Article paru dans le BUP 103 de mars 2009

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Des investigations récentes s'orientent vers la création physico-chimique d' entités ... très varié : on peut ainsi les obtenir à partir de sources d'énergie : ... trique, fait privilégier de telles sources pour leur flexibilité d'emploi et leur économie. ... s'allonge au cours de sa progression, son volume augmente et par conséquent sa ...
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Décharges électriques glissantes à la pression atmosphérique et leurs applications à l’environnement

par Jean-Louis BRISSET Professeur émérite à l’Université de Rouen Ancien Directeur du Laboratoire d’Électrochimie (L.E.I.C.A.) [email protected]

La nécessité de trouver des technologies nouvelles, efficaces et économes d’énergie permettant de réduire la pollution existante devient impérative. Parmi celles-ci les techniques basées sur des décharges électriques et classées parmi les procédés d’oxydation avancée, ont fait leurs preuves au laboratoire pour la destruction de composés organiques usuels et d’un grand nombre de composés récalcitrants. L’une d’elles – la décharge glissante ou « glidarc » – est particulièrement bien adaptée à l’environnement industriel avec des coûts de fonctionnement et d’investissement modestes pour une efficacité notable. Elle est capable d’assurer le traitement de liquides organiques purs (solvants de process) ou de solutés, mais aussi de suspensions, comme celui de veines gazeuses ou le nettoyage de surfaces. Une attention particulière est portée à l’inactivation bactérienne et aux plus récentes propriétés mises en évidence, telles que l’inactivation par eau activée par plasma. RÉSUMÉ

Les procédés industriels conventionnels font souvent appel à des solvants organiques à un stade varié de leur mise en œuvre. Les technologies nouvelles n’échappent guère à cette contrainte en dépit des efforts déployés pour découvrir, mettre au point et développer des procédés « propres », écologiques et le plus souvent « secs », sans recours à une phase liquide ou solvant. L’évolution actuelle qui tend à bannir les composés organiques de tout procédé est liée à deux causes : à leurs coûts d’achat et de stockage, et aux conditions de sécurité imposées par des règlements de plus en plus stricts en vue de limiter les risques d’accident ou d’incident.

L’évolution vers des procédés « secs » est donc clairement établie. Néanmoins, certaines opérations sont difficiles à réaliser en l’absence de phase liquide, volatile ou non, et l’emploi de solvants organiques subsiste dans certains procédés. Il s’ensuit qu’il demeure plus que jamais nécessaire de limiter les risques d’exposition des personnels aux solvants, lorsque leur usage est autorisé. En particulier, l’emploi de Composés organiques volatils (COV) peut induire des risques lors d’expositions prolongées. Vol. 103 - Mars 2009

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Le respect des normes de rejet par les installations industrielles conduit à deux stratégies : le piégeage des composés organiques potentiellement toxiques ou leur destruction, après un éventuel recyclage. Les deux voies ne sont d’ailleurs pas exclusives puisqu’un COV peut être fixé sur un support carboné par exemple aux fins de concentration, avant désorption et destruction.

Il ne sera considéré par la suite que la seule opération de destruction, qui doit être aussi complète et rapide que possible. Une solution apparaît immédiatement : l’incinération des résidus organiques plus ou moins volatils. Cette opération se déroule ordinairement dans des incinérateurs ou dans des fours de cimenterie, mais l’accroissement de la demande et celui du coût du fuel tendent à rendre cette solution obsolète. De plus, elle participe activement à la génération d’oxydes de carbone et de sous-produits qui ne sont pas toujours anodins, tels que des dioxines.

Des investigations récentes s’orientent vers la création physico-chimique d’entités oxydantes : elles sont globalement regroupées en « Procédés d’oxydation avancée » (POA) ; les POA impliquent le plus souvent la présence de radicaux hydroxyles OH. Parmi eux, les décharges électriques occupent une place particulière tant par leur commodité de mise en œuvre et leur coût relativement modeste eu égard à leur efficacité. Nous allons présenter l’une d’entre elles, la décharge glissante, et illustrer notre propos en signalant quelques applications possibles pour la destruction de déchets organiques récalcitrants ou non, et en soulignant le potentiel important d’applications qu’elle présente pour l’inactivation de diverses bactéries, levures et moisissures sélectionnées comme modèles. 1. LES PROCÉDÉS D’OXYDATION AVANCÉE Les Procédés d’oxydation avancée (POA) regroupent les méthodes et techniques impliquant la présence d’entités réactives H x O y ^0 G x G 2 .1 G y G 2h dont certaines 1.1. Panorama sur les POA

peuvent être chargées. On a ainsi identifié O, O 2 H , O3 H et surtout le radical hydroxyle

OH très réactif, ainsi que des formes anioniques telles que O 2– .

Les POA les plus classiques impliquent l’exposition de la cible organique, gazeuse ou liquide : ♦ à une source lumineuse énergétique, le plus souvent riche dans le domaine ultraviolet ; ♦ à un flux d’ozone O3 ;

♦ au peroxyde d’hydrogène H 2 O 2 ;

♦ ou à toute combinaison de ces sources.

Ainsi, une radiation lumineuse énergétique, fournie par un flash UV par exemple,

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est-elle susceptible de rompre la liaison H-OH de la vapeur d’eau présente au dessus de la cible ou dans l’atmosphère ambiante. L’énergie de la liaison H-OH est de 4,8 eV

(environ 430 kJ $ mol – 1 ) et le pic d’absorption de la liaison est situé à 260 nm (énergie associée : environ 480 kJ $ mol – 1 ).

H 2O + ho " OH + H

Il suffit donc de disposer d’un flux de photons assez énergétiques pour assurer la formation de radicaux OH en nombre suffisant. Le procédé est élégant, mais son coût énergétique est élevé et la durée de vie des lampes demeure limitée. La technique évolue maintenant vers le couplage de la photochimie avec d’autres méthodes telles que la catalyse, la chimie (photo-Fenton) ou les décharges électriques (plasma - photocatalyse). De manière similaire, le peroxyde d’hydrogène est générateur de radicaux OH

(énergie de liaison de HO-OH : 2,2 eV (environ 210 kJ $ mol – 1 ). Le procédé Fenton associe les ions ferreux et le peroxyde d’hydrogène selon le bilan : Fe 2 + + H 2O 2 " Fe3 + + OH + OH – .

Bien que la présence d’eau soit très défavorable à la formation d’ozone, ce gaz est

soluble dans l’eau à raison de 1,40 g $ m – 3 dans les conditions normales. Il est caractérisé

par son pouvoir oxydant élevé 7 E o ^O3 /O 2, H 2Oh = 2,07 V/ESH A et se décompose en dioxy-

gène O 2 et oxygène atomique O hautement oxydant 7 E o _Ogaz / H 2Oi = 2,42 V/ESH A . Il y a donc formation d’espèces oxydantes, et en particulier de OH dans nombre de cas.

La combinaison des POA a été largement étudiée et révèle une efficacité supérieure à celle de chaque procédé pris isolément. On a ainsi examiné toutes les combinaisons, qui créent les entités réactives OH et HO 2 : ♦ lumière UV + Ozone 7O3 + ho " O 2 + O ]1Dg ; O ]1Dg + H 2 O " 2 OH A . On opère éventuellement en présence de catalyseur de type TiO 2 (ozonation photocatalytique) ;

♦ lumière UV + H 2O 2 6 H 2O 2 + ho " 2 OH @ . L’association avec des sels de fer constitue le procédé photo-Fenton ; ♦ ozone et Fenton ; ♦ et même la mise en œuvre simultanée de l’ensemble des trois technologies.

D’autres techniques constituent également des sources de radicaux OH. Ainsi, tout apport convenable d’énergie à une molécule d’eau assure la rupture de la liaison H-OH et l’apparition de OH. Les sources potentielles de radicaux hydroxyles OH sont d’ordre très varié : on peut ainsi les obtenir à partir de sources d’énergie : ♦ mécanique (onde de choc, ultrasons) ; Vol. 103 - Mars 2009

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♦ ♦ ♦ ♦ ♦

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électrique (champ électrique intense, bombardement électronique, décharges électriques) ; magnétique (champ magnétique intense) ; électromagnétique (lumière, irradiation laser) ; nucléaire ; thermique (flamme).

Le développement de techniques propres, impliquant en particulier l’énergie électrique, fait privilégier de telles sources pour leur flexibilité d’emploi et leur économie. La technologie exposée par la suite repose sur l’établissement de décharges électriques. L’apport d’énergie à un milieu gazeux va donc créer un milieu très particulier appelé plasma gazeux et comportant un mélange électriquement neutre d’ions, d’autres entités lourdes (atomes, radicaux, molécules) dont une fraction est portée à un niveau énergétique excité et d’espèces légères (électrons et photons).

Les applications industrielles ont tendance à privilégier les opérations menées à pression atmosphérique et à température quasi ambiante. Dans ces conditions, et pour les applications environnementales, il est possible de réaliser des décharges électriques que l’on classe en plusieurs catégories, selon les couples de valeurs [courant électrique – tension appliquée] mis en jeu. 1.2. Les procédés électriques

♦ Décharge de type couronne (« corona »)

Cette décharge est établie entre deux conducteurs de géométries très différentes, par exemple une pointe et un plan, ou deux cylindres co-axiaux (tels que fil-cylindre). À l’extrémité de l’électrode de faible rayon de courbure, la pointe par exemple, portée à la haute tension positive ou négative, apparaît une zone lumineuse dite zone d’ionisation et riche en espèces activées, anions, cations, entités non chargées, ainsi qu’électrons et photons. Un écran électrostatique apparaît sous la forme d’une zone chargée de la polarité opposée à celle de la pointe, et sépare celle-ci de la « zone de diffusion » qui occupe l’essentiel de l’espace inter-électrode. Cette charge d’espace joue le rôle de filtre électrique et n’est perméable qu’aux espèces non chargées et aux ions de même polarité que l’électrode pointe. L’électrode plane reçoit donc le flux des espèces électriquement neutres (radicaux, molécules) et des ions de même signe que l’électrode active. Il s’ensuit un transfert de matière de la pointe (électrode à faible rayon de courbure et forte densité de champ électrique) vers l’électrode plane. Les espèces transférées sont alors en mesure de réagir avec d’autres entités présentes ou formées au voisinage de l’électrode plane, ce qui peut réduire la quantité d’espèces créées dans la décharge et utilisables ultérieurement dans le traitement électrique. Ce type de réacteur est à l’origine utilisé dans les photocopieurs, et lors du pré-traitement de feuilles de polymères destinées à l’emballage avant encrage. La foudre en bouteille

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♦ Décharge à barrière diélectrique (DBD) Pour limiter le transfert de masse dans une décharge couronne simple, il a été proposé de disposer une séparation matérielle entre anode et cathode, à la manière d’un compartiment séparé, et de le réaliser en matériau diélectrique, constituant ainsi un réacteur à décharge barrière diélectrique. Les appareils générateurs d’ozone fonctionnent sur ce principe.

♦ Décharge pulsée Le développement des sources électriques s’est traduit ces dernières années par une amélioration notable des procédés par l’emploi de sources de courant électrique pulsé.

♦ Décharge glissante Proposé par A. CZERNICHOWSKI et al. dès 1988, sous le nom d’« arc rampant » ou « glidarc », et principalement développé par ses inventeurs pour le traitement des gaz, ce procédé repose sur l’établissement d’une ddp convenable de l’ordre de 5-10 kV entre deux conducteurs divergents disposés à faible distance (cf. figure 1). Une décharge apparaît au minimum d’écartement ; les pieds de l’arc formé sont poussés vers les extrémités des électrodes par un flux gazeux dirigé selon l’axe du réacteur. Le canal ionisé de l’arc s’allonge au cours de sa progression, son volume augmente et par conséquent sa température décroît avant qu’il n’éclate en un panache de plasma trempé et d’être court-circuité par un nouvel arc. Une cible, solide ou liquide, peut alors être opposée au panache et ainsi mise au contact avec des entités hautement réactives dans des conditions proches des conditions normales de température et de pression.

Figure 1 : Schéma d’un réacteur à décharge glissante. Vol. 103 - Mars 2009

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♦ Arc électrique L’arc électrique est probablement l’application la plus connue des décharges, mais ses utilisations visent plus précisément les appareils de soudure ou de découpe qui nécessitent un effet thermique considérable. 2. PLASMAS ET RÉACTEURS À DÉCHARGE GLISSANTE Le principe de fonctionnement est celui de la création d’un plasma [un mélange gazeux électriquement neutre d’espèces « lourdes » et d’espèces « légères »]. Cet apport énergétique provient du champ électrique et bénéficie au gaz baignant les électrodes. Il joue sur la répartition électronique des couches externes des entités gazeuses, et la modification résultante (cf. tableau 1) confère à l’entité des propriétés chimiques nouvelles qui seront mises à profit. 2.1. Plasmas

Higher occupied molecular orbital (HOMO) _2rxyi pour O 2 -. -. --

Énergie kJ $ mol – 1 (eV) Identifiant spectral 156,9 94,4 0

1 Σg+ 1Δg

3 Σg-

(1,63) (0,98) (0)

Durée de vie (s)

Gaz

Solution

45

4 10 – 6

7-12

10 – 12

Tableau 1 : Niveaux énergétiques excités de O 2 et répartition électronique sur la couche externe.

Très schématiquement, le transfert énergétique s’opère de façon asymétrique entre les électrons et les espèces lourdes : quand l’énergie (température) des électrons est très supérieure à celle des « lourds », on dispose d’un plasma « non-thermique » ou plasma froid et la température macroscopique demeure faible. Cette situation est réalisée dans les tubes à décharges (les « lampes au néon » utilisées pour l’éclairage) qui opèrent sous pression réduite. À l’inverse, lorsque électrons et espèces lourdes sont thermalisés, un équilibre thermodynamique local est établi à pression relativement élevée (le plasma est alors un « plasma thermique ») et donne lieu à des effets thermiques conséquents exploités dans des arcs électriques ou des torches (cf. figure 2, page ci-contre). Autour de la pression atmosphérique, plusieurs types de plasmas sont obtenus suivant la technique employée. Ils présentent des propriétés d’un plasma thermique sans l’effet thermique, ce qui les rend très séduisants du point de vue industriel. Les réalisations résultent par exemple de décharges « couronne » (effet corona), de décharges à barrière

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Figure 2 : Distribution schématique des grands types de plasmas thermiques/non-thermiques selon que l’équilibre thermodynamique local est ou non établi. Au voisinage de la pression atmosphérique, plusieurs régimes de décharges peuvent être réalisés : on obtient en particulier une décharge glissante qui est un plasma trempé.

diélectrique, de décharges glissantes et très récemment de décharges luminescentes.

Les différents modes de décharges à pression atmosphérique sont illustrés sur la figure 3 qui reporte la courbe caractéristique courant - tension. Nous focaliserons sur la section FG du graphe, préliminaire au régime d’arc (qui s’étend en GH entre la décharge luminescente et l’arc), parce que cette zone de transition est le domaine de la décharge glissante.

Figure 3 : Courbe typique courant-tension indiquant les principaux régimes de fonctionnement (d’après HNATIUC).

La courbe représentée sur la figure 3 tend à illustrer la continuité des phénomènes observés lorsque l’on balaye les potentiels appliqués entre les électrodes depuis quelques Vol. 103 - Mars 2009

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volts et quelques micro/milli ampères (domaine de l’électrolyse de laboratoire) jusqu’à l’arc électrique. Des phénomènes seront similaires, mais devront être ajustés en fonction des conditions spécifiques de travail (effet thermique par exemple). Il est en tout cas souhaitable de garder en mémoire quelques principes simples qui renforcent l’idée de similitude.

Solvant :

Atmosphère locale ex : air naturel espèces génératrices O 2 , N 2 , H 2O ; ex : air naturel espèces oxydées OH, NO, H 2O 2 .

Électrodes : Nature, état de surface Cu : oxydes de Cu isolants et mal adhérents ; Oxyde de Al diélectrique, mais relativement conducteur ; Fe : impliqué dans des réactions type Fenton.

Soluté :

Nature de la cible (liquide organique ou soluté) Potentiel d’oxydation faible pour nombre de composés organiques.

Énergie apportée par la source & transférée au gaz Supérieure à un seuil pour créer les espèces réactives souhaitées ; Inférieure au potentiel de formation d’autres espèces.

Séparateur : Présence ou absence de compartiment séparé.

Pour évoquer enfin l’aspect énergétique, il convient de rappeler que les énergies mises en œuvre pour les décharges à pression atmosphérique sont de l’ordre d’une petite

douzaine d’eV (environ 1000 kJ mol – 1 ). Les énergies de dissociation de O 2 et N 2 sont

respectivement 500 et 950 kJ mol – 1 et les enthalpies de liaisons simples sont de l’ordre de 350 kJ mol – 1 (liaison C-C), et exceptionnellement plus élevées (460 kJ mol – 1 pour O-H).

Les tables reportent les enthalpies d’ionisation de O 2 et N 2 à 12 et 15 eV respectiveExcitation par impact entre particules lourdes photon l electron transfert

A+B A + ho A + e– A + B*

" " " "

Excitation par impact entre particules lourdes photon l electron transfert

A +B A* A* + e – A* + B *

Desexcitation radiative A* " A + ho Ionisation par choc

particules lourdes fixation de e – photon

A + B " A + B+ e A + e– " A– A + ho " A + + e – +

A+B A + ho A + e– A + B*

" " " "

A* + B A* A* + e – A* + B

Transfert de charge A + B + " A* + B –

Dissociation par choc

A2 + B " A + A + B A2 + e– " A + A + e– A 2 + ho " A + A + ho

Tableau 2 : Principales réactions observées en phase plasma.

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ment, et à 13,6 et 14 eV pour celles des atomes O et N. Enfin, l’énergie d’excitation de N 2 à l’état C3 Pu est de 11 eV.

Ce bilan énergétique rapide suggère qu’un grand nombre d’espèces variées sont présentes dans un plasma et susceptibles de réagir entre elles. Partant, de nombreuses réactions possibles devront être prises en compte pour expliquer la réactivité collective exceptionnelle du milieu gazeux activé. Le tableau 2 (cf. page ci-contre) rassemble les réactions les plus caractéristiques. E° (Ox/Red) Ox + ne – = Red V/ESH 2.2. Plasma d’air + – F2 gas + 2H + 2e = 2HFaq 3,06 humide

Les performances des réacteurs à décharge dépendent d’un ensemble de paramètres qui gouvernent l’effet escompté, et en premier lieu la nature du gaz plasmagène. Si l’objectif est de détruire, par oxydation, des polluants organiques (dont le potentiel normal d’oxydation E° ne dépasse que rarement 0,3 V/ESH), il sera intéressant de créer dans la décharge le plus grand nombre possible d’entités oxydantes, et de préférence des entités dont le potentiel E° est très élevé. Cette dernière condition est réalisée lorsque la décharge est établie dans l’air humide, puisque la vapeur d’eau est alors source de OH, qui est l’entité la plus oxydante connue après le fluor. Le tableau 3 rassemble quelques valeurs significatives de potentiels normaux de systèmes pertinents. Vol. 103 - Mars 2009

2,87

F2 gas + 2e – = 2F

OH + H + e = H 2O +



Ogas + 2H + 2e = H 2O +



O3 + 2H + 2e = O 2 + H 2O +



Cl 2O + 2H + 2e = Cl 2 + H 2O +



HO 2 + 3H + 3e = H 2O ±



H 2O 2 + 2H + 2e = 2H 2O +



HClO + H + + e – = 1/2 Cl 2 + H 2O

Ogas + e – = O –

MnO + 8 H + 5e = Mn + 4H 2O – 4

±



O3 + 6H + 6e = 3H 2O +

2+



HO 2 + H + e = H 2O 2 +



Cl 2 + 2e = 2 Cl –



Cr2O + 14 H + 6e = 2Cr + 7 H 2O 2 7

+



O 2 + 4 H + 4e = 2H 2O

3+



O 2 + 4 H + 4e = 2H 2O gas +



+

NO 2 + H + e = HNO 2 +



NO 2 + 2H + 2e = NO + H 2O +



NO3– + 3H + + 2e – = HNO 2 + H 2O NO3– + 4H + + 3e – = NO + 2 H 2O

2,85 2,42 2,07 1,71 1,70 1,68 1,63 1,61 1,51 1,51 1,44 1,36 1,33 1,23 1,19 1,09 1,05 0,96 0,94

Tableau 3 : Valeurs de quelques potentiels normaux E° d’oxydation de couples sélectionnés (pH : 0 ; potentiels repérés par rapport à l’électrode standard à hydrogène, ESH). Jean-Louis BRISSET

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L’analyse spectroscopique d’un panache de plasma d’air humide a montré que les espèces actives prépondérantes présentes étaient effectivement OH et l’oxyde nitrique NO dans certaines conditions. Celui-ci possède des propriétés oxydantes intrinsèques, mais surtout il évolue vers la formation d’acide nitrique via HNO 2 , et présente de ce fait 2.2.1. Espèces majoritaires dans un plasma d’air humide

un pouvoir oxydant marqué et un effet acidifiant conséquent (cf. tableau 4 - figures 4 et 5). OH et NO sont en outre dotés de propriétés chimiques spécifiques, rassemblées par Alfassi, qui pourront être mises à profit pour proposer des mécanismes réactionnels de dégradation, ou réaliser des transformations s’apparentant à la synthèse par plasma. Dans le cas de l’abattement de la pollution, c’est l’effet oxydant qui sera privilégié. Il se trouve justement renforcé par l’effet acidifiant puisque la grande majorité des systèmes oxydoréducteurs organiques impliquent la présence de protons. La complexité des réactions induites par plasma conduit à distinguer les espèces

Parents

Nom

Primaires (au col) Secondaires (dans le panache)

Interactives avec la cible liquide

Espèces majoritaires

O 2 , N 2 , H 2O O , N , N +

+

+ 2

*

NO , NO x , HNO 2 , HOONO ,

Détection

Gaz d’admission

Spectro. émission

HNO3 , H xO y , ions (e.g. NO + )

Spectro. (NO) et chimique

7 NO A , NO , NO , HOONO

Chim. spectr. absorption

H + , H 2O 2 , HO 2 (?) – 2

— 3

+

Chim. complexe de H 2O 2

Tableau 4 : Essai de classification des espèces actives dans une décharge glissante d’air humide.

Figure 4 : Neutralisation d’une solution 2 10 – 2 M de soude (200 mL) exposée à une décharge glissante d’air humide. La foudre en bouteille

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parentales ( O 2 , N 2 , H 2O dans l’air

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humide) des espèces primaires formées dans la décharge, lesquelles sont susceptibles de réagir entre elles ou/et avec des espèces parentales pour donner des Figure 5 : Formation d’acide nitrique. espèces secondaires qui réagiront avec les molécules cible (cf. tableau 4, page ci-contre). La synthèse de l’ozone est fortement défavorisée en présence de vapeur d’eau.

Les propriétés chimiques globales principales d’un plasma sont, comme indiqué, l’effet acide (cf. figure 4, page ci-contre) associé à la présence transitoire d’acides nitreux et nitrique ( HNO 2 est instable pour pH < 2,6 pour cause de dismutation en NO et NO3– )

et l’effet oxydant. La transformation (cf. figure 5) de HNO 2 en HNO3 nécessite une trans-

position et passe par l’acide peroxynitreux, ONOOH, dont les propriétés oxydantes sont reconnues.

Outre les effets acidifiants et oxydants, les entités principales OH et NO sont en mesure d’interagir avec les cibles organiques par des réactions radicalaires. Le tableau 5 en présente un panorama. Abstraction de H labile par OH , HO 2 (oxydation) ; HO + HR = H2O + R Production de ROO° ; Addition sur C = C ; Abstraction de H, élimination ; ouverture de cycles.

Formation de complexe coloré avec Ti IV ou VO 2 + : Ti IV ]OH g 3 ^O2 H h4 +

TiO 2+ + 2 H + + 2 H2O2 = TiO 22 + [Schwarz & Giese, Ber.65 (1932) 871]

D’autres complexes ont été observés entre CO and Fe II ]CNg 5 et attribués à une substitution nucléophile opérée sous couronne. Aucun essai n’a été tenté sous glidarc. Fixation de NO sur des composés inorganiques et organiques : OH + NO + M " HONO + M

RO2 + NO " RO + NO2

Affinité de NO pour les métalloporphyrines : (ex: 1500 fois celle de CO pour Hb → NOHb). Possibilité de former des peroxynitrites réactifs _ NO + O 2– " ONOO – i

ONOO – : agent d’oxydation de thiols, acides aminés et bases d’acides nucléiques ONOOH : agent de peroxydation de lipides membranaires

Pas de formation notable de O3 même en milieu anhydre : O 3 + NO " NO 2 + O 2

Réactions de NO+ , NO 2+ avec amines (1°, 2°), diazo (N = N) et benzéniques : nitration électrophile par NO 2+ Tableau 5 : Panorama de réactions radicalaires.

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Les réactions entre entités actives du plasma et molécules cibles ont lieu à la surface de la cible liquide. Les espèces actives formées dans le panache de plasma entrent en contact avec les molécules organiques présentes à l’interface plasma/solution et réagissent avec elles. 2.2.2. Cinétiques globales de réaction

Si la cible est très concentrée, comme un solvant organique usé par exemple, la réaction est contrôlée par le flux d’espèces formées dans la décharge et tombant sur la cible de concentration C : la dégradation du polluant obéit alors à une loi cinétique d’ordre

zéro en espèce organique. La vitesse est proportionnelle à C 0 dC = – k0 dt*

avec

C = – k0 t + C0

dC = – k1 C dt

avec

C = C0 exp ^ – k1 t h

Si la cible est diluée, ou en fin de réaction, peu de molécules cibles sont présentes à l’interface plasma/liquide. Les molécules organiques présentes au sein de la solution doivent diffuser vers l’interface. La cinétique de dégradation est alors contrôlée par la diffusion des espèces cible et la loi cinétique associée est d’ordre un. Il est peu commode de jouer sur la constante cinétique du premier ordre k1 puisque,

liée à la diffusion en phase liquide ; elle dépend de l’encombrement de la molécule cible. En revanche, il est possible d’accroître le flux d’espèces actives tombant sur la surface, par exemple en accroissant l’énergie électrique disponible et ce faisant, d’augmenter la constante d’ordre zéro. Cette opération est réalisable avec un dispositif de commande convenable qui permet en outre d’optimiser l’énergie dissipée dans la décharge en fonction de la cible à traiter. Il est aussi possible d’améliorer les paramètres hydrodynamiques (temps de séjour, etc.), en opérant en mode de recyclage et en jouant sur l’injection de la cible liquide dans le réacteur. L’efficacité du réacteur est alors liée au flux d’espèces oxydantes créées susceptibles d’oxyder totalement un polluant organique considéré. La production d’espèces actives, principalement OH et NO dans une décharge glissante, est liée à l’énergie dissipée dans la décharge, et dans la gamme des énergies mises en œuvre, croît avec elle. 2.3. Améliorations et performances

D’autres paramètres doivent être considérés, tels que la nature du gaz plasmagène ou celle des matériaux constituant les électrodes comme il est d’usage en électrochimie classique. La distance inter-électrode est naturellement un paramètre majeur ainsi que la puissance de la source. Celle-ci détermine le régime de fonctionnement du réacteur, selon la courbe typique caractéristique courant tension (cf. figure 3). La foudre en bouteille

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La décharge glissante se situe dans la zone de transition FG (cf. figure 3) qui précède le régime d’arc proprement dit GH. Elle met donc en jeu une tension d’alimentation relativement modeste (5 à 10 kV) par rapport à la décharge couronne qui peut aller jusqu’à 50-80 kV. En revanche, l’intensité du courant est largement supérieure en régime d’arc qu’en régime couronne.

Un réacteur de décharge glissante de première génération est alimenté par un transformateur HT délivrant à vide 8 à 9 kV. En conditions de fonctionnement, la tension est abaissée vers 600 V et l’intensité du courant traversant la décharge est proche de 160 mA. La puissance utilisée est alors de l’ordre de 100 W, ce qui indique un coût énergétique modeste.

Les améliorations apportées au dispositif de décharge glissante pour le traitement de liquides portent sur plusieurs aspects, en particulier sur le mode de fonctionnement, la géométrie du réacteur et l’amélioration de la source énergétique. Les études préliminaires, fondamentales et pré-industrielles, sur l’application de la décharge glissante à la dépollution de liquides s’effectuent en général en mode discontinu (bâchée, « batch ») de façon à faciliter la détermination du processus réactionnel de dégradation qui est spécifique à chaque molécule de polluant. 2.3.1. Mode de fonctionnement

Après cette étape préalable, les conditions de fonctionnement se rapprochent des conditions opératoires en milieu industriel et l’on retient le mode circulation (voire recyclage).

Dans certains cas, par exemple lors du traitement de composés organiques volatils, le réacteur de traitement du liquide est couplé à un réacteur de traitement de gaz fonctionnant sur le même principe. L’ensemble constitue un réacteur mixte. Le traitement d’un substrat solide ou liquide par décharge glissante est un traitement de surface qui est conditionné par l’aire de contact entre la phase plasma et la cible. Il est donc souhaitable d’accroître l’aire de cette interface. À cet effet, CZERNICHOWSKI a proposé d’employer soit plusieurs étages d’électrodes, soit un seul étage équipé jusqu’à six électrodes pour le traitement de gaz. 2.3.2. Géométrie de réacteur

Pour des traitements de surfaces solides contaminés, les développements récents établissent la possibilité de traiter des cibles (immobiles) de 20 × 20 cm2 alors que le dispositif de base à deux électrodes ne permettait qu’une trentaine de cm2 dans les mêmes conditions d’exposition. Pour le traitement de liquides, le mode d’injection de la cible a fait l’objet d’avancées, qui se sont traduites par un accroissement considérable de la vitesse de dégradation.

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Les applications clairement visées de la technologie décharge glissante ont trait à la destruction de polluants organiques et en premier lieu de solutés dispersés dans l’eau ou de solvants usés. Il est aussi clair que l’approche cinétique est déterminante pour une mise en œuvre industrielle. L’emploi de dispositifs de contrôle préconisé par E. HNATIUC permet d’opérer à tension plus réduite et à intensité plus élevée, ce qui permet d’améliorer les cinétiques et de gagner sur le coût du réacteur. 2.3.3. Performance de la source électrique

Le pouvoir hautement oxydant des espèces créées dans la décharge est mis à profit pour la dégradation de polluants, une opération dans laquelle le Laboratoire d’électrochimie de l’université de Rouen (LEICA) a acquis une solide expérience. Ces polluants sont constitués de solutés toxiques ou de solvants usés. L’inactivation bactérienne est un domaine émergent dans lequel les décharges électriques glissantes se révèlent aussi particulièrement efficaces. 3. APPLICATIONS DES DÉCHARGES À LA DÉPOLLUTION

Une liste exhaustive des composés toxiques dégradés lors de l’exposition de solutions aqueuses à la décharge glissante ne présente qu’un intérêt restreint. Nous limiterons ce panorama à quelques exemples qui nous semblent significatifs. 3.1. Exemples d’utilisation pour le traitement de produits organiques

Si les cyanures constituent un exemple de choix de composé toxique, leurs méthodes de destruction par voie chimique oxydante ( O3 ou H 2O 2 ) sont bien connues. L’efficacité 3.1.1. Solutés toxiques

de la décharge glissante pour leur dégradation confirme les potentialités de la technique. Plus intéressants sont les traitements de divers colorants utilisés en industrie textile dont le rejet direct dans des rivières pollue l’eau utilisée ultérieurement pour les besoins agricoles, ou ceux de la nicotine, un alcaloïde hautement toxique. Quelques exemples sont rassemblés dans le tableau 6 (cf. page ci-contre). Un très grand nombre de solvants organiques d’emploi industriel classique (cf. tableau 7, page ci-contre) est dégradé ou détruit par exposition à la décharge. Les exemples disponibles couvrent des composés organiques volatils (2-propanol, acétone, acétate d’éthyle, toluène) pour lesquels divers groupes de recherches internationaux s’accordent sur l’efficacité de la décharge glissante. Ainsi pour le traitement en « batch » de l’acétate d’éthyle effectué dans un réacteur simple, une exposition à la décharge de six minutes assure un abattement du carbone organique total de 50 % (débit air : 550 Lh – 1 ; volume 3.1.2. Solvants usés

de solution : 200 mL ; concentration en polluant : 225 mgL– 1 ). La foudre en bouteille

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Méthodes de mesure Traitements Molécules modèles Effluents industriels (prélevés sur site)

Batch ou circulation Urée Thio-urée Cyanures alcalins ARN Nicotine

Colorants textiles Brasserie Effluents d’abattoirs

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Spectrophotométrie, CPG, HPLC, Mesures COT, Titrages, Tests spécifiques (phosphates, sulfates) 90 % 96 % 86 % 70 % 60 %

en en en en en

180 min 200 min 60 min 20 min 400 min

83 % en 13 min 98 % en 20 min 64 % en 180 min (selon conditionnement)

Tableau 6 : Exemples de traitement de solutés par décharge glissante (avec rendement de dégradation).

Batch ; Constante k1

Composé Toluène

2,5 10 – 3 s – 1

Acétate d’éthyle

1,4 10 s

Éthylèneglycol

1,2 h

Isopropanol

111-Trichloroéthane

–3

–1

0,6 10 – 3 s – 1 –1

Réacteur duplex ; k1l

4,2 10 – 3 s – 1

98 % C en 24 min

1,0 10 – 3 s – 1

50 % C en 9 min

2,6 10 s –3

–1

env. 88,4 % C en 21 min

3,2 h – 1

Tableau 7 : Vitesses d’ordre 1 pour la destruction en réacteur batch ou duplex.

L’efficacité du traitement se trouve sensiblement améliorée si l’on couple au réacteur « liquide » un réacteur « gaz » alimenté par les gaz de sortie du premier dispositif qui permettra la combustion froide des molécules de polluant entraînées par le flux d’air incident (réacteur duplex développé par E. TSAGOU, Thèse, Rouen, 2006).

Des solvants peu volatils subissent également une dégradation par voie plasma trempé : le N. Heptane, le tributylphosphate (TBP) ou la trilaurylamine utilisés en filière nucléaire de « reprocessing » fournissent de bons exemples de destruction de composés non incinérables. Pour ces composés généralement répertoriés comme les composés récalcitrants, non biodégradables, la cinétique de dégradation est relativement lente, mais totale : elle est suivie, pour le TBP ou d’autres phosphorés par exemple, par la formation d’acide phosphorique (cf. figures 6 et 7, page ci-après) La vitesse de dégradation totale du TBP en batch ( Q air humide : 550 Lh – 1 ; volume TBP : 50 mL) est de l’ordre de 10 mmol h – 1 , ce

qui est effectivement lent, mais elle a pu être améliorée notablement, dans un rapport proche de 10, en modifiant les paramètres du réacteur par exemple.

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Figure 6 : Schéma de dégradation du TBP et formation de l’intermédiaire hydrogénodibutylphosphate.

La destruction de la trilaurylamine confirme la possibilité de détruire des tensio-actifs, tels que le Sulfate dodécylique de sodium (SDS, ou laurylsulfate de sodium) qui, elle, s’effectue à la vitesse de 0,11 mgL – 1 s – 1 .

Des solvants halogénés (chloroforme, tétrachlorométhane, trichloro-111 éthane par exemple) sont dégradés avec formation de chlorures (et de chlore). La dégradation du trichloroéthane s’effectue rapidement avec libération de chlorures, après une courte période d’induction (environ 30 s). Cette vitesse est proche de 70 mmol $ min – 1 de polluant, mais dépend du pH du milieu. Elle a tendance à se ralentir sensiblement en milieu basique et fortement en milieu très acide. Ce comportement doit être rapporté au domaine de stabilité du chlore Cl 2 qui est instable en solution si pH > 4

Figure 7 : Réacteur batch pour la dégradation du TBP montrant les phases aqueuse (colorant rouge) et organique (colorant bleu) permettant l’extraction simultanée de l’acide phosphorique.

environ, et favorise donc la formation des chlorures observés. En milieu très acide, on peut penser que l’essentiel des ions chlorure sont oxydés en chlore, volatil (conditions de travail : débit d’air humide Q : 640 Lh – 1 ; volume de solution traitée : 170 mL dont 20 mL de polluant chloré).

Il est à relever que la cinétique dépend très fortement de l’acidité du milieu, ce qui a été observé pour plusieurs exemples de destruction plasmachimique de composés organiques et justifie largement le contrôle de l’acidité par tampons d’acidité au cours de l’opération, comme l’ont suggéré FANMOE et al. La foudre en bouteille

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Plusieurs applications ont été proposées, tant pour la valorisation de produits pétroliers bruts, que pour la transformation en « syngaz » directement exploitable industriellement (A. CZERNICHOWSKI et al. 1992, 1998). On peut retenir comme exemples : ♦ Désulfuration des gaz de pétrole (A. CZERNICHOWSKI, 1992) 3.2. Traitement de gaz par décharge glissante

– Incinération : H 2S " SO 2 ;

– Transformation en S : RH + O 2 " CO 2 + H 2O ;

– Transformation en S : H 2S + CO 2 " S + H 2O + CO .

♦ Préparation de « syngas » ^CO + H 2h à partir de RH (A. CZERNICHOWSKI, 1998)

ou la Réduction des NO x de gaz d’échappement (voitures automobiles et chaudières)

– Réduction par N : NO x + N " N 2 + 6 N 2O@ + H 2O (MARTINIE, 2005)

– Oxydation catalytique de NO x en NO (sur TiO 2 ,CuO, NiO ; KRAWCZYK &

MLOTECK, 2001). ♦ L’élimination de COV par une décharge glissante tournante (cf. figure 8) qui permet d’atteindre des débits gazeux élevés ]6 $ 10 Nm3 h – 1g pour des échappements d’installations industrielles.

Cliché L.E.I.C.A.

Figure 8 : Décharge glissante tournante utilisée dans un réacteur pilote industriel pour la dégradation de COV (ex : toluène, acétate d’éthyle, acétone).

Sous l’impact des entités activées de la décharge glissante pendant quelques secondes,

3.3. Nettoyage de surfaces solides

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l’énergie de surface de surfaces solides de polyéthylène et d’acier inoxydable se trouve fortement modifiée et l’angle de contact avec l’eau diminue très sensiblement (cf. figure 9), alors qu’une surface de PTFE est relativement peu affectée. Il en résulte que la surface solide se trouve nettoyée et – autre conséquence – qu’elle devient attractive pour des bactéries dont la charge de surface est négative.

Figure 9 : Évolution de l’angle de contact à l’eau de matériaux solides exposés à la décharge (J.-O. KAMGANG NOUBISSI, Thèse, Rouen, 2005).

Un réacteur de première génération a permis de démontrer l’inactivation de bactéries modèles sous décharge glissante. Outre Escherichia coli, d’autres bactéries Gram –, telles que Hafnia alvei ou Gram + (Staphylococcus epidermidis ou Leuconostoc mesenteroides), ainsi que des levures (Saccharomyces cerevisiae) ou des bactéries phytopathogènes de type Erwinia spp. de caractéristiques très différentes ont subi des abattements de population considérables (entre six et dix unités logarithmiques décimales de population) pour des durées d’exposition de quelques minutes (quatre-six minutes environ, selon les paramètres de fonctionnement, cf. figure 10). Des tests « life/death » ont établi la mort de ces bactéries et des éléments du mécanisme d’action des décharges ont pu être appréhendés. 3.4. Exemples d’inactivation bactérienne

Gram – Escherichia coli : 8 U/8 min ; Erwinia carotovora : 10 U/5 min ; Hafnia alvei : 8 U/10 min. Gram + Staph. Epidermidis : 6-7 U/ 5-20 min (selon distance) ; Leuconostoc mesenteroides. Levures Saccharomyces cerevisiae.

Figure 10 : Courbe typique d’inactivation semi-logarithmique (Hafnia alvei).

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Figure 11 : Clichés MEB de Erwinia carotovora : témoin à gauche, traité 5 min à droite (thèse M. MOREAU, Rouen, 2006 : clichés UMR-763-BHM, INRA Massy).

Divers tests ont permis d’avancer quelques éléments d’interprétation de l’effet létal résultant de l’exposition à la décharge. Il pourrait être lié à l’action connue de ONOO – sur la membrane bactérienne : oxydation d’acides aminés, de protéines (polypeptides) ou/et lipo-oxydation.

La sélection des bactéries non pathogènes variées, très fortement maltraitées par la décharge, suggère un caractère plus général du traitement par plasma. Les résultats confirment en outre l’efficacité de la décharge glissante vis-à-vis d’autres types de décharges (la DBD par exemple).

Il a été constaté au Laboratoire d’électrochimie L.E.I.C.A. sur des exemples nombreux qu’après arrêt de la décharge, le processus d’oxydation se poursuivait sur un échantillon cible, isolé de toute source énergétique et même disposé dans des compartiments étanches hors du réacteur. Cette manifestation a été nommée TPDR pour différencier des phénomènes observés sur des cibles placées hors de l’espace inter-électrodes (c’est-à-dire du réacteur plasma proprement dit), mais dans l’enceinte accessible aux gaz activés par la décharge. Les cas observés ont trait à des oxydations chimiques (incluant le traitement d’effluents industriels ou urbains), mais aussi à l’inactivation bactérienne. Quelques exemples sont présentés à titre d’illustration. 4. RÉACTIONS DE POST-DÉCHARGE TEMPORELLE (TPDR)

Divers exemples de TPDR ont été reconnus : ♦ Le premier identifié porte par exemple sur l’évolution d’une substitution nucléophile (échange de ligand N méthylpyrazinium, pyridine substituée ou non, sur le complexe pentacyano(Ligand)ferrate (II)) induite par décharge couronne dans CO (A. DOUBLA, Thèse, Université Paris-VI, 1989). L’évolution de la substitution par un ligand CO se 4.1. TPDR : cas de réactions chimiques

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poursuit plusieurs heures après arrêt de la décharge, et la cinétique peut être aisément suivie par spectrophotométrie. ♦ Un autre exemple est relatif à l’exposition à la décharge glissante d’air humide d’un indicateur coloré classique l’hélianthine (Méthyl orange). Le spectre d’une solution acide de MO exposée pendant deux minutes à la décharge puis abandonnée hors décharge pendant plusieurs minutes, évolue avec la disparition de la bande initiale et l’apparition de signaux secondaires, dont une bande à 420 nm qui s’ordonne en faisceau isobestique (cf. figure 12). MO est donc détruit en deux entités et l’une d’elles a été identifiée comme la NN diméthyl nitro-4 aniline dès les premières minutes de traitement. L’examen de TPDR fournit donc un outil pour préciser le processus de dégradation de composés organiques ciblés.

Figure 12 : Évolution en TPDR de solution acide de méthyl orange après exposition à la décharge pendant deux minutes.

Les TPDR ont été également reconnus sur des effluents urbains et sur des effluents industriels prélevés sur site. Ainsi les hématies et l’hémoglobine sont-elles détruites par exposition à la décharge des effluents d’abattoirs. Des phénomènes de post décharge ont été mis en évidence sur plusieurs jours ainsi que sur d’autres phtalocyanines (vitamine B12 ), ce qui en confirme le caractère général (F. GNOKAM, Thèse, Rouen, 2008).

Le caractère probablement général des TPDR nous a conduits à examiner si le phénomène était aussi observable lors du traitement de micro-organismes. L’UMR 763 (INRA-Massy) a développé une technique originale en exposant de l’eau distillée à la décharge et en assurant ensuite le contact de bactéries avec cette eau activée par plasma (PAW). Les bactéries ainsi traitées résistent mal, et leur population suit une évolution similaire à celle observée pour le traitement direct : une phase cinétique d’ordre global zéro suivie d’une phase cinétique d’ordre 1 (cf. figure 13, page ci-contre). Plus longue 4.2. TPDR : cas de l’inactivation bactérienne

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Figure 13 : Effet bactéricide de PAW. Les durées d’exposition de l’eau à la décharge sont respectivement 5- 4- 3- et 2 minutes pour la cinétique d’ordre zéro d’inactivation de Hafnia alvei. Plus la durée de prétraitement de l’eau t* est grande, plus celle-ci est chargée en espèces actives. Les cinétiques d’ordre 1 sont également directement affectées par t* (G. KAMGANG YOUBI, Thèse, Rouen, 2008).

est la durée de conditionnement de l’eau par la décharge, plus brève est celle de la phase cinétique d’ordre zéro (G. KAMGANG YOUBI, Thèse, Rouen, 2008). Il a en outre été établi que l’effet bactéricide de PAW était encore largement exploitable après vingt-quatre heures. Il est dans ces conditions raisonnable de s’interroger sur la nature des espèces responsable du phénomène d’activation de l’eau, mais aussi des TPDR. Nous n’en sommes à ce jour réduits qu’à des hypothèses, mais plusieurs entités constituent des candidats sérieux : on peut en effet songer au peroxyde d’hydrogène, au radical hydroperoxyle et au peroxynitrite, toutes espèces impliquées dans des systèmes oxydants particulièrement puissants : 4.3. Entités potentiellement responsables de TPDR

E o ^H 2O 2 / H 2Oh = 1,68 V ; E o ^HO 2 / H 2Oh = 1,44 V et E o _ONO 2– / NO 2i = 2,44 V .

5. AVANTAGES DU PROCÉDÉ Plusieurs voies sont en cours de développement de façon à améliorer les performances de la décharge glissante pour la dégradation de liquides ou/et de gaz. Elles portent principalement sur l’alimentation électrique, et des résultats acquis indiquent qu’une vitesse de destruction peut être accrue au point d’atteindre au laboratoire des valeurs industriellement acceptables pour des produits récalcitrants. 5.1. Développements en cours

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Le procédé de décharges électriques présente des avantages notables qui le rendent attractif non seulement pour la recherche fondamentale, mais aussi pour les applications industrielles. 5.2. Implantation

De faible – voire très faible – encombrement, son insertion dans une chaîne classique de dépollution peut s’effectuer sans modification trop importante de l’existant, et donc à coût réduit.

Le même dispositif de base est utilisable pour des polluants variés, mais un réglage est préférable pour optimiser les conditions d’emploi. Il est même suggéré de préférer à une installation centralisée, plusieurs réacteurs en sortie d’atelier qui pourront ainsi opérer dans de meilleures conditions. Le dispositif est souple d’emploi : il peut faire face – moyennant quelques adaptations – à des destructions de résidus organiques liquides (culots de distillation, résidus de processes, déchets, lixiviats, etc.).

La mise en œuvre est aisée : des branchements simples rendent l’appareil rapidement opérationnel.

Les coûts d’investissement et de fonctionnement sont remarquablement faibles ; le principal poste de fonctionnement est la consommation électrique qui demeure cependant modeste (cf. tableau 8). Il est clair que la décharge glissante met en jeu une énergie supérieure à la DBD/pulse, mais le nombre d’espèces actives produites est largement supérieur, et, partant la vitesse de dégradation de la cible. Décharge

Énergie spécifique Ws ]J L – 1g = Pd /Q Puissance de la décharge Pd ]Wg

Couronne

DBD/pulse

10-50

0,5-5

10

Tableau 8 : Coûts opératoires comparés.

20-30

Glidarc

400-500

2000-2500

La versatilité est un caractère majeur puisque le même dispositif peut s’adapter au traitement de liquides ou de gaz et permettre la décontamination bactérienne.

On peut alors songer à installer le dispositif en sortie de chaque atelier générant de polluants organiques ; effluents liquides tels qu’huiles de coupe, effluents gazeux (liquides volatils dégraissants). L’implantation de réacteurs de bio-inactivation peut aisément être envisagée pour équiper des tours de refroidissement qui sont à même d’accueillir certaines bactéries indésirables. De même, l’installation sur des veines gazeuses de conditionnement d’air de cabines de véhicules de transport, terrestre, maritime ou aérien peut être envisagé en mettant à profit outre l’efficacité, le poids et l’encombrement réduits du réacteur. La foudre en bouteille

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Les résultats présentés dans ce panorama ont été obtenus pour la plupart à Rouen en une dizaine d’années, grâce à l’ardeur et à l’énergie de plusieurs générations de Doctorants. S’il m’est impossible de les citer tous, je tiens cependant à signaler les avancées significatives réalisées grâce à D. MOUSSA, B. BENSTAALI, J. FANMOE, J.O. KAMGANG, E. TSAGOU, F. DEPENYOU, M. MOREAU, F. GNOKAM et G. KAMGANG YOUBI. Des stagiaires, H. VITRAC et F. ABDELMALEK, ont aussi participé à cet effort avant de devenir Doctorantes. REMERCIEMENTS

Mais surtout, de nombreuses discussions avec des collègues Français spécialistes de disciplines voisines (en particulier J.-M. HERRY et M. NAITALI de l’équipe de l’UMR 763, animée par M.-N. BELLON-FONTAINE, acteurs d’une collaboration étroite infiniment précieuse pour les études de micro-biologie) ont suscité ces progrès. B. CHÉRON et A. SEMMOUD nous ont tous fait bénéficier de leur réflexion et de leurs connaissances. Mes remerciements vont aussi à mes collègues étrangers E. HNATIUC, B. HNATIUC, A. ADDOU et A. DOUBLA (✝ 10/01/2009) avec qui se sont établies des relations de solide amitié. ♦ ALFASSI Z., Ed. Peroxyl Radicals. Chichester (UK) : J. Wiley, 1997. BIBLIOGRAPHIE

♦ ALFASSI Z., Ed. N-centered radicals. Chichester (UK) : J. Wiley, 1998.

♦ BRISSET J.-L., MOUSSA D., DOUBLA A., HNATIUC E., HNATIUC B., KAMGANG YOUBI G., HERRY J.-M., NAÏTALI M. et BELLON-FONTAINE M.-N. « Chemical reactivity of discharges and temporal post-discharges in plasma treatment of aqueous media. Examples of gliding discharge treated solutions ». Ind Eng. Chem. Res., 2008, 47, p. 5761-5781.

♦ CZERNICHOWSKI A. « Gliding arc. Applications to engineering and environment control ». Pure Appl. Chem., 1994, p. 1301-1310.

♦ CZERNICHOWSKI A. Gliding discharge reactor for H 2S valorization or destruction in

« Non-Thermal Plasma Techniques for Pollution Control », B.M. Penetrante and S.E. Shultheis Eds ; NATO ASI Series. Berlin : Springer-Verlag, 1993, Series G, vol. 34 B, p. 371-387.

♦ FANMOE J., Thèse, Université de Rouen, 2005.

♦ FANMOE J., KAMGANG J.O., MOUSSA D. et BRISSET J.-L. « Application de l’arc glissant d’air humide au traitement des solvants industriels - Cas du Trichloro 1,1,1-éthane ». Phys. Chem News, 2003, 14, p. 1-4. ♦ HNATIUC E., coordonnateur. Procédés électriques de mesure et de traitement des polluants. Paris : Tec & Doc Lavoisier, 2002.

♦ KAMGANG YOUBI G., HERRY J.-M., BELLON-FONTAINE M.N., BRISSET J.-L., DOUBLA A. et NAITALI M.. « Evidence of temporal post dischargesdecontamination of bacteria by gliding electric discharge ; application to Hafnia alvei ». Appl. Env. Microbiol., 2007, 73, p. 4791-4796. Vol. 103 - Mars 2009

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♦ MOREAU M., BÈGUE Y., FEUILLOLEY M., ORANGE N. et BRISSET J.-L. « Glidarc : la décontamination bactérienne et ses effets sur une bactérie phytopathogène ». Salles Propres, 2007, 49, p. 36-44.

♦ MOUSSA D., DOUBLA A., KAMGANG YOUBI G. et BRISSET J.-L. « Post-discharge long life intermediate involved in the plasmachemical degradation of an azoic dye ». IEEE Trans. Plasma Sci., 2007, 35, p. 444-445.

Jean-Louis BRISSET Professeur émérite Université de Rouen Ancien directeur Laboratoire d’électrochimie L.E.I.C.A.

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