculin.

Ce qui paratt embarrasser l'auteur dans ses écrits, clest surtout la formalité de la ponctuation.

Et dans son inten-

sité à peindre les choses et les situations, elle sly conforme tr~s

mal.

Plus elle avance dans le roman, plus elle néglige

cette ponctuation. limais il ne se levait pas, il me souriait d'un oeil insolent il était féroce ce gamin il avait le poing dur il était là calme et froid cravate bleue chemise blanche il me regardait hypocritement avez-vous pensé à votre m~re?"

-e

lDavid Sterne; p. 105. 122

123

Souvent, la disposition même de ses phrases semblent recréer une scène avec ses mouvements, ses bruits, ses silences: IIIls mlont touché bien sûr à 1 1 épaule à la gorge à la nuque je ne sais plus Une balle vive comme un flamme et qui bondit contre l'os mais ne me traverse pas,1I2 Ce don de peindre et d'animer les choses, Marie-Claire Blais le possède éminemment.

Souvenons-nous des pieds de

Grand-mère Antoinette: IILes pieds de Grand-Mère Antoinette dominaient la chambre. Ils étaient là, tranquilles et sournois comme deux bêtes couchées, frémissant à peine dans leurs bottines noires, toujours prêts à se lever: c'étaient des pieds meurtris par de longues années de travail aux champs, ( ••• ) des pieds nobles et pieux ~'allaient-ils pas à l'église chaque matin en hiver?) des pieds vivants qui gravaient pour toujours dans la mémoire de ceux qui les voyaient une seule fois - l'image sombre de l'autorité et de la patience ll3 Aussi l'auteur a le souci de nous faire pénétrer dans le monde de son roman et elle nous y plonge dès les premières lignes. 2])avidO S"terne ~ p. 56. 3Une saison dans la vie d'Emmanuel~ p. 7.

"Midi. La sirène hurle dans la ville. Je suis poursuivi. La ville est étroite, les murs sont hauts: je cours, je veux disparaître, ( ••• ) 4 Le symbole est aussi un des procédés littéraires que l'auteur emploie continuellement dans ses descriptions. Isabelle-Marie dans La belle bêté voit dans le cancer de la joue de sa mère, la pourriture de son ame. "Je te chasse, Isabelle-Marie.

"-Tu pourris, mère.

Pars.

Ta joue t'assassine" 5

De plus, l'auteur fait appel à notre imagination en suggérant les choses ou les sentiments sans les nommer. liOn dit que je suis heureuse. De cela, je n'en suis pas si sûre" 6 D'autre part, le style regorge souvent de trouvailles littéraires autant par l'image qu'elles évoquent que par les effets musicaux qu'elles produisent.

4David Sternei p. Il. 5La belle bêtei pp. 132 et 133. 6L 'Insoumisei p. 9.

125

Il

ce jardin étrange où poussaient, là comme ailleurs, entremêlant lellrs tiges, les plantes gracieuses du Vice et de la Vertu. 1I7

IIJ'aime le vent quand il berce l'enfant, J'aime la nuit quand elle berce le vent. 1I8 A ces considérations d'ordre général, ajoutons maintenant des remarques spécifiques concernant les différentes parties de l'oeuvre. Les premiers écrits de l'auteur sont d'une densité poétique remarquable.

On y rencontre un don particulier pour

rendre sensibles les abstractions en les traduisant dans des images très précises.

Dans Eléonor et La belle bête, la phrase

prend souvent une tournure lyrique.

Pour Eléonor, le lyrisme

est sans doute emprunté au verset biblique, mais dans La belle bête, il ressort de la grande nature où se déroule le roman. Certaines phrases nous rappellent parfois Victor Hugo. IIII marchait sans rêver, sans penser, sans vivre, et pourtant le choc le faisait encore trembler, comme l'homme sauvé du danger des flots e~ qui sent toujours en lui le combat de la Mer" 7Une saison dans la vie d'Emmanuel; p. 49. 8Le jour est noir; p. 27. 9La belle

bê~e;

p. 67.

126

Tête blanche nous ramène cependant à un tout autre style: celui des lettres naïves d'un enfant gui écrit à sa mère.

Elle

laisse ici la parole aux personnages gui se chargent de décrire à leur façon et d'une manière poétique, un monde mêlé à l'ima-

ginaire. Dans Le jour est noir, Marie-Claire Blais fait surtout usage de la poésie du décor qui sombre souvent dans l'imaginaire :::t où plane une· incertitude complète. comme dans La belle

bête~

En pleine nature, tout

la poésie et la prose s'entrelacent

pour donner au roman un rythme inégal. L'auteur tire profit des ombres, de la brume, de la nuit, pour imprégner le roman d'une tonalité poétique et mystérieuse. Aussi Marie-Claire Blais essaie de créer le chaos par un va-etvient dans le récit, de manière à nous faire oublier le facteur temps.

A la fin, nous ne sommes plus sûrs si elle parle des

parents ou de leurs enfants. L'Insoumise nous apporte une autre forme: le monologue qui nous rappelle les monologues poétiques des grandes tragédies.

Par ce monologue intérieur, elle fait des expériences

127

de style avec le sujet. jeu.

Là encore, le facteur temps est mis en

Sans doute l'auteur est-elle influencée par la vague

anti-roman et anti-théatre. Les deux romans suivants: Une saison dans la vie d'Emmanuel et David Sterne ont en commun le va-et-vient du récit des romans précédents.

Cependant Une saison dans la vie d'Emmanuel

reprend et amplifie la densité poétique des premiers écrits. Il est aussi, par le ton

souvent ironique,de la composition

et par la force descriptive de l'auteur, un pas en avant dans la littérature québécoise.

Marie-Claire Blais fait ici preuve

d'une puissance créatrice remarquable. David Sterne, mis à part le facteur temps et le contenu pbilosophique des idées, est dépouillé de style.

Marie-Claire

Biais fait ici un effort pour recréer avec la disposition des mots et des phrases les images de ses personnages en mouvement. Ce roman semble aussi aride au point de vue du style que le désespoir qu'il contient. En ce qui concerne la poésie de l'auteur, Les voyageurs sacrés pèche par son architecture et ses répétitions lourdes et

128

subjectives.

Il ne semble pas comporter de style très parti-

culier outre son manque de clarté. Pays voilés et Existences représentent cependant une composition mieux réussie.

Dans le vers libre qu'elle emploie,

nous parvenons à suivre l'idée maîtresse d'un poème mais dans le détail, les liens dlidées ne sont pas toujours faciles à établir. IILes musiciens remontaient de la mine Avec le rire noirci des longs enfants des fêtes foraines. Comme c'était dou~, mon Dieu, tout ce rose de sein Dans leurs yeux blancs, Tandi.s que le feu de mille étoiles souterraines Grondait dans leurs flancs et entre leurs mains lllO Existences, pour sa part, reprend des thèmes du romantisme'gue lion pourrait attribuer à Rimbauld ou à Baudelaire. IILes orphelins ont traversé les landes flamboyantes Répandant sur leurs pas un lourd incendie,

10

Pays voilés; p. 27.

129

Secouant partout de vieilles détresses illuminées (mais ne gardant en l'ame qu'une étincelle isolée) 1111 Enfin, le style de Marie-Claire Blais a varié considérab1ement depuis son premier roman.

Avec le tempérament violent

qu'on lui connaît (du moins en littérature) elle ne se fixera sans doute jamais dans un style particulier. Cependant, si son style n'est pas toujours classique et s'il est parfois dépouillé, elle ne glisse jamais dans la facilité ou l'insignifiance.

12Existences: p. 85.

"J'aime tous ceux qui sont semblables à ces lourdes gouttes qui tombent une à une du nuage noir suspendu au-dessus des honnnes i ils annoncent que l'éclair est proche, ils périssent d'en être les annonciateurs. 1I Nietzche

CONCLUSION

132

L'étude de

l~oeuvre

de Marie-Claire Blais nous laisse

une première impression: celle d'avoir découvert un écrivain de talent.

Il est en effet rare de rencontrer un écrivain si jeune

et qui soit capable à la fois d'analyser avec autant de justice et de profondeur les secrets de

l'~e

humaine.

A cette grande

puissance d'analyse, Marie-Claire Blais joint une imagination créatrice peu commune autant par ses trouvailles littéraires que par les personnages qu'elle crée. Nous avons remarqué,au cours du bref aperçu de sa vie, qu'elle semble avoir beaucoup souffert, surtout des petites horreurs de l'enfance.

Cette expérience semble l'avoir rendue

extrêmement sensible à la misère d'autrui.

n'ailleurs, elle

parle de cette misère avec tellement Id 1 amour 1 qu'on croit à certains moments pouvoir la toucher du doigt. Son oeuvre sur le plan humain nous présente des êtres (certes, que nous connaissons bien) sur lesquels semble peser toute la lourdeur des tares de la société moderne. Les premiers écrits de Mademoiselle Blais, La belle bête, Eléonor s'ouvrent sur une société qui lui est proche.

133

Dans son besoin d'écrire, elle nous peint l'image du monde qu'elle conna!t bien: celui où les adultes, dans leur ignorance, enténèbrent l'existence de l'enfance. Après avoir étudié et voyagé, Marie-Claire Blais a vite remarqué que la société des autres pays n1est pas à ce point différente de celle qu'elle a connue dans san enfance. La misère humaine existe partout.

Aussi, les romans subséquents ,sans changer de thème, s'échappent du cadre étroit de ses premières années. blanche, Le jour est noir international.

Tête

se situent déjà dans un monde plus

Mais dans le contenu, l'auteur amplifie son

étude de la difficulté de vivre. Toutefois, ce ne sera que dans L'Insoumise où l'auteur se lancera vraiment dans le roman contemporain.

De plus en plus,

elle se dégage de son milieu et devient un écrivain international.

Elle y réussira avec son roman Une saison dans la vie

d'Emmanuel.

Et lors du Colloque de Paris, Marie-Claire Blais

nous dit bien que son roman ne se situe nulle part en particulier. IL est international.

Cependant, si nous doutons encore de la

134

portée mondiale de ce roman, David Sterne nous rassurera rapidement.

Ce roman est en effet le signe d lun auteur parvenu à

la maturité.

Llanalyse du désespoir et de llabsurdité de la

vie que lion retrouve dans ce denrier: rœnan, le rapproche fortement des écrits d IAlbert camus ou de Kafka ..

La poésie et le théâtre de Marie-Claire Blais semblent,

au contraire, nous avoir bien peu laissé llimpression d'une si te littéraire.

réus~

Ces écrits nous portent plutôt à penser qu 1 il

est parfois dommage que certains auteurs ne sachent pas se limiter à

un

domaine approprié à leur talent.

Par exemple, nous pensons

ici à François Mauriac, dont les romans sont une réussi te.

Mais

on ne peut en dire autant de son théatre.

Marie-Claire Blais écrit sans doute beaucoup car elle produit en moyenne un roman chaque année, mais elle semble aussi lire énormément et dans beaucoup de domaines différents. (Sa vie plutôt solitaire et un peu farouche lui en donne tout le loisir) •

En plus des parallèles établis au cours de cette thèse,

il est évident que lion pourrait retracer,à la rigueur, dans les

135

écrits de mademoiselle Blais, différentes influences littéraires, du romantisme au classicisme le plus pur.

Nous nous

sommes cependant limités plutôt à l'aspect philosophique des influences. Toutefois, Marie-Claire Blais a trouvé la clef du succès le jour où elle a découvert que le genre de 'roman noir' qu'elle écrivait trouvait un public compatissant.

Car dans

notre société où tout semble maintenant en révolution, les reproches, la haine, la peur, la révolte, la violence, le désespoir et la mort sont des mots

1

doux 1 aux oreilles de beaucoup de gens.

En somme, Marie-Claire Blais a su en tirer avantage: mais encore ne faudrait-il pas qu'elle se sclérose dans ce genre li ttéraire. Cependant, la grande cohérence qui ressort de l'oeuvre de Marie-Claire Blais nous laisse entrevoir l'équilibre dynamique de sa personnalité.

Elle a fidèlement conservé sa 'propre réa-

lité ' et traité avec beaucoup de dextérité l'idée maîtresse de son oeuvre: 'le désespoir

d~

vivre ' !

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