Aventures Extraordinaires

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"De toutes les aventure que je vais vous raconter, n'oubliez pas que vous ne ... le temps béni où chacun était libre de vivre ses propres aventures comme elles.
"De toutes les aventure que je vais vous raconter, n'oubliez pas que vous ne pourrez en choisir qu'une seule, et une fois que serez décidée, il vous sera impossible de changer d'avis." Les yeux baissés et un peu honteuse, j'acquiesce. Je n'en reviens toujours pas de m'abaisser à une telle solution, je me demande ce qu'il m'a prit de venir ici. Le petit homme assis derrière son bureau hausse un sourcil interrogateur, puis, n'obtenant aucune autre réponse de ma part, hausse les épaules. Il rehausse ses lunettes et saisit la pile de papiers posés devant lui. "Bien, commençons. Aventure numéro une. Vous êtes en mer, aucune terre n'est en vue. Comme la plupart de l'équipage, vous détestez le capitaine, qui est un homme tyrannique..." Les phrases courtes et le ton monocorde de mon interlocuteur sont censés m'aider à mieux me projeter dans l'aventure, mais moi, ça m'ennuie, et je n'écoute déjà plus rien. Je suis de toute façon bien trop occupée à ruminer mes sombres pensées. Ou est passé le temps béni où chacun était libre de vivre ses propres aventures comme elles arrivaient ? Tout a été tellement bien aseptisé que je dois faire un réel effort de mémoire pour me souvenir comment cela se passait, avant. On ne choisissait pas ses aventures, c'était nos aventures qui nous choisissaient. Et puis, les Temps Obscurs sont arrivés avec leur lot de violence et de larmes. Est-ce que je regrette cette période ? C'est ridicule, c'est une question tellement idiote qu'il me semble que je n'ai même pas le droit de me la poser. Les Temps troubles, c'est la mort à chaque coin de rue, c'est la faim, la misère, la violence et le chacun pour soi. Alors qu'aujourd'hui, la paix règne partout. On est libre de faire presque tout ce que l'on souhaite, la violence est morte. La violence est morte ? Bien sûr, parce que la violence ne se programme pas un mois à l'avance. Toutes les quatre semaines, nous envoyons notre emploi du temps avec tout ce que l'on souhaite faire, jour par jour, au SET, le Service des Emploi du Temps. Celui-ci l'analyse, et s'il est en accord avec les valeurs de notre société, il nous l'aménage au mieux pour la cohérence de la société. Alors, une fois par semaine - ce n'est pas le même jour pour tout le monde - nous recevons notre emploi du temps, détaillé heure par heure, que nous devons suivre scrupuleusement. Bien sûr, tout le monde a tout de suite remarqué les avantages. Moi même, ça m'a bien amusé la première fois de vivre ma vie avec un mois d'avance. Moi qui était si peu stratégique, j'ai apprécié l'effort des employés du SET de nous envoyer sur les routes ou au supermarché à des heures différentes pour éviter les embouteillages. Moi qui était si peu organisée, j'ai pu régler ma vie au rythme de mon emploi du temps. Je me suis amusée à glisser des détails incongrus les premiers mois ; tel jour, je ferai de la voile, tel autre, je testerai le restaurant chinois. Et puis, je m'en suis vite lassée. L'idée que j'avais eu le jour de la rédaction de l'Emploi du Temps ne me paraissais plus si bonne trois semaines plus tard quand il fallait la mettre en application. Comme tout le monde, j'ai fini par avoir une petite vie rangée, sans imprévus, ni bons, ni mauvais, avec un emploi du temps quasiment identique d'une semaine sur l'autre.

Je ne me souviens plus exactement à partir de quand j'ai commencé à trouver cette vie étouffante. Ca ne s'est pas fait d'un seul coup, je ne me suis pas levée un jour en me disant qu'à partir de maintenant ça suffisait. Les jours passaient, et aucun était moins bon que les autres, alors pourquoi devrais-je en avoir marre aujourd'hui plutôt qu'hier, ou que demain ? Mais mon ressentit a fini par arriver jusqu'à ma conscience, et alors je n'ai plus pu supporter ma vie si rangée. Un matin, je ne me suis pas levée pour aller travailler, sans pour autant me rendre chez le médecin, ce qui aurait été le seul moyen légal de ne pas suivre à la lettre mon emploi du temps. Moins d'une demi-heure après l'heure à laquelle j'aurais du être pointée au bureau, deux policiers ont pénétré chez moi. Ils se sont montrés plutôt aimables et m'ont demandé pourquoi j'avais transgressé la loi. J'ai tenté de leur expliquer ce que je ressentais, et l'un d'eux s'est mis a rire. "Votre emploi du temps est trop monotone ? s'est-il esclaffé. Mais c'est vous qui l'élaborez, vous pouvez faire une chose différente chaque jour si ça vous chante !". Il n'y avait rien à répondre à cela, alors je n'ai rien dit, mais mon air était suffisamment éloquent, ou plus probablement désespéré, pour que le second prenne ma défense. Il a annulé mon emploi du temps de la journée et m'a emmené voir une psychologue "tous frais payés par votre gouvernement, Madame". Il a aussi réussi à me libérer un créneau de deux heures tous les trois jours pour aller la voir. C'est elle qui a fini par me parler d'Aventures Extraordinaires, et voilà pourquoi je suis ici. L'homme derrière son bureau continue sa litanie de la même voie monocorde, et sans paraitre perturbé le moins du monde par mon absence totale d'attention : "Aventure numéro quatorze. Vous êtes dans le désert, que vous souhaitez traverser. Il vient à manquer d'eau..." C'est tellement ridicule ! Mieux vaut encore ne rien écouter. Que disait ma psy, déjà ? Ah oui, "Aventures Extraordinaires est exactement ce qu'il vous faut, ils vous proposent de choisir parmi pas moins de trente deux aventures, il y en a pour tous les goûts." Trente deux aventures, je ne suis pas prête de sortir de ce bureau... Elle m'a expliqué que cette agence permet vivre réellement l'aventure que l'on a choisit, avec... quels sont ses mots déjà... "exactement les mêmes sensations que si l'aventure nous était réellement tombée dessus, mais sans réel danger". Mais bien sûr, c'est tellement crédible ! Et puis, "c'est la seule agence qui prévoit quelques péripéties sans en avertir le client au préalable, ce qui élimine toute impression d'irréalité ou de contrefaçon des événements". Et dire que je me suis laissée embobinée par ces paroles stupides ! "Aventure numéro dix neuf. Vous êtes dans une forêt. ..." Moi, je veux une aventure, mais qui se passe dans la vraie vie. Elle n'arrivera peut être pas à la cheville des trente deux aventures qu'on me propose, mais son danger sera réel, et personne ne connaîtra ses péripéties à l'avance. Aventure numéro trente trois. Vous êtes assise en face d'un homme trop petit pour son bureau qui vous ennuie avec des propos ridicules. Vous vous saisissez de l'agrafeuse située sur le bureau et l'envoyez de toutes vos forces à la tête de l'employé qui se tait enfin puis tentez de vous enfuir par la porte.

Une sirène retentit. La lumière s'éteint. Je cours à toute jambes, des pas me suivent. J'ouvre une porte au hasard, et me retrouve dans un bureau similaire à celui que je viens de quitter. Je lance une chaise à la figure de quelqu'un qui a tout l'air d'un client hébété. Un faisceau de lumière m'éblouit et mes poursuivants me hurlent des ordres que je n'écoute pas. Je leur lance tout ce qui passe à ma portée en hurlant de rire. Une détonation retentit. Alors, je m'évanouis dans les ténèbres.