Bernard-Henri Levy - Consistoire de Paris

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19 “Les auteurs que nous aimons un entretien avec Armand et Eliette Abécassis. 22 Le Consistoire de ...... On retrouvera ici les traces de Qumran cher à. Éliette ...
Au coeur de la traque du dernier nazi Entretien avec le grand rabbin de Paris Armand et Eliette Abecassis : Le livre des passeurs Diaspora : Enquête sur la communauté juive d'Allemagne

© A.Duclos

Bernard-Henri Levy

N°273 - NOVEMBRE 2007 - 3€

M 01907 - 273 - F: 3,00 E

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A LA UNE

SOMMAIRE

4 Réflexions sur le néo-antisémitisme par Bernard-Henri Levy 8 Le Grand Rabbin Messas, “La voix religieuse du Consistoire” un entretien avec le Grand Rabbin de Paris

ACTUALITÉ 10 Ehud Olmert s’adresse à la communauté juive de France par Sandrine Amiel HISTOIRE 12 Au coeur de la traque du dernier nazi un entretien avec Danny Baz POLITIQUE 15 Les dérives du Mrap par Maurice Winnykamen LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI 16 L’humour perdu des juifs JUDAÏSME 18 Le livre des passeurs par Albert Bensoussan 19 “Les auteurs que nous aimons un entretien avec Armand et Eliette Abécassis LA VIE DE L’ACIP 22 Le Consistoire de Paris sur tous les fronts 24 La hevra kaddicha ou les services du dernier devoir par Jack-Yves Bohbot BICENTENAIRE 25 Au temps des premières écoles primaires consistoriales de Paris 26 Samuel Cahen (1796-1862) par Philippe Landau BONNES FEUILLES 28 Le commentaire infini du verset SOCIÉTÉ 30 “La France est un laboratoire pour penser les relations judéo-musulmanes” un entretien avec Ari Alexander

HUMOUR 31 756 fois appelé à la lecture de la Torah COMMUNAUTÉS 32 “Buffault, une communauté spécifique” un entretien avec le Rabbin Didier Weill 33 Rencontre avec la Communauté juive de Toulouse un entretien avec Arié Bensemhoun DISPORA 34 Enquête sur les nouvelles communautés juives en Allemagne un entretien avec Olivier Guez

CULTURE 36 Walter Benjamin ou le rêve de vivre un entretien avec Ami Bouganim 39 Variation ladino OPINION 40 Quand un ancien président ne lit pas ce qu'il publie par Paul Giniewski POST-SCRIPTUM 42 Histoire d'un intellectuel par VM

INFORMATION JUIVE 17, rue Saint-Georges 75009 Paris Rédaction : 01 48 74 34 17 Administration : 01 48 74 29 87 Fax : 01 48 74 41 97 [email protected] Fondateur : Jacques Lazarus Gérant de la SARL, directeur de la publication : Philippe Meyer Directeur : Victor Malka [email protected]

Editorialiste : Josy Eisenberg Chroniqueur : Guy Konopnicki Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer Collaborateurs : Armand Abécassis, Anne-Julie Bémont, Albert Bensoussan, Paul Giniewski, Hélène Hadas-Lebel, Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony. Direction Administrative et Financière : Noémie Lasry [email protected]

Edité par S.a.r.l. Information Juive le journal des communautés au capital de 304,90 € Durée de la société : 99 ans Commission paritaire des journaux et publications : 0708K83580 Dépôt légal n° 2270. Impression : SPEI Imprimeur Tél. : 03 83 29 31 84 Les textes de publicité sont rédigés sous la responsabilité des annonceurs et n’engagent pas Information juive.

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Les manuscrits non retenus ne sont pas renvoyés.

A LA UNE UN ENTRETIEN AVEC BERNARD-HENRI LÉVY

Réflexions sur le néo-antisémitisme Dans le nouveau livre qu'il publie aux éditions Grasset (Ce grand cadavre à la renverse. 19 E 90) et qui est sans doute l'un de ses ouvrages les plus forts, le philosophe Bernard-Henri Lévy aborde dans de nombreux chapitres des thèmes comme le néo-antisémitisme, le dreyfusisme, le devoir de mémoire, le judaïsme et ce que lui ont apporté dans ce domaine des philosophes Bernard-Henri Lévy comme Emmanuel Levinas ou Benny Lévy. Il y analyse également des notions comme la tolérance et la laïcité et ce qu'il appelle “la grande sagesse biblique” et termine son livre sur les leçons que lui enseignent des penseurs juifs comme le Gaon de Vilna et son disciple Haïm de Volozhin. Nous avons rencontré Bernard-Henri Lévy Information juive : N'est-ce pas excessif de votre part de considérer que la France peine encore à se réveiller de Vichy ? Bernard-Henri Lévy : Je suis content que vous attiriez l'attention sur ces chapitres qui, curieusement, sont ceux dont personne ne parle. Ce sont des éléments que je considère comme importants dans ce travail. Bizarrement dans tous les commentaires qui ont été faits dans les journaux, à la radio et à la télévision, personne n'aborde ces questions. Je vous laisse le soin d'interpréter ce malaise. I.J : Comment l'interprétez-vous vousmême ? BHL : Il me semble que les thèses que je développe notamment sur la question

du néo-antisémitisme sont des thèses qui mettent mal à l'aise. Expliquer que ce néoantisémitisme ne sera plus l'affaire des catholiques, qu'il ne viendra plus de la droite raciste, qu'il n'aura plus la forme de l'anti-capitalisme de l'époque de l'affaire Dreyfus mais qu'il aura de nouvelles formes dont je décris les trois moteurs qui sont l'anti-sionisme, le négationnisme et la compétition des victimes, que par conséquent, il ne pourra naître que dans les rangs de ceux que j'appelle les néoprogressistes, tout cela jette naturellement un froid. Dire que l'antisémitisme redeviendra -ce qu'à Dieu ne plaise- un mouvement de masse si fusionnent ensemble, comme une molécule chimique, ces trois éléments, c'est mettre les pieds dans le plat et jeter un pavé dans la mare. Au demeurant, cette synthèse dont j'évoque la possibilité s'est déjà faite dans des pans entiers du monde arabomusulman ; elle s'est faite chez des gens comme Dieudonné ou Tariq Ramadan et d'autres. ; elle est en train de se faire dans certaines officines (ou des laboratoires d'idées) en marge de la gauche. Si elle devait dépasser le stade de ces laboratoires, alors il y aurait de nouveau du souci à se faire. Pour ce qui du réveil de Vichy, le président de la République a bien dit que la France n'avait pas commis de crime contre l'humanité et qu'elle n'avait pas participé au génocide, ce qui est pour le coup juridiquement faux et ce qui

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équivaut à effacer d'une part le beau discours de Jacques Chirac en 1995 et d'autre part le procès Papon lui-même. I.J : D'où vous concluez qu'il ne faut jamais céder sur le devoir de mémoire. BHL : Il est bien venu aujourd'hui, y compris parmi des amis qui me sont proches, ou des camarades de pensée, de dire qu'on en a trop fait sur le devoir de mémoire ou encore que la mémoire étouffe l'histoire. Je crois personnellement qu'on n'en a jamais fini avec la mémoire. Ce beau concept de devoir de mémoire qu'a inventé Primo Lévi - qu'aurait dû inventer Emmanuel Levinas qui a écrit qu'il y a des blessures qui saigneront jusqu'à la fin des temps - doit se perpétuer. A condition de ne pas le transformer en une mémoire ressenti-mentale ou en cette mémoire antiquaire que fustigeait à juste raison Nietzsche. I.J : Vous considérez l'anti-américanisme comme une métaphore de l'antisémitisme. Vous ajoutez que, chez beaucoup, on dit Amérique et on pense juifs. BHL : Quand je dis cela, je ne fais que citer Hugo Chavez, Ahmadinejad, le Hezbollah, le Hamas etc… Les uns et les autres disent indifféremment Amérique ou juifs. Ils parlent bien de l'axe américano- sioniste. I.J : Ne peut-on pas être anti-américain sans être anti-juif ? BHL : Vous jouez sur les mots. Si par anti-américanisme on entend le fait de détester Bush, d'être hostile à la guerre en Irak, de trouver qu'il y a dans le mode de

A LA UNE vie américain ou dans la modernité telle qu'elle se déploie en Amérique des éléments qui ne sont pas aimables, alors je suis le premier anti-américain de France. Mais si par anti-américanisme on entend ce qu'on entend de Drieu La Rochelle, des fascistes des années 30, je dis alors qu'il s'agit d'un des piliers et un des ressorts du fascisme. Quand vous observez tous les fascismes (le fascisme brun, hitlérien ou mussolinien, celui des Frères musulmans ou d'Albana) vous constatez que la haine de l'Occident considéré comme l'asile de tous les stupres et de tous les maux - était un des piliers essentiels de cette doctrine. Regardez Heidegger, immense philosophe qu'il faut lire inlassablement, idéologue nazi. Son vrai problème, ce qu'il hait le plus parce qu'il le considère comme l'ennemi de cette pensée poétique dont l'Allemagne devrait être l'épicentre, c'est la modernité américaine. I.J : C'est à Durban, en septembre 2001, que l'on a assisté à l'acte de naissance d'un antisémitisme osant, à nouveau, s'exprimer à ciel ouvert et planétaire. Ce fut - écrivez-vous - "un moment de honte, de mépris et de faillite morale" BHL : Je consacre en effet quelques pages de mon livre à cette affaire de Durban. Quelques jours avant l'attaque du World Trade Center, il y a là un rassemblement d'ONG destiné en principe à parler du racisme, de l'esclavage et de l'oppression dans le monde. Or que voiton ? Il n'y est question que du conflit israélo-palestinien. Tout se passe comme s'il n'y avait aujourd'hui qu'une guerre et une seule source d'oppression : l'occupation par Israël des territoires palestiniens. On a fait des Palestiniens la victime absolue. Tous les opprimés qui espéraient que leur martyr allait être évoqué - les rescapés rwandais, les victimes d'un possible génocide annoncé au Burundi entre autres - sont complètement passés par pertes et profits. Ils n'existent plus dans ce grand théâtre d'ombres. D'autre part, on assiste là à une véritable "nazification" d'Israël et des juifs en général avec ce slogan parmi d'autres : "One Jew, one bullet" (une balle pour chaque juif ). A Durban a commencé de se faire cette synthèse des trois atomes que j'évoquais : la compétition des victimes, l'anti-sionisme et le négationnisme.

Emmanuel Levinas

I.J : Comment expliquez-vous que, soixante ans après la Shoah, cet antisémitisme perdure et qu'il atteigne parfois de bons esprits ? BHL : Il a toujours atteint de bons esprits. L'une des lectures les plus difficiles pour un juif et, au-delà, pour un esprit éclairé, c'est l'Histoire de l'antisémitisme de Léon Poliakov. La seule fois de ma vie où j'aurais pu frôler la dépression nerveuse

juifs sont des banquiers et des ploutocrates et oppriment les humbles et les petits. C'est le même phénomène auquel nous assistons aujourd'hui. Ces bons esprits que vous évoquez disent : nous n'avons rien contre les juifs mais regardez Tzahal et l'occupation des territoires. Prenez l'exemple de José Bové, quand il rentre d'un voyage en Israël, il y a trois ans, il

La vraie chose qu'il faut comprendre c'est que l'antisémitisme ne se contente jamais de dire : je hais les juifs. Il se fabrique un système de légitimation. c'est quand j'ai découvert, à 25 ans, que les écrivains que j'admirais le plus, ceux qui m'avaient formé et qui m'avaient donné le goût de la langue française, avaient pu écrire de telles horreurs sur moi ou sur les miens. Comment cela marche ? La vraie chose qu'il faut comprendre c'est que l'antisémitisme ne se contente jamais de dire : je hais les juifs. Il se fabrique toujours un système de légitimation. Il se donne de " bonnes raisons " de les haïr. L'antisémite catholique dit : les juifs ont tué le Christ. Ils sont responsables d'un crime immense. Pour cette raison-là, ils doivent être détestés. Voltaire, à l'époque de l'antisémitisme des Lumières, dit l'inverse : les juifs ne sont pas haïssables en soi mais ils ont inventé le Christ. Ils sont donc responsables de cette peste qu'est le monothéisme. Et moi, au nom de l'anti-cléricalisme et de " Ecrasons l'infâme", je les déteste. Quant à l'antisémitisme de gauche - à l'époque de Jules Guesde ou de Drumont -, il dit : les

donne une interview à Oumma.com (le site où s'exprime parfois Tariq Ramadan) il décrit Israël comme un pays entouré de miradors et comme une armée de barbares. I.J : Robert Wistrich a dit de l'antisémitisme qu'il était " la plus longue haine ". N'y a-t-il pas dans cette haine quelque chose d'irrationnel, peut-être de mystique ? BHL : Vous voulez sans doute dire d'énigmatique. Je considère pour ma part que cela a à voir avec le fait que les juifs sont les porteurs de la loi. Ce à quoi on en veut, à la fin des fins, c'est à ce corps du judaïsme : la loi, la haine de l'idolâtrie, l'empêchement d'idolâtrer en rond. L'humanité veut être idolâtre, elle veut adorer l'Histoire, les idoles de fer et de sang et elle trouve, en travers de sa route, les juifs. C'est ce que dit Hegel : il y a ce petit peuple qui me fiche en l'air mon système dialectique et détruit ma théodicée. Il y a un peuple qui résiste et ne veut pas disparaître. Il continue d'exister à l'abri de ses barrières invisibles INFORMATION JUIVE Novembre 2007 5

A LA UNE qui sont celles de la Torah. Pour lui, les juifs sont des gêneurs métaphysiques. I.J : Voici ce que vous écrivez à propos de la tolérance et de la laïcité : “Avec la tolérance, on fait des autodafés. Avec la laïcité,

n'aviez aucune espèce d'idée de ce que le dire juif pouvait bien dire. Et aujourd'hui ? BHL : Levinas lui-même, l'auteur des magnifiques " Lectures talmudiques" disait qu'il était un talmudiste du dimanche. Je reste toujours très ignorant. Malgré tout,

Et ce n'est pas un hasard si ce livre politique s'achève sur une exhortation faite aux lecteurs français à lire le Gaon de Vilna on fait dialoguer les livres, tous les livres, à commencer par les livres sacrés…La tolérance peut devenir le cimetière des démocraties alors que la laïcité est leur creuset” BHL : Je reprends là des analyses de Marcuse en particulier. Je crois que la tolérance prétend que toutes les idées se valent et que toutes les opinions sont équivalentes. Au nom de la tolérance on accepte tout. La tolérance met sur le même plan - non sans un certain dédain - toutes les opinions. La laïcité, elle, fait le partage entre ces opinions, entre celles qui appellent au meurtre et celles qui respectent les autres. La laïcité refuse l'idée que les religions aient quoi que ce soit à nous dire sur la façon dont doivent se lier le lien social et le lien politique. I.J : Vous dites qu'il y eut un temps où vous

je pense l'être un peu moins qu'en ce temps que j'évoque. Je suis nourri aujourd'hui - en tout cas je l'espère - de sagesse biblique. Et ce n'est pas un hasard si ce livre politique s'achève sur une exhortation faite aux lecteurs français à lire le Gaon de Vilna et le rabbi Haïm de Volozhin. I.J : Vous définissez cette sagesse biblique comme " la nécessité d'une morale laborieuse, infatigable, efficace ". BHL : C'est cette grande idée juive que l'homme est le collaborateur de Dieu. Que c'est à lui de faire en sorte que l'œuvre de création se poursuive. C'est là une belle idée au sens propre et au sens grec étymologique du mot, une idée poétique. Cette sagesse biblique est une morale du faire, de l'action. Levinas - encore lui-

Le Gaon de Vilna

disait que le judaïsme est moins une optique qu'une pratique. Une optique cela veut dire un regard contemplatif vers Dieu. Une pratique cela veut dire prendre à bras le corps la chair des choses et d'y œuvrer poétiquement. Bref, cette sagesse a un message à livrer à tous. I.J : Vous évoquez aux dernières pages de votre livre les leçons que le Gaon de Vilna et son disciple Haïm de Volozhine vous ont enseignées. Qu'est-ce que ces maîtres vous ont appris ? BHL : Enormément de choses. L'âme de la vie (Editions Verdier) de Haïm de Volozhin est pour moi un livre de chevet. Ce que vient faire ce rabbin à la fin de ce livre politique ? En vérité, il vient en renfort de ce que je crois être l'urgence politique du moment. C'est-à-dire : même - et surtout - quand on ne croit plus aux solutions toutes faites, qu'on ne croit plus que la cité idéale va nous tomber du ciel, il faut continuer d'agir. C'est ce que dit rabbi Haïm. Quelle est sa doctrine ? Elle consiste à dire trois choses . Un : Dieu a créé le monde ; deux : une fois la création achevée, il s'en est retiré ; trois : pour que le monde ne s'effondre pas comme un château de sable et qu'il ne se dé-crée pas, il faut que, par leur prière et leur étude, les hommes en soutiennent infatigablement les murailles fragiles. Le monde est menacé de se défaire et seuls les hommes peuvent empêcher ce processus de dé-création. Eh bien, je dis qu'il en va de même pour la politique, pour la morale. Et pour la France d'aujourd'hui. Propos recueillis par V.M

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UN ENTRETIEN AVEC LE GRAND RABBIN DE PARIS

LE GRAND RABBIN MESSAS, “LA VOIX RELIGIEUSE DU CONSISTOIRE” Issu d'une grande lignée de rabbins (il est le fils du rav Chalom Messas), Le Grand Rabbin de Paris, David Messas David Messas dirige depuis treize ans le grand rabbinat de Paris. Pour Information Juive, le grand rabbin de Paris revient sur la nature complexe de sa fonction, fait le point sur les " 10 jours du Consistoire " qui se sont tenus au mois d'octobre, et présente ses priorités pour le Consistoire de demain. Information Juive : Comment décririez-vous les fonctions du Grand Rabbin de Paris ? Le grand rabbin de Paris : Le grand rabbin est le premier responsable de l'action religieuse au sein du Consistoire de Paris, la voix religieuse de l'institution. Son action est indépendante tout en exprimant la vocation du Consistoire, qui est celle d'une application stricte de la Halakha dans tous les domaines de la vie, ainsi que l'ouverture vers l'ensemble des Juifs de la communauté, quel que soit leur engagement religieux, social et intellectuel.

L'action du grand rabbinat se divise en deux pôles : tout d'abord, ses interventions personnelles dans tous les évènements de la vie communautaire juive : mariages, bar mitzvah,

Le grand rabbin de Paris intervient personnellement dans les évènements de la vie communautaire juive. enterrements, mais aussi visites dans les synagogues, bikour holim (visite des malades) et shalom baït (réconciliation des familles). Tout cela se fait bien sûr dans la plus grande discrétion et dans un climat de confiance mutuelle.

de Paris exerce, avec le Président du Consistoire, une action de représentation auprès des pouvoirs publics, notamment de la Mairie de Paris. Enfin il est une source d'impulsion pour l'animation et le développement des différents services du Consistoire.

L'autre pôle de son action relève de ses attributions institutionnelles. En tant que président du Beth Din, il est le responsable de tous les aspects de la vie religieuse (Brit Mila, Talmud Torah, Bar Mitvah, mariages et divorces, de la hevra kadisha, des conversions…), aidé en cela par les différents services du Consistoire. Le grand rabbin de Paris traite les questions halakhiques avec les membres du Beth Din., et est aussi le porte-parole des décisions prises en toute indépendance par les instances du Beth Din, et en particulier avec le Av Beth Din. Le grand rabbin de Paris est

IJ : L'ACIP vient d'organiser les 10 jours du Consistoire. De quoi s'agissait-il et quel est le bilan de cet évènement ? Le grand rabbin de Paris : Le Président du Consistoire Joël Mergui a eu l'idée de lancer les 10 jours du Consistoire afin de mieux faire connaître l'action de l'institution, dont le public ne réalise pas toujours l'ampleur et la diversité, et de sensibiliser les fidèles sur les missions mais aussi les problèmes du Consistoire. Vieux de deux siècles, le Consistoire se trouve au cœur de la vie juive ! Dans le cadre des 10 jours, un programme riche et varié a été organisé pour faire connaître le Consistoire et pour dialoguer avec le plus grand nombre, et notamment une série de rencontres avec

En tant que Président du Beth Din, le Grand Rabbin de Paris est responsable de tous les aspects de la vie religieuse.

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également impliqué dans la formation des rabbins (Beth Hamidrash). A cet effet, nous avons créé le Beth Hamidrach des rabbins de Paris dirigé par rav Ariel Messas. Le grand rabbin

Beth Hamidrach des rabbins parisiens lors du Séminaire d'études sur Rachi - Troyes 2006

différents responsables et la base communautaire sur des thèmes tels que le respect des règles alimentaires, le mariage, l'enseignement En tant que grand rabbin de Paris j'ai bien évidemment été impliqué en première ligne dans cet évènement, qui a permis de lever un certain nombre de préjugés sur le rôle et les activités du Consistoire, en particulier pour ce qui est de la Cacherout, de son prix pour les fidèles et de la part du Consistoire dans ce prix. Les 10 jours auront contribué à dissiper une partie de ces malentendus. I.J : Comment voyez-vous le Consistoire de demain ? Le grand rabbin de Paris : Il est difficile de répondre à cette question, tant la société juive actuelle est multiple et complexe. Tout ce que je peux dire de l'avenir, c'est qu'un Consistoire qui a vécu deux siècles aura certainement encore deux siècles à vivre ! Malgré son ancienneté, le Consistoire a su se renouveler. C'est en puisant ses forces, ses idées et ses convictions dans le passé qu'on construit l'avenir, qu'on

s'adapte aux besoins de l'époque. Le développement de la vie juive et spirituelle a été important ces dernières années; dans ce domaine le Consistoire est parvenu à des résultats jalousés par les communautés juives du monde entier. I.J : Quelles sont les priorités actuelles du grand rabbinat ? Le grand rabbin de Paris : Il nous faut tout d'abord penser au rabbinat de demain, former des rabbins pour la

l'urgence à se préoccuper des familles: en 2006, il y a eu 1000 mariages pour 460 divorces ! Nous souhaiterions permettre à tous les juifs d'accéder à l'école juive. Aujourd'hui, scolariser son enfant dans une école juive, représente pour beaucoup un effort financier. Nous voulons créer des centres d'études de proximité (Beth Hamidrach) en développant le bénévolat religieux,

Le consistoire est parvenu à des résultats jalousés par les communanutés juives du monde entier. prochaine génération qui soient à la fois très compétents d'un point de vue religieux et capables d'animer des communautés diverses. Définir une politique de la famille juive est une autre priorité majeure du grand rabbinat. Ceci rentre dans le cadre du Shalom Baït que j'évoquais plus tôt. J'aimerais ici vous faire part d'un chiffre ahurissant, qui témoigne de

et développer des cercles d'étude en dehors des grandes synagogues. Enfin le développement de la solidarité, qui doit permettre aux communautés les plus riches de soutenir les moins pourvues, reste une priorité pour le rrand rabbin. Propos recueillis par Sandrine Amiel INFORMATION JUIVE Novembre 2007 9

ACTUALITÉ

Ehud Olmert s'adresse à la communauté juive de France Après s'être entretenu avec le Président Nicolas Sarkozy et le Premier Ministre François Fillon, Ehud Olmert a poursuivi sa visite en France par une rencontre avec la communauté juive le lundi 22 octobre. L'occasion pour le Premier Ministre de l'Etat hébreu de faire le point sur les grands enjeux de sa tournée diplomatique, et de se féliciter du réchauffement des relations franco-israéliennes.

Q



uelque chose dans l'atmosphère a changé”. C'est en ces termes qu'Ehud Olmert a évoqué sa rencontre avec Nicolas Sarkozy, la première depuis l'arrivée de ce dernier à l'Elysée. Le Premier Ministre a loué les paroles fermeté du Président français sur le caractère " non négociable " de la sécurité d'Israël ; il a affirmé avoir rencontré en la personne de Nicolas Sarkozy " un ami sincère d'Israël et du peuple Juif ". Après des relations parfois tumultueuses sous le mandat de Jacques Chirac, la visite d'Ehud Olmert semble avoir confirmé le changement de ton attendu entre Paris et Jérusalem.

© Alain Azria

La conférence d'Annapolis sur la Paix au Proche Orient, qui se tiendra en Novembre prochain aux Etats-Unis, était l'un des enjeux majeurs de la visite d'Ehud Olmert. Tout en réaffirmant sa volonté de s'engager dans le processus de paix avec les Palestiniens - dont il estime que les dirigeants sont enfin prêts à vivre avec Israël et à lutter contre le terrorisme - le chef du gouvernement israélien a relativisé la portée de la rencontre d'Annapolis. Selon lui, elle ne sera pas un lieu de négociation à proprement parler, mais plutôt une réunion qui fixera le cadre de négociations ultérieures.

de se doter de l'arme nucléaire, mais elle fera partie d'un ensemble de nations démocratiques pour lesquelles un Iran nucléarisé n'est pas admissible ". Le Premier Ministre Israélien a brièvement évoqué ses entretiens avec Vladimir Poutine, dont il estime qu'il pourrait faire preuve de plus de fermeté envers Téhéran - même si le Président Russe aurait déclaré ne pas soutenir un Etat menaçant pour Israël. Il a en revanche souligné les convergences de vues entre Israël et l'Elysée sur ce sujet. Ehud Olmert a conclu la rencontre par une note optimiste sur la bonne santé de l'économie israélienne, dont la croissance dépasse actuellement les 5%. Il a également mis l'accent sur les investissements réalisés par son gouvernement dans le social et l'éducation, malgré les considérables dépenses de sécurité. Les chiffres du chômage et de la pauvreté demeurent néanmoins à des niveaux élevés.

Mais c'est sur le dossier iranien que le Premier Ministre était le plus attendu. Le nucléaire iranien se trouvait au centre des entretiens d' Ehud Olmert avec Nicolas Sarkozy ainsi qu'avec Vladimir Poutine et Gordon Brown, que le chef du gouvernement israélien a également rencontrés dans le cadre de sa tournée diplomatique. Ehud Olmert a affirmé avec force que les ambitions nucléaires iraniennes, loin d'être uniquement le problème d'Israël, concernaient l'ensemble du monde démocratique. "Israël ne conduira pas la lutte contre la tentative iranienne 10 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

La rencontre d'Ehoud Olmert avec la communanuté juive s'est déroulée en la présence du Président du CRIF Richard Prasquier, qui a rappelé le profond attachement de la communanuté juive de France pour Israël, du Président du Consistoire de Paris Joël Mergui et du Grand Rabbin de France Joseph Sitruk qui a prononcé les mots de conclusion de cette rencontre. Le ton de la rencontre était chaleureux, parfois presque sur le registre de la connivence. " J'imagine que vous aimeriez connaître tous les détails de ma rencontre avec Nicolas Sarkozy… et croyez moi j'adorerais pouvoir vous raconter tout ça. Avec vous il n'y aurait pas de problème, je suis sûr que l'on pourrait s'arranger. Mais je vois quelques journalistes dans la salle… " .

Ehoud Olmert reçu à l'Eysée par le Président Nicolas Sarkozy lors de sa visite à Paris.

Sandrine Amiel

HISTOIRE UN ENTRETIEN AVEC DANNY BAZ

Au coeur de la traque du dernier nazi Ouvrez ce livre, vous ne le lâcherez pas avant d'en avoir achevé la lecture. C'est un mélange réussi entre le livre d'histoire et le thriller. L'histoire que Danny Baz vous y raconte n'a rien d'imaginaire. C'est presque le journal tenu au jour le jour par un ancien colonel de l'armée de l'air israélienne, volontairement embarqué dans une opération ultra-secrète consistant à traquer, juger et exécuter un certain nombre de responsables nazis. (Ni oubli, ni pardon.par Danny Baz. Editions Grasset.16.90) Nous sommes dans les années 60. D'anciens chefs nazis continuent de mener en Allemagne même des activités professionnelles sans être le moins du monde inquiétés. D'autre part, les services de la CIA ont aidé une vingtaine de milliers d'officiers nazis à s'installer aux Etats-Unis. Un survivant juif installé aux Etats-Unis et ayant perdu tous les membres de sa famille dans les fours d'Auschwitz a fait fortune dans le pétrole. Mais il ne pense qu'à une chose traquer les rats nazis qui ont tué les siens ; juger et exécuter les derniers grands criminels nazis réfugiés sur le continent américain. Il est prêt, dit-il, à investir dans cette entreprise ultra- secrète jusqu'à son dernier dollar . Il crée une organisation qu'il appelle la Chouette. C'est l'histoire secrète de ce groupe - jamais contée jusqu'à nos jours - que Danny Baz relate ici. Aribert Heim figurait en 2ème position sur la liste des dix criminels nazis rendue publique en 2006 par le centre Simon Wiesenthal. On l'appelait Docteur Tod (Docteur la Mort).Il était responsable de l'assassinat de milliers de juifs au camp de concentration de Mauthausen. Il a disparu en 1962, alors que la police allemande venait l'arrêter à Baden Baden. Selon Danny Baz, il a été jugé et exécuté en 1982 à l'île Santa Catalina, au large de la côte californienne. Nous avons rencontré Danny Baz lors de son passage à Paris. Récit d'une vengeance. Information juive : Qui est ce docteur Aribert Heim dont vous racontez la traque et l'exécution par votre groupe ? Danny Baz : C'était le bourreau du camp de concentration de Mauthausen . On le surnommait le docteur Mort. C'était un véritable monstre. Les rescapés du camp disent que sa spécialité était " les opérations inutiles ". Un jour il a éventré sans anesthésie un jeune Tchèque, il a fouillé ses entrailles . Un autre jour, il a coupé la tête à un juif et il la fera bouillir. C'était un de ces médecins qui, dans son laboratoire, pouvait pratiquer l'expérimentation médicale sans la moindre entrave. Il assassina plusieurs centaines de déportés dans le cadre de ce qu'il appelait ses " recherches ". Barney, l'homme qui a monté l'organisation, nous réunit un jour et nous dit : " Heim vit aux Etats-Unis. Nous allons nous occuper de lui ". I.J : Comment Barney a-t-il constitué ce groupe clandestin ? D.B : Barney avait fait fortune dans le 12 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

pétrole. Il figurait parmi les hommes les plus riches du monde. Il avait perdu pratiquement toute sa famille dans la Shoah. Il avait juré de consacrer sa fortune à rechercher des dignitaires nazis.

aucune importance - avant d'être exécutés. I.J : Comment est-il possible que Heim ait pu vivre à Baden Baden pendant vingt ans et sous son vrai nom sans être inquiété ?

Quand j'ai rejoint cette organisation de vengeurs, elle avait déjà plusieurs "rats" (c'est ainsi que nous appelions les nazis) à son tableau de chasse. Personnellement, après m'avoir montré tous les documents sur lesquels ses services avaient travaillé pendant vingt ans, il m'a tenu ce discours : "Nous sommes tous des enfants de l'Holocauste. Certains ont connu l'enfer des camps. D'autres, comme toi, ont vu leur famille décimée. Mais chacun des membres de la Chouette a un compte à régler". I.J : Qu'est-ce qui motivait Barney ? D.B : Uniquement la volonté de se venger. Il ne pensait qu'à cela. Il ne voulait que le crime perpétré contre les siens demeurât impuni. De plus, il tenait à ce que les nazis soient d'abord jugés qu'ils avouent leurs crimes ou pas n'avait

Aribert Heim

HISTOIRE D.B : Il n'était pas le seul. Beaucoup de nazis sont restés en Allemagne après la guerre. Il y a six mois, un centre de recherches établi en Grande Bretagne a rendu publique une liste de 6.000 nazis qui vivent encore aujourd'hui dans le monde. Une partie d'entre eux vit en Allemagne. Vous vous étonnez que les Allemands n'aient pas agi mais pourquoi l'auraient-ils fait puisque le Mossad luimême n'accordait à cela aucun intérêt ?

la question de la Shoah était omniprésente. J'ai grandi avec tout cela. Mais aussi avec une haine inextinguible pour l'Allemagne. C'est simple : je ne saurais même pas dire où se trouve ce pays sur une carte. Je connais le nom d'Angela Merkel que je trouve admirable. Mais l'Allemagne n'existe pas pour moi.

I.J : Pourquoi les Etats-Unis ont-ils laissé entrer dans leur pays, au lendemain de la guerre, des milliers d'anciens officiers nazis ? O.G : Tout s'est fait alors sous le prétexte de la guerre froide. On avait engagé plus de 600 agents allemands pour travailler contre la Russie. Simon Wiesenthal et son centre ont déployé de grands efforts et ont fait un travail admirable mais les Américains ne souhaitaient pas ouvrir ce dossier. De temps à autre - comme ce fut le cas en 1977 - ils arrêtaient une centaine d'ex-officiers nazis et ils considéraient avoir fait leur devoir.

J'étais colonel de l'armée de l'air en Israël. Quand on m'a proposé de me joindre à l'organisation, j'ai demandé un temps de réflexion. Il s'agissait Heim était le bourreu du camp de Mathausen de s'engager dans une œuvre qui allait durer pratiquement sait quelle gloire, ni pour l'argent. Aucun dix ans. J'ajoute qu'aujour-d'hui encore, d'entre nous n'a regretté de s'être lancé je regrette que La Chouette ait mis fin à dans cette mission. J'ajoute que les droits ses activités. de mon livre (et du film qui en sera tiré)

I.J : Qu'est-ce qui personnellement vous a poussé à vous joindre aux vengeurs de l'organisation La Chouette ? D.B : Dans mon enfance, à la maison,

Le souvenir de l'histoire de ma famille m'a poussé à accepter cette mission ultrasecrète. I.J : Vous écrivez que votre groupe de vengeurs avait parfois l'impression d'accomplir une mitsva. D.B : Les membres de notre groupe n'ont fait ce qu'ils ont fait ni pour on ne

ODASEJ L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919

Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x devient un adulte qui a de meilleures chances de construire son avenir et celui de la communauté L’ODASEJ a pour mission d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou en difficulté sur le territoire national

Leur avenir

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iront à une organisation appelée Beth Morechet, et qui œuvre pour les survivants de la Shoah. I.J : Vous ne racontez pas comment Heim a été exécuté. D.B : Je ne voulais pas entrer dans ce genre de détails. I.J : Par qui a-t-il été jugé ? D.B : Par des juifs, de simples juifs. Qu'il réponde aux questions ou pas n'avait aucune espèce d'importance. Vous me demandez si nous avions tel ou tel problème de conscience quand nous exécutions la sentence, ma réponse est : non. Nous avions le sentiment de faire justice. Cela étant, il nous est arrivé de laisser s'échapper des hommes qui étaient autoue de Heim parce qu'ils n'avaient pas de sang sur les mains. I.J : Vous soulignez le fait que vous n'avez pas voulu raconter un grand nombre de détails. Pourquoi ? D.B : Dans le groupe, il y avait un certain nombre d'américains. Je ne voulais pas permettre leur identification. Surtout que, tout au long de notre activité, nous avons violé un grand nombre de lois américaines. Si j'avais tout révélé, c'est sans doute dans une prison américaine que vous auriez été obligé de venir m'interroger. I.J : Si votre livre est traduit en Allemagne, vous irez pour en assurer la promotion ? D.B : Sûrement pas ! Si un éditeur allemand souhaite prendre langue avec moi, il devra le faire ou à Paris ou à New York.

POLITIQUE

Les dérives du Mrap PAR MAURICE WINNYKAMEN

Dans un livre qu'il consacre au Mrap et à ses origines (Editions Tribord, 15 euros ), Maurice Winnykamen s'interroge sur les dérives que cette institution connaît depuis quelques années. Il se demande pourquoi la lutte contre l'antisémitisme ne figure plus dans ses objectifs et dénonce la compréhension que la direction du Mrap manifeste désormais à l'égard de l'antisémitisme des banlieues. L'auteur a accepté de s'en expliquer dans cet article qu'il nous a expédié.

C

e livre pose la question de savoir comment et pourquoi le MRAP ment sur ses origines, affirmant (comme le fait le MRAP de Pau jamais contredit par la direction nationale et d'autres régions qui ne sont pas en reste), qu'il fut créé sous le nom de Mouvement contre le Racisme et l'Amitié entre les Peuples dès 1949 et qu'il n'a jamais eu d'autre appellation ? Il occulte le fait que le M.N.C.R. (Mouvement National Contre le Racisme), à l'origine du Mouvement créé en 1949 sous le nom de Mouvement Contre le Racisme l'Antisémitisme et pour la Paix, fut initié par des juifs en 1941 en réponse aux statuts des juifs de Pétain. Par quelle aberration remplace-t-il le mot fondateur Paix par Amitié entre les peuples, comme si l'on pouvait être ami avant d'avoir fait la paix, et le terme fondateur et historique de Racisme et Antisémitisme par le seul générique

Racisme, ce qui lui ouvre grand le champ des manipulations? Les juifs, qui pourtant furent solidaires des travailleurs algériens quand, en 1961, Papon les fit fusiller sur les ponts de la Seine, ont ainsi disparu de l'histoire du M.R.A.P. qui opte, désormais, du moins est-ce le cas de son président et de ceux qui le soutiennent, pour un communautarisme islamique? D'ailleurs, son attitude ambiguë quant à la libération anticipée dudit Papon s'agrémente du regret que celui-ci n'ait pas été jugé pour l'assassinat des deux cents algériens. Sur ce point, on ne peut qu'être d'accord. Papon méritait naturellement d'être jugé. Mais quand il aurait été condamné derechef, le M.R.A.P. auraitil demandé son élargissement ? Pour plus de 1.500 juifs bordelais déportés dont peu sont revenus, on pouvait le libérer mais pour les travailleurs

Quand on entend, non loin des porteurs de banderoles, crier "Mort aux juifs" dans les défilés "pour la paix", le Mrap proteste plutôt mollement

algériens on devait l'enfermer ? Quand on entend, non loin des porteurs de banderoles, crier "Mort aux juifs" dans les défilés "pour la paix", le Mrap proteste plutôt mollement et fait un procès à ceux qui dénoncent ces appels au meurtre, non à ceux qui les profèrent. Sa participation à des défilés où se retrouvent de véritables antisémites, sa non dénonciation de l'islamiste Latrèche sont à comparer avec le refus qu'il affiche de défiler contre les profanations du cimetière d'Herrlisheim et du Mémorial de Douaumont ou encore contre l'assassinat d'Ilan Halimi. Pour se justifier, lui qui crie sur les toits qu'il n'y a qu'un seul racisme, voudrait soudain défiler contre tous les racismes ! Ses appels télévisés pour le droit au port du voile et pour la viande hallal à l'école éloignent le Mouvement des règles de la laïcité. Les procès qu'il instruit contre les professeurs d'histoire et des philosophes, tendent à vider l'enseignement de son contenu dès lors que le mot Islam est prononcé. Le soutien qu'il apporte aux procès contre les caricaturistes, son refus de poursuivre Dieudonné après son sketch " Heil ", ses propos contre le blasphème qui ouvrent la voie au dépôt d'un projet de loi, sont contraires aux lois de la République. Pauvre M.R.A.P., ceux des résistants qui l'ont fondé et qui vivent encore ont claqué la porte du mouvement. Quant aux morts, ils doivent sans doute se retourner dans leurs tombes. Du moins ceux que les nazis n'ont pas détruits dans les fosses et dans les fours. Mais tous, pourtant, et avec eux un tiers des adhérents, souhaiteraient que leur Mouvement retrouve ses fondamentaux et redevienne ce qu'il fut : le troisième mouvement français issu du refus de toute haine raciste et antisémite. INFORMATION JUIVE Novembre 2007 15

LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI

L'humour perdu des juifs

J

e me demandais, une fois de plus, pourquoi, comment, tant d'écrivains, de philosophes et même d'acteurs ou de chanteurs, associent, en France, l'expression de leur judaïté avec une lamentation infinie, quand ils ne sont pas hautains, pédants et pour tout dire ennuyeux. À ce train, nous ne tarderons pas à passer, collectivement, pour d'insupportables raseurs. Qu'est-ce qu'un intellectuel, un écrivain juif français aujourd'hui ? Un donneur de leçons qui ne cesse d'afficher sa part de la Shoah. Je ne peux évidemment prétendre échapper toujours à cette règle, ayant moi-même largement évoqué les temps tragiques dans mes romans et récits. Mais, enfin, j'ai le sentiment que l'humour n'est plus un trait marquant de l'expression des juifs, en France du moins. Pis : plus on s'éloigne, par le temps et, en certains cas, la géographie familiale, de la destruction des juifs d'Europe, et plus on écrit sur le mode des lamentations. Des auteurs, de plus en plus nombreux, s'affairent, dès le plus jeune âge à remplir un devoir de mémoire, pour découvrir celle qui ne leur a pas été transmise et tenter de se souvenir de ce qu'ils ne connaissent pas, tout en tentant, fort étrangement, de se passer de l'étude de leur sujet. Au mieux, on compilera un témoignage, sans trop se soucier de son contexte, à défaut de s'être imprégné de l'histoire et de la littérature de ces lieux d'Europe dont on se sent l'obligation de parler. On peut ainsi raconter la terrible histoire d'une juive allemande, sans connaître le premier mot de la langue de Goethe et en ignorant, du même coup, ce qu'était la relation des juifs à l'espace culturel allemand. Et donc sans jamais mesurer une dimension essentielle de notre histoire, qui est la brutalité de la rupture avec le monde allemand. J'avais décrit, dans Né après, ma première rencontre, dans la cours du lycée, avec un juif qui venait d'arriver d'Afrique du Nord. À ma grande stupéfaction, et à celle de mes camarades de classe, je découvrais l'existence de juifs qui n'avaient jamais entendu parler l'allemand ni, cette autre langue au fondement germanique qu'est le yiddish. Bien sûr, l'allemand comme toute langue s'apprend, ce que fit Jacques Derrida, juif d'Algérie, auquel nous devons, entre autre chose, la connaissance de Paul Celan, poète juif qui évoqua la Shoah dans la langue commune des bourreaux et des victimes, l'allemand. Mais on écrit désormais, en se passant de l'essentiel, c'est à dire de l'histoire et de la langue, pour n'exprimer qu'un long sanglot. L'essentiel étant de revendiquer, toujours, sa part des douleurs de l'histoire. Il se peut que cela réponde à certaines attentes du public, ce que tendrait à prouver l'écoute des radios juives à l'heure où les auditeurs interviennent à l'antenne pour exprimer angoisses, colères et indignations. En entendant, au milieu des embarras de Paris, certaines voix parfois juvénile, j'en viens parfois à me demander comment le gouvernement de Vichy peut tolérer cette radio juive ! Parce qu'enfin nous y entendons des juifs qui parlent comme si nous étions submergés par l'antisémitisme et comme s'ils vivaient, au présent, les prémices d'une nouvelle Shoah ! 16 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

Je confesse qu'avec l'âge, je réagis toujours plus en juif allemand ou austro polonais, et que je cultive dans le même temps une certaine tendance très " israélite française ", tout en ayant ce terme en horreur, en souvenir du mépris que certains " israélites " exprimaient à la vue des juifs qui arrivaient de Pologne et d'Allemagne. Je tente d'exister, d'écrire, dans cette complexité jubilatoire du judaïsme européen et je regarde avec effroi cette insupportable réduction identitaire. L'expression juive réduite à une longue plainte, associée à un soutien lointain à l'État d'Israël. C'est un peu court. Dans ce contexte, je reçois la compilation des numéros de l'Os à moelle (Omnibus) comme une bouffée d'oxygène. Pierre Dac était un juif d'une autre époque. Ou plus exactement, un israélite français. Il publia, au long des années trente, un journal totalement loufoque. Et il persista, pendant la drôle de guerre et même lors de la percée allemande du printemps de 1940. L'Os à moelle cessa de paraître lorsque la Wehrmacht entra dans Paris. Pierre Dac rejoignit Londres et passa de la loufoquerie à l'humour combattant, sur les ondes de la BBC. Et bien des Français prirent le risque d'écouter cette radio interdite, pour rire avec Pierre Dac. Comme l'on sait, il retourna ensuite au comique, en compagnie de Francis Blanche, composant avec lui autant de chef d'œuvres du genre. En relisant, en réécoutant Pierre Dac, je reviens à mon interrogation. Pourquoi les juifs de France tendent-ils à devenir tragiques jusqu'à l'ennui ? Le poids de l'histoire ? Pierre Dac avait vécu les deux guerres mondiales, son frère était tombé à Verdun, sa famille n'avait pas échappé aux persécutions. La génération de l'immédiate après guerre, celle des rescapés et des orphelins, ne s'est pas tournée vers le public en lui demandant de verser des larmes. Voyez Georges Perec, même dans W ou le souvenir d'enfance. Pourtant, on ne saurait parler d'expression juive en langue française en ignorant Pierre Dac et Georges Perec. Certes, il se trouve encore et fort heureusement, en France, des écrivains, des cinéastes, des artistes juifs, dont l'expression ne relève pas de cette sorte d'incantation identitaire. Il y a une manière, en littérature, d'exhiber son être juif, comme s'il s'agissait d'une exception, au pays de Tristan Bernard, de Proust, de Jean Malaquais, de Romain Gary, de Georges Perec et tant d'autres romanciers, poètes ou même auteurs et compositeurs de ce qu'il est convenu d'appeler la chanson française, de Monthéus à Georges Moutstaki ! La singularité ne réside pas dans l'exhibition, et en vérité, elle nous échappe. Et je ne suis pas certain de l'exprimer mieux dans ceux de mes romans qui portent un thème, une histoire et des personnages juifs. Je crois même que cette singularité est plus évidente quand j'évoque les rues de Paris, les épopées révolutionnaires et les courses de chevaux. GK

JUDAÏSME

Le livre des passeurs PAR ALBERT BENSOUSSAN

Dans le Livre des passeurs (editions Laffont), Armand et Eliette Abecassis passent au crible tous les aspects du judaïsme dans ses écrits, depuis la Torah et le Talmud jusqu'aux lettres contemporaines. "De la Bible à Philip Roth : trois milles ans de littérature juive". Un passionnant et enrichissant survol des textes juifs. Information Juive a rencontré les deux auteurs.

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Depuis la monumentale Anthologie Juive (1923) d'Edmond Fleg, nous ne disposions de rien de semblable : un ouvrage éclairant tous les aspects du judaïsme dans ses écrits, depuis la Torah et le Talmud jusqu'aux lettres contemporaines. Cette lacune est aujourd'hui comblée par Armand et Éliette Abécassis dans leur Livre des passeurs (éditions Laffont, 23€), avec pour programme : " De la Bible à Philip Roth, trois mille ans de littérature juive ". Ce défi est relevé avec grand talent par un philosophe et sa jeune romancière de fille. Leur entreprise est menée de main de maître. Au départ, en toute logique, nous retrouvons les trois grandes divisions des livres saints : Torah, Prophètes, Écrits, avec des extraits significatifs commentés à la lumière de notre modernité et d'une pensée qui s'écarte de tout dogmatisme, privilégiant comme apport primordial du judaïsme - car il s'agit bien là de dégager un vecteur essentiel - l'interprétation. Les auteurs vont donc souligner le mystère intrinsèque de la langue hébraïque, consonantique et non vocalique, ce qui ouvre la voie à la polysémie et fait de l'hébreu une langue jamais fermée sur ellemême mais, au contraire, ouverte à la riche pluralité des sens. Que serait l'Écriture Sainte sans ses jeux de mots et paronomases enrichissant le sens de toute lecture ? La grande idée des Abécassis est de contourner le cliché qui fait des juifs " les gens du Livre " en estimant plutôt que le " judaïsme est interprétation du Livre ", et qu'il ne vise pas " à chercher le sens mais à produire du sens ". Du même coup est battue en brèche la sacralité des maîtres : certes, ils sont admirables dans leur effort pour comprendre et transmettre, mais la vérité ne leur appartient pas ; de là que le Talmud s'articule autour de la confrontation permanente des multiples interprétations rabbiniques. L'étude de la Torah, dès lors, est " renvoi infini de significations les unes aux autres ". Le judaïsme ignore la souveraineté des clercs et la pensée totalitaire : le fanatisme lui est étranger. Du même coup l'interprétation, qui reste toujours celle d'un individu et d'une époque, renvoie étroitement à l'humain et au contingent, car " l'univers du sens demeure transcendant à toute signification". D'où ce magnifique éventail où chaque texte est " une face du prisme juif dont le centre n'appartient à personne ". On l'aura compris, Armand et Éliette Abécassis placent la liberté du jugement audessus des impératifs et des dogmes qui enfermeraient la pensée dans le carcan de l'intégrisme. Dès lors chaque texte choisi, chaque leçon qu'en tirent les anthologues, sont un pur régal pour l'esprit et le lecteur. Mais il serait bien vain de tout passer en revue. Reste à nos yeux le scintillement des meilleures pépites. Commentant Rachi - " le premier interprète" -, les auteurs évoquent 18 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

l'attribution à Israël de " la terre des sept nations " : " Dieu attend de lui qu'il fonde son existence sur cette terre, en la justifiant par l'éthique ". Autrement dit, sans " sa capacité à incarner quotidiennement la droiture ", il n'est pas de terre pour Israël. Il est donc clair que pour les Abécassis le judaïsme est avant

On l'aura compris, Armand et Éliette Abécassis placent la liberté du jugement au-dessus des impératifs et des dogmes qui enfermeraient la pensée dans le carcan de l'intégrisme. tout une morale, la plus haute et la plus exigeante. Aimer l'Autre, comme le proclamait Hillel, passe avant tout respect formel des prescriptions rabbiniques et s'inscrit dans l'exigence des prophètes et des pères, dont on privilégie cet apophtegme : " Il ne suffit pas d'être pur devant Dieu, il faut l'être aussi devant les hommes ". L'Étude est le fondement de la vie juive - il ne saurait en être autrement de la bouche d'un professeur et d'un maître tel qu'Armand Abécassis. Le Midrash à ses yeux est la " seule voie à opposer à tout fondamentalisme et à tout extrémisme ". Dans toute cette galerie d'auteurs qui suit, une place spéciale est faite à Kafka : pour les Abécassis ces romans majeurs de notre temps que sont Le Procès, Le Château ou La Métamorphose sont "d'une polysémie étonnante comme le Midrash rabbinique ". Quant au poète Edmond Jabès et ses rabbins imaginaires, il ne fait que " renouer avec la tradition du questionnement des textes ", dont la formulation la plus moderne semble avoir été donnée par Jacques Derrida qui, "par la déconstruction, a répondu à cette exigence par la notion d'exégèse et le renvoi infini des significations, les unes aux autres, sans jamais parvenir à atteindre le signifié dernier qui se confondrait avec la vérité ultime". On ne peut tout évoquer de l'immense fleuve de pensée qui coule dans ces pages. Mais le problème de la terre d'Israël reste central ; ainsi de la prédication majeure du Rav Kook, nos anthologues retiendront qu'il faut que " l'État juif ne verse pas dans la fièvre du pouvoir ". On revient alors, encore et toujours à l'éthique, fondement du judaïsme pour Einstein, et pour Lévinas qui oppose à celui des Lumières l'humanisme juif " parce qu'il demande à l'homme plus qu'il ne faut et exige de lui qu'il en témoigne dans chacune de ses activités organisée par le rite ". Mais

JUDAÏSME le judaïsme est aussi cette quête passionnée de la mémoire des origines qui caractérise tant de penseurs et d'écrivains, tels que Bergson et Freud, et, bien entendu, Proust chez qui les auteurs soulignent " ce souci juif de rassembler une mémoire dispersée et éparpillée dans les instants ". En définitive, ce survol des textes est d'une grande richesse et d'une évidente cohérence. Tout anthologue propose un choix à son image. On retrouvera ici les traces de Qumran cher à Éliette Abécassis, et sans doute lui doit-on aussi cette attention toute moderne portée à des poètes des marges tels que Paul Celan ou Allen Ginsberg. Mais ce qui demeure, pour l'essentiel, c'est la leçon philosophique d'Armand Abécassis telle qu'elle

s'est exprimée dans ses nombreux ouvrages d'exégèse et ses commentaires télévisés : une attention presque exclusive portée à l'étude, à l'interprétation, à la confrontation des idées, servie par une grande ouverture d'esprit et la revendication d'une liberté justifiée, en définitive, par la plus haute exigence éthique. Sans doute nos anthologues partagent-ils ces propos d'Albert Einstein : " Les idéaux juifs. La passion de la connaissance pour elle-même, la passion de la justice jusqu'au fanatisme et la passion de l'indépendance personnelle expriment les traditions du peuple juif et je considère mon appartenance à cette communauté comme un don du destin". A.B

“Les auteurs que nous aimons” Information Juive : Vous dites n'avoir pas voulu faire un livre d'érudition ou d'apologie. Armand Abécassis : Ce livre nous a demandé des années de travail. Il nous a fallu faire un premier choix : celui des auteurs. Il s'agit naturellement d'un choix subjectif. Nous insistons dans notre introduction sur le fait qu'on pourrait faire une autre anthologie avec tous les auteurs que nous avons écartés, oubliés ou refusés. Ensuite nous nous sommes penchés sur les textes de ces auteurs et enfin, il nous a bien fallu proposer une présentation de ces auteurs.

Eliette Abécassis : Nous avons choisi les auteurs que nous aimons et que nous trouvons intéressants mais, en même temps, ces textes restent représentatifs de la culture juive au sens large. I.J : Vous vous êtes refusé à ne retenir dans vos choix que le critère religieux. Le judaïsme ne serait-il pour vous qu'une spiritualité parmi d'autres ? E.A : Ce qui nous a intéressés et fascinés c'est la diversité des expressions du judaïsme. Nous avons voulu montrer l'incroyable ouverture que permet la pensée juive. Quand on

INFORMATION JUIVE Novembre 2007 19

JUDAÏSME confronte les textes bibliques et ceux de Freud ou de Philip Roth par exemple, nous voyons qu'il y a quelque chose qui leur est commun. I.J : Mais vous ne définissez pas ce qu'est ce " quelque chose " ! E.A : Quand on lit les textes de cette anthologie les uns après les autres, on entend une même musique. Il y a chez les uns et les autres une certaine fidélité, une préoccupation de l'éthique. A.A : Il existe une mémoire, une culture et des valeurs juives fondamentales dont le religieux témoigne. I.J : Pour vous, interpréter cela ne consiste pas à chercher le sens mais à produire du sens. A.A : Prétendre aujourd'hui que quelqu'un peut comprendre en lisant tel ou tel verset de la Bible ce que Dieu a réellement voulu dire à Moïse, cela consisterait à revenir au christianisme et à se prendre pour Dieu. Nous sommes donc condamnés à l'interprétation. J'ajoute que la Torah est elle-même une interprétation. I.J : Il y a une idée qui est au cœur de votre travail c'est que la clef de voûte du judaïsme c'est la transmission. E.A : Et c'est un fil rouge qui se poursuit de génération en génération. Il y a une volonté de transmettre qui s'exprime sous différentes formes : la forme romanesque, poétique, culturelle, politique et philosophique. Et c'est cela qui est fondamental. A.A : Apprendre à transmettre cela signifie apprendre à transmettre à transmettre. Quant à savoir ce qu'il s'agit de transmettre, qui peut dire comment est marqué l'inconscient d'un enfant de six ans quand il accompagne son père à la synagogue le jour du shabbat. On transmet la loi mais chacun la comprend à sa manière et chacun en témoigne à sa façon. I.J : Vous considérez le scribe et prêtre Ezra comme celui qui va fonder ce qu'on appellera le judaïsme. A.A : On peut dire les choses de cette manière : Abraham est le patriarche des Hébreux, Ezra est celui des juifs. C'est lui qui, le premier, sort un jour de Soucoth sur le parvis du Temple et

enseigne la Torah en ajoutant que tout un chacun peut désormais l'interpréter et pas uniquement les prêtres. I.J : Vous considérez les prophètes bibliques comme des subversifs et des révolutionnaires obsédés par l'éthique.

Ce qui nous a intéressés et fascinés c'est la diversité des expressions du judaïsme. A.A : Il n'y a qu'à voir les critiques qu'ils adressent aux rois et au peuple d'Israël. Nul n'a été aussi dur à l'égard d'Israël que le prophète Isaïe : il le compare dans le premier chapitre à Sodome et Gomorrhe. Mais derrière ces critiques il y a la profondeur de l'amour qu'ils portent à Israël. I.J : Parmi les auteurs que vous avez choisis, il a Karl Marx, malgré son antisémitisme violent. Vous semblez considérer qu'être contre le judaïsme c'est une autre façon d'être juif. A.A : Je le pense en effet. Prenons le cas du maître Elisha ben Avouya qu'on a appelé Asher sans doute parce qu'il était gnostique et qu'il considérait qu'il y a un dualisme indépassable, un Dieu du bien et un Dieu du mal. E .A : La contestation fait partie du judaïsme et nous avons voulu inclure dans notre travail tous ces contestataires. Tout cela fait partie de la pensée juive qui se formule dans la dialectique et dans la discussion. I.J : N'est-il pas excessif d'accorder autant de place à Edmond Fleg qu'à Nahman Byalik, deux pages à Agnon mais trois à Joseph Kessel et trois à Romain Gary, autant qu'à Nahman de Braslaw ? A.A : Nous avons choisi les textes plus que les auteurs. Ce sont les textes qui nous imposé la longueur. Nous ne pouvions pas y faire des coupes surtout quand nous les trouvions sublimes. Comment voudriez-vous couper dans la lettre que Kafka envoie à son père ou encore dans un morceau d'anthologie (c'est le cas de le dire ) comme le kaddish de Lévy Yitzhak de Berditchev ?

Armand et Eliette Abécassis 20 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

LA VIE DE L’ACIP Le Consistoire de Paris sur tous les fronts PAR PM

A l'initiative de son Président Joël Mergui, le Consistoire de Paris a organisé du 15 au 25 octobre derniers les " Dix jours du Consistoire ". Dix jours de sensibilisation, de rencontres, de dialogues. Un premier bilan.

D

ans nos colonnes ici même le mois dernier, le Président du Consistoire de Paris Joël Mergui avait déclaré que les Dix jours du Consistoire avaient comme premier objectif de sensibiliser les fidèles de la communauté juive sur le fonctionnement, les missions, mais aussi les difficultés de la plus importante et la plus ancienne institution juive d'Europe, afin de la soutenir dans la mise en place de ses projets d'avenir. Au vu du déroulement de ces Dix jours, cet objectif semble avoir été rempli.

C'est un programme à la fois riche, varié et intense que le Consistoire de Paris - sous l'impulsion de son Président, du Grand Rabbin de Paris, des Administrateurs et des permanents - a proposé jour après jour à un rythme soutenu. Retour sur plusieurs temps forts. Les Dix jours ont débuté par le très beau et très émouvant concert de Hazanout au Casino de Paris organisé comme chaque année par l'APAC en partenariat avec le Consistoire de Paris. Devant plus de mille personnes, les plus beaux morceaux de la liturgie ashkénaze et sépharade ont été interprétés par de grands hazanim venus d'Israël, des Etats-Unis, de Russie et de France. La chorale juive de France, récemment crée, s'est produite pour la première fois. Hazanim, liturgie, synagogues. Une façon de rappeler que le Consistoire de Paris a la responsabilité et la sauvegarde du plus important patrimoine synagogual d'Europe. Le Consistoire est ensuite parti à la rencontre des communautés. Pour la première fois, le Président du Consistoire, le Grand Rabbin de Paris, le Av Beth Din, de nombreux Administrateurs et chefs de services se sont rendus ensemble à la rencontre des fidèles, des rabbins, des présidents de communautés à Paris comme en région parisienne. Vincennes, place des Vosges, Sarcelles, … autant de communautés, et d'autres, dans lesquelles un dialogue vrai, direct, constructif s'est instauré sur des sujets aussi importants que le fonctionnement des services du Consistoire, ses projets, ses lacunes, et les problèmes auxquels sont confrontés les communautés au niveau local. De façon plus spectaculaire, une très émouvante cérémonie était organisée à la synagogue de la rue Buffault au cours de laquelle plus d'une centaine de couples qui se sont mariés cette année en France ou en Israël, accompagnés de leurs familles, ont reçu la bénédiction du Grand Rabbin de France, qui a notamment déclaré " Vous n'imaginez pas tout ce que le Consistoire peut faire pour vous ", et du Grand Rabbin de Paris.

Au cours des 10 jours du Consistoire, plus de cent couples mariés pendant l'année ont reçu à la synagogue de la rue Buffault les bénédictions du Grand Rabbin de France et du Grand Rabbin de Paris 22 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

On citera également le Chabbat de la jeunesse organisé dans toutes les communautés et au cours du quel le déroulement des offices a été confié à nos jeunes pour qu'ils se sentent encore mieux au sein de leurs communautés et leur donner la place centrale qui doit être la leur. Sur le thème de la jeunesse toujours, c'est l'ensemble des Talmudei Thora qui a été mis à l'honneur au cours d'une matinée portes ouvertes de rencontre avec les professeurs, les élèves et les parents.

LA VIE DE L’ACIP Dans un autre domaine, une rencontre avec les personnes s'étant converties au judaïsme ces derniers mois a été organisée au cours de laquelle, jusque tard dans la nuit, un débat s'est instauré entre les participants et les rabbins. Témoignage après témoignage, chacun a pu relater son parcours personnel. Tous ont remercié les rabbins du service des Conversions pour leur patience, leurs conseils et leur écoute. De nombreuses propositions ont été émises pour améliorer le dispositif actuel. Joël Mergui a fait appel aux présents pour qu'ils accompagnent dans une structure à créer ceux qui souhaitent se convertir afin qu'ils puissent bénéficier de leur expérience. Un échange avec les représentants de communautés dites " autonomes " a également eu lieu afin de trouver ensemble les moyens d'œuvrer au service de l'ensemble de la communauté et afin de bien faire comprendre que les principaux services du consistoire de Paris s'adressent à l'ensemble des fidèles des communautés, qu'elles soient directement sous sa tutelle ou non. Comment oublier également la soirée qui s'est tenue à la synagogue de la rue Vauquelin et au Séminaire israélite de France. Les élèves rabbins étaient venus nombreux écouter le Grand Rabbin de Paris et le Directeur du Séminaire, le Grand Rabbin Michel Gugenheim, exposer leurs analyses sur le thème de la fonction rabbinique et de la place centrale du rabbin dans la communauté. Le Président Mergui a présenté son projet de relance du Séminaire et de revalorisation de la fonction rabbinique. Les Dix jours se sont terminés en apothéose avec Yom Hatorah au parc floral de Paris, organisé par le Grand Rabbin de France Joseph Sitruk. Dans une ambiance survoltée et marquée par la venue de plusieurs dizaines de milliers de personnes, le Consistoire de Paris a participé activement à cette superbe journée du judaïsme français. L'imposant stand de l'ACIP présentait à la foule très nombreuse venue s'y rendre l'ensemble

Le Grand Rabbin de France Joseph Sitruk et le Président du Consistoire de Paris Joël Mergui à Yom Hatorah

des principaux services du Consistoire : mariage, Cacherout, Talmud Thora, Hevra Kadicha, … Pour chacun de ces thèmes majeurs de la vie juive, de nombreuses présentations et activités étaient proposées (y compris des dégustations, animations, vérifications de mezouzoth, cadeaux, …). Un très grand stand consacré au mouvement de jeunesse du Consistoire, Tikvatenou, a accueilli des dizaines de jeunes qui ont insuflé leur joie et leur énergie. Durant toute la journée, les chefs de services, permanents et administrateurs de l'ACIP été mobilisés à 100% pour cette rencontre hors norme avec les fidèles. Plus que jamais, le slogan de l'ACIP " au cœur de notre vie " aura été aussi bien justifié. Au total, il ne fait nul doute que ces Dix jours ont contribué à renforcer les liens du Consistoire avec l'ensemble des fidèles et des communautés, en visant à mieux le faire connaitre, et in fine à convaincre sur le soutien qu'il convient de lui apporter pour qu'il demeure le fer de lance de la communauté juive. P.M

Retrouvez les principaux temps forts et témoignages des Dix jours du Consistoire sur le site www.consistoire.org et le blog http://10joursduconsistoire.typepad.fr

Concert de hazanout au Casino de Paris : la chorale juive de France se produit pour la première fois avec Raphaël Cohen INFORMATION JUIVE Novembre 2007 23

LA VIE DE L’ACIP UN ENTRETIEN AVEC JACK-YVES BOHBOT*

La Hevra Kaddicha ou les services du dernier devoir La Hevra Kadicha se charge de tout ce qui concerne les familles touchées par un décès. Plus qu'un service, un devoir. Entretien avec Jack-Yves Bohbot, Président de la Commission Hevra Kadicha au Consistoire de Paris. Jack-Yves Bohbot

Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs ce que le service de la Hevra Kadicha recouvre au sein du Consistoire de Paris ? Jack-Yves Bohbot : La Hevra Kadicha - en français la Sainte Confrérie - se charge de tout ce qui concerne les familles touchées par un décès, de la toilette rituelle à l'organisation des prières en passant par l'information et le conseil sur l'organisation les procédures administratives et religieuses. Ce service est dirigé par Joseph Mimoun, directeur administratif et financier de la Hevra Kadicha, et se compose d'une équipe d'une trentaine de personnes volontaires Ils sont tous placés sous l'autorité religieuse du grand rabbin de Paris, David Messas qui est en contact étroit avec le Av Beth Din, le rabbin Yirmiahou Kohen. Lorsqu'un décès survient, notre intervention se situe précisément à deux niveaux : nous nous chargeons de la toilette rituelle et nous organisons au cimetière le service religieux assuré par un rabbin du Consistoire. Afin de répondre aux sollicitations, nous avons mis en place une permanence téléphonique - 24 heures sur 24 - au 06 09 21 15 04 et Joseph Mimoun peut être joint à ce numéro à tout moment de la semaine. Je saisis cette occasion pour le remercier de sa disponibilité, de sa rigueur et de son efficacité. Je suis également au service des membres de la communauté : n'hésitez pas à me joindre personnellement en cas de difficulté au 06 73 56 17 73. Nos coreligionnaires ont rencontré, ces dernières années, de grandes difficultés à faire enterrer leurs défunts dans des carrés juifs

dans les cimetières de la Ville de Paris. Où en est-t-on ? J-Y.B : Il ne faut pas masquer la vérité ! Depuis la mise en œuvre de la loi de séparation de 1905, nous connaissons, pour la première fois, un certain nombre de problèmes liés à la remise en cause des carrés juifs à Paris. La mairie de Paris a appliqué cette loi dans toute sa rigueur. L'émotion et la colère ont été grandes dans notre communauté qui se voyait tout d'un coup dans l'impossibilité de pouvoir inhumer ses morts dans le respect de ses lois religieuses ! Je dois ici saluer l'action courageuse et inlassable de mon ami Joël Mergui que j'ai alerté dès sa prise de fonction à la tête du Consistoire de Paris et qui a fait de ce problème sa première priorité. Il n'a pas cessé d'intervenir auprès des dirigeants de la municipalité parisienne et je crois nous sommes parvenus aujourd'hui à revenir au statu quo ante à Pantin et à créer une division juive au cimetière de Thiais. Tout n'est pas réglé, notamment le problème que des caveaux de sociétés mutualistes. Nous travaillons sur ce dossier en liaison avec les responsables des associations concernées. Mais cette situation a créé de graves désagréments pour nos familles qui ont, pour certaines, choisi de faire inhumer leurs défunts en Israël. Quelles sont vos priorités aujourd'hui ? J-Y.B : S'agissant de la purification rituelle, je souhaite offrir aux familles un service irréprochable. Je veux renouveler et rajeunir notre équipe : je lance un appel aux personnes de bonne volonté qui seraient prêtes à assumer cette honorable et délicate mission.

Nous allons mettre à la disposition des familles des lecteurs de psaumes pour les veillées et proposer une réédition de la plaquette des règles du deuil en collaboration avec le grand rabbin Guggenheim. Je souhaite que les familles puissent trouver auprès du service de la Hevra Kadicha et du site du Consistoire de Paris, toutes les informations concernant les célébrations des anniversaires de décès. Je voudrais rappeler enfin que nous voulons maîtriser les coûts de nos services religieux (les redevances consistoriales perçues par les sociétés de Pompes funèbres). Enfin, nous nous chargeons de conseiller les familles pour l'acquisition de concession en Israël et du choix du service religieux afférent. Vous qui avez le profil d'un homme politique, pourquoi avoir choisi cette lourde responsabilité ? J-Y.B : Par conviction et par tradition. Dès mon élection au Consistoire, j'ai sollicité ce poste. Mon père venait de décéder. Je me suis rappelé que mon grand-père, Moïse Sasportès, avait assumé cette mission à la synagogue d'Alger. Je me suis dit que mon engagement communautaire se ferait en direction des familles endeuillées. Il est de notre responsabilité de les aider et de les accompagner dans ces moments si douloureux. C'est ma façon de servir la communauté. *Jack-Yves Bohbot est vice-président du Consistoire Central de France ; il préside également la commission de la Hevra Kadicha au Consistoire de Paris.

Afin de répondre aux sollicitations, nous avons mis en place une permanence téléphonique - 24 heures sur 24 - au 06 09 21 15 04 24 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

BICENTENAIRE

Au temps des premières écoles primaires consistoriales de Paris PAR PHILIPPE LANDAU

D

epuis l'installation du Consistoire de Paris, ses membres envisagent la création d'une école afin d'encourager les parents et leurs enfants dans la voie de la régénération. Le projet est abordé dès 1812 mais reste sans effet, pour raison budgétaire mais également à cause de la résistance du public fortement attaché aux méthodes traditionnelles. Les élèves continuent à fréquenter les petites écoles privées où un maître enseigne les matières sacrées et quelques rudiments de français et de calcul. En septembre 1818, sous l'impulsion du mathématicien Olry Terquem, une commission est créée à cet effet, les finances ayant été réunies soit environ 4 500 francs. Le choix de l'enseignement mutuel est décidé : un maître assisté par les meilleurs élèves donnera les cours ; l'apprentissage se fera surtout à l'aide de planches murales et d'ardoises. Ainsi, les coûts seront moins élevés.

Le règlement est alors très strict. La matinée, qui débute à neuf heures, est consacrée à la transmission du judaïsme : prière traditionnelle et pour le Roi, éléments de la langue hébraïque, traduction de la Torah et apprentissage des lois. L'après-midi est réservé aux matière générales : lecture et écriture françaises, calcul, dessin et notions de géographie et d'histoire. Notons que l'enseignement se fait uniquement en français et que les enfants sont dispensés d'avoir la tête couverte pendant les cours profanes. Les élèves doivent être présents à l'école du dimanche matin au vendredi midi. Le chabbath et les jours de fêtes, ils sont tenus d'aller à la synagogue accompagnés de leur directeur. Les vacances n'existent pas. Tout châtiment corporel est interdit. L'ouvrage utilisé pour les cours religieux est celui de l'avocat Michel Berr, Abrégé de la Bible et choix de morceaux de piété et de morale. Chaque fin de semaine, un élève méritant est désigné pour seconder le maître. Chaque semestre, des médailles sont distribuées aux meilleurs enfants en présence des grands rabbins et des membres de la Commission en la salle SaintJean de l'Hôtel de Ville où se tint le Grand Sanhédrin. L'école primaire est un succès même si le budget reste déficitaire du

Crédits : "ACIP - Service DSI"

David Drach, gendre du grand rabbin Emmanuel Deutz et premier rabbin bachelier, est désigné pour être le directeur et le maître de l'école primaire pour les garçons de 6 à 12 ans en avril 1819. L'école ouvre ses portes en juillet dans une salle de la synagogue rue Neuve-Saint-Laurent (en octobre, elle est transférée rue du Singe) et accueille près de 80 enfants. Un comité de surveillance composé d'Alphonse Cerfberr, Mathis Dalmbert, Olry Terquem, Baruch Weill et du grand rabbin Cologna, est chargé de

veiller au bon fonctionnement. Les objectifs sont de "donner aux enfants l'instruction religieuse, base de toute morale ; leur inculquer les connaissances élémentaires indispensables à tous les citoyens et à tous les états ; inspirer à la jeunesse un dévouement sans bornes à la patrie, un respect profond pour la loi… "

Compte rendu de l’Ecole consistoriale pour le 2ème trimestre 1820 INFORMATION JUIVE Novembre 2007 25

BICENTENAIRE

Malgré la défection de nombreux membres au cours des années, les écoles primaires consistoriales connaissent un essor satisfaisant. David Drach le directeur et Mathis Dalmbert, membre de la Commission, se sont convertis au catholicisme ; Olry Terquem, trop réformateur, a préféré se retirer. Néanmoins, avec le nouveau directeur Samuel Cahen en 1823, l'école pour garçons compte plus de 100 enfants et celle pour filles plus de 70 élèves. Plusieurs élèves vont se distinguer dans la communauté plus tard : le grand rabbin Lazare Wogue, l'éditeur Calmann Lévy, le banquier Paul

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les écoles consistoriales vont permettre à des milliers d'enfants, souvent issus de milieux très modestes ou immigrés, de s'intégrer dans la société française Oppenheim.Vers 1830, plus de 140 garçons et 120 filles fréquentent les deux écoles consistoriales. Le Comité se charge de leur trouver auprès de coreligionnaires, à la fin de leurs études un emploi selon leurs aptitudes.

Samuel Cahen (1796 - 1862)

N

é en 1796 dans la ville de Metz où se trouvait un centre rabbinique depuis des siècles, Samuel Cahen grandit dans une famille observante mais ouverte aux Lumières. Il poursuit ses études talmudiques à Mayence dans laquelle l'influence française est puissante et où la réforme juive commence à avoir un impact sur la communauté. Il fréquente ainsi de nombreux lettrés juifs dont son compatriote le mathématicien Olry Terquem qui tentera par la suite d'amener le Consistoire israélite de Paris vers le judaïsme réformateur. Lorsque les troupes françaises se retirent du Palatinat après l'effondrement de l'Empire napoléonien, il devient précepteur dans sa ville puis à Paris et enseigne les langues à Versailles. Ses compétences intellectuelles lui valent d'être choisi comme directeur de l'Ecole consistoriale en 1823 par la Comité, en remplacement du rabbin David Drach qui s'est converti au catholicisme à Notre-Dame-de-Paris. Les membres du Comité reconnaissent en lui " …un homme dont la moralité religieuse fut généralement avouée et parfaitement connue. " La Crédits : "ACIP - Service DSI"

fait de la pauvreté des parents. Bien souvent, de généreux donateurs -dont James de Rothschild, établi depuis peu à Paris - participent aux frais. Fort de l'enthousiasme général, le Consistoire israélite de Paris a désormais l'intention d'ouvrir une école pour filles. Un Comité des dames est constitué avec Nanci Rodrigues qui, en décembre 1821, nomme Mlle Caroline Mayermax directrice de l'école située rue de la Croix. Elle est ouverte en mai 1822. Plus de 50 fillettes vont y apprendre, outre les rudiments de l'hébreu et de la Bible, les matières profanes et la couture.

Les problèmes financiers demeurent cependant et seuls les dons et les taxes sur le culte permettent de limiter le déficit. Lorsque la loi du 8 février 1831 permet la rétribution du personnel religieux par l'Etat, la taxe sur le culte disparaît ce qui prive le Consistoire israélite de Paris d'un budget déjà difficilement équilibré. Alors que jusqu'à présent, les écoles sont gratuites, il est décidé de faire participer financièrement les parents ce qui risque de provoquer une diminution des effectifs. Fort heureusement, la loi Guizot de 1833 va permettre d'éviter la crise. En effet, arguant de l'article 9 de la loi sur l'instruction primaire qui autorise que " dans le cas où les circonstances locales le permettront, le ministre de l'Instruction publique pourra, après avoir entendu le Conseil municipal, autoriser à titre d'écoles communales des écoles plus particulièrement affectées à l'un des cultes reconnus par l'Etat. ", le Consistoire demande alors que les deux écoles soient subventionnées par la Ville de Paris. En août 1835, il obtient un avis favorable. Désormais, les écoles consistoriales sont communalisées. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les écoles consistoriales vont permettre à des milliers d'enfants, souvent issus de milieux très modestes ou immigrés, de s'intégrer dans la société française en bénéficiant d'un enseignement de qualité, mêlant l'instruction religieuse aux matières profanes. 26 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

Traduction de la Bible avec commentaires par Samuel Cahen

BICENTENAIRE conversion de Drach fut un tel scandale, d'autant plus qu'il était le gendre du grand rabbin du Consistoire central Emmanuel Deutz, qu'ils devaient " …être bien circonspects dans notre choix. " Réformateur modéré, contrairement à son ami Olry Terquem, mais partisan de l'émancipation de ses coreligionnaires, Samuel Cahen œuvre alors pour un enseignement laïque dans l'école primaire de garçons ouverte en 1819 et publie de nombreux ouvrages à vocation pédagogique tels le Cours de lecture hébraïque (1824) et le Précis élémentaire d'instruction religieuse et morale pour les jeunes Français israélites (1829), livres qui feront autorité dans l'ensemble des écoles consistoriales de France. Les mentalités évoluant, les parents acceptent davantage d'envoyer leurs enfants à l'Ecole consistoriale. D'une soixantaine d'élèves en 1822, leur nombre atteint plus de cent cinquante dix ans plus tard. Cahen a réussi à donner une impulsion nouvelle à la communauté en la dotant d'une structure scolaire efficace qui prépare enfin la jeunesse aux métiers utiles, conformément aux principes de la régénération. Eugène Manuel, poète et pédagogue ainsi que l'un des fondateurs de l'Alliance israélite universelle ainsi que les éditeurs Lévy seront ses élèves.

VERBATIM JOSÉ SOCRATES. Premier ministre portugais : "Plus l'Europe regardera vers le Proche Orient et l'Afrique du Nord, plus il y aura de chances pour la paix ".

RENÉ GIRARD. Anthropologue : " Nous sommes menacés de mort. Le message judéochrétien est que si nous ne nous réconcilions pas, il n'y a plus de victimes sacrificielles pour nous sauver la peau "

Il nourrit cependant d'autres projets, ayant constaté que le culte israélite en France est en retard par rapport à celui du monde germanique et que la méconnaissance de l'hébreu entraîne peu à peu l'indifférence religieuse. Aussi, dès 1830, il projette une vaste traduction en français de la Bible hébraïque avec des annotations philologiques, littéraires et géographiques ainsi que des commentaires rabbiniques. Ce sera l'œuvre de sa vie : la première traduction de la Bible en français en dix-huit volumes, publiée entre 1831 et 1851. Il entend défendre une théologie rationnelle qui " …peut faire servir les saintes Ecritures à la conservation du sentiment religieux. " Il s'explique : " C'est cette doctrine que nous désirons voir s'introduire dans notre patrie ; c'est à elle que doivent s'attacher les jeunes Israélites destinés au rabbinat ; c'est dans cette vue que nous avons entrepris notre traduction et que nous avons rédigé des notes explicatives. " Ayant démissionné de la direction de l'Ecole en 1835, il peut désormais se consacrer à ce monumental travail qui ne sera remplacé en 1899 que par la Bible du Rabbinat publié sous l'égide du grand rabbin Zadoc Kahn. Son œuvre ne se limite pas à La Bible. Constatant que le judaïsme allemand possède des journaux et des revues communautaires, il fonde alors le premier recueil mensuel religieux, moral et littéraire d'envergure nationale Les Archives Israélites en 1840 qui perdurera jusqu'en 1934. Libéral, abordant tous les sujets qui concernent la vie juive en France et dans le monde, cette revue accueillera les articles de maints intellectuels de l'époque. Lors de son décès en janvier 1862, le grand rabbin de Paris Lazard Isidor déclare : " Samuel Cahen appartenait à cette génération d'hommes qui unissaient les connaissances religieuses aux connaissances profanes et qui, vivant à une époque de transition, ne pouvant ni ne voulant plus être les hommes du passé, n'en désiraient pas moins la conservation des traditions israélites… " Ph.L.

CLAUDE IMBERT. Editorialiste au Point : "Le Nuremberg du communisme n'existe pas "

ALAIN FINKIELKRAUT. Philosophe : " La culture s'éclipse de la société de la connaissance où nous entrons joyeusement "

BERNARD-HENRI LÉVY. Philosophe : "L'antiaméricanisme c'est une métaphore de l'antisémitisme "

BRAD PITT. Comédien : "La tragédie, pour moi, c'est de se voir piégé à un carrefour parce qu'on est incapable de choisir son propre chemin ".

FRANZ- OLIVIER GIESBERT. Journaliste. Ecrivain : " La presse, comme l'étourneau, aime aller d'un arbre à l'autre ".

MOUAMMAR KADDAFI. Chef de l'Etat libyen : " Le système démocratique à l'occidentale est une imposture, une falsification " INFORMATION JUIVE Novembre 2007 27

BONNES FEUILLES

Le commentaire infini du verset Les Editions Albin Michel publient au début de novembre, dans la collection Spiritualités que dirige Jean Mouttapa, un ouvrage de notre collaborateur Victor Malka "Petites étincelles de sagesse juive" . Ce livre qui avait paru en édition normale en 2005 est repris en livre de poche. Avec l'autorisation de l'éditeur nous publions ci-dessous, en bonnes feuilles, un extrait de l'introduction de ce livre.

I

l faut attendre le milieu du XIe siècle pour que l'art du commentaire biblique trouve, du côté de Troyes, en Champagne, son inégalable maestro. Enfin Rachi vint ! Nul probablement n'avait jusque-là entrepris d'expliquer et de commenter méthodiquement la Bible comme l'a fait Rachi. Rabbi Chimon, fils d'Isaac, deviendra vite célèbre. On le désignera ici et là - et notamment chez les poètes juifs espagnols - du surnom Hatzarfati, le Français. C'est le Mozart du commentaire. Précision, concision, simplicité, volonté didactique, souci du détail : Rachi n'a pas son pareil pour expliquer les mots difficiles, ambigus, venus d'ailleurs, perdus de vue ou obsolètes ; mettre les choses en perspective, décrire par le menu ce qu'ont été jadis telle situation, l'exercice de tel métier disparu ou encore ce qu'a été le credo ou le combat de tel personnage. Qu'il s'agisse de questions de psychologie sociale ou de mathématiques, de médecine ou d'économie, le lecteur n'est jamais totalement laissé à lui-même. Pour ne rien dire de la science de la vigne que cet exceptionnel savant connaît mieux que personne. Rachi n'est pas un homme ordinaire. Au point que ses lecteurs aujourd'hui- réguliers ou intermittents du commentaire, savants ou débutants - se demandent comment on pouvait comprendre en vérité quoi que ce soit au texte biblique avant que ce fils prodigue du judaïsme champenois, vigneron ou viticulteur de métier diton, entreprenne son gigantesque et indispensable travail (…). Le commentaire de Rachi est écrit volontairement pour s'adresser à tout un chacun, érudit ou pas. Ce n'est pas le cas de celui du poète espagnol Abraham Ibn Ezra (1090-1164), qui se veut résolument élitiste. Il s'adresse à une très faible minorité. Ibn Ezra n'est pas seulement poète : il est aussi philosophe, grammairien, auteur scientifique et physicien. Il vit tour à tour à Narbonne, Dreux, Montauban puis Béziers. Il se fait appeler - et il y tient - Hasfaradi, ce qui veut dire l'Espagnol. Il évoque fréquemment dans ses écrits, lui l'érudit errant, sa terre natale. Comme il croit dur comme fer à l'astrologie, c'est aux astres qu'il attribue ce qu'il appelle son " manque de chance ", sa " scoumoune " et sa pauvreté. Son commentaire est ramassé, dense, formulé dans une forme lapidaire qui parfois est proche de l'incompréhensible (" du 28 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

rébus ", dit un critique). Le style en est bref et précis, presque codé, allusif, teinté d'un humour parfois amer. Ibn Ezra termine souvent ses développements par la formule " et que l'intelligent comprenne (véhamévine yavine) ". Le fait est que l'intelligent, le lecteur familier lui-même, ne comprend pas toujours. Des générations d'érudits, à travers les siècles, se sont abondamment " querellées " sur les significations réelles de ses interprétations et de ses commentaires . De nombreux

Le commentaire de Rachi est écrit volontairement pour s'adresser à tout un chacun, érudit ou pas. livres ont été écrits pour aider les lecteurs à comprendre ses explications de la Bible. Maïmonide lui rend un hommage inhabituel. Dans une lettre qu'il expédie à son propre fils, le philosophe lui donne ce conseil pédagogique : " Ne perds pas ton temps avec des commentaires bibliques autres que ceux d'Ibn Ezra... Ce sage, cet érudit ne craignait personne. Il écrivait en toute liberté et ne se montrait complaisant à l'égard de qui que ce soit. " Il arrive cependant qu'Abraham Ibn Ezra ait la dent dure, très dure, contre les commentateurs chrétiens de son époque, mais aussi contre les qaraïtes, une secte juive qui ne croit pas en la Loi orale. Il traite les uns et les autres de " cœurs errants ". Il parle d'eux comme de gens de peu de foi. " Des dormeurs non réveillés de leur sommeil... ", écrit-il. Ailleurs, il les qualifie de " gens à l'esprit vide ", de " négateurs " ou encore de " crétins universels " (…). Un autre maître, venu de Gérone en Catalogne, oriente son commentaire dans une autre direction : celle où la mystique, science des secrets, joue un grand rôle. Moché ben Nahman, plus connu sous le nom de Nahmanide (1194-1270), médecin de profession, est le premier à introduire délibérément dans son commentaire ce que lui et les siens appellent la " sagesse intérieure " qu'il considère comme la " voie de la vérité ". Il exerce d'importantes fonctions à la cour du roi Jacques Ier d'Aragon. Il est influencé par la culture française. Il s'inscrit

BONNES FEUILLES en faux contre le rationalisme excessif venu du sud de l'Espagne et porté notamment par les œuvres maïmonidiennes. Il n'aime décidément pas le penchant que Moché ben Maïmone manifeste en général pour les thèmes, les concepts et les théories d'Aristote. Il n'aime pas davantage l'idée de Maïmonide selon laquelle la philosophie est la pierre de touche de la vérité religieuse. Il joue d'ailleurs franc jeu en écrivant dans l'introduction de son commentaire : "J'annonce ici que mes propos ne peuvent être compris que par les gens de la transmission. La raison - ou la logique - n'a rien à y voir. " Médecin mais aussi psychologue (on dit à l'époque " médecin de l'âme "), il est très influencé par Rachi, " notre maître Salomon à qui revient le droit d'aînesse ". Il a pour lui un immense respect même s'il lui arrive souvent de n'être pas d'accord avec ses interprétations (…). C'est un autre Espagnol qui va s'illustrer, trois siècles plus tard, par son commentaire. A dire vrai, l'homme a consacré l'essentiel de sa carrière à tout autre chose qu'à interpréter les versets de la Bible. Don Isaac Abravanel (1437-1508) est un expert en matière de finances. Il connaît mieux que personne les questions d'argent mais il est également diplomate à l'occasion. Il occupe le poste de ministre des Finances du roi Alfonso V au Portugal puis devient conseiller en Espagne des Rois catholiques, Isabelle et Ferdinand, jusqu'à l'expulsion de ses coreligionnaires juifs en 1492, date à laquelle il choisit de s'installer à Naples. Avant d'écrire les premières lignes de son commentaire, il se pose, en vérité, la question de l'identité des différents rédacteurs des livres de la Bible. Il veut savoir qui a écrit quoi. Il lui arrive de ruer dans les brancards et il n'hésite pas à affirmer qu'il n'est pas d'accord avec l'opinion de la tradition juive à cet égard. Ainsi conteste-t-il le fait que Moïse ait écrit le livre de Job comme le prétend un récit du Talmud, ou encore que Josué soit vraiment l'auteur du livre qui, dans la Bible, porte son nom. Il est le premier parmi les grands commentateurs à citer, dans ses travaux, des écrits chrétiens. Il fait intervenir dans son travail de nombreuses références à l'histoire - c'est bien le moins de la part d'un diplomate de carrière - et les mélange avec des considérations sur la géographie. Il se pose par exemple la question de savoir si le système monarchique est vraiment indispensable pour le peuple juif comme il l'est pour les autres nations. Pour conclure que sa connaissance des régions où il n'y a pas de roi - Venise, Florence, Bologne - lui fait considérer qu'il vaut mieux, tout compte fait, se passer de monarque : "Le régime monarchique non seulement n'est pas obligatoire mais, de plus, il est nuisible. Les régimes républicains sont, à l'évidence, bien meilleurs. " Et il ajoute qu'en vérité, le " régime de la Torah " est supérieur à tous ceux que mettent en pratique les républiques aristocratiques en Italie.

Don Isaac Abravanel (1437-1508)

Moderniste ? Non, il n'a rien à voir avec la Wissenschaft des Judentums et avec les méthodes qui seront développées au XVIIIe siècle en Allemagne. Il se veut d'abord éducateur : il est résolument opposé à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, cherchent, dit-il, à porter la main sur la tradition juive qu'il considère comme l'" âme de la nation ". Il ne renonce pas, dans son commentaire biblique, à chercher le projet divin dans le monde. Il réfléchit à la signification de la violence dans la société. Il considère qu'on ne peut pas interpréter l'intégralité du texte biblique de manière littérale. Mais il convient qu'il y a, dans la Bible, des choses secrètes et qui, ajoute-t-il, doivent de toute façon le demeurer à jamais. (Copyright Editions Albin Michel)

Abravanel ne se contente pas des seules sources juives. Plus qu'aucun autre commentateur, il est ouvert aux sagesses des nations. Non seulement il ne se gêne pas pour citer des commentateurs chrétiens, mais il n'hésite pas non plus à évoquer parfois des thèmes de la mythologie grecque. INFORMATION JUIVE Novembre 2007 29

SOCIÉTÉ UN ENTRETIEN AVEC ARI ALEXANDER*

“LA FRANCE EST UN LABORTOIRE POUR PENSER LES RELATIONS JUDEO-MUSULMANES”

Ari Alexander

Ari Alexander est l'un des co-fondateurs de Children of Abraham, une association qui encourage le dialogue entre jeunes de confessions juives et musulmanes. Il séjourne actuellement à Paris. Pour Information Juive, ce jeune Juif américain présente son mouvement, ses défis et ses ambitions. IJ : Comment est née l'association “Children of Abraham” et quelles sont ses activités ? Ari Alexander : Le mouvement est né en 2004. Avec Maria Ali-Adib, une musulmane syrienne, nous avons lancé un projet sur Internet qui a rassemblé des jeunes juifs et musulmans de 23 pays afin d'échanger des photos et de discuter virtuellement des relations entre leurs communautés. Les résultats ont dépassé nos espérances, et ce projet qui ne devait au départ durer qu'un été a été pérennisé. The "Global Discovery Programme" est maintenant un séminaire virtuel de 6 mois, qui a déjà été suivi par 210 étudiants depuis sa création. L'implantation de Children of Abraham au Maroc a marqué un tournant dans la démarche de l'association. Internet était en quelque sorte l'espace " naturel " pour travailler avec des pays où il n'y a pas de communautés juives. Mais le Maroc, qui compte aujourd'hui encore une importe présence juive, offrait l'opportunité de mener pour la première fois nos activités de dialogue en face à face. L'idée a été d'encourager les jeunes à interroger leurs grands parents et les membres de l'ancienne génération sur la vie au Maroc au temps où la coexistence judéo musulmane y était encore considérée comme un modèle pour le monde. IJ : Quel est l'accomplissement de Children of Abraham dont vous êtes le plus fier ? A.A : Sans aucun doute, c'est le fait que notre projet reçoive un soutien équilibré des deux communautés, juives et musulmanes. Au moins 50% de nos sources de financements proviennent de donateurs musulmans. Cela nous donne une certaine légitimité pour dialoguer équitablement avec les deux communautés. Je suis fier également que Children of Abraham ait réussi à toucher autant de jeunes dans de si nombreux pays. Il y a 30 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

des histoires personnelles qui ont profondément marqué l'association, comme celle de cette jeune femme indonésienne qui a publié dans le Jakarta Post un article sur son expérience au sein du Congrés des rabbins et des imams pour la paix ; elle y avait participé en tant que membre de Children of Abraham. Son témoignage sur les amitiés qu'elle a nouées au sein de la communauté juive était bouleversant, surtout dans un pays où de tels sujets sont tabous.

delà de la démographie, on sent qu'il se passe se passe quelque chose en France en ce moment : je pense aux débats suscités par la loi sur le voile à l'école, à la forte audience d'Al-Jazira auprès du public français, aux articles sur la montée d'un nouvel antisémitisme en France qui se sont multipliés dans la presse internationale… De l'extérieur, on a l'impression que les deux communautés vivent dans des univers parallèles avec très peu de points d'intersections.

IJ : Quels sont les défis rencontrés par Children of Abraham dans ses tentatives de construire le dialogue intercommunautaire ? A.A : Lorsqu'on parle de relations judéo-musulmanes, la plupart des gens pensent au conflit israélo-palestinien. Notre principal défi, c'est d'élargir le débat pour identifier et travailler sur les autres désaccords qui séparent juifs et musulmans.

La démarche de Children of Abraham est de se demander : Quel est le ressenti des gens face à cette situation ? Comment parlent-t-ils d'eux-mêmes et des dirigeants de leurs communautés ? Comment voient-ils l'autre communauté ? Je suis venu en France afin de rencontrer les gens, pas seulement des responsables gouvernementaux ou les dirigeants communautaires mais aussi les associations, les jeunes, les professeurs, les parents….

IJ : Pour quelles raisons envisagez-vous de développer les activités de votre mouvement en France ? A.A : La France est un véritable laboratoire pour penser les relations judéo- musulmanes dans une société laïque, où les deux communautés sont en minorité. La France compte la première communauté Juive d'Europe, mais aussi le plus grand nombre de musulmans. Au-

Je serais ravi de prendre contact avec tous les lecteurs qui souhaitent faire part à Children of Abraham de leurs expériences et de leurs suggestions ([email protected]). Propos recueillis, traduits et adaptés de l'Anglais par Sandrine Amiel *Co-fondateur de Children of Abraham

HUMOUR Un record comme un autre :

756 fois appelé à la lecture de la Torah La date du jeudi 9 août 2007 rentrera dans l'Histoire comme étant le jour où Barry Berman a battu le record du nombre cumulé d'appels à la Torah, devenant ainsi le roi de tous les temps des montées à la Torah. Berman entendit son nom appelé au moment du deuxième tour des montées à la Torah, celui réservé à ceux qui appartiennent à la tribu des Lévi, et s'avança, les bras triomphalement levés au dessus de sa tête. Il s'empara de la Torah et de sa voix forte de baryton, psalmodia les bénédictions pour la 756ème fois. Quand la lecture de la Torah fut terminée, Berman déclama les bénédictions finales et la foule compacte de la synagogue répondit par un tonnerre d'amen suivi d'une interprétation tonitruante de " Siman Tov Mazel Tov. "

B

erman remercia brièvement à la fin de sa montée à la Torah le Club des Messieurs, les membres de la synagogue, sa famille ainsi que le bedeau. Et il fit cette déclaration : " Etre appelé à la Torah est assurément un honneur et ce record, c'est quelque chose à quoi j'ai rêvé depuis ma Bar-Mitzvah. " Malheureusement, une controverse éclata, certaines personnes ayant soulevé la question de la validité de son statut de Lévi. Berman refusa de se soumettre à un test ADN . Il ajouta : " Je suis un Lévi, mon père était un Lévi et mon grand-père était un Lévi " Le président de Beth Yaacov / Beth Israel attendit des semaines avant de décider s'il serait finalement présent à la synagogue avec Berman. En réalité, il n'assista pas à ce qui devait être l'homologation de ce record. Berman s'était effondré avec un score nul de montées à la Torah durant 28 jours mais égalisa le record pendant un voyage professionnel en étant appelé à la Torah à la synagogue Mt Sinai à San Diego, Californie. Il reconnut avoir été à la synagogue extrêmement tôt et s'être fait connaître du bedeau afin de se sortir de ce " bourbier ". Les montées à la Torah de Berman ont eu lieu partout dans le pays et dans le monde, la majorité d'entre elles ayant eu lieu dans sa synagogue Beth Yaacov /

Beth Israel à San Francisco, Californie (357), Sons of Israel à Pittsburgh, Pennsylvanie (227) où il célébra sa Bar Mitzva, et Yeshivat HaKotel à Jérusalem, Israel (69) où il passa deux années dans un programme post scolaire d'études juives avancées. Berman célébra cette " victoire " historique autour d'un Kiddouch

de fête à base de schnaps et de harengs. "J'ai senti qu'aujourd'hui allait être le grand jour," dit Berman. "J'ai vu le bedeau qui s'échauffait avant le service religieux et j'ai pensé qu'il y avait de bonnes chances pour qu'il prononce mon nom." Que vous appréciez ou non, que vous trouviez la chose légitime ou non, Berman est, pour le judaïsme, le nouveau roi des montées à la Torah. Et il persiste à rejeter toute autre interprétation selon laquelle cet événement serait entaché d'une quelconque irrégularité.

Isidore Rappoport "Berman tainted with allegation he is not from the tribe of Levi" (Traduit de l'anglais par Alain Barthes) INFORMATION JUIVE Novembre 2007 31

COMMUNAUTÉS UN ENTRETIEN AVEC LE RABBIN DIDIER WEILL*

“Buffault, une communauté spécifique” La communauté de la rue Buffault à Paris a plusieurs particularités. Elle est située dans l'une des plus belles synagogues de Paris, elle vient de fêter ses 130 ans, et le rite hispano-portugais d'origine y est encore présent à bien des égards. Une communauté particulièrement attachante que nous présente son rabbin Didier Weill. Rabbin Didier Weill

Quels sont les grands événements qui ont marqué son histoire ? D.W : On peut signaler les cérémonies de jumelage avec les synagogues hispano-portugaises de Bordeaux, Bayonne, d'Amsterdam et de Londres. Il y a eu également la cérémonie du centenaire de la synagogue en 1987, célébrée en présence du cardinal Lustiger ; l'hommage rendu aux astronautes de la navette Challenger, en présence de l'ambassadeur des EtatsUnis ; les travaux de restauration du Temple en 1996 ; les cérémonies commémoratives de Verdun. Par ailleurs, a été organisé très récemment dans nos locaux, dans le cadre de l'APAC, un Chabbat plein en présence de 3 cantors internationaux et des chœurs de Moscou. Enfin, c'est dans notre synagogue que la chorale juive de France (voir Information juive du mois d'octobre 2007), forte de 40 choristes, a durant neuf mois procédé à toutes ses répétitions. Que reste-t-il dans votre communauté et notamment à la synagogue des traditions et des rites portugais ? D.W : L'origine hispanique de la communauté est confirmée par l'utilisation de termes du vocabulaire espagnols, en particulier. Ainsi, lorsqu'on appelle un Bar Mitzva à la Tora, on lui donne le titre de Haba'hourh Accomplitor. Dans les bénédictions (les traditionnelles Mi Cheberakh), on bénit l'administrateur 32 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

de service en ajoutant " y sus collégas " (et ses collègues). A l'issue des Sept bénédictions du mariage, le 'hazan ajoute : Hodou Lachem Ki Tov Ki Leolam 'Hasdo,Yirbou Sema'hot Beyisrael Veyanoussou Ana'hot Veyihyée Hakol Bessiman Tov. A l'occasion des grandes fêtes, le président et les administrateurs portent un chapeau haut de forme. Le rabbin et les 'hazanim (les ministres officiants) portent une tenue noire pour les offices de Chabbat et des fêtes et une tenue blanche pour les mariages. Des airs spécifiques accompagnent les offices du Chabbat et des fêtes, notamment pour la Birkat Cohanim (la bénédiction des Cohanim) ou le Lekha Dodi du vendredi soir ou encore pour les kadichim. A combien évalue-t-on aujourd'hui les membres de votre communauté ? D.W : Environ 450 chefs de famille sont inscrits dans notre listing. Avez-vous des projets ?? D.W : Ce que nous souhaitons par-

dessus tout c'est dynamiser toujours plus la communauté, en préserver la convivialité, la chaleur et l'unité. Développer les repas chabbatiques et les conférences ainsi que les cours de Talmud. Nous projetons également la création d'une école des parents ; nous voulons proposer à tous les enfants et aux adultes un apprentissage de l'hébreu, afin de permettre à tout un chacun l'accès aux prières, aux textes et à l'étude dans l'original. Bref, nous voulons faire de Buffault une communauté - phare, en termes de mariages, d'innovation au niveau du Talmud Tora, de fréquentation des offices et de participation des jeunes aux offices. La récente création d'un site Buffault par le jeune Joe Balmain permettra d'accroître l'audience de notre communauté de manière significative. *Rabbin de la synagogue de Buffault

Crédits : "ACIP - Service DSI"

De quand date la communauté de Buffault ? Rabbin Didier Weill : La communauté de Buffault date de 1875. Cependant c'est le 3 septembre 1877 qu'a été officiellement inauguré le Temple de la rue Buffault de rite hispano- portugais, dit séphardi.

La synagogue de la rue Buffault vient de fêter ses 130 ans

COMMUNAUTÉS ENTRETIEN AVEC ARIE BENSEMHOUN*

Rencontre avec la Communanuté juive de Toulouse La communauté juive de Toulouse est l'une des plus importantes en France, tant par son histoire que par son nombre de fidèles, sa vitalité et son développement actuel. Son Président, Arié Bensemhoun, nous la présente. Arié Bensemhoun

Quels sont les débuts historiques de la communauté de Toulouse? Arié Bensemhoun : Les premiers documents attestant la présence des Juifs à Toulouse datent du XIe siècle. Cependant l'existence de communautés à Narbonne, Bordeaux et Auch, dès avant le VIIe siècle, permet de penser un passage plus ancien. De plus, au temps des Wisigoths, le rôle de capitale joué par la ville de Toulouse confirme cette hypothèse. Quels sont les événements qui ont marqué l'histoire de votre communauté ? A.B : C'est dans nos régions que fut traduite, au XIIIe siècle, en hébreu, l'œuvre philosophique de Maimonide. Une polémique autour de cette œuvre fut à l'origine de la naissance de la cabale dans nos régions également. Le dénombrement de 1808, date de la création par Napoléon du Consistoire Central des Israélites de France, fait état de 87 personnes. Le 20 décembre 1812, la communauté qui dépend encore du Consistoire de Bordeaux, vote ses premiers statuts. Léon Oury, originaire d'Alsace, sera rabbin de Toulouse, de 1852 jusqu'à la fin du siècle. C'est sous son ministère que fut ouverte à Toulouse, en 1857, la Synagogue de la rue Palaprat, toujours en fonction aujourd'hui. C'est à Toulouse que fut créée en 1940, et pour toute la France, l'Organisation juive de combat. À la Libération, en 1945-1946, la communauté juive de Toulouse était composée de Juifs turcs et de Juifs alsaciens qui s'étaient fixés à Toulouse, de Juifs d'Europe centrale qui avaient survécu aux persécutions, d'étudiants d'origine constantinoise, et de celles et ceux qui revenaient d'Espagne où ils

avaient pu fuir. Et c'est autour du centre communautaire de la rue du Rempart St Etienne, acquis en 1964, que se développe la vie juive à Toulouse. Comment fonctionne-t-elle ? A.B : L'Espace du Judaïsme inaugurée il y a 9 ans maintenant, est le symbole de cette unité communautaire. Imaginez, un "centre communautaire" de plus de 3000 m2, le plus important de France, où cohabitent le FSJU, le Consistoire, CRIF et 20 autres associations et mouvements de jeunesse. Qui abrite la grande synagogue de Toulouse et le centre culturel Hébraïca, mais aussi une bibliothèque, un restaurant, la radio, une galerie d'exposition. Mais la communauté juive de Toulouse s'est aussi beaucoup développée autour des écoles juives. De la crèche aux formations professionnelles pour adulte, en passant par l'école, le collège, le lycée et les filières post baccalauréat. le Gan Rachi, Ozar Hatora et l'ORT, forment un réseau solide cohérent et performant qui accueille dans des batiments neufs ou récemment rénovés, près d'un millier de jeunes et d'enfants La communauté juive de Toulouse, c'est aussi 13 synagogues et oratoires, un mikvé, une maison de retraite, un Centre d'action sociale, un cimetière juif. A combien de fidèles évaluez-vous votre communauté ? A.B : La population juive active dans l'Agglomération toulousaine ne dépasse pas les 15 000 personnes pour une population juive ou apparentée, qui doit s'établir autour de 20 000 âmes. Ce qui fait de Toulouse la plus petite des grandes communautés et la plus grande des petites communautés, sans doute la 4ème après Paris, Marseille et Lyon.

A quels problèmes est confrontée aujourd'hui votre communauté ? A.B : Comme toutes les communautés, nous sommes confrontés à 2 problèmes majeurs : le déclin démographique et le délitement du lien identitaire. Pour ce qui est de la démographie, le constat est alarmant. En 10 ans la natalité a été divisé par deux et la mortalité, conforme aux moyennes nationales, est, compte tenu du vieillissement de la population, en forte augmentation. Le renouvellement des génération ne se fait plus. Quant au lien identitaire, si on observe un renforcement du noyau dur de la communauté il est impossible d'occulter le fait que l'éparpillement est plus important en périphérie avec un éloignement de plus en plus marqué d'un nombre croissant de juifs, qui finissent par perdre tout contact avec la communauté. Avez-vous de grands projets ? A.B : Notre principal projet, est de remobiliser les forces vives de la communauté. Voilà pourquoi, nous préparons pour 2008 un programme d'extension et de rénovation de l'espace du Judaïsme pour le rendre plus attractif au jeunes générations. Notre ambition est de relancer une dynamique autour du renouvellement du leadership en investissant massivement dans les nouvelles générations. Permettre aux adolescents, aux étudiants et aux jeunes adultes de disposer d'un outil performant et d'un projet mobilisateur, c'est leur permettre de retrouver la place que peut être ils pensent avoir perdu dans la communauté. *Président de la communauté juive de Toulouse

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Photo Didier Pruvot © Flammarion

DIASPORA UN ENTRETIEN AVEC OLIVIER GUEZ

Enquête sur les nouvelles communautés juives en Allemagne Olivier Guez, journaliste et écrivain, vit entre Paris et Berlin. Il publie aux éditions Flammarion L'impossible retour, une enquête sur l'histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 et sur la naissance, sur les lieux mêmes où la Olivier Guez Shoah a été conçue et mise en œuvre, d'une nouvelle communauté juive. Comment des juifs ont-ils pu envisager de trouver refuge dans un pays qui fut naguère celui des nazis ? C'est évidemment la question qui court comme un fil rouge au cœur de cette enquête. Olivier Guez cite d'abord quelques chiffres . Avant la guerre, il y avait 600.000 juifs en Allemagne dont 160.000 dans la seule ville de Berlin. En 1945, ils n'étaient plus que 14.000 dont la moitié étaient installés dans la capitale. Nous avons rencontré Olivier Guez. Vous parlez au début de votre travail de l'exceptionnelle civilisation judéo-allemande et de la symbiose qu'elle aurait représentée. Ne s'agit-il pas là d'un mythe ? Olivier Guez : On a pu parler à propos de cette civilisation de symbiose. Ce mot, c'est vrai, a suscité une certaine polémique lorsqu'on a connu l'issue de cette histoire qui est éminemment tragique. Le fait est que les creusets juif et allemand ont donné naissance à une certaine modernité que pourrait résumer par exemple le triptyque Marx- FreudEinstein. I.J : Pourtant vous rappelez vous-même que les intellectuels juifs célébraient Noël plutôt que Hanouka. O.G : Il y a eu croisement entre d'une part le judaïsme allemand dont les origines remontent à l'installation des colonnes romaines à Cologne et, d'autre part, les Lumières allemandes à la fin du 18ème siècle. Ces Lumières allemandes vont permettre aux juifs de s'émanciper. A partir de là, naîtra dans le pays la réforme juive avec Mendelssohn. Elle donnera naissance à une nouvelle civilisation qui, en effet, prend ses distances avec le judaïsme traditionnel. I.J : Mais la plupart de ces intellectuels juifs allemands (on pense à Scholem, à Buber et à Ernest Simon) étaient religieusement assimilés avant de venir s'installer en Terre sainte. Sans compter qu'une grande partie de la famille de Mendelssohn s'est convertie. 34 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

O.G : Vous avez raison pour Mendelssohn. Mais Scholem et Buber ont été très marqués, comme chacun sait, par le judaïsme. Scholem a été très violent à l'égard de l'assimilation religieuse que pratiquaient ses parents. Dans ses mémoires De Berlin à Jérusalem, il raconte comment son père cachait les livres d'hébreu et les rituels de prière au dernier rang de la bibliothèque familiale. Très jeune, dès 1923, il va s'installer en Palestine. Il est vrai, cela étant, que la plupart de ces intellectuels se considéraient d'abord comme des intellectuels allemands et étaient fiers de l'être. I.J : Vous semblez comprendre l'attachement qu'un certain nombre de juifs continuent de porter, aujourd'hui encore, à leur pays malgré son lourd passé. O.G : La question qui se pose est évidemment celle-là : comment des juifs ont-ils pu, à la fin des années quarante ou dans les années cinquante, avoir simplement l'idée de se réinstaller en Allemagne ? L'un des objectifs de mon enquête était de comprendre leurs motivations. Disons d'abord que les premiers qui reviennent sont ceux qui avaient quitté l'Allemagne relativement tôt, dans les années trente. Certains d'entre eux sont jeunes et ont échappé à la pire période du Troisième Reich. D'autres - une minorité - veulent construire une nouvelle Allemagne et

participer au renouveau de leur pays. Il s'agit de gens imbibés de culture allemande et qui continuent à croire dans l'avenir de leur pays. Ils se disent que l'Allemagne est à un tournant de son histoire. D'autres encore, qui sont la majorité, reviennent dans l'intention de passer quelques mois. Puis vient la politique des réparations. Et pour être indemnisés, cela prend du temps. Ils vont donc se réinstaller petit à petit, retrouver des activités professionnelles et fonder des familles. Entre les années 40 et les années 50, ils seront une dizaine de milliers de juifs à se réinstaller dans le pays. Certains d'entre eux vont culpabiliser. D'autres se disent : nous avons désormais affaire à une Allemagne démocratique. Au fond, notre présence ici est une victoire des juifs contre l'histoire et contre Hitler. I.J : Au sein de ces juifs va peu à peu s'instaurer un débat sur leur présence dans le pays. O.G : C'est évidemment la question qui va tarauder cette nouvelle communauté au moins jusqu'aux années 90. Aujourd'hui encore, même chez les plus jeunes, il y a une angoisse perceptible quand ce type de questions est abordé. I.J : Vous rappelez d'ailleurs qu'en 1948, les paroisses protestantes du pays n'ont pas

DIASPORA toutes cessé leurs diatribes contre " le peuple déicide ". O.G : Les choses changeront assez rapidement. Dès les années 50, on a les sociétés d'amitié judéo-chrétiennes qui vont se mettre en place et qui vont jouer un rôle important dans la tentative de réconciliation. Peu à peu, le discours de l'Eglise vis-à-vis du peuple juif va se transformer. I.J : Vous évoquez le cas de la " mutation " d'Adorno dont on sait qu'il a dit qu'après Auschwitz on ne pouvait plus écrire de la poésie. O.G : Le personnage d'Adorno est assez fascinant. Dans un premier temps, il est très éloigné du judaïsme. Il a même tendance à s'en moquer. Il parcourt l'Europe en dandy. En 1933, lorsque Hitler arrive au pouvoir, Adorno ne se pose pas tellement de questions. Ce sont les lois raciales qui sont mises en place qui vont le faire devenir juif d'une certaine façon. Au début des années 40, il se trouve aux Etats-Unis et il est très imprégné de marxisme. Il a bien du mal à comprendre le rôle que joue l'antisémitisme dans la vie. Au fur et à mesure que les années passent et qu'il reçoit de plus en plus de nouvelles sur le génocide des juifs en Europe, sa prise de conscience va s'accentuer. Il décide alors de rentrer en Allemagne et veut jouer un rôle avec d'autres intellectuels juifs dans la reconstruction du pays.

cas le sentiment d'une partie de la population. Il est certain que la mémoire de la Shoah est omniprésente dans le pays. C'est un véritable abcès de fixation.

les dames berlinoises policées et les jeunes loups du Caucase arrivés d'Azerbaïdjan et qui jouent des coudes, pas de dialogue possible. Il s'agit de deux

Il faut savoir que la communauté juive du pays est la seule à croître aujourd'hui en Europe. Une grande partie de la population considère cependant qu'il est temps aujourd'hui de " passer à autre chose ". Dans la mesure où on a reconnu Auschwitz, les gens aspirent à une certaine normalité. I.J : En l'espace d'une quinzaine d'années, 220.000 juifs arrivent en Allemagne en provenance de l'ex-URSS. O.G : Il y a là quelque chose de stupéfiant : il faut savoir que la communauté juive du pays est la seule à croître aujourd'hui en Europe. Cela pose d'énormes problèmes. Il y a notamment des tensions très fortes au sein de ces communautés où les juifs russes, ukrainiens et biélorusses sont majoritaires. Il y a entre les uns et les autres un véritable " choc des cultures ". Entre

types de sociétés qui ne se connaissent pas. Et c'est une lutte pour le " pouvoir " communautaire qui se joue. I.J : Cette nouvelle communauté juive d'aujourd'hui vous paraît être une communauté en transition. O.G : A la fin des années 80, il y avait environ 30.000 juifs inscrits à la communauté. A mon avis le nombre des juifs en Allemagne doit être aujourd'hui proche de 200.000. Nous sommes à une période de transition et de changements. Il y a un effet de masse évident à cause de l'arrivée des juifs de l'ex-URSS. Cela s'accompagne d'un renouveau intellectuel et culturel. Le fait est que les inaugurations de synagogues et d'institutions juives sont nombreuses.

I.J : Comment expliquez-vous que la génération allemande de l'après-guerre ait eu un sentiment d'impunité et qu'elle n'ait eu ni sensibilité ni miséricorde pour les épreuves subies par les juifs ? O.G : Je dis qu'elle regardait ailleurs comme l'avait fait l'immense majorité des Allemands pendant la guerre, quand leurs voisins ou leurs collègues disparaissaient. Si les Allemands avaient voulu s'examiner et exercer une certaine forme d'introspection, c'eût été insupportable pour eux, étant donné l'ampleur du crime. J'ajoute que les Allemands avaient le sentiment d'être doublement victimes : victimes d'Hitler et de sa folie et victimes des Alliés qui ruinent leurs villes. Cela dit, il y a eu, depuis lors, vraiment un travail de mémoire important en Allemagne. Le pays a vraiment travaillé sur son passé, bien plus qu'on ne l'a fait, me semble-til, en Autriche ou bien en France. I.J : Quand Joshka Fischer, l'ancien ministre des Affaires étrangères, affirme que la Shoah demeure le socle fondateur de la République de Berlin, exprime-t-il un sentiment majoritaire ? O.G : Difficile à dire. Il exprime en tout

La nouvelle synagogue (Neue Synagoge en allemand) de la rue Oranienburger, située au centre de Berlin INFORMATION JUIVE Novembre 2007 35

CULTURE UN ENTRETIEN AVEC AMI BOUGANIM*

Walter Benjamin ou le rêve de vivre Ami Bouganim publie " Walter Benjamin. Le rêve de vivre " (Editions Albin Michel. Collection Présences du judaïsme). Il s'agit d'une biographie intellectuelle qui reconstitue les étapes importantes dans la vie et la carrière de Walter Benjamin. L'étrange destin de Benjamin est celui de ces Juifs allemands ballottés par Ami Bouganim l'histoire alors même qu'ils croyaient l'aiguiller vers la révolution et le salut. Benjamin était un esprit curieux qui s'intéressait à tout et écrivait sur tout. Ce livre reconstitue l'atelier de création de Benjamin. Dans la cas de Benjamin, son érudition philosophique habille davantage des intuitions religieuses glanées dans le sillage des grands maîtres du judaïsme ou reçues lors de ses nombreux entretiens avec ses amis juifs. Il y a eu, ces dernières années, un grand nombre de livres consacrés à Walter Benjamin. Qu'est-ce que votre travail apporte de nouveau ? Qu'a-t-il d'original ? Ami Bouganim : Mon livre se propose de reconstituer le chantier de création de Benjamin. C'est à la fois une biographie intellectuelle et une présentation de l'œuvre. Il retient les matériaux qui ont déterminé la tournure d'esprit de l'auteur et inspiré ses thèses. Il situe l'œuvre de Benjamin à la croisée du judaïsme, de la philosophie, de la littérature et de l'art, retraçant sa vie pour mieux saisir ses positions et scrutant celles-ci pour mieux en débusquer le personnage. Dans le cas

un amateur - dans le sens noble du terme - de la pensée et c'est en amateur de curiosités intellectuelles qu'il a vécu - en chiffonnier puisant dans les bibliothèques les illuminations censées susciter, presque d'elles-mêmes, une philosophie. Il ne se proposait rien moins que de nous léguer un nouveau mode de pratiquer la pensée et il est parti, comme la plupart d'entre nous, sans avoir compris quel est le sens du monde ni quelle serait la meilleure vocation à imprimer à sa vie pour lui donner sens. Benjamin tergiversait tant, ballotté par les religions, les pensées, les arts et les guerres, qu'il a campé à ses dépens une nouvelle manière d'être au

Benjamin est à mon sens la dernière figure du Juif errant, "clochardisé" par deux mille ans d'exil. de Benjamin, cette méthode est une gageure pour plusieurs raisons. D'abord parce que Benjamin était un grand velléitaire, basculant entre le judaïsme et le marxisme, la mystique et la philosophie, la poésie et la littérature. Il s'emballait pour les pensées les plus étranges, que ce soit le baroque ou le blanquisme. Il ne savait quoi penser, il ne savait où aller, il ne savait que prôner. Ensuite, il ne nous a laissé que des articles et des fragments que l'on ne sait pas toujours comment organiser. C'était 36 INFORMATION JUIVE Novembre 2007

monde, de le penser et de reconnaître que la vie n'est peut-être qu'une bribe dans un fantasme qui nous déborde de partout. Ce livre met en scène le personnage de Benjamin dans le chantier d'une création qui nous a laissé de lumineuses intuitions sans nous interner dans un système de pensée ou dans un prêche philosophique. Il se démarque des autres par le risque qu'il prend en proposant le "montage" d'une œuvre dont nous ne disposons que des matériaux. Pour mieux comprendre, on devrait s'imaginer Benjamin en

cinéaste qui ne nous aurait laissé que des rushes, sous forme d'articles, de recensions, de remarques, de citations, à charge pour le lecteur ou le critique de les "monter" pour en faire une œuvre sinon un film. I.J : Que représente en fait Walter Benjamin dans la pensée juive du vingtième siècle ? A quoi tient son génie ? A.B : Benjamin est, à mon sens, le dernier des Juifs allemands, partagés entre leur judaïsme et leur germanité, entre la Palestine et l'Allemagne. Contrairement à Scholem, qui est retourné en Palestine pour se consacrer à la restauration d'une théologie exclusivement juive, et à Arendt, qui s'est rendue aux Etats-Unis pour réfléchir politiquement un monde menacé par le totalitarisme, il est resté en Europe pour assumer sa grandeur et sa débâcle. Benjamin est à mon sens la dernière figure du Juif errant, "clochardisé" par deux mille ans d'exil et de recherche, de corrections et de commentaires, d'illusions et de désillusions. Il ne savait, là encore, à quel texte s'accrocher ; il ne savait quelle prière prononcer ni quel chant composer ; il ne savait plus si l'histoire avait un sens. On s'interroge beaucoup sur le judaïsme et sur la condition juive ; on ne s'interroge pas assez, dans le sillage de Kafka et de Benjamin, sur ce que serait un monde sans judaïsme, sans Juif, voire sans leur Dieu. On ne s'interroge pas sur

CULTURE le vide qui se creuse au cœur du Juif assimilé, venant il ne sait d'où, allant il ne sait où. On ne s'interroge pas sur la paradoxale sur- ou sous- condition juive - Lévinas parlait d'in-condition - quand celle-ci ne s'accroche plus qu'à des souvenirs plus déroutants qu'attachants. Benjamin n'était ni un Juif assimilé ni un Juif engagé et c'est son "judaïsme" qui m'intéresse. Il était entre les deux - peutêtre Juif par excellence. En outre, il s'est trouvé pris dans la tourmente d'un drame historique qui détermine désormais le destin de l'humanité et de sa pensée. Après Auschwitz, on ne cessera de le répéter, la culture, la philosophie, l'art ne seront plus ce qu'ils étaient avant. Avec Benjamin, ils ne le sont déjà plus.

générer une réalité nouvelle. Scholem se désolait de voir Benjamin - dont on peut dire qu'il était entouré de liaisons pour le moins contradictoires… - succomber aux pressions, matérielles, amoureuses,

devenu fou, l'autre se serait donné la mort. On n'a cessé de s'interroger sur l'étrange destin des quatre sages parmi les plus prestigieux du paysage pharisien. On continuera probablement de retourner le

Ces dernières décennies, quand elle ne nous abuse pas, la philosophie radote ou prêche. idéologiques, qui inhibaient sa veine théologique. Sur le tard, dans ses Thèses sur l'histoire, il se libérera du carcan dialectique pour nous livrer de lumineuses intuitions religieuses.

midrash en question dans tous les sens. Je dirai seulement que Ben Azzaï nous a laissé le souvenir d'un être éthéré, une belle âme, trop pure pour se compromettre dans ce monde, ne distinguant pas entre le ciel et la terre, les choses matérielles et les choses de l'esprit, le sacré et le profane. Il n'était pas enraciné dans les dures réalités des hommes - il n'était pas marié. Sans racines dans l'avenir, il ne pouvait cultiver ses racines dans le passé. Il ne savait où il en était. Benjamin se réclamait des anges qui naissent par myriades pour chanter leur chant devant l'Eternel et disparaître et se protégeait contre le Petit Bossu qui pesait sur lui, l'empêchant d'évoluer en ce monde comme il l'aurait souhaité. Le lecteur découvrira dans ce livre le midrash sur les anges et le chant sur le Petit Bossu.

I.J : Pourquoi Scholem voyait-il chez lui une prédilection pour le divin ? A.B : Parce que Scholem ne pouvait concevoir l'homme sans lui prêter une disposition pour le divin, parce qu'il avait longuement débattu de cette question avec Benjamin et qu'il ne pouvait recevoir une "pensée nouvelle", (que tous recherchaient à l'époque dans le sillage de Cohen et de Rosenzweig ), qui ne soit pas théologique, voire judaïque. Or Benjamin s'entêtait à donner à ses considérations et à ses variations une tournure dialectique. Il subissait de vives pressions de la part de ses amis, Adorno et Horkheimer, qui animeront plus tard l'école de Francfort, d'inscrire ses considérations sous le registre du matérialisme dialectique, c'est-à-dire de déceler les contradictions qui minent la réalité et de se fonder sur elles pour

I.J : Vous faites référence dans l'introduction que vous donnez à votre livre à une légende rabbinique et vous comparez Benjamin à l'un des héros de cette légende : Ben Azzaï. Pourquoi ? A.B : Ben Azzaï est l'un des quatre sages qui accédèrent au Paradis de la connaissance sans que nul ne puisse dire ce qu'ils y ont cherché ou trouvé. Des quatre, seul Rabbi Akiva, le maître paradigmatique du judaïsme pharisien, en serait sorti indemne - et encore étaitce pour se compromettre dans une mésaventure messianique et pour connaître une terrible mort. Elisha ben Avouya a subi comme une altération de son être, reniant ses racines et se retranchant de la communauté d'Israël, pour n'être plus désigné que comme "l'autre". Les deux autres Ben Zoma et Ben Azzaï ont visiblement succombé au non-sens ou au sur-sens de leur vision. Ils se sont terriblement mépris. Je ne sais sur quoi, je ne sais pourquoi. L'un serait

I.J : Pourquoi avez-vous intitulé votre livre “Le rêve de vivre” ? A.B : Benjamin nous entraîne dans des considérations sur le rêve et le réveil qui donnent le vertige. Nous évoluerions dans un monde qui a été rêvé pour nous ou qui constitue un rêve dans on ne sait quel esprit. De même, nous ne vivrions

Gerschom Scholem

Walter Benjamin

Kafka INFORMATION JUIVE Novembre 2007 37

CULTURE pas sans caresser un rêve pour les générations à venir. En outre, il ne passe pas de jour où l'on ne se départ pas d'une illusion, sortant d'un rêve pour rebondir sur un autre ou se perdre dans un cauchemar. Benjamin devine derrière le schéma du rêve et du réveil - qui scande tant nos vies - un moule plus déterminant qu'on ne le pense. Il recourt volontiers à la notion de fantasme plutôt qu'à celle de mythe pour restituer la texture onirique de la vie. On gagnerait - existentiellement et psychologiquement parlant - à considérer la vie comme un rêve miraculeux, sur le terreau duquel naissent et meurent une multitude de petits fantasmes, qu'ils soient animés par des désirs, des souhaits ou des remords. Les considérations de Benjamin sur le rêve et le réveil ne sont qu'une illustration, parmi tant d'autres, de sa tentative de sortir la

pensée humaine des sentiers battus et de l'engager sur des voies prometteuses de sens pour le monde à venir. Benjamin est à considérer comme le premier penseur post-moderne.

I.J : Au terme de votre périple dans l'œuvre de Benjamin, vous dites que vous ne pouvez rien dire de certain sur lui sauf que " son souhait de nous donner une philosophie nouvelle n'a pas débouché ". A.B : Benjamin a connu le destin qui serait désormais celui de tout penseur débordé par les sciences, leurs techniques et leurs incidences sur la religion, l'éthique, l'art, la communication. Ces dernières décennies, quand elle ne nous abuse pas, la philosophie radote ou prêche. On ne sait que penser, on ne sait que dire, on ne sait que croire. Sinon se débattre avec un Dieu de plus en plus silencieux, désespérant et pertinent. Benjamin était l'un des premiers penseurs à se clocharRENCONTRE diser, à écrire un Homme 59 ans, Paris, profession libérale, divorcé, cultivé, actif, bien physiquement, traditionnaliste, stable, non fumeur, cherche femme moins de 50 ans, équilibrée, indépendante, travailleuse, aimant culture, judaïsme, voyages. Ecrire au journal qui transmettra.

PETITE ANNONCE

LE CARNET Mariage M. et Mme BENHAMOU Daniel, Madame BENHAMOU Marianne ont la joie de vous faire part du mariage de leurs enfants Alexandra et Ygal. La cérémonie religieuse s'est tenue Mercredi 31 octobre 2007 en la Synagogue Notre Dame de Nazareth - 75003 Paris - Ygal est le fils de Marianne BENHAMOU, collaboratrice au service cacherout du Consistoire de Paris. Félicitations aux parents et Mazal tov aux jeunes mariés.

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article sur commande sur ceci ou cela, à prendre des notes qu'il ne savait comment organiser, à collectionner les citations qui disent souvent mieux que ce qu'on ne saurait jamais dire. On n'est pas clochard par vocation, on l'est par destin. On court les rues et les livres, on tâtonne dans le clair-obscur. Ce n'est plus seulement le Juif qui erre, c'est l'homme. Ca n'est pas plus mal, ça nous préserve des grandes et meurtrières illusions collectives. Les grands intuitions philosophiques sont enfouies dans les dialogues socratiques qui ne débouchent pas, les midrashim qui ne débouchent pas, les aphorismes nietzschéens qui ne débouchent pas et maintenant les illuminations de Benjamin qui ne se prêtent qu'à leur… montage. On doit rêver pour vivre. Or pour rêver, on doit lire, voir, sentir, écouter. Benjamin n'a cessé de lire et de commenter ses lectures, de voir et de commenter ses visions, de se passionner et de commenter ses passions. Sinon on bascule dans le cauchemar. *Philosophe et éducateur.

CULTURE Patrimoines musicaux des Juifs de France :

Variations ladino Avec la récente sortie du CD " Variations ladino", la collection Patrimoines musicaux des Juifs de France s'enrichit d'un nouveau volume dédié à la musique judéo- espagnole. Rappelons que cette collection, distinguée par un Coup de cœur de l'Académie Charles Cros en 2006 et par un Orphée d'Or de l'Académie du disque lyrique en 2007, a été lancée en 2002 par la Fondation du judaïsme français, avec pour principal objectif la valorisation d'un patrimoine musical juif souvent méconnu et mésestimé. Le CD " Variations ladino " s'inscrit ainsi dans la continuité du travail réalisé par la Fondation du judaïsme français sur la musique séfarade, une composante importante du patrimoine musical juif français d'aujourd'hui. Toutefois il ne s'agit pas là d'une énième reprise de Coplas ou autres romances judéo-espagnoles largement diffusées aujourd'hui. Le parti- pris, choisi par Hervé Roten, ethnomusicologue en charge du programme " Patrimoines musicaux des Juifs de France " est assez étonnant. Il s'en explique ci-dessous. Hervé Roten : Cet album, comme les précédents, est né d'une rencontre. Après avoir exploré divers répertoires de musiques traditionnelles, j'ai souhaité me tourner vers l'avenir pour que ces musiques juives, pour beaucoup disparues ou en pleine déliquescence, ne restent pas lettres mortes. C'est pourquoi, la Fondation du judaïsme français a soutenu un projet de création musicale qui s'est élaboré avec la guitariste virtuose Liat Cohen. IJ : En quoi consistait ce projet ? H.R : Sur l'idée de susciter la création d'un nouveau répertoire judéoespagnol. En effet, nous voyons bien à quel dilemme sont confrontés actuellement les interprètes de ces musiques. Faut-il rester fidèle aux mélodies traditionnelles, en ajoutant tout au plus un accompa-gnement qui, le plus souvent, n'existe pas à l'origine ? Ou peut-on encore innover, inventer ? Bref, comment prendre en charge un patrimoine qui relève aujourd'hui plus de l'héritage culturel que de la tradition vécue ?

Suite Séfarade de Jorge Cardoso pour deux guitares, de la douce rêverie des mélodies de Narcis Bonet à la complexité des pièces de Gil Shohat, ce CD, porté par les guitaristes Liat Cohen et Ricardo Moyano, nous entraîne dans un voyage musical où le plaisir est constamment présent.

utilisé dans les pays anglo-saxons et en Israël - à travers huit déclinaisons, huit variations inspirées des musiques judéoespagnoles traditionnelles. Il montre aussi l'extraordinaire richesse des musiques juives comme source d'inspiration pour la création d'œuvres contem-poraines.

IJ : Pourquoi ce titre de “Variations ladino” ? H.R : Ce disque offre une vision renouvelée de la musique ladino - terme

CD " Variations ladino ", produit par la Fondation du judaïsme français sous le label Buda Musique, volume 6 : 16 euros. Pour toute commande : 01 53 59 47 47.

IJ : Quelle réponse apportez-vous à cette question essentielle ? H.R : Elle est dans le disque qui se revendique ouvertement comme une création judéo-espagnole contemporaine. Nous avons commandé à huit compositeurs/interprètes un nouveau répertoire judéo-espagnol pour une ou plusieurs guitares et parfois voix, avec pour seule contrainte l'obligation de s'appuyer sur un matériau thématique traditionnel. Et le résultat sonore est flamboyant ! De l'arrangement des chants traditionnels des Parvarim à la INFORMATION JUIVE Novembre 2007 39

OPINION A propos d'un livre de Jimmy Carter :

Quand un ancien président ne lit pas ce qu'il publie PAR PAUL GINIEWSKI

Jimmy Carter, ancien Président des Etats-Unis, reprend à son compte dans son récent livre Palestine, la paix, pas l'aparheid (Ed.L'Archipel) un certain nombre de points de vue défendus par les arabes israéliens concernant le conflit israélo-arabe. Du retour des juifs sur leur Terre, en passant par le problème des réfugiés palestiniens, la guerre de 1967, l'intifada, la feuille de route, ou la création d'un Etat palestinien, autant de sujets clé traités avec un manque évident d'objectivité qui place Israël au banc des accusés et ses ennemis dans le camp des victimes.

L

Un ancien président des Etats-Unis, Jimmy Carter, expose dans un livre récent (1) un certain nombre de thèses sur le conflit israélo-arabe, dont la majeure partie correspond aux points de vue de la plupart des Arabes palestiniens. Parfois, Carter les formule en son propre nom. Il reproduit surtout les analyses, déclarations, accusations et revendications de ses interlocuteurs arabes. Au total : un catalogue des griefs des adversaires d'Israël, qui se trouve ainsi constamment diabolisé tandis que ses ennemis sont largement blanchis. Prenons la préhistoire du retour

contemporain des Juifs au pays d'Israël, fondement de leur légitimité sur leur terre. Les deux mille ans d'aspiration à leur rétablissement ( " L'an prochain à Jérusalem. "), les multiples projets et ébauches de restauration qui ont marqué ces millénaires ne sont pas

Quels objectifs Carter espère-t-il atteindre avec la publication de son livre ? décrits dans le livre, pas plus que l'obligation imposée à la Grande Bretagne par la Société des Nations, après le Première guerre mondiale, de favoriser la construction du Foyer national juif par une immigration et un établissement intensif des Juifs sur leur terre. C'est quand " le nationalisme devint une forme très puissante en Europe " au XIX ème siècle qu'il " influença les Juifs qui y vivaient et les amena à créer le sionisme ". On a bien lu " créer ". Les " Arabes de Palestine combattirent politiquement et militairement les nouveaux colons ". Ce mot et celui de colonisation, dévalorisée par le colonialisme européen, reviennent de nombreuses fois sous la plume de Carter. Pourtant, chrétien, lecteur de la Bible, il relate dans une brève chronique historique l'édification du Temple de Jérusalem en 1.000 avant J.C et la conquête arabe, 1.800 ans plus tard. Prenons le cas des réfugiés arabes. "Ils ont été chassés en 1948 et en 1967 ". Carter ne peut ignorer les exhortations et injonctions de dirigeants arabes, à

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cette époque, poussant les Palestiniens à s'exiler - provisoirement dans leur esprit - en attendant de revenir sur les ruines de l'Etat juif, écrasé dans l'œuf. Rappelons une seule de ces incitations: " On avait à l'époque commandé aux Palestiniens de quitter

leur patrie pour ne pas gêner le déroulement des opérations militaires arabes qui devaient durer quelques jours et nous permettre de réintégrer nos maisons. Mes parents devaient découvrir bien vite que ces promesses n'étaient que rêves ou illusions " (Mahmoud Darwich, dans un entretien paru dans Revue d'études palestiniennes N° 10, 1984 ). Une bonne partie des exilés palestiniens étaient des exilés volontaires. Prenons la guerre de 1967. Comment peut-on citer, sans la stigmatiser, la version délirante des faits par le Syrien Hafez el Assad : Les Israéliens " avaient déclenché la guerre pour s'emparer de nouvelles terres arabes (…) étape intermédiaire vers un Grand Israël ". A l'époque, tandis que l'armée égyptienne se massait aux frontières du Néguev, le monde retentissait des annonces de Nasser : " Il serait temps de restaurer la situation d'avant 1948 " Prenons la "première intifada" déclenchée par les Arabes palestiniens

OPINION fin 1987. La responsabilité en incomberait également à Israël. C'est "le traitement brutal des opposants (qui) mena à une explosion de violence organisée". "Opposants" est l'un des euphémismes utilisés par Carter pour éviter d'appeler un chat un chat et de parler de terroristes. Prenons le projet d'une Palestine existant à côté d'Israël. Carter reproduit les propos d'Arafat se disant prêt à "créer un Etat indépendant dans tout endroit d'où Israël se retirerait " et une lettre d'Arafat à Rabin annonçant sa renonciation " au terrorisme et aux actes de violence ". Carter ne reproduit pas les nombreuses déclarations de dirigeants arabes - et d'Arafat lui-même - précisant que cet Etat serait le tremplin pour la reconquête de la Palestine du Jourdain à la Méditerranée. Faisons là aussi une seule citation : " L'OLP est prête à accepter la création d'un Etat palestinien sur la rive occidentale du Jourdain et à Gaza , en tant qu'étape vers un Etat palestinien indépendant couvrant toute la Palestine " (Ibrahim Souss, Europe 1, 5 septembre 1978). C'est la technique du salami ou des petits pas en direction du démantèlement final d'Israël. Carter ne précise pas non plus que la renonciation au terrorisme n'était que verbale puisque sur le terrain le terrorisme se poursuivait.

LA FEUILLE DE ROUTE A de multiples reprises, les causes fondamentales du conflit sont alléguées sous des formes diverses. Le rejet de l'existence d'Israël et l'assaut terroriste sont occultés. La violence palestinienne serait provoquée par les empiètements, la colonisation, la " volonté continue (d'Israël) de ne pas se conformer pleinement aux accords d'Oslo ou aux résolutions de l'ONU " C'est le cas de la seconde intifada dont Carter ignore qu'elle a été préméditée et soigneusement préparée par l'OLP, selon des documents qui sont dans le domaine public. Et nous retrouvons l'interminable litanie sur les démolitions de maisons, les obstacles aux déplacements des Arabes, les barrages routiers, les détentions qui ont " troublé " Carter mais ne l'ont pas convaincu qu'il s'agit d'indispensables mesures de sécurité. Quelles solutions Carter envisage-til au conflit ? A de nombreuses reprises, il nous est rappelé qu'Israël " devait se retirer des territoires occupés " (ce qui signifie de tous les territoires). Or la résolution 242 du Conseil de sécurité

avait recommandé un retrait " from territories " (c'est-à-dire " de " territoires) après qu'eurent été rejetées catégoriquement les exigences soviéto- arabes réclamant l'abandon de "tous" les territoires. Autre élément de solution préconisé par Carter et pas par lui seul : la création d'un Etat palestinien arabe. L'obligation qu'aurait Israël d'avancer dans le processus d'octroi d'une indépendance à l'entité Hamas-Fatah dans les conditions actuelles, s'appuierait sur la " feuille de route " adoptée en 2003 par le quartette EtatsUnis, Nations Unies, Russie et Union européenne. Mais une autre annexe de ce livre inflige un démenti à cette obligation. La feuille prévoit en effet que la première phase du processus de pacification sera le combat que doit mener l'Autorité palestinienne contre la terreur, la violence et l'incitation à la violence, la " prévention de la terreur au moyen d'arrestations, d'interrogatoires. ; le démantèlement des organisations terroristes ( Hamas, Jihad islamique, Front populaire, Front démocratique, Brigades Al Aqça ) ainsi que de leurs infrastructures ; la collecte de toutes les armes illégales et l'interdiction de la contrebande d'armes et de leur production ". La feuille précise en outre que le passage à l'octroi d'une autonomie aux Palestiniens, prévu dans une deuxième phase, " n'aura lieu que lorsque toutes les conditions susmentionnées concernant la guerre contre la terreur auront été remplies ". La feuille de route se projette dans un lointain avenir. L'Etat palestinien provisoire qui y est envisagé" sera entièrement démilitarisé, sans forces armées ". L'accord final entre ses

habitants et Israël devra comporter " des références explicites à la renonciation par les réfugiés palestiniens, à tout droit au retour dans l'Etat d'Israël ". On est loin des thèses et de la pratique des Palestiniens des Ramallah et de Gaza. Carter a-t-il lu le texte des annexes qu'il produit dans son livre ? Quels objectifs Carter espère-t-il atteindre avec la publication de son livre ? Il croit sincèrement contribuer à la paix israélo-arabe et ainsi promouvoir la paix au Moyen Orient et dans le monde. Nous pensons qu'il se trompe et que son livre contribuera à produire l'effet contraire. Il croit, sans doute de bonne foi, que " les nombreuses résolutions de l'ONU soutenant les Palestiniens sont considérées comme une preuve de la justesse de la cause " de l'OLP. Nous croyons, nous, que ces résolutions ont été obtenues par le poids soviéto- tiers-mondiste et par le fait que le poids politique et économique des musulmans dans les instances et les relations internationales écrase celui d'Israël. Quant à la thèse fort répandue selon laquelle la paix israélo-arabe serait la clef de la paix mondiale, elle est démentie par les multiples conflits interarabes et ceux qui opposent le monde de l'islam à l'Occident, en Irak, en Afghanistan, en Iran, en Asie orientale, sur divers théâtres africains et qui n'ont aucun rapport avec le conflit qui oppose Israël à l'entité Hamas-Fatah. En vérité, on est au cœur d'un conflit de civilisations, d'une 4ème guerre mondiale dont la Palestine est l'un des théâtres d'opération. (1) Jimmy Carter. Palestine, la paix, pas l'apartheid. Ed L'Archipel.

Jimmy Carter reprend à son compte le catalogue d'attaques des ennemis d'Israël INFORMATION JUIVE Novembre 2007 41

POST-SCRIPTUM INTERROGATIONS

Histoire d'un intellectuel

V

oici une superbe biographie de l'homme qui devait devenir entre autres - le champion de la cause dreyfusiste. (Clemenceau par Michel Winock. Editions Perrin. 24 euros). On sait que c'est le journaliste Clemenceau qui, dans L'Aurore devait changer le titre que Zola avait donné à sa " Lettre ouverte à Félix Faure, président de la République " en " J'accuse ". Michel Winock dont chacun des livres est une grande œuvre - quelle grâce dans l'écriture ! - relate ici dans deux chapitres un grand moment d'histoire et ce que fut le combat de Clemenceau pour la révision à ciel ouvert du procès Dreyfus. On sait que l'Affaire mit le pays au bord de la guerre civile. Winock décrit l'homme qui mit en oeuvre toute son intelligence et son talent de journaliste au service de la cause de Dreyfus. De Dreyfus ?

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Non ! De l'honneur de la France et de la République ! C'est que Clemenceau considérait qu'il y avait autre chose " au-dessus de l'innocence châtiée. Dreyfus n'est ici qu'un protagoniste symbolique. Il faut sauver tout ce que représente l'innocence aux abois". Winock rappelle opportunément que Clemenceau affronta Drumont en duel. C'est que l'homme incarnait, à ses yeux, tout ce que lui-même pouvait détester " le clérical, le démagogue, le raciste, le chef d'or-

chestre de cette fanfare ignoble de l'antisémitisme ". Et au fil de la lecture, on trouve cette formule que Clemenceau utilise à l'adresse des juifs qui, "par désir de montrer le caractère insoupçonnable de leur patriotisme, en rajoutent parfois dans leur antidreyfusisme ". Clemenceau poursuit : " Est-ce trop exiger que de demander des Juifs qu'ils n'insultent pas ceux qui les défendent ? " Formule dont on conviendra qu'elle a, à nos oreilles, des résonances contemporaines. V.M

Michel Winock