Chapitre 6 La grammaire et les descriptions de la langue : la ...

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apprentissage de la grammaire. Références bibliographiques. Introduction. La Didactique du français langue étrangère (FLE) a connu une transformation.
Chapitre 6 La grammaire et les descriptions de la langue : la réflexion sur le fonctionnement de la langue favorise-t-elle l’apprentissage du FLE ? Javier Suso López Universidad de Granada Introduction. 1. Grammaire et réflexion sur la langue et son apprentissage. 1.1. La grammaire traditionnelle: grammaire descriptive et grammaire normative. 1.2. Le concept actuel de grammaire. 1.2.1. Que signifie enseigner la grammaire d’une langue ? 1.2.2. Polysémie du mot grammaire. 1.2.3. La ‘grammaire’ de l’usage et de la communication. 2. Comment enseigner la grammaire ? 2.1. Principes psychopédagogiques. Démarche générale 2.2. Activités concrètes, procédés et techniques de travail pour l’enseignement et l’acquisitionapprentissage de la grammaire. Références bibliographiques

Introduction La Didactique du français langue étrangère (FLE) a connu une transformation extraordinaire au cours des trente dernières années, par l’abandon des méthodes audiovisuelles (MAV) et le surgissement des approches communicatives. Cette transformation a concerné l’ensemble des composantes de la didactique des langues: la fixation des objectifs, la sélection et mise en progression des contenus, les activités qui se déroulent en classe, les procédés et les stratégies d’apprentissage proposées aux élèves, les techniques et de travail en rapport aux nouvelles ressources, la façon de concevoir l’évaluation, la gestion du groupe-classe... Les théories des disciplines complémentaires de la didactique des langues étrangères ont énormément évolué: • d’un côté, la linguistique, qui voit surgir la pragmatique, la linguistique de l’énonciation, la sociolinguistique; • de l’autre, la psychologie de l’apprentissage, qui propose de nouveaux modèles pour expliquer comment on apprend quelque chose), et la psycholinguistique, qui propose de son côté une réflexion particulière sur les modes d’acquisition de la langue (maternelle, seconde et étrangère). De nouveaux concepts sont ainsi apparus, qui essayaient de mieux cerner les problématiques auxquelles s’affrontent les concepteurs de méthodes, les didacticiens et les professeurs: syllabus, curriculum, compétence, contenu procédural, acquisition (que certains opposent à apprentissage), stratégies d’apprentissage, langue exogène ou endogène... De nouvelles orientations dans les recherches se développent: la multiculturalité, l’intercompréhension, l’autonomie de l’apprenant, les nouvelles technologies, etc. Le tout assaisonné par les nouvelles technologies de l’information et

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de la communication (NTIC), qui offrent un domaine inépuisable d’idées, de nouvelles façon de faire, en même temps qu’elles bouleversent totalement les rapports maîtreélève et élève-langue (ou objet). Les institutions de chaque pays (en Espagne, à travers la LOGSE puis la LOCE), mais aussi les institutions européennes (le Niveau-Seuil, Coste et alii 1976; le Cadre européen commun de référence pour les langues, 2000) essayent d’unifier les réflexions et les pratiques, dans le but d’une homogénéisation des habiletés acquises par les élèves et des certifications des compétences. Le foisonnement de propositions peut créer un sentiment de désarroi chez le professeur, qui ne sait plus très bien sur quelle théorie s’appuyer, quelle option méthodologique choisir, que faire en classe. Son choix consiste souvent dans une option éclectique, comme le propose par exemple Christian Puren (1994). Le problème reste sans résoudre cependant, car on peut se demander encore: dans quelles doses on mélange chaque composante? Dans quel ordre? Et vraiment, tout est bon? Car une chose est sûre: les différentes méthodes ou approches ne conduisent pas toutes aux mêmes compétences, aux mêmes savoirs, ni au même modèle d’élève. Dans tous les cas, le professeur doit choisir: et il est responsable de ses actes et de ses décisions. Le profil désirable du professeur, à partir de la conception du curriculum actuelle, a changé de nature: sa responsabilité en est accrue, puisqu’il doit décider des questions qui étaient plus ou moins prédéterminées auparavant; il doit adapter continuellement les programmes officiels (Décrets sur les contenus; Projet d’établissement) à la réalité énormément hétérogène de sa classe; il doit planifier une action didactique et imposer une autorité d’expert à un groupe d’élèves de plus en plus difficile à gérer; il doit devenir maître de sa classe, organiser de façon rationnelle les activités et les apprentissages. Son action doit répondre à une série de principes, qui projettent une cohérence à toutes les actions, depuis la planification préalable (objectifs, contenus) à l’évaluation (‘formative’), en passant par la mise en oeuvre des activités qui se déroulent en classe et l’évaluation continuelle de ce qui se passe. La capacité de réflexion sur la pratique didactique est l’une des conditions essentielles du progrès et de l’amélioration du savoir-faire du professeur. L’un des choix principaux auxquels doit faire face le professeur est précisément la grammaire: l’attitude envers la grammaire est l’un des piliers essentiels sur lesquels se produisent les divergences et les évolutions dans les méthodes de langue étrangère (LE), historiquement. C’est comme l’image de marque d’une méthode, ou bien d’une pratique d’enseignement. De la méthode traditionnelle à la méthode directe, des méthodes audiovisuelles aux approches communicatives actuelles en passant par l’approche naturelle, la place concédée à la grammaire répond à une façon concrète de concevoir la langue, à une façon concrète de concevoir comment on apprend le mieux une LE, ce qui détermine la totalité presque des choix postérieurs. Il faut donc tout d’abord définir ce que nous comprenons par «grammaire», réfléchir au rapport entre grammaire et langue, avant de nous poser plusieurs questions: • la première, faut-il enseigner de la grammaire ? Comme l’indiquent H. Besse et R. Porquier, « la question fondamentale est de savoir dans quelle mesure l’acquisition d’une description favorise ou entrave l’intériorisation de la grammaire étrangère » (1984: 30). C’est-à-dire, la grammaire est-elle bien une aide, ou un «raccourci», pour arriver à comprendre une langue, pour apprendre à s’exprimer ? Nous situons notre réponse dans la lignée de l’ouvrage coordonné par Suzanne-G. Chartrand, et aux antipodes des positions défendues par Krashen-Terrell : « Nous pensons tous [les auteurs qui participent à l’ouvrage] qu’un enseignement grammatical est nécessaire. Il doit viser deux

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-------------------------------------------------------------------------------------objectifs différents, mais solidaires : l’un est centré sur le savoir-faire de l’élève, son habileté à s’exprimer oralement et par écrit ; l’autre vise la connaissance que l’élève peut et doit avoir du système de la langue et de son fonctionnement pour en accroître la maîtrise (Chartrand et Paret, 1989). Seule l’atteinte de ces deux objectifs permettra aux élèves d’accéder à une maîtrise suffisante de la langue écrite, nécessaire pour faire d’eux des personnes responsables de la Cité, à la fois critiques et créatrices » (Chartrand 1996 : 15). Ces réflexions concernent l’enseignement du français en tant que langue maternelle (au Canada), mais elles peuvent situer le cadre général de cette « science de l’action » qu’est la didactique, quant à l’enseignement de la grammaire.

• si nous répondons oui, quelle grammaire faut-il enseigner ou faire apprendre aux élèves ? • et finalement: comment enseigner la grammaire ? 1. Grammaire et réflexion sur la langue et son apprentissage 1.1. La grammaire traditionnelle: grammaire descriptive et grammaire normative La grammaire [occidentale] est née vers le IIIe siècle avant notre ère, de la nécessité d’expliquer des textes archaïques: Homère dans la Grèce d’Alexandrie […]; les glossateurs et les scholiastes commencent à accumuler un corps d’observations et à les classer; ils fondent d’emblée la grammaire occidentale selon un cadre et une terminologie qui ont survécu jusqu’à nos jours. (Guiraud, 1974: 5)

Dans ce processus, il faut mettre en relief l’ouvrage Tékne Grammatiké, de Denys de Trace (170-90 av. J.C.), où il avait recueilli et classé les réflexions et les listes de règles développées dans l’enceinte du Musée et de la Bibliothèque d’Alexandrie, par des érudits (des bibliothécaires) qui s’occupaient de recopier, rééditer et corriger des textes et des manuscrits anciens: leur travail philologique les mena naturellement à établir des critères de correction et donc un système de règles, dont l’élaboration la plus poussée consiste dans l’ouvrage cité. La Tekne Grammatike (ou art grammatical) est, comme l’affirme le linguiste H. Steinthal (1890, 189, note), « la mère de toutes les grammaires européennes car il n’y a aucune qui ne dépende d’elle de manière complète ». Les Romains (Varron, Donat, Priscien) ne firent qu’appliquer le système grammatical grec à leur langue latine (Varron: De lingua latina; Donat: Ars Grammaticae (IVe siècle); Priscien: Institutum Grammaticorum Libri LXIII (VIe siècle). La grammaire se définit dès le début comme «l’art de parler et d’écrire correctement» (ars recte loquendi et scribendi). Le terme «art» exige une courte explication. Les Grecs classaient les savoirs dans une échelle du plus abstrait (théorique) au plus concret (pratique): nous avons ainsi en premier lieu l’episteme, savoir universel des principes derniers, purement logique et «spéculatif » (la philosophie; ce sera le cas aussi, avec les chrétiens, de la théologie); une tekne (ars en latin), selon Aristote (Métaphysique 981a) « surgit quand, à partir de beaucoup d’observations expérimentales, on arrive à une notion universelle sur des cas similaires » (ainsi, la médecine, les mathématiques). La tekne est donc un savoir universel et générique. L’empeiria (ou expérience) est par contre la connaissance du concret, du singulier (par exemple, le travail du peintre, du sculpteur, du cordonnier). La notion de tekne (ars) contient un double aspect: a) d’une part, la connaissance (théorique, abstraite) d’une série de règles;

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b) ces règles permettent d’autre part un savoir-faire, une teknitas, la réalisation de quelque chose. C’est donc une capacité de construire quelque chose selon certaines raisons/règles. L’acquisition de ce savoir dérive d’un processus inductif; ainsi, de la multiplicité des faits de langue, on extrait un système de classification: la différenciation des parties du discours, par exemple), mais aussi, un système plus général qui englobe la totalité des usages de la langue: • partie historique: explication du signifié; • partie technique: phonétique (éléments isolés et syllabe phonétique); morphologie (les parties du discours); orthographe; étymologie. • partie exégétique (le style des poètes). Cette science (ars) était inductive: on analyse des faits de langue, sur un corpus écrit ou ‘littéraire’, ce qui permet la proposition d’une hypothèse ou explication, puis l’accès à un théorème universel, et donc une généralisation et un système; il s’agit donc d’ un savoir fondé sur des causes objectives, qu’on peut démontrer). Une fois décrite la langue, cette science se transforme en science d’application particulière: un art de parler et d’écrire correctement, dont la frontière avec la rhétorique (l’art de bien parler) est floue. En tout cas, on tient à marquer une frontière nette avec le savoir-faire artisanal (l’empireia), l’habileté tirée uniquement de l’expérience. Cet art de parler correctement, une fois établie la grammaire latine (Varron, Donat, Priscien) et une fois devenue la langue latine une langue culte, fixée, sans évolution, va prendre le relais de l’approche inductive/scientifique le long du Moyen Âge et de la Renaissance, dans la mesure où le latin se transforme en L 2, ou langue non maternelle, à apprendre: l’ «ars » de la grammaire prend un caractère didactique et utilitaire, un art normatif (l’usage correct de la langue), mais aussi l’instrument nécessaire à l’interprétation des textes d’une part (exégèses, commentaires, traductions), et de l’autre, une discipline propédeutique, de préparation à la rhétorique (art de bien parler, qui venait dans l’ordonnement de l’enseignement à sa suite) et à la dialectique (le trivium), passage forcé et base du quadrivium. L’art de bien parler et de bien écrire ne s’acquérait qu’à travers les modèles des meilleurs auteurs; c’était la voie (unique) d’accès qui menait à bien «discourir» (« disserter sur un sujet, en le développant longuement », cf. le mot discurrir en espagnol): c’était là l’idéal de la formation culturelle et morale de l’homme de la Renaissance. Comme l’indique Uitti (in Zumthor, 1972: 32-62): « La grammatica, sur laquelle repose l’édifice des «arts» ne correspond qu’en partie à la notion moderne de grammaire. Descriptive et normative à la fois, elle embrasse l’étude textuelle des auctores et une réflexion sur la langue: celle-ci, identifiée au latin, apparaît comme une forme virtuellement éternelle, directement articulée sur les mécanismes de la pensée ». La grammaire enseigne la langue (latine), mais elle enseigne aussi à penser: les premières grammaires vernaculaires du XVIe siècle, comme J.-Cl. Chevalier l’indique (1968: page 27 et suivantes), sont l’ouvrage de pédagogues: c’est-à-dire, elles s’inscrivent dans un mouvement dont la finalité dernière est l’enseignement de la Logique, à l’intérieur de la tradition linguistique aristotélicienne codifiée par Priscien. La Grammaire (toute grammaire; la grammaire de toutes les langues) y est conçue comme une méthode d’explication du fonctionnement de la langue, qui manifeste obligatoirement les catégories logiques (substance ou être, accident ou qualité, action, temps, lieu, cause, conséquence, etc.).

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Cependant, la conception de la grammaire comme science ne disparaît pas totalement: elle renaît aux XIIIe-XIVe siècles chez les «modistes», puis certains humanistes (ainsi Scaligero, Francisco Sánchez de las Brozas), au contact des grammairiens grecs, vont la reprendre. Ils rejettent l’aristotélisme scolastique, et reprennent la méthode aristotélicienne pure, c’est-à-dire l’explication des faits à partir de leurs causes. Nous pouvons dire que la «linguistique générale» du XXe siècle renoue avec cette tradition de grammaire «spéculative ». La grammaire des langues vernaculaires (qui se construit au cours des XVIe et XVIIe siècles) applique les catégories d’analyse et les divisions de la grammaire grecque et latine aux langues «modernes» et occupe tout le domaine de l’analyse et de la réflexion sur la langue (à l’exclusion de la rhétorique, qui concerne les aspects esthétiques et organisationnels des textes littéraires). Claude Irson (1662) définit ainsi la grammaire: « La grammaire est un Art qui enseigne à bien lire, à parler congrûment, à prononcer avec netteté, et à écrire correctement » (1662: 1). Elle comprenait habituellement les parties suivantes: a) la prononciation (actuelle phonétique): dans la grammaire traditionnelle, la confusion entre son et lettre était habituelle, et cette partie cherchait à établir les correspondances entre les lettres et les sons pour apprendre à «lire»; b) l’orthographe : on y proposait un catalogue des règles pour écrire; c) l’analogie (appelée aussi lexicologie; actuelle morphologie): étude des mots (classés selon les parties du discours), dans leur signification propre (étymologie), et dans leur flexion (cas, genre, nombre; temps et modes pour les verbes); d) la construction et la concordance (actuelle syntaxe): l’ordre des mots, le régime; e) la prosodie: qui s’occupait de l’intonation, de la longueur des voyelles, et dont l’étude permettait l’analyse de la versification; f) le style des auteurs: on incorporait habituellement à la fin un traité sur l’écriture, sur le style épistolaire et sur «la belle façon d’écrire» pour préparer les premiers pas des élèves vers la rhétorique. Cependant, au XVIIe siècle, la description de la langue vernaculaire (écrite, ne n’oublions pas) faite par la grammaire est soumise à une approche de la norme, qui est conçue sous une emprise à la fois littéraire et élitiste: Avec le XVIIe siècle […] se forme la notion d’une règle et d’un usage français, l’usage de Paris et celui des «honnêtes gens». Cet usage détermine une norme d’origine littéraire et d’un niveau très élevé soumise qu’elle est aux exigences de pureté et de rigueur de la doctrine classique régnante. Cette conception de la norme qui s’est formée dans un contexte social et historique particulier. (Guiraud, 1974: 7)

D’un côté, Vaugelas (avec sa théorie du Bon Usage) puis l’Académie française (créée en 1635 par Richelieu) font passer l’idée que l’usage naturel de la langue, tel que le peuple le pratique, ne fournit aucune garantie de correction; au contraire, il est source d’erreurs et de vices: « le peuple n’est maître que du mauvais usage » (1647: Préface, XXX). Il faut donc joindre «l’art à la nature». Le «bon usage» est par contre l’usage que font de la langue «la partie la plus saine de la cour», ainsi que les «bons écrivains». La grammaire s’éloigne fortement de ses origines grecques et latines. D’autre part, la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (Arnault&Lancelot, 1660) renverse également l’équation qui avait servi à la création de la grammaire grecque. Pour les premiers grammairiens grecs, à partir de l’analyse de l’usage, on établit un fonctionnement de la langue, c’est-à-dire une grammaire, qui se limite à décrire, à classer, à expliquer un état (grammaire descriptive). À partir de Port-

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Royal, c’est la grammaire (la logique, la raison) qui fonde en dernière instance l’usage linguistique, et celui-ci doit révéler l’harmonie primitive du langage (donné par Dieu à l’homme). Si la logique (ou la raison) et la grammaire ne coïncident pas toujours, c’est parce que les langues, par la malédiction de Babel, ont été soumises à une dégénérescence qui leur a fait perdre l’harmonie de la langue primitive. Cette conception de la grammaire va marquer longtemps les études linguistiques: la grammaire n’est pas une description de la langue; elle est l’art (science) qui permet de dévoiler les manifestations de l’âme raisonnable, de la Raison, de la Logique naturelle, contenues dans la langue: la grammaire est consubstantielle à la langue, elle est l’essence même de la langue. Quelques exemples de syntaxe (qui s’occupe de mette en évidence les règles de «la construction des mots ensemble ») pour comprendre cette visée universelle de la grammaire de Port-Royal : on ne peut pas utiliser un adjectif sans un substantif ; on doit toujours faire la concordance dans une relation de dépendance (sujet-verbe ; adjectif-substantif ; etc.) ; l’ordre de la phrase (sujet – prédicat : la terre - est ronde ) révèle l’ordre de la pensée… La signification des mots est donnée par des idées générales qui acquièrent après des valeurs particulières. Les mots sont les noms de ces idées. Les idées générales sont innées puisqu’elles ne peuvent pas se justifier à partir de ce qui est extérieur à l’individu (ainsi, les notions de temps, espace, nombre, mesure...) et sont donc des catégories préexistantes. La langue dépend, dérive, de la pensée humaine (l’entendement), de la faculté d’appréhender les choses. L’homme est au centre de la langue, non pas les conventions absurdes ou irrégulières qui ont été transmises par corruption ; il faut donc contrer ces influences néfastes, refaire la langue, pour la bien parler. C’est cette conception de la grammaire (à la fois particulière: ensemble de règles; et générale: cet ensemble de règles doit répondre à une logique rationnelle –la pensée humaine– qui doit se traduire en une logique interne des langues) que l’on transmet aussi dans l’apprentissage des grammaires de langues étrangères. « Parler français par usage, ce n’est pas savoir la langue française », déclare Jean Godard (1620: 2931). C’est là le fondement de la grammaire prescriptive ou normative: la grammaire doit établir une discrimination de ce qui est correct et de ce qui ne l’est pas. Cette conception de la grammaire se maintient tout au long des XVIIIe et XIXe siècles et la première moitié du XXe siècle. On privilégie ainsi la réflexion dans l’acquisition; on vise une connaissance réflexive (explication et compréhension de règles; traduction); on oriente les études vers les rapports entre la pensée logique et la parole: il s’agit d’analyser les idées par le langage, et de définir les formes que peuvent prendre ces idées dans le langage, dans l’optique de l’universalisme de la Grammaire générale. Bien parler est inséparable du bien raisonner: l’un s’appuie sur l’autre, l’un n’«est » pas sans l’autre... La connaissance de la grammaire devient un outil indispensable, dont ne peut s’en exclure aucun homme cultivé: le Littré (1872-1877) définit la grammaire comme « l’art d’exprimer ses pensées par la parole ou par l’écriture d’une manière conforme aux règles établies par le bon usage », en se servant des « livres où les règles du langage sont expliquées ». Il ne faut pas confondre ainsi une grammaire descriptive (établie par un linguiste, selon une méthode ou théorie déterminée), et la grammaire normative, qui, « tout en étant tributaire du linguiste, dans la mesure où elle ne peut ignorer les faits […] réfère […] à un système de valeurs sociales » (Guiraud, 1974: 110). Et, comme il met en relief, cette grammaire normative, en France, a été depuis toujours plus ou moins inconsciemment «engagée» –il utilise lui-même ce terme–, dans le respect de critères

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politiques et sociaux bien nets: « la règle […] définie par ‘l’usage parisien dans la classe cultivée’ repose sur la notion d’État centralisé: elle repose aussi sur la notion de classe » (Guiraud, 1974: 111). Il s’agit ainsi d’une norme centralisatrice et élitiste, basée sur les usages de la langue de l’aristocratie et de la bourgeoisie intellectuelle. « Ce fait, lourd de conséquences, a favorisé la scission du français en deux langues de plus en plus distinctes et contribué au durcissement des cloisons sociales » (Guiraud, 1974: 111): la langue orale courante est très éloignée dans son lexique et ses règles morphosyntaxiques de la langue standard (orale et écrite). « C’est cette ‘grammaire’ qui a été transvasée en ‘grammaire scolaire’ : « on appelle grammaire scolaire un ensemble de savoirs – ainsi que l’ouvrage qui les contient, que ce dernier soit utilisé dans les écoles ou non, qu’il date de 1920, de 1965 ou de 1995 – qui correspond à la vulgate grammaticale élaborée pour l’enseignement des règles prescriptives du français écrit normé » (Chartrand dir., 1996 : 32). C’est cette grammaire scolaire pour le FLM qui est à la base des grammaires et des manuels utilisés pour l’enseignement du FLE, tout en faisant certaines adaptations du contenu, ou grammaire pédagogique (jusqu’à l’avènement des méthodes audiovisuelles, qui éliminent les explications grammaticales du contenu des manuels). Ce qui ne manque pas de produire des inconséquences terribles : Le Précis de grammaire française de Grevisse (1969, 28e éd.) a servi de grammaire de référence à de nombreuses générations d’étudiants espagnols, surtout à l’université, quand cet ouvrage est destiné à des étudiants dont le français est la langue maternelle, et « s’adresse à ceux qui maîtrisent déjà la langue orale et écrite standard » selon l’auteur lui-même (Chartrand dir. 1996 : 33). Comme le souligne Roulet (voir plus loin), aucune place n’est faite, lors de la présentation du verbe, aux questions de régime, qui intéressent surtout les étudiants de FLE.

Toute définition actuelle de la grammaire doit ainsi réfléchir à cet état de fait: si nous prétendons faire acquérir à un élève une compétence de communication qui lui permette d’assumer le rôle de locuteur en langue étrangère (dans des divers niveaux et modalités), il faudra qu’il connaisse la langue correcte (ou standard), mais aussi la langue telle qu’elle est parlée. D’autre part, à partir de la grammaire latine (qui ne change pas, une fois que le latin devient langue morte), l’idée s’est répandue dans les esprits que la grammaire d’une langue est invariable, que les règles sont fixées une fois pour toutes. Cette idée, que les grammairiens normatifs et les défenseurs de l’ordre linguistique aiment bien, ne peut être que totalement fausse, comme mettent en relief Claude Germain et Hubert Séguin : L’usage d’une langue varie avec le temps, les descriptions grammaticales, qui se veulent un reflet de l’usage, varient également. Les représentations ou conceptions du grammairiens au sujet de la langue évoluent sans cesse, se raffinent avec le temps. Les grammaires sont ainsi appelées à être continuellement modifiées, non seulement dans leurs premiers moment […], mais tout au cours de l’histoire. (1995: 11)

Et ils montrent, à travers trois exemples (le concept de syntaxe, l’orthographe grammaticale au XVIIIe siècle, et l’accord du participe passé), le caractère à la fois relatif et évolutif de la grammaire (1995 : 12-14). Et donc, si la grammaire change, la première chose à laquelle doit réfléchir un didacticien est de se baser sur une grammaire descriptive actuelle de la langue qu’il veut enseigner! Avant de passer au concept actuel de grammaire, il importe de faire le point sur cette grammaire traditionnelle, en soulignant ses défauts majeurs, pour définir, ne seraitce que négativement, ce que la grammaire ne doit pas être.

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Première constatation: « les manuels scolaires traditionnels ne constituent pas des auxiliaires satisfaisants pour l’apprentissage de l’expression orale, ni même de l’expression écrite. On pourrait en dire autant de l’apprentissage de la compréhension orale et écrite s’il était considéré comme partie intégrante de l’enseignement traditionnel. De fait, le but implicite des manuels traditionnels, qui est d’apprendre à l’élève à construire des phrases correctes, ne peut être atteint pour des raisons que tiennent au contenu de ces grammaires et à leur présentation » (Roulet, 1978: 15)1. A. Problèmes dérivés des options métalinguistiques (ou philosophiques) 1. Les manuels traditionnels présentent des définitions, des règles, des explications, le plus souvent de caractère logico-sémantique, insuffisamment explicites, voire fausses, et donc peu utiles. Les définitions traditionnelles concernant les parties du discours, la phrase, les fonctions (la fonction ‘objet’ par exemple) présentent de nombreux points faibles que les linguistiques structuraux ont relevé2. « Une grammaire prisonnière de la grammaire latine et de la logique. […] De l’Antiquité gréco-romaine, cette grammaire retient surtout sa conception de la langue qui, elle, a été reprise et raffinée au XVIIe siècle par la grammaire dite de Port-Royal, où le « sens devient premier et l’étude des logiques prévaut sur celle des formes » (Chevalier, 1968 : 491). La langue y apparaît comme le reflet de la logique universelle, cet « art de raisonner », c’est-à-dire, en clair, l’utilisation rationnelle et éclairée des catégories logiques déterminées par Aristote. La langue ne serait alors qu’un étiquetage de l’univers de la Raison. Les encyclopédistes n’affirmeront-ils pas qu’elle le miroir de la pensée ? Cette conception mentaliste est encore bien enracinée dans l’enseignement. N’entend-on pas quotidiennement les enseignants de français et les gens « cultivés » vanter la logique de la grammaire et de la langue françaises et se plaindre du manque de logique des élèves et de gens du peuple ? Or, la langue française, comme toutes les langues d’ailleurs, n’a que faire des catégories philosophiques héritées d’Aristote. Elle a sa logique propre, si on entend par là une organisation systématique de ses constituants, dont la description de plus en plus minutieuse est assurée par la recherche linguistique en syntaxe et en lexique, notamment. En revanche, oui, la langue française, comme toutes les langues, permet de mettre en mots tout raisonnement logique, c’està-dire, rigoureux et cohérent, produit par un sujet : elle peut l’exprimer mais n’en est pas le reflet » (Chartrand dir. 1996 : 36).

2. Souvent même, les manuels traditionnels présentent des définitions et des explications qui sont souvent incohérentes parce qu’elles se réfèrent à des options métalinguistiques différentes. Ainsi, par exemple, Grevisse (dans Le Bon Usage) recourt à des critères fonctionnels (adjectifs), ou formels (prépositions), tantôt à un amalgame de plusieurs critères. 3. Les grammaires traditionnelles tendent à reproduire dans la langue étrangère (vernaculaire) les options linguistiques présentes dans les grammaires grecque et latine, et, au lieu de chercher à décrire la langue, tendent à vouloir la normativiser. C’est ainsi qu’elles accordent une importance exagérée aux fautes à éviter et aux exceptions (voir plus loin les choix des contenus): on met au premier plan l’aspect prescriptif de la grammaire, et on dissimule l’aspect systématique (globalité), et par conséquent l’aspect créatif de son apprentissage (production libre: expression orale et 1

Nous résumons ici les conclusions du premier chapitre (« La Grammaire traditionnelle ») de cet ouvrage, tout en introduisant des exemples tirés de notre propre expérience. À partir du point II, nous introduisons une série de décisions personnelles d’une plus grande portée; E. Roulet lui-même indique l’arbitrariété de la séparation entre la forme et le contenu. 2 Ainsi, la définition de verbe: « mot qui exprime une action ou un état » (et alors, le mot: course?); ou bien la définition traditionnelle du partitif : « se utiliza un artículo partitivo cuando el nombre no se toma en toda su significación sino por parte de ella ». Comment expliquer alors: il a de la fièvre?

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écrite) de la langue. La grammaire tend à devenir une corvée, dont on ne voit jamais venir les répercussions avantageuses tant vantées. B. Lacunes caractéristiques du contenu des traditionnelles pour l’enseignement des langues étrangères:

grammaires

scolaires

1. Les manuels traditionnels ne rendent pas compte de la langue en usage aujourd’hui et imposent une norme qui est généralement celle des grands écrivains des siècles passés. L’exemple du Précis de grammaire française de Grevisse est illustratif: plus d’un tiers des exemples est constitué de citations de grands auteurs, dont la moitié d’écrivains du XVIIe siècle. Il suffit de prendre l’exemple de la construction de l’interrogation: on ne présente généralement que les constructions admises telles que: Où va ton père? Où va-t-il? Où ton père va-t-il? Où est-ce qu’il va?, et on exclut 4 autres formes dont l’usage (presque à égalité d’occurrence) est attesté par l’enquête du Français Fondamental: il va où? Où il va? Où c’est qu’il va? Où qu’il va? Comme conséquence, il se produit un divorce énorme entre la langue que l’élève apprend au sein de l’institution scolaire et celle qu’il entend dans ses rapports naturels avec des francophones, en tirant la conclusion qu’il ne sait rien. Le grammairien se doit d’abord de décrire la langue en usage à notre époque, car c’est celle dont les étudiants ont besoin pour la communication quotidienne; il devra aussi lui faire savoir que certaines constructions sont propres à la langue orale, et d’autres à la langue écrite , ou que certains termes ou expressions ne sont possibles que dans le français courant ou familier. 2. Les manuels traditionnels, même les plus récents, décrivent seulement la langue écrite et négligent la langue parlée, ou confondent les deux codes. Par exemple, la négation en français oral, dans 95% des cas (français courant), se fait à l’aide de la particule pas exclusivement ; les descriptions traditionnelles parlent d’un usage de ne … pas dans tous les cas. Rares sont les manuels qui distinguent les deux codes (et, s’ils le font, il existe des confusions fâcheuses aussi). Il suffit de regarder les règles de formation du féminin, ou du pluriel, ou la concordance du participe passé, ou encore la classification des verbes et groupes, les rapports désinentiels, etc., pour s’en convaincre. Plus grave encore, selon une perspective communicative: les manuels d’enseignement du français « qu’ils s’adressent à des Français ou à des étrangers, partent d’une hypothèse qui est toujours présente (sinon formulée): l’activité linguistique du sujet parlant reste la même, qu’il s’agisse d’utiliser la langue oralement ou par écrit. Les différences d’utilisation, tant sur le plan du lexique que sur celui de la grammaire ou de la phonétique, sont passées sous silence ou minimisées » (E. Wagner, Préface à l’ouvrage de Madeleine Csécsy, 1968: 7). 3. D’une manière générale, les manuels traditionnels accordent une place prédominante à la morphologie et négligent la syntaxe. La morphologie, conformément à l’objectif normatif, rabâche sans cesse les règles, exceptions et contre-exceptions de la formation du pluriel des substantifs ou l’accord des participes passés... Quant à la syntaxe, elle embrasse les questions de la construction des propositions subordonnées, mais elle a laissé tomber certains aspects qui intéressaient les étudiants en LE: ainsi, la construction (par exemple, du syntagme nominal: usage des articles, place de l’adjectif, etc.), ou encore le régime des verbes... « La grammaire scolaire est d’abord une grammaire du mot, des « parties du discours » ; la part accordée à la phrase y est congrue. Quant à la grammaire du texte, elle y est inexistant.

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-----------------------------------------------------------------------Observant le traitement réservé au verbe dans le Précis [de grammaire française de Grevisse, 1969], le linguiste et didacticien E. Rouet (1972-[1978, 2e éd.]) constate qu’une quarantaine de pages sont consacrée à la morphologie verbale alors qu’aucune ne donne d’informations syntaxiques sur le régime des verbes » (c’est-à-dire, l’ « ensemble des différentes constructions possibles d’un verbe, à savoir l’ensemble des contraintes pesant sur les types de sujets et de compléments qui sont susceptibles de l’accompagner ») » (Chartrand dir. 1996 : 34-35). […] « Cette lacune observée dans le Précis n’a rien d’étonnant puisque, comme nous l’avons expliqué, cet ouvrage s’adresse à ceux qui maîtrisent déjà la langue orale et écrite standard » (*et donc, ne font pas de « fautes » dans ces aspects, qu’ils ont acquis par « immersion »)

4. Les manuels traditionnels consacrent souvent de longs développements à des points secondaires (touchant en particulier le domaine de l’orthographe), mais négligent des constructions importantes. Ce sont les problèmes posés par la conjugaison des verbes à tous les temps, le problème de tout, les pronoms en et y, les doubles substitutions pronominales (du genre: il ne la leur a pas donné, vous ne m’en avez rien dit, elle les leur a dit ou elle leur en a dit... ), questions à très faible rendement communicatif, où l’on consacre la plupart des efforts des étudiants, au lieu d’apprendre à construire des énoncés réels (combinaison d’éléments usuels). C’est que les manuels traditionnels, généralement, suite à leur option normative, enseignent davantage à éviter les fautes les plus courantes contre la norme qu’à construire des énoncés. « L’étudiant, notent pertinemment L.F. et A.P. Nilsen, étudie tout ce qu’il doit éviter, mais il n’apprend pas ce qu’il doit faire » (Roulet, 1978: 20). 5. Les manuels traditionnels ne fournissent pas de règles permettant de construire systématiquement des phrases complexes correctes. Les combinaisons possibles entre phrases sont ignorées; par exemple, on ignore la transformation de phrases indépendantes, coordonnées ou juxtaposées, en subordonnées (du type : Il fait froid. Je prendrai mon manteau); on ignore la transformation de constructions adjectivales en propositions relatives (un arbre situé au sommet de la colline, avec une branche fendue par un éclair: qui est, dont la branche... ); on ignore les transformations des propositions complétives (dis-moi ton nom: comment tu t’appelles...; dis-lui de venir... ). L’expression écrite est ainsi un exercice très complexe, qu’on demande de faire à l’élève sans aucun entraînement adéquat préalable. 6. Enfin, débordant le cadre de la morphologie et de la syntaxe, les manuels esquissent parfois un traitement de certains faits phonétiques et lexicaux qui est le plus souvent inadéquat. Ainsi, ce n’est pas une présentation phonétique de sons français qui importe, mais une présentation phonologique; ou alors, les enchaînements (liaisons) des sons, les intonations, le travail sur des phrases phonétiques, le rythme, les pauses, etc. au lieu d’une phonétique corrective limitée à la reproduction plus ou moins fidèle d’un son. C. Problèmes dérivés de la présentation. 1. Les manuels traditionnels sont caractérisés par un cloisonnement et une dispersion dommageables des informations grammaticales. Ils suivent ainsi l’ordre canonique de la division de la grammaire (parties du discours, dans l’ordre traditionnel: article, substantif, adjectif, verbe, adverbe, préposition, conjonction, interjection, puis la syntaxe): une progression aberrante pour un cours de langue. 2. Les manuels traditionnels, dans leur présentation, respectent encore trop souvent des schémas des grammaires grecque et latine qui ne sont pas adaptés à la description de certaines langues modernes. Certes, les déclinaisons ont disparu des grammaires modernes (elles continuent d’exister dans les descriptions grammaticales

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jusqu’à la fin du XIXe siècle), mais, par exemple, le classement des verbes français en quatre groupes part du même principe que les grammaires latines: la désinence de l’infinitif à la langue écrite. 3. Bien que l’on associe généralement à la grammaire traditionnelle l’idée de règle, un examen attentif révèle que les manuels, sur de nombreux points, donnent moins des règles que des listes de formes et d’exemples. Si les listes de mots féminins et masculins, par exemple, ont disparu des descriptions grammaticales, il n’en reste pas moins la présence d’une volonté de réaliser une grammaire «complète» dans la plupart des cas, en y associant l’idée que cette totalité est une marque du sérieux de la grammaire: il suffit de jeter un coup d’oeil, par exemple, à la question de «Absence et présence de l’article» (Mauger, 1968) pour s’en convaincre: cette question occupe 18 pages (103-121): très souvent, l’énonciation d’un usage est suivie d’un autre usage qui invalide la règle en principe énoncée; le résultat est la confection d’une liste d’usages interminable. Certaines grammaires destinées aux apprenants du FLE reprennent mimétiquement ces listes d’usages et les font mémoriser aux élèves, tout comme les listes de mots qu’on proposait. De forme synthétique, à partir des analyses d’E. Roulet (1978) et d’Hèlène Huot

(1981), reprises par Suzanne-G. Chartrand (1996), on pourrait mettre en relief les défauts majeurs de cette grammaire traditionnelle de la façon suivante: on y confond la grammaire descriptive et la grammaire normative: les grammaires ne rendent pas compte de la langue en usage aujourd’hui : «En conclusion, les manuels traditionnels ne fournissent pas au maître une description satisfaisante de la langue qu’il enseigne, ni à l’élève une description suffisante de la langue qu’il doit apprendre (Roulet, 1978: 28). Ainsi, on continue d’enseigner seulement le français «standard», ce qui rend l’étudiant inapte à communiquer dans le français d’aujourd’hui, dans une situation de communication réelle; •



« Cette grammaire […] présente les caractéristiques suivantes : 1. Confusion entre synchronie et diachronie : « […] alors qu’elle répertorie des règles et des normes héritées des usages du passé, elle plaque sa terminologie et ses analyses sur le français contemporain, ce qui aboutit à des descriptions qui sont en porte-à-faux. En revanche, elle ignore ou condamne des constructions contemporaines, telles que les structures disloquées, les phrases emphatiques, les phrases à présentatif, etc. » (Chartrand dir. 1996 : 33). « Elle ne décrit pas adéquatement la langue contemporaine » (Chartrand dir. 1996 : 33).



on ignore ou on sous-estime le français oral en faveur de l’écrit, « une grammaire pour justifier les règles d’orthographe » « L’accent mis sur les irrégularités du système linguistique est conséquent avec la « visée orthographique » de cette doctrine grammaticale, comme l’a démontré Chervel (1977). Cette grammaire a effectivement pour objet essentiel la maîtrise de l’orthographe grammaticale jusque dans ses moindres subtilités […] Dans cette grammaire, la langue orale n’a pas droit à une description de ses structures » (Chartrand dir. 1996 : 34).

• mais en plus c’est le français écrit littéraire, ou français cultivé, qui est à la base des descriptions grammaticales et promu comme modèle d’écriture, en négligeant les autres types de discours écrit;

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-----------------------------------------------------------------------ou encore : elle est « une grammaire d’élite » : « elle ne traite que d’un seul registre de la langue, qu’elle présente comme le seul valable, celui des « grands auteurs » […] elle ne rend compte que d’une partie de la langue écrite, le français littéraire, précisément celui où le « bon usage » est consacré » (Chartrand dir. 1996 : 33). « ainsi, la grammaire scolaire s’est constituée non pas pour assurer à tous la maîtrise de la langue orale et écrite, comme plusieurs le croient, mais comme « auto-justification » des normes et des règles de l’orthographe imposées de façon souvent arbitraire et toujours autoritaire » (Chartrand dir. 1996 : 34).

• on veut que l’élève apprenne la grammaire comme si c’était suffisant pour qu’il apprenne à parler ou à écrire; or, ce passage entre savoirs (savoir les règles) et capacités (savoir parler) ne se fait pas naturellement, c’est-à-dire, qu’il faut le construire; • on prétend davantage que l’élève apprenne à éviter les pièges (les exceptions aux règles) qu’à lui faire apprendre la langue, c’est-à-dire à la parler et à construire un savoir intelligent sur le fonctionnement de la langue (compétence) : C’est ainsi que Jean-Paul Bronckart, « un des plus importants théoriciens de la didactique du français » émet un jugement très négatif et sévère : « la grammaire scolaire, un obstacle à la construction de mécanismes intelligents (1983 : 10). […]. « Bronckart rappelle que « l’intelligence se développe par généralisation de procédures et de règles, par leur intégration dans des ensembles plus vastes et plus explicatifs ». Aussi, ce n’est pas par la masse de ses particularismes, de ses fameuses exceptions et des ses normes arbitraires que la grammaire scolaire peut contribuer à développer les capacités d’analyse et de synthèse nécessaires à une pensée tant soit peu rigoureuse, ni à forger le raisonnement » (Chartrand dir., 1996 : 37).

• Nous pourrions ajouter, suite à la réflexion de la linguistique appliquée de la période audiovisuelle, l’absence totale d’une perspective comparative entre langue maternelle et langue cible: les grammaires françaises pédagogiques sont conçues de façon universelle (pour tous les publics du monde), d’une façon uniquement limitative, en gardant l’essentiel des descriptions fournies. Les jugements négatifs sur cette grammaire traditionnelle ont été unanimes dans une certaine époque, marquée par le structuralisme ou l’avènement de la linguistique de l’énonciation et de la pragmatique: cette grammaire était « normative mais manquant de rigueur, plus encombrée d’archaïsmes et d’exceptions que pertinente sur les fonctionnements fondamentaux » (D. Coste, in J.-Cl. Béacco, 1987: 66). Ceci dit, comme l’indique E. Roulet lui-même (1978: 15) –où il reprend un commentaire de Chomsky apparu dans La linguistique cartésienne–, il ne faut pas rejeter d’un seul bloc la grammaire traditionnelle: « certains ouvrages traditionnels [...] présent[ent] une description des faits grammaticaux plus juste et complète que de nombreuses grammaires dites structurales ». On peut étendre le commentaire aux grammaires issues de la linguistique générative –qui ont constitué un énorme fiasco quant à leurs répercussions dans leurs applications pédagogiques– et même aux descriptions propres à la linguistique fonctionnelle, appliquées dans les approches communicatives, qui souvent ne décrivent qu’un petit pan de la réalité linguistique et ne possèdent qu’intérêt restreint. En outre, dans la perspective de l’enseignement d’une LE, on ne peut pas éliminer la «grammaire normative»: l’élève doit connaître comment parlent les locuteurs français en France et dans la francophonie; il doit connaître également ce qui est correct.

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1.2. Le concept actuel de grammaire 1.2.1. Que signifie enseigner/apprendre la grammaire d’une langue ? Avant de définir le concept actuel de grammaire, nous devons faire un petit détour du côté de la linguistique qui nous aidera à placer le concept de grammaire dans le contexte intellectuel qui lui est propre. Les fondements linguistiques, sur lesquels la Didactique du FLE s’appuie en tant que discipline interdisciplinaire, dérivent des descriptions faites de la langue dans les dernières décennies, descriptions qui proviennent du domaine de la sociolinguistique (Dell Hymes, Gumperz), de la psycholinguistique (Chomsky), de la pragmatique (Austin, Searle, Halliday: les actes de parole, les fonctions de la langue), de la théorie de l’énonciation (Benveniste, Culioli, Ducrot: les marques de l’énonciation, les actualisateurs, les modalisations du discours). Ces descriptions ont souligné toutes l’importance de la signification dans la langue, et que celle-ci est inséparable du contexte de production et des rapports que les interlocuteurs (intentions communicatives, rôles) entretiennent entre eux. vue3:

Quant à sa nature, on considère la langue selon une multiplicité de points de

• la langue est un usage social, déterminé par des règles sociales qui établissent ce qui est approprié dans chaque situation de communication (sociolinguistique); • la langue est un comportement acquis naturellement par l’enfant, et qu’on peut obtenir chez des individus adultes en créant de nouvelles habitudes linguistiques, vision de la langue qui est à la base de la méthoe audioorales et de certaines méthodes audiovisuelles (behaviorisme); • un savoir-faire individuel, ou une compétence individuelle, (agendum, energeia), dérivée d’une conception de la langue comme quelque chose qui est vivant, et qui vit d’une façon différente dans chacun, dont la mise en fonctionnement implique tout son être, sa personnalité, son savoir: ses connaissances, son affectivité, ses émotions, ses attitudes, ses gestes… (Humboldt, générativisme) ; • une valeur: bien parler une langue (maternelle, étrangère), confère à l’individu une reconnaissance sociale et un prestige indéniable, mais aussi c’est un puissant atout pour toute réussite professionnelle. À travers cet adverbe «bien», nous ne signifions pas seulement la correction dans l’expression (l’ajustement à la norme), mais aussi l’aisance, la possession de tous les mécanismes qui fondent un discours adapté à la situation (l’élégance, le choix et l’abondance du lexique et des expressions, les moyens rhétoriques mis en œuvre...). Ceci est particulièrement vrai pour certaines langues (le français), où la correction et l’usage esthétique de la langue ont depuis toujours été associées au pouvoir (sociolinguistique). • « un ensemble de règles formelles inscrites dans l’architecture cognitive de tout être humain, et commandant son fonctionnement » (rationalisme innéiste, Chomsky) (Santacroce, 1999 : 3).

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Nous établissons une liste générale des « conceptions » de la langue, issues des diverses approches théoriques du XXe siècle, où toutes les composantes ne peuvent pas être prises en compte d’une manière égale par un didacticien : il devra forcément faire des choix.

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• un objet: la langue est aussi un objet, qu’on peut décrire, et qui peut être appréhendé sous forme de système objectif (linguistique structurale), indépendant du sujet, ensemble organisé de signes qui ont codifié l’expérience humaine, et dont la cohérence tient aux conventions sociales qui l’ont institué ; doté d’une cohérence interne propre ; décomposable en sous-systèmes (phonologique, morphosyntaxique, syntaxique, sémantique) solidement unis les uns les autres; un tout dont le fonctionnement répond à des exigences de cohérence interne (système répondant donc à des règles de fonctionnement, mais aussi à des règles dérivées des usages de la communication sociale). C’est une idée que les documents officiels du Ministère de l’Éducation espagnole mettaient nettement en relief en 1992: El lenguaje es un instrumento privilegiado de comunicación gracias a su capacidad para representar la realidad de una manera compartida en general por todos los miembros de una comunidad lingüística. De ahí que al aprender una lengua no se adquiere únicamente un sistema de signos, sino también los significados culturales que estos signos conllevan, es decir, unos modos de interpretar la realidad. Junto a estas consideraciones funcionales han de tenerse en cuenta igualmente las características estructurales de las lenguas. Desde este punto de vista, la lengua se define como un sistema de signos interrelacionados. En la descripción de las unidades de la lengua, cada una de ellas sólo adquiere sentido si se hace referencia al conjunto, al sistema completo (Lenguas extranjeras, 1992 : 14).

• « le produit d’une activité cognitive, fondée sur les représentations et les opérations du sujet parlant» (constructivisme, cognitivisme) (Santacroce, 1999 : 3). D’un point de vue fonctionnel, on met en relief de même plusieurs points de vue. La langue est une « activité humaine complexe à travers laquelle nous assurons deux fonctions principales: la communication et la représentation » (Diseño Curricular Base, 1989) fonctions qui ne s’excluent nullement l’une l’autre, mais qui s’interpénètrent. Ainsi, la langue est autant un moyen: • de communication sociale (interpersonnelle) et d’interaction entre les membres d’une communauté. La communication est en effet une: «tentative d’ajustement où l’on doit ajouter au transport de l’information, le jeu des rôles et des actes par quoi les interlocuteurs se reconnaissent comme tels, agissent comme tels et fondent ainsi des communautés linguistiques dans un monde humain» (pragmatique) (Éluerd, 1985: 184). • de représentation de la réalité sociale et culturelle, vision du monde que l’individu acquiert dans une large mesure avec l’acquisition de la langue elle-même (pragmatique). En conséquence, la langue est aussi un moyen: • d’intégration sociale et culturelle. ou d’exclusion si on n’arrive pas à s’en servir correctement (sociolinguistique). • de développement et de construction de la compétence cognitive d’une personne, un instrument qui va rendre possible d’autres apprentissages (constructivisme, cognitivisme). Cette courte présentation d’ordre linguistique nous fait voir plusieurs choses: la première, c’est que la «grammaire» d’une langue ne peut plus se réduire à la description du «système de la langue», au sens traditionnel ou structural: elle est bien plus de choses. La grammaire d’une langue doit intégrer tout ce qui se rapporte à la description du «fonctionnement» de la langue et de la parole en situation de communication: les règles dérivés des usages, les règles dans lesquelles la communication s’effectue, les

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modalités des discours et des textes que les locuteurs ont intériorisé et qu’ils utilisent continuellement…, doivent être ajoutées à la description du contenu grammatical défini traditionnellement, sans ignorer celui-ci, cependant. D. Coste soulignait en effet en 1985 que l’un des défauts de la didactique des LE à l’époque était qu’elle s’intéressait à « l’analyse du discours, l’analyse conversationnelle, l’étude de l’argumentation, la grammaire de texte, les actes de parole, tout ce qui concern[ait] l’au-delà de la phrase et/ou les valeurs pragmatiques des énoncés », mais bien peu au « noyau dur de la langue» (in J.-Cl. Béacco, 1987 : 67). Le contenu grammatical traditionnel garde tout son sens, pour nous. Ainsi, dans ce contexte large, posséder la «grammaire» d’une langue équivaut à posséder une compétence intériorisée de cette langue. Nous présentons plus loin les différents contenus grammaticaux qui peuvent se correspondre à ce domaine large qu’englobe une grammaire actuelle, en le reliant aux différentes souscompétences. Il se peut qu’aucune description de cet ensemble de systèmes multiples et complexes qu’est la langue en fonctionnement ne corresponde à 100% avec la «réalité» de la langue, comme l’indique E. Roulet (à partir des travaux de C. Guimelli y M.L. Rouquette): « Rien ne permet encore d’affirmer que le système de règles élaboré par le linguiste constitue non seulement une description de la langue, mais aussi une représentation des processus cognitifs qui interviennent dans l’acquisition et dans l’usage d’une langue » (1978: 82). Nous devons tirer de cette constatation empirique deux sortes de conclusions: la première, une certaine réserve envers l’application mécanique dans l’environnement scolaire des différents descriptions du fonctionnement de la langue; la seconde, le bien-fondé d’une tentative d’éclectisme dans la définition d’une contenu grammatical, dans la mesure où les différentes descriptions, qui partent d’optiques différentes sur la langue, pourront se compléter les unes les autres. Le défi d’une didactique de la grammaire est ainsi, en premier lieu, de sélectionner un contenu grammatical qui corresponde aux différentes descriptions faites jusqu’à présent sur la langue et de les intégrer en une description globale nouvelle susceptible à la fois d’être cohérente, d’être claire, de répondre à la saisie communicative de la langue, et d’être utile pour aider à son apprentissage. La connaissance d’une LE doit d’autre part s’inscrire dans le processus général d’appropriation/construction des fonctions langagières exercées par la LM, en tant qu’enrichissement des savoirs, des savoir-faire de l’individu, d’actions (ou des comportements) socialement marquées, et de construction de son propre système de valeurs et d’attitudes. L’enseignement/apprentissage d’une LE doit être compris dans un rapport de complémentarité par rapport à la LM. « Apprendre une langue c’est [...] apprendre à communiquer », comme le disait D. A. Wilkins (Conseil de l’Europe, 1974). Or, apprendre à communiquer va bien audelà de l’installation chez l’apprenant d’un un savoir-faire fonctionnel (l’ensemble des actes de parole sociaux) et d’un savoir-faire notionnel (expression des notions et des expériences générales). La communication est beaucoup plus qu’un simple échange d’informations ou de messages répondant à l’expression des notions générales (temps, espace, cause, conséquence, etc.) et des intentions des locuteurs (actes de parole: fonctions), simplification que les approches communicatives de la première génération avaient établie. Dans l’exercice de cette fonction, en plus des règles linguistiques (règles d’emploi), comme nous avons dit, les locuteurs doivent mettre en oeuvre des règles d’usage, qui dérivent du contexte où se produit l’échange communicatif. Les recherches de la sociolinguistique et de la linguistique pragmatique ont fait voir que l’usage social

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de la langue exige la mise en action complémentaire d’une série de règles ou de principes (qui répondent à autant de capacités chez l’individu, ou de compétences), telles que: • d’un côté, la détermination de l’acceptabilité de l’énoncé/message sur le plan systémique-grammatical, c’est-à-dire sa correction linguistique (compétence grammaticale ou linguistique, au sens strict, dans le code oral et le code écrit, ou règles d’emploi). • d’un autre côté, l’appropriation au contexte où cet énoncé est émis (ou à la situation de communication (compétence sociolinguistique): règles d’usage (registres...). Cette composante sociolinguistique se double d’un aspect socioculturel inévitable, dans la mesure où la langue transmet une vision du monde. Il faut ainsi faire découvrir à l’élève le contenu socioculturel porté par la LE (dimension de la langue: représentation de l’expérience humaine/de la connaissance). Cet aspect est particulièrement mis en relief dans le curriculum officiel pour les langues étrangères en 1992 : La lengua es expresión de toda una cultura, una forma de entender y de codificar la realidad y de organizar las relaciones interpersonales. Los miembros de una comunidad lingüística comparten, por medio de la lengua, unos determinados significados culturales sin los que es difícil una comunicación completa. Por tanto, la enseñanza de una LE debe introducir a los alumnos en las características más relevantes del contexto social y cultural (Lenguas extranjeras, 1992: 17).

• aussi, l’appropriation du message/discours aux codes discursifs (oral-écrit; types de textes: narratif, argumentatif; lettre officielle, carte postale, etc.): règles discursives. • finalement, tout échange communicatif met en jeu une compétence stratégique, à travers laquelle on met en jeu une série de recours linguistiques et extralinguistiques pour éviter que l’échange ne soit pas interrompu, ou bien pour qu’il réponde aux finalités désirées. De là que l’enseignement-apprentissage des LE soit orienté vers l’acquisition/apprentissage des usages de la langue. Le Cadre commun européen de référence pour les langues (2000) ainsi que les orientations ministérielles sont nettes à cet égard: les habiletés linguistiques ne sont pas des techniques qui peuvent être apprises de façon acontextuelle, mais des savoir-faire (skills) concrets, des compétences soudées à l’exercice de la pratique des discours. Les usages de la langue doivent ainsi être envisagés en tant que compétences concrètes (capacités), du double point de la réceptivité (compréhension) et de productivité (expression), quant au double code langagier (oral, écrit). En fin de compte, il faudra considérer la langue comme un tout: la complémentarité essentielle des composantes qui constituent l’acte de parole est essentielle dans le décision d’une démarche didactique d’enseignement/apprentissage. Il ne faut surtout pas oublier que la priorité doit être accordée à l’acquisition de comportements verbaux, et que l’aprentissage des formes (règles, explications, contenus formels) doit lui être subordonnée. Ceci dit, il ne suffit pas d’une acquisition «implicite» de ces formes, comme celle qui se produit en langue maternelle avant l’étape de la scolarisation: « L’acquisition d’une compétence ‘pratique’ et celle d’une compétence ‘formelle’ ne sont pas en soi contradictoires puisque savoir communiquer en langue étrangère supose que les productions verbales soient à la fois appropriées par rapport aux intentions et à la situation de communicaiton et correctes au regard du système de la langue cible ou de sa variété standardisée réputée la plus légitime » (J.-Cl. Béacco, 1987 : 67). Nous développerons cette idée plus loin dans ce chapitre.

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Nous voulons terminer cette partie du chapitre par un commentaire de que M. Seco réalise dans la présentation de sa Gramática esencial del español (1982: 10), où il compare la grammaire d’une langue au plan d’une ville: La gramática no enseña a hablar, enseña a reflexionar sobre el hablar, y por tanto indirectamente puede ayudar a hablar mejor (es decir, pensar y comunicarse mejor). La gramática examina los elementos que constituyen la lengua y la organización y funcionamiento de todos esos elementos. Viene a ser como el plano de una ciudad, no nos lleva de la mano a través de sus calles, pero nos dice cómo está trazada y dónde se encuentra cada edificio. Nos transporta más allá de nuestra habla para mostrarnos el sistema o engranaje en que ésta se mueve: la lengua. (1982: 10)

Voilà bien défini, sur le plan métaphorique, l’objectif et le rôle de l’apprentissage d’une grammaire: l’objectif n’est pas de connaître le plan d’une ville par cœur, mais d’être capable de s’orienter en ville, d’aller d’un endroit à l’autre sans problèmes; le rôle de cet outil (un plan) est similaire à celui de la grammaire intériorisée des locuteurs de langue maternelle: il n’est pas totalement indispensable (et de fait, les habitants d’une ville arrivent à se promener sans besoin d’un plan), mais pour les étrangers qui viennent en visite, c’est une aide précieuse qui leur fait gagner beaucoup de temps. 1.2.2. Polysémie du mot grammaire On le sait maintenant il n’existe pas une grammaire, ni a fortiori la grammaire d’une langue, mais autant de grammaires que de théories sur la langue. Il ne faut pas oublier que c’est le point de vue théorique qui détermine la description d’un objet, et non l’inverse. (Charaudeau, 1992: 3)

Dans le premier titre du chapitre, nous avons défini ce que c’est la grammaire normative (ou prescriptive) et la grammaire descriptive; une fois situé le concept de grammaire dans le contexte linguistique actuel, nous devons définir la grammaire dans ses acceptions actuelles. Nous aurons aussi à préciser tout le long de ce titre du chapitre des expressions récentes où le mot grammaire apparaît, telles que grammaire fonctionnelle, grammaire explicite, grammaire implicite, grammaire intériorisée, grammaire inductive, grammaire déductive, ou encore grammaire textuelle, grammaire communicative ou grammaire du sens et de l’expression... Selon le Dictionnaire de Didactique des Langues (désormais DDL), « ce mot courant [grammaire] est délicat à définir parce que ses emplois sont aussi flous que multiples, surtout en méthodologie de l’enseignement des langues » (Galisson&Coste, 1976: 253). Ils renoncent à réaliser un inventaire de toutes les acceptions du mot grammaire, pour n’en retenir que six: 1. Description du fonctionnement général d’une langue naturelle généralement maternelle. 2. Description de la morphologie et de la syntaxe d’une langue naturelle. 3. Discipline étudiant les règles de fonctionnement ou d’évolution de toute langue naturelle. 4. Ensemble des prescriptions normatives régissant certaines zones et certains détails de l’usage linguistique, et jouant un rôle de discrimination sociolinguistique. 5. Système formel construit par le linguiste pour établir un mécanisme susceptible de produire des phrases considérées comme grammaticales par les locuteurs d’une langue. 6. Système intériorisé par le locuteur-auditeur d’une langue et lui permettant de produire et de comprendre les phrases de cette langue. (Galisson&Coste, 1976: 253)

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Henri Besse et Rémy Porquier, dans leur ouvrage Grammaires et didactique des langues (1984; à remarquer le pluriel de «grammaires»), intitulent la première partie (section) du chapitre 1: «La polysémie du mot ‘grammaire’». Ils limitent cette diversité à trois acceptions principales: a) un principe d’organisation interne, propre à une langue donnée (qui correspond à l’acception nº 6 du DDL): grammaire serait un parasynonyme de langue: « on n’est pas conscient de la grammaire quand on parle »; « quand il entre à l’école, l’enfant connaît déjà la grammaire de la langue ». Ils proposent de l’appeler la «grammaire intériorisée». b) une description du fonctionnement de la langue: « dans ce cours de langue, on ne fait pas grammaire », « certaines langues amérindiennes n’ont pas encore de grammaire», «tel linguiste a publié une grammaire de la langue française » (qui correspond aux acceptions nº 1, 2, et 4 du DDL). Il faut remarquer que la connaissance réflexive de cette description (donc, des régularités, des règles ou des normes caractéristiques d’une langue) n’implique pas forcément l’acquisition d’une grammaire intériorisée. Il s’agit donc de la connaissance méthodique et explicite sur le fonctionnement de la langue, que les grammairiens-linguistes élaborent à partir de l’observation des manifestations langagières (ou corpus) d’un ensemble donné de locuteurs. c) une théorie sur le fonctionnement interne des langues, une école de pensée particulière, un point de vue particulier sur le savoir grammatical d’une langue, appuyée sur un modèle métalinguistique: la grammaire traditionnelle, la grammaire générative et transformationnelle, la grammaire structurale... (définition qui correspond aux acceptions nº 3 et nº 5 du DDL): la terminologie habituelle de la grammaire traditionnelle (article, substantif, adjectif, verbe, etc.) repose ainsi sur les développements philosophiques de Platon, Aristote, comme nous l’avons exposé auparavant. C’est donc ce modèle métalinguistique qui soustend la description de la grammaire traditionnelle. Malgré l’existence de nombreuses théories, il faut dire aussi que ce modèle est devenu le modèle habituel et courant dans la société occidentale: on y est tellement habitué qu’on croirait que c’est le seul qui puisse exister… C’est donc la seconde acception (la grammaire descriptive) qui intéresse le plus à un didacticien (professeur) qui s’occupe de composer un cours de LE : une grammaire c’est, dans son sens habituel, une description des principes d’organisation d’une langue, de ses éléments dans leur combinatoire » (Martinez, 1988 : VIII) ; mais tout didacticienprofesseur, ce qu’il prétend en dernière analyse, c’est que les élèves acquièrent une «grammaire intériorisée » –définition a)–, c’est-à-dire, la «connaissance intériorisée que possède l’usager d’une langue», ou «compétence grammaticale » (Germain&Séguin 1995 : 31-32). Aucun professeur ne vise comme objectif que l’apprenant connaisse le catalogue des règles de grammaires en tant que savoir qui se suffit à lui-même. Nous trouvons donc deux sortes de problèmes: A. Tout d’abord, le degré de l’ajustement de cette description à la langue réelle (parole, discours), utilisée dans une situation de communication déterminée. Or, les descriptions varient selon les différentes approches linguistiques, et il existe ainsi de nombreuses grammaires linguistiques, qui « se proposent de décrire une langue de façon aussi exhaustive que possible conformément à une théorie linguistique déterminée (structurale, transformationnelle [ générative], énonciative », etc. (Girard 1995: 68). Dans la mesure où ces descriptions sont partagées par l’ensemble des linguistes qui

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partent de la théorie linguistique en question, on pourra dire que ces descriptions sont «scientifiques», chacune selon son approche propre. Une grammaire linguistique est ainsi une grammaire descriptive: elle entend rendre compte du fonctionnement de la langue qui est examinée, à partir d’un cadre d’outils conceptuels issus de chaque théorie linguistique. Les descriptions qui intéressent le didacticien sont évidemment les descriptions qui s’orientent vers ce que l’on appelle la «grammaire de l’usage» ou la «grammaire de la communication» (ou description du fonctionnement de la langue orientée à une finalité d’usage, par des locuteurs, dans des contextes communicatifs). Cette grammaire de la communication, dans ses réalisations multiples qui sont effectuées à partir des années 80, part du principe suivant: l’inclusion nécessaire du contexte d’utilisation (ou situation de communication, contexte discursif) et des locuteurs concrets, divers à l’intérieur de la description même du fonctionnement linguistique. Nous nous occuperons ainsi dans une première étape de montrer les différentes descriptions qui sont proposées pour cerner les différents systèmes dans lesquels s’organisent la langue, la parole et le discours. Mais aussi, cette grammaire linguistique ne peut être qu’un outil de référence : il faudra à partir d’elle composer une grammaire pédagogique ou didactique, qui possède « des ambitions plus modestes qui se proposent avant tout de faciliter l’apprentissage de la langue en visant l’essentiel » (Girard 1995: 68). B. Ensuite, les problèmes posés par le rapport entre acquisition et apprentissage: c’est-à-dire, quel schéma faudra-t-il suivre en langue étrangère : –on «acquiert » la grammaire d’une manière implicite, en faisant l’économie du métalangage grammatical et donc sans exercices de conceptualisation ni explications d’aucun ordre (ou « approche naturelle »); puis, une fois seulement que la langue est ‘acquise’, on procède à attirer l’attention de l’élève sur le fonctionnement de la langue étrangère (exactement à l’image du processus mis en œuvre dans la langue maternelle : l’enfant, qui a appris la langue en situation naturelle, apprend la grammaire au sein de l’institution scolaire) ; –ou bien, peut-on concevoir un processus inverse : la conversion de la grammaire explicite (ou description explicitée) en grammaire intériorisée (perspective psycholinguistique et psychopédagogique), ou passage de l’apprentissage en acquisition de la grammaire intériorisée (ou compétence). C’était le but de la grammaire traditionnelle (sauf qu’on restait normalement au stade du «savoir» grammatical, et l’on n’atteignait presque jamais le stade «compétence»). Nous nous occuperons ainsi dans le prochain titre du chapitre de cette question: comment doit-on enseigner ou faire apprendre/acquérir la grammaire aux élèves ? 1.2.3. La «grammaire» de l’usage et de la communication La grammaire traditionnelle (ce qui est valable aussi pour la grammaire structurale ou générative), lorsqu’elle analyse une phrase « ne tient compte ni des réalités auxquelles elle peut renvoyer, ni de la matérialité des signes qui la constituent: ainsi, pour une phrase comme Le chat est sur la table, peu importe l’espace, la taille, la couleur, l’appartenance, etc., du chat et de la table, peu importe qu’elle soit prononcée oralement ou transcrite » (Besse, 1984: 18); peu importe l’intention que le locuteur projette à travers cet énoncé, ou l’effet provoqué chez le récepteur, c’est-à-dire les

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circonstances concrètes et subjectives dans lesquelles cette phrase a été émise4. Ce qui intéresse c’est le fonctionnement de la langue en abstrait: les composantes morphosyntaxiques (vision analytique: découpage en articles, prépositions, substantifs, verbes etc.; en catégorie: nombre, genre, temps verbal...; même dans la question du sens, on s’en tient au sens littéral, qu’on considère complet, écartant toute interprétation subjective, essayant de comprendre la phrase dans un contexte «neutre» ou général. « La phrase, objet d’étude habituel de la grammaire, n’est qu’un schéma formel et sémantique, résultat d’un processus abstractif draconien à partir d’un énoncé réellement ou potentiellement échangé » (Besse&Porquier 1984: 19). Ce point de vue (qui fonde l’analyse traditionnelle) est parfaitement légitime: mais il suppose une attitude métalinguistique particulière, à savoir une dissociation entre l’activité réflexive grammaticale et l’acte de parole, émis par le locuteur, à l’intérieur d’une série de conditions d’énonciation et de réception. La phrase grammaticale est très loin de l’énoncé discursif: elle mène à une compétence métalinguistique, mais nullement à une compétence communicative. Une grammaire de la communication, si elle veut remplir de façon satisfaisante sa tentative descriptive, doit procéder en conséquence à une extension du domaine grammatical traditionnel, en cherchant à intégrer à l’analyse les facteurs contextuels, discursifs, énonciatifs, pragmatiques et interactionnels: c’est ainsi que sont offertes sur le marché des grammaires du récit, du discours, des grammaires de textes, des grammaires énonciatives, des grammaires pragmatiques, des grammaires de l’oral... Cette extension énorme et subite du champ grammatical a produit une multitude de travaux portant sur des discours spécifiques (discours politique, juridique, argumentatif, persuasif...) ou bien, sur des échantillons ou des fragments particuliers (enregistrements de conversations...); on a proposé certaines matrices, des régularités (par exemple les maximes conversationnelles de Grice, 1979) ou des typologies qui n’ont pas fait une unanimité ou bien une généralité d’adhésions de la part de la communauté des linguistes. À cela s’ajoute une difficulté d’ordre heuristique, la contradiction entre parole réelle et construction théorique: l’établissement d’une description véritablement grammaticale de la parole implique, à notre avis, une condition heuristique incontournable qui est de circonscrire et de construire abstraitement son objet d’analyse: chercher des constantes dans ce que F. de Saussure appelle la ‘parole’ ou N. Chomsky la ‘performance’, élaborer du discours, revient nécessairement à intégrer certains aspects de ces domaines (et à en exclure d’autres) à l’intérieur d’une ‘langue’ plus vaste ou d’une compétence élargie, mais qui conserve toute son abstraction et toutes ses limitations, parce que celles-ci sont nécessaires à l’établissement des règles. Il n’y a pas de savoir rationnel sans réductionnisme. (Besse&Porquier 1984: 21)

Face à ces multiples approches théoriques concernant les descriptions possibles du fonctionnement de la parole en situation et du discours, les didacticiens doivent procéder à des choix, dans la sélection de contenus qui puissent intéresser des apprenants d’une LE. La question: quelle grammaire enseigner ? se pose ainsi dans toute son acuité. Bien sûr, ce qui est hors de doute, c’est qu’elle doit être une grammaire du français actuel. Cela va de soi, comme met en relief Serge Meleuc (1990: 63-74); à la question quelle grammaire scolaire proposons-nous?, il répond: eh bien, évidemment, 4

Le chat est sur la table peut être une assertion sans plus ; mais cet énoncé, selon des situations de discours différentes, peut vouloir dire (implicitement): fais-le descendre ; encore ! je ne le supporte plus ; occupe-toi de ton chat ; il veut manger , etc.

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la grammaire d’aujourd’hui! Dans les autres sciences (biologie, physique, géologie, mathématiques, histoire, etc.), personne ne soutiendrait d’expliquer au sein de l’institution scolaire les descriptions effectuées aux XVIIe, XVIIIe, XIXe ou pendant la première moitié du XXe siècle ! Nous allons ainsi rapporter plusieurs propositions actuelles de définition du contenu grammatical, répondant à une conception rénovée de la grammaire, qui se développent à partir de la période du déclin des méthodes audiovisuelles et de la genèse des approches communicatives. Dans ce survol, nous ferons une place aussi aux propositions d’une grammaire nouvelle du français en tant que langue maternelle, étant donné qu’elles nous semblent d’un grand intérêt. La grammaire fonctionnelle Les premières tentatives de renouvellement de la description grammaticale sont issues des nouvelles théories du langage (linguistique de l’énonciation; pragmatique) qui ont modifié les catégories de la description de la langue, et par conséquent de la «grammaire». Une première proposition est déjà présente dans le Niveau-Seuil (D. Coste et alii, 1976): « Dans le cadre des catégorisations notionnelles-fonctionnelles […], les apports de Courtillon (1976) tendent à articuler grammaire et communication en fonction d’une visée sémantique et onomasiologique qui doit explicitement à Guillaume et à Pottier » (Coste, in Jaussaud et alii, 1989: 8). Plus récemment, J. Courtillon approfondit la question d’une grammaire sémantique (1989). Ainsi, dans les manuels des approches communicatives de « première génération »: • d’un côté, on complétait les descriptions du langage sous forme d’actes de parole (utilisés dans les situations de communication courante) à l’aide des composantes de type grammatical associées aux divers actes de parole: il existe en effet une série d’éléments grammaticaux rattachés aux divers actes de parole (ou actes illocutifs: se présenter, demander un renseignement, etc.). Par exemple, le manuel Intermèdes, de M. Hardy (1992), met en évidence comment la fonction langagière «exprimer ses sentiments et ses goûts» peut parfaitement s’accompagner des adverbes en –ment et du pronom personnel complément (ça lui plaît) ; ou bien, comment l’acte de parole «demander ou donner des informations pratiques» exige savoir comment former la phrase interrogative ; • de l’autre, grâce à la grammaire notionnelle-fonctionnelle, une série de domaines sémantiques (l’actance, la détermination, le domaine logique) sont proposés sous leur réalisation morphosyntaxique (c’est précisément l’objectif de la partie «Grammaire » dans le Niveau-Seuil (D. Coste et alii, 1976 : 225-306). Cette description renouvelait la grammaire traditionnelle à partir des nouvelles options métalinguistiques (les actes de parole; les notions), mais subordonnait le choix et la présentation des différents éléments à une présentation des contenus langagiers d’ordre illocutif. Un autre ordre venait se substituer à l’ordre grammatical traditionnel, en principe mieux adapté aux besoins posés par la communication. Mais des problèmes pédagogiques nouveaux étaient posés par cette option (structuration de la grammaire, continuité, progression, systématisation), problèmes qui ont été très bien posés par E. Bérard (1991: 34-44). Malgré ces inconvénients, cette présentation (actes de parole, notions + éléments grammaticaux qui y sont associés + organisation sémantique) continue d’être proposée dans certains manuels actuels, et ne doit pas être négligée dans

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la création et le développement d’une compétence de communication: il faut en tout cas résoudre les problèmes relevés par E. Bérard. Les règles d’usage et les règles d’emploi La sociolinguistique, dans ses développements des années 70 (Dell Hymes, Gumperz, Di Prieto…) établit une notion importante pour la description d’une langue qui tienne compte des discours réels (oraux et écrits), utilisés par des usagers réels dans des situations de communication réelles, et donc pour une didactique des langues étrangères : la distinction entre les règles d’usage (« qui permettent de comprendre et de produire des énoncés grammaticalement corrects (dans le sens traditionnel de conformité aux règles de la morphologie et de la syntaxe ») et les règles d’emploi (qui déterminent « que les énoncés soient appropriés à l’intention et à la situation de communication ») (Germain&Séguin, 1995 : 40). C’est ainsi qu’André Lamy plaide pour la prise en compte de la ‘grammaire nouvelle’ (Lamy, 1987 : 43-47). Mais aussi, à partir de la notion de compétence chomskyenne, surgit dans les recherches en psycholinguistique la notion de compétence : ainsi, connaître une langue ne peut pas se réduire à la possession d’un savoir grammatical (défini au sens traditionnel), mais signifie posséder une compétence de communication : acquérir une compétence va audelà de l’acquisition d’un savoir, et comporte la réunion d’un savoir (knowing what) et d’un savoir-faire correspondant (knowing how), ou « continuum connaissance formelleconnaissance instrumental », pour employer une expression de S. Estaire et de J. Zanón (1990 : 58). Pierre Martinez, dans le lexique de Didactique qu’il établit, propose dans le même sens cette définition de compétence : La compétence est la connaissance implicite d’une langue et l’aptitude à mettre en œuvre cette connaissance, c’est-à-dire à ‘réaliser’ ou ‘actualiser’ cette compétence en une performance. (P. Martinez, 1988 : VII)

Ainsi, d’un côté, l’idée d’un élargissement du contenu grammatical est mise en relief, et de nombreux sociolinguistes s’adonneront à établir les règles d’emploi propres à chaque langue ; d’autre part, le savoir grammatical est situé à sa juste place : il est relativisé, puisqu’il ne se confond pas à la compétence, néanmoins il est déclaré nécessaire, puisque toute compétence suppose un savoir intériorisé. C’est sur cette conviction que la grammaire retrouve sa place dans les approches communicatives de seconde génération, face à sa disparition dans les MAV (sa conversion en grammaire implicite) et sa négation dans l’approche naturelle de Krashen. La grammaire textuelle L’expression «grammaire textuelle» renferme deux acceptions très éloignées l’une de l’autre. Dans une première acception, sous l’expression de «grammaire textuelle», ou «grammaire de texte», quelques didacticiens (dans les années 80) ont voulu renouveler surtout la façon de sélectionner et de présenter les éléments grammaticaux: ceux-ci n’étaient pas disposés et appréhendés selon la «logique» de la discipline (l’ordre traditionnel de la grammaire: la morphologie ou les parties du discours les unes après les autres, puis la syntaxe), mais tels qu’ils se présentaient dans des textes authentiques que l’on travaillait en classe (Cridlig, 1985 : 72-77). On espérait ainsi que les éléments grammaticaux répondraient aux besoins de compréhension et d’expression des élèves, et donc à la langue en situation, aux discours réels. Il s’agissait ainsi d’une sorte de

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«grammaire fonctionnelle» (voir plus haut), mais tirée des textes choisis et non pas des actes de parole qui sont utilisés dans les situations de communication courante. Dans une deuxième acception, à travers la «grammaire textuelle», il ne s’agit plus de cibler une compétence linguistique de type «phrastique» (correction dans l’élaboration et la construction de phrases ou d’énoncés), mais une compétence discursive ou textuelle (savoir reconnaître et composer des textes) : « la notion de grammaire englobe dans le sens de la linguistique textuelle et de l’analyse du discours non seulement le champ de la phrase mais aussi celui du texte » (Rück, 1986 : 49). Cette compétence se diversifie à son tour en deux branches : • première option: l’usage de la langue exige fréquemment un savoir et un savoir-faire d’ordre textuel, en rapport à une typologie textuelle. Chaque type de texte (une recette de cuisine, une carte postale ou une lettre personnelle, un appel téléphonique, un résumé, une narration, une description, une argumentation, une dissertation, une conférence...) possède une structure propre, et des réalisations différentes qu’il s’agisse de l’oral et de l’écrit. L’acquisition d’une compétence textuelle, dans cette orientation typologique, exige ainsi d’acquérir les éléments de structuration des textes (matrices; modèles) ainsi que les éléments de cohésion et de cohérence qui soudent chaque type de texte de façon spécifique. • deuxième option: la grammaire textuelle est conçue comme un analyse linguistique du discours (terme qui englobe habituellement celui de texte, mais qui le déborde) : « l’attention est portée aux réseaux anaphoriques, aux connecteurs et aux organisateurs textuels, aux marques de discours rapporté a été particulièrement vive pour une méthodologie de ce qu’on a improprement dénommé une approche ‘globale’ des textes » (Coste, 1989 : 8). « C’est-à-dire qu’on établit d’une part des références horizontales (renvoi au texte), d’autre part des réseaux de relations sémantiques (contiguïté sémantique d’après Harweg, solidarités lexicales d’après Coseriu) » (Rück, 204 : 49). On s’adonne ainsi à la description des opérations (désignation ou référence, caractérisation ou prédication, énonciation, progression thématique, cohérence sémantique) et des moyens (qui correspondent à des traces dans les textes) mis en oeuvre pour parler, pour mettre la langue en discours, c’est-à-dire pour mener à bout les fonctions de langage (représentation, communication). La compétence textuelle est dans ce cas envisagée d’un point de vue plutôt cognitif, en tant que mise en place d’une capacité de savoir lire et comprendre et interpréter convenablement les signaux thématiques, dénotatifs, connotatifs du texte/discours en question, où le lecteur doit coopérer à une dynamique dialogique avec l’auteur5. Il faut dire que ces composantes ne vont coïncider non plus à l’oral et à l’écrit, et qu’il faudra faire une approche spécifique dans chaque cas (voir Moirand, 1990). Évidemment, cette analyse d’ordre linguistique intéresse seulement les élèves de niveau très avancé (des étudiants en philologie ou en traduction), ou encore les élèves ayant le français comme langue maternelle. Dans les deux cas, on ne peut pas opposer «texte», «discours» et «communication»: en effet, celle-ci se fait grâce à des modèles textuels, et à travers des opérations énonciatives et discursives. Comme l’indique D. Girard: « Une approche communicative bien conçue ne peut ignorer le fait que si la communication orale au sein de la classe (entre professeur et élèves et d’un élève à un autre) est l’objectif fondamental, tout texte oral (ou écrit) servant de support aux activités d’apprentissage 5

Voir à ce sujet Jean-François Bourdet (1993). « Grammaire et compétence textuelle en français langue étrangère », Travaux de didactique du FLE, 31, pp. 57-66, où il fait une approche spécifique pour les apprenants de FLE.

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est aussi le lieu d’une communication entre l’auteur du texte et les récepteurs (auditeurs ou lecteurs) » (Girard 1995: 69). Dans ce même sens, S. Moirand (1989 : 45-53) montre que l’élaboration des programmes de langue doit prendre en compte les nouvelles descriptions du discursif, du textuel, du conversationnel, mais que cela pose de nouvelles exigences de formation pour les enseignants. Propositions nouvelles pour une grammaire du français langue maternelle Jean Paul Bronckart y Gérard Sznicer (1990: 5-16), en se basant sur les propositions de rénovation de l’enseignement du français langue maternelle (FLM) dans la région suisse de la Romandie, établissent 4 niveaux de structuration d’un contenu grammatical scolaire, qui nous servent de point d’appui pour notre proposition « éclectique » de grammaire du FLE, tout en y introduisant des modifications du fait que nos élèves disposent déjà d’une langue maternelle et qu’ils sont des locuteurs hispanophones 1) l’analyse du contexte où l’unité de langue en question fonctionne; 2) l’analyse du système linguistique de cette unité de langue concrète: –le système d’organisation des propositions («phrase syntaxique») en phrases («phrase graphique»): enchaînement des propositions entre elles; –l’organisation de la proposition (de façon interne): aspects de régime, de concordance (nombre, genre, personne) de temps... 3) les valeurs sémantiques: les rapports de sens qui existent entre les unités du monde représentées par les unités lexiques ou les sous-composantes d’une proposition, dans une situations de communication déterminée, 4) le fonctionnement discursif des unités (textes), selon deux optiques différentes: a) la recherche des liens internes de l’ensemble des mots-phrases qui constituent une unité textuelle donnée: •

dans le plan du signifiant (ou cohésion): d’une part, la présence d’articulateurs logico-temporels (mots de coordination: et, mais, car, en effet, etc.; mots de subordination: quand, parce que, afin de...; organisation rhétorique du discours: en premier lieu, d’autre part, finalement...), aspects que Bronckart distingue comme éléments de connexion; d’autre part, les références internes ou cotextuelles du propre texte (anaphores: « Jean Dumarais est un vendeur d’herbes médicinales: ce monsieur… il… cet individu… le commerçant… »; et cataphores: « je vais vous parler à présent d’un deuxième personnage… »).



dans le plan du signifié (ou cohérence sémantique): recherche de l’unité sémantique, recherche des bases socio-culturelles et pragmatiques qui servent d’appui à l’idéologie ou au contenu communicatif (message) du texte.

Bien sûr, ces deux plans sont solidement ancrés l’un l’autre: la cohérence sémantique se correspond normalement avec une explicitation ou manifestation externe à travers des mots de cohésion, mais pas toujours. b) l’attitude du locuteur envers son discours/message et envers le discours/message des autres (modalisation et distance), ou façons d’exprimer la réalité: assertion, subjectivité

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(« de mon point de vue… »), appréciation rationnelle (« à travers ces indices, on peut estimer que…), introduction d’éléments émotionnels (« je le hais, c’est un salaud »…), etc.; distance: manières de raconter les mots des autres (discours direct, indirect, narrativisé). À travers l’acquisition de ce contenu, les étudiants soudent la compétence linguistique aux autres compétences (socioculturelle, sociolinguistique, discursive, stratégique) pour construire, dans l’ensemble, une compétence de communication, comme l’entend aussi Eddy Roulet: « Je ne pense pas qu’on puisse traiter aujourd’hui de la didactique de la grammaire sans la situer dans le cadre plus large de l’enseignement/apprentissage de la compétence discursive » (1996: 53). En effet, cette présentation des contenus grammaticaux répond à la notion de la grammaire propre à la linguistique textuelle et à l’analyse du discours, qui «englobe[nt] non seulement le champ de la phrase mais aussi celui du texte» (Heribert Rück, 1986: 24-51). Ainsi, si nous partons de ce sens vaste de grammaire, nous pouvons dire (à nouveau) que posséder une grammaire intériorisée signifie posséder une compétence communicative pleine. Ce programme de contenu grammatical scolaire pour le FLM est valable pour le FLE, à condition de prendre en compte une série de remarques. La première remarque –et elle est importante– consiste à constater que dans la didactique d’une langue maternelle, l’élève possède déjà une langue, et possède déjà une grammaire intériorisée, incomplète, qui lui donne certains degrés de compétence, et qui lui permettent de satisfaire à ses besoins de communication. Dans la didactique de la LE, on devrait installer chez l’élève les habiletés linguistiques de base (compréhension et expression, à l’oral et à l’écrit) dont ils dispose déjà en LM. Donc, la didactique d’une LM peut utiliser comme point de départ la grammaire intériorisée de l’élève, et d’une compétence langagière importante, ce que la didactique de la LE ne pourra pas faire. La didactique de la LM, dans le choix du contenu grammatical et de la stratégie d’enseignement, se pose la question suivante: comment transformer cette compétence inconsciente en compétence consciente pour la développer vers des domaines communicatifs nouveaux ? Tout le programme de travail fixé va dans ce sens. Par contre, les questions que se pose la didactique de la LE sont tout autres, comme nous aurons l’occasion de voir dans le titre de chapitre suivant, et peuvent se résumer à celleci: une grammaire explicite favorise-t-elle l’acquisition de la langue ? La seconde remarque consiste à bien comprendre que de nombreux aspects de tel programme grammatical se correspondent du FLE à l’espagnol langue maternelle et viceversa, étant donné la proximité des deux langues: c’est-à-dire que nos étudiants de FLE, adolescents, auront acquis et appris le métalangage (ou terminologie) grammatical, les concepts d’analyse fondamentaux, et une conscience du fonctionnement du langage, aspects qui ne peuvent que servir de point d’appui essentiel pour l’appréhension de la grammaire du FLE. La troisième remarque porte sur un élément du contenu «grammatical» que les grammaires du FLM ignorent normalement: il s’agit des questions relatives à la prononciation (et cependant, tout un travail est fait par les enfants de recherche de correspondances entre les codes oral-écrit et vice-versa lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture). Bien sûr, nous devrons introduire ces questions pour nos étudiants de FLE. Tenant compte de ces remarques, en plus de ce dernier aspect, un programme de grammaire scolaire du FLE (en nous basant sur les propositions effectuées par

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Bronckart y Sznicer pour le français langue maternelle), devra forcément modifier l’approche des points 2º et 3º (dans la structuration proposée par eux): • l’analyse du système linguistique (point nº 2) devra faire une place importante d’un côté aux aspects morphologiques et syntaxiques, de l’autre à une «grammaire contrastive»; • quant au système sémantique (point nº 3), il devra comprendre également la présentation des valeurs sémantiques des unités lexiques et des groupes d’unités lexiques (syntagmes, constructions, expressions idiomatiques), puis des phrases et des ensembles de phrases (unités discursives): nous savons tous que le principal problème d’une compréhension consiste à reconnaître et à sélectionner les unités lexiques en présence (elle-est-étudiante) et, quant à l’expression, à les organiser d’une façon cohérente, processus qui sont présidés par une série d’opérations psycho-linguistiques qu’il faut maîtriser et automatiser. Ici encore devra jouer également un rôle important le phénomène de l’intercompréhension des langues romanes (en évitant les nombreux pièges et les faux amis). La grammaire du sens et de l’expression de Patrick Charaudeau Dans cette présentation de propositions de grammaires nouvelles, nous devons rendre compte aussi de «la grammaire du sens et de l’expression», établie par Patrick Charaudeau, qui va dans le sens de fonder une grammaire de l’usage et de la communication, et ouvrage intéressant tant du point de vue du sérieux scientifique que du bon sens pédagogique. Il s’agit en effet de l’une des plus remarquables tentatives de renouvellement de la description grammaticale traditionnelle et l’adaptant aux besoins communicatifs et aux nouvelles conceptions de la langue (du discours). Cette grammaire s’appuie sur la conception du langage propre aux recherches linguistiques actuelles: le langage est conçu comme « ce matériau qui permet à l’homme de construire du sens dans le monde tout en entrant en communication avec les autres. Le langage est donc à la fois sens, expression et communication. Il n’est pas l’un et l’autre successivement, mais les trois à la fois » (Charaudeau, 1992: 4). De ce point de vue, la description prend en compte: • les «intentions du sujet parlant» susceptibles d’être exprimées, « ce qui exige que les catégories de la langue soient regroupées autour de ces intentions »; • les « enjeux communicatifs qu’ils révèlent, ce qui exige que les différents systèmes de la langue soient traités du point de vue du sens » • les « effets de discours qu’ils peuvent produire, ce qui exige que soient passés en revue les différents types d’usage vivant de la langue, et pas seulement les usages littéraires » (Charaudeau, 1992: 4). Une dernière caractéristique qui rend tout à fait pertinente la description proposée par Charaudeau c’est le fait qu’elle ne fait pas table rase de la tradition grammaticale; au contraire elle conserve une partie de l’appareillage terminologique de celle-ci, puisqu’il considère que la nomenclature grammaticale traditionnelle (parties du discours, composantes de la phrase, etc.) est « maintenant totalement intégrée par les usagers de la langue française qui ont été scolarisées. Il faut donc tenir compte de ce patrimoine, même si on veut le critiquer, car il constitue un langage de reconnaissance, le seul langage dont disposent ces usagers pour parler de la langue » (Charaudeau, 1992: 4-5). H. Besse, dans le même sens, avait parlé en 1984 de «naturalisation» de la

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conception métalinguistique et terminologique de la tradition grammaticale grecque et latine dans l’Occident. De ce côté, la description de Charaudeau a le mérite d’avoir tiré la leçon des entreprises manquées de rénovation surgies autour de la grammaire générative qui s’étaient soldées par des échecs formidables quant à l’extension de leur terminologie, pour ne pas parler du modèle alternatif d’analyse. La troisième partie de sa grammaire recouvre le domaine de la «grammaire textuelle», puisqu’il y propose une description des «modes d’organisation du discours», en y distinguant quatre grands ordres: l’énonciatif (modalisation), le descriptif (qualification), le narratif (action) et l’argumentatif (relations logiques). Il est souhaitable que les concepteurs de manuels commencent à tirer profit de cet ouvrage pour y intégrer des éléments descriptifs du fonctionnement langagier dans l’usage et la communication dans le but de développer la compétence communicative réelle chez les élèves. Proposition éclectique de définition d’un contenu grammatical Nous avons jusqu’ici essayé de proposer de nouvelles descriptions de la langue, répondant aux courants linguistiques actuels (grammaire fonctionnelle, règles d’emploi ; grammaire textuelle; propositions de Bronckart et Snitzer, grammaire du sens et de l’expression de Charaudeau). Mais, laquelle retenir ? Eh bien, toutes, y compris la grammaire traditionnelle. Mais, en y appliquant une démarche nouvelle quant à la sélection des contenus grammaticaux, puis à l’enseignement-apprentissage des éléments retenus. Le renouvellement de l’approche grammaticale doit partir des idées suivantes, qui ont été mises en valeur par les tentatives que nous avons décrites antérieurement, idées que souligne D. Coste : – l’insistance sur une ou des grammaire(s) évolutive(s) de l’apprenant; – l’importance accordée à la conscience linguistique et à la réflexion métalinguistique de l’usager ordinaire; – une mise en perspective onomasiologique et notionnelle de la grammaire; – une prise en compte des régularités et des marques de l’organisation discursive; un souci de repenser la grammaire en fonction aussi de [la morphologie et] la syntaxe de l’oral (Coste, 1989 : 9).

Cl. Germain et H. Séguin arrivent à une même constatation quant au renouvellement du contenu grammatical, quand ils défendent une grammaire composée par les règles d’usage et les règles d’emploi, comme nous avons exposé antérieurement : Nous optons pour une conception relativement élargie de la grammaire, qui comprend la connaissance à la fois des règles d’usage (structures grammaticales, aspects morphologiques et syntaxiques) et des règles d’emploi (règles ou conventions d’une utilisation appropriée à l’intention et à la situation de communication). Enseigner la langue ne saurait donc être synonyme d’enseigner la grammaire, celle-ci n’étant qu’une des composantes de la langue (Germain&Séguin, 1995 : 41).

Également, à partir de cette conviction, nous devons établir une démarche de travail (dans la sélection des contenus grammaticaux; dans les activités de classe) résolument éclectique, comme le propose Ch. Puren: « Nous sommes entrés depuis une dizaine d’années, en français langue étrangère (FLE) tout au moins, dans une nouvelle ère éclectique (après celle qu’a connue la didactique scolaire des langues vivantes étrangères pendant un demi-siècle 1920-1960); après quelques décennies de méthodologies dominantes qui imposaient leurs propres méthodes, la DLE se retrouve donc à nouveau ‘à la croisée des méthodes’ » (Puren, 1994: 4-5). Une dizaine d’années

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s’étant écoulées depuis la publication de cet essai, la question qu’on pourrait se poser aujourd’hui serait: comment ne pas être éclectique ? Nous devons parler d’éclectisme d’un double point de vue: –éclectisme quant à la description du fonctionnement de la langue (le quoi), et donc quant au contenu qu’on propose à l’acquisition-apprentissage de la part des élèves; –éclectisme quant à la façon de faire (ou démarche pédagogique: le comment), question que nous aborderons dans le titre de chapitre suivant. Comme le constatait déjà Jean-Claude Béacco, les enseignants dans leurs classes pratiquent depuis toujours un éclectisme dans leurs explications grammaticales, et prennent appui sur des descriptions linguistiques différentes pour faire comprendre aux élèves les éléments du fonctionnement de la langue: Les enseignants font appel aux modèles grammaticaux qui leur sont les plus familiers et qui dépendent de leur formation. Les uns feront appel à des règles grammaticales qui apparaissent dans une grammaire traditionnelle, les autres plus ’structuralistes’ préféreront présenter des structures modèles comme points de référence, les autres encore adopteront une démarche inductive, basée sur l’observation, Il est certain que chaque enseignant se réfère à des ‘modèles d’enseignement’ qu’il a rencontrés pendant sa formation ou au cours de sa pratique. (F. Cicurel, in J.-Cl. Béacco, 1987 : 65)

D’autre part, on retrouve ce même éclectisme dans des nombreux matériaux didactiques et même dans certains manuels, comme le constate J.-Cl. Béacco (ib.): on a le choix d’enseigner le, la, les, comme articles, ou encore, comme déterminants (en rapport ou contraste avec d’autres opérations détermination: un, cet, son…), ou finalement, comme anaphoriques… Le risque de confusion dans les esprits des élèves est ainsi énorme. Le défi consiste à fonder un « éclectisme sur des bases rationnelles […], au moins, dans la constitution des matériaux didactiques, de passer de choix plutôt aléatoires qui dépendent de la personnalité et de la formation des enseignants à un éclectisme didactique, fondé sur des critères de sélection relatifs à la nature des tâches pédagogiques et à la forme des descriptions linguistiques » (J.-Cl. Béacco, 1987: 66). Mais aussi, si on défend l’option de l’éclectisme quant à la définition du «contenu grammatical», on ne peut pas le confondre avec un amalgame; il doit être fondé sur un choix multiple, sur les concordances rencontrées, sur ce qui s’est révélé pertinent et efficace, sans que la cohérence de l’ensemble s’en ressente. Si l’on écarte le modèle grammatical génératif-transformationnel, qui s’est révélé pédagogiquement inefficace dans ses applications scolaires, le contenu grammatical scolaire de FLE devrait se fonder sur une base solide de la grammaire traditionnelle (dans ses aspects descriptifs), certains apports de la linguistique structurale, et les nouveaux domaines de description du fonctionnement de la langue en situation de communication que nous avons décrits auparavant. La grammaire traditionnelle doit continuer à posséder un poids important dans toute grammaire pédagogique actuelle de FLE. Comme le constate P. Charaudeau: «Cette tradition, essentiellement scolaire, a mis en place une grammaire morphologique qui décrit les parties du discours (formes et syntaxe) et les composantes de la phrase (propositions), à l’aide d’une nomenclature (nom, adjectif, verbe, proposition principale ou subordonnée, etc.) qui est maintenant totalement intégrée par les usagers de la langue française qui ont été scolarisés » (1992: 4). Ceci dit, il serait urgent d’arriver à un

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consensus au niveau de l’Europe sur la terminologie grammaticale scolaire6 ! Une unification minimale du métalangage grammatical nous semble l’une des priorités de toute action sur l’enseignement de la grammaire, pour éviter les discordances entre professeurs de langue maternelle et de langue étrangère, mais aussi entre manuels de LE. En attendant, on doit le faire dans le sein de chaque établissement scolaire. Cette description (morphologique et syntaxique) devrait se faire à partir d’une approche contrastive, en fonction des langues en contact lors de l’apprentissage (espagnolfrançais dans notre cas); elle devrait proposer l’ensemble des manières de dire actuelles dans l’ensemble de la francophonie, tout en rappelant la règle du français standard dans chaque cas où il y aurait une pluralité des usages. Quand aux grammaires structurales, nous voulons citer quatre groupes de questions grammaticales dans lesquelles l’analyse structurale a signifié un apport précieux, qu’on devrait maintenir: 1º. La différenciation entre code oral et code écrit est extraordinairement importante pour l’enseignement/apprentissage du FLE (voir par exemple la Grammaire de Ch. Baylon et P. Fabre, 1973). 2º. La présentation morpho-phonétique de nombreuses questions grammaticales (l’expression du pluriel, les concordances de genre et de nombre, les concordances de personnes-forme verbale, l’expression des temps verbaux...); 3º. Le concept d’actualisateur ou de déterminant, qui regroupe les parties du discours qui possèdent une même fonction (articles, adjectifs démonstratif, possessif…, voir également la grammaire de Ch. Baylon et P. Fabre, 1973); 4º. La proposition d’un nouveau paradigme pour le classement et la conjugaison des verbes (voir à cet égard la Grammaire structurale du français: Le verbe, de Jean Dubois, 1967; et l’adaptation pédagogique de la part de Françoise Jaussaud: Apprendre à conjuguer, 1986, et plusieurs articles publiés dans Le Français dans le Monde). Claude Germain et Hubert Séguin proposent également ce nouveau regroupement des conjugaisons verbales (1995: 111-113) : « Il ne s’agit donc plus de faire apprendre ‘l’art de conjuguer 12 000 verbes’, mais bien de faire comprendre comment le système fonctionne ». D’autre part, les propositions de description et les regroupements d’ordre fonctionnel et notionnel nous semblent pertinents à condition qu’on n’essaye point de fonder une structuration des acquis sur ces descriptions, qu’elles se réduisent précisément à leur statut de catalogues de manières de dire et qu’elles servent à des opérations d’analyse/réflexion sur la langue de la part des élèves. Le noyau dur d’une systématisation grammaticale doit se baser sur les descriptions traditionnelles, à notre avis. Les propositions fonctionnelles et notionnelles doivent être envisagées comme des atouts complémentaires pour aider à la mise en place des capacités de compréhension et d’expression, et les descriptions fonctionnelles-notionnelles avaient raison d’insister sur l’idée qu’une langue est un moyen de dire quelque chose, et qu’il faut conséquemment fournir les moyens aux étudiants pour dire ce qu’ils ont envie de dire. Les catalogues de moyens d’expression, accompagnés de leurs correspondances grammaticales, sur des aspects tels que: la façon d’exprimer la cause, la manière, la condition, le temps, l’espace, etc. sont tout à fait intéressants de ce point de vue-là, et le Niveau-Seuil 6

Question que de nombreux didacticiens des langues réclament depuis de nombreuses années ! Voir à ce sujet le nº spécial de Travaux de Linguistique (1995, nº 31), « Vers une terminologie grammaticale européenne », coordonné par Sonia Branca, Alicia Piquer et Dominique Willens.

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continue d’être un outil intéressant pour la confection de manuels. Certains grammairiens ont intégré à leurs descriptions cette approche notionnelle: par exemple la Grammaire vivante du français, de Monique Callamand (1987), dont le matériel grammatical « est présenté comme support de l’expression » (Préface). Il ne faut point oublier, finalement, que certaines grammaires traditionnelles faisaient déjà ce type de descriptions: voir par exemple le chapitre « Les modalités de l’énoncé », de la Grammaire… de G. Mauger (1968 : 371-402). Finalement, nous n’insistons pas, une définition nouvelle du contenu grammatical doit contenir le fonctionnement des textes et des discours, dans les aspects soulignés auparavant. La LE doit dans cet aspect relever les acquis de la LM et les adapter aux discours en LE. Mais aussi, au-delà de l’éclectisme qui doit présider à l’élaboration d’une grammaire pédagogique, pour définir les contenus de grammaire qui vont être proposés à l’élève, une autre question nous semble importante: la définition des contenus grammaticaux est inséparable du processus d’acquisition par l’élève d’une grammaire intériorisée qui réponde à ses besoins progressifs de communication (compréhensionexpression) et de représentation. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas adopter une stratégie pédagogique centrée sur le contenu à acquérir (un contenu formel: des catalogues de règles, des unités de lexique) comme s’il s’agissait de quelque chose qu’on fixe au préalable, une fois pour toutes, et de façon identique pour tous les apprenants. Et cela pour trois raisons principales: non seulement les élèves présentent des niveaux de connaissance très hétérogènes, mais aussi ils adoptent des stratégies d’apprentissage différentes, et finalement, l’acquisition-apprentissage d’une langue n’est pas réductible à l’assimilation, de la part de l’élève, de portions accumulables et successives de contenu (correspondant à des fragments de description grammaticale ou linguistique). Ainsi, le savoir grammatical, s’il veut être efficace, doit être intériorisé, et cela nécessite d’une stratégie d’apprentissage adéquate, que nous allons développer dans le titre de chapitre suivant. Mais aussi, ce savoir n’est pas le même pour tous: il doit être adapté aux besoins de chaque élève; c’est ainsi que nous devons définir également une grammaire d’apprentissage. Qu’on nous permette de définir ces deux expressions pour mieux en cerner les contours. On parle d’une grammaire d’apprentissage quand, lors de la sélection et de la structuration ou présentation des contenus grammaticaux, on prévoit les difficultés que les apprenants vont rencontrer, les erreurs qu’ils vont commettre, les intuitions ou les hypothèses sur le fonctionnement de la langue, plus ou moins conscientes, approximatives et passagères, qu’ils vont proposer, le parcours ou la progression qu’ils effectuent dans leur construction des savoirs. L’apprentissage grammatical n’est donc nullement un stock d’éléments préfixés qu’on change de place (du manuel au cerveau): chaque élément nouveau, chaque règle, chaque observation doit pouvoir s’insérer de façon logique à côté des autres pour que la compréhension du fonctionnement de la langue puisse se produire, à chaque stade d’apprentissage. D’autre part, chacun de nos élèves possède une grammaire intériorisée de sa propre langue maternelle, qu’il peut expliciter puisqu’il a suivi un parcours scolaire. C’est-à-dire, il va essayer d’expliquer le fonctionnement de la langue nouvelle (étrangère) à partir de ce système déjà acquis. Une série de projets (le projet Galatea7; 7

Le projet Galatea (Apprentissage de la compréhension en langues voisines) est coordonné par M. Tost,

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ou encore le projet Trophée, voir F. Debyser, références bibliographiques) essayent de définir des stratégies pédagogiques pour appuyer l’apprentissage de langues étrangères apparentées sur ce seuil de connaissances et de conscience linguistique de l’élève. On peut ainsi, d’un côté, aider l’élève à exploiter les similitudes entre l’espagnol langue maternelle et le français langue étrangère et lui proposer des analyses contrastives (dans des questions morphologie, syntaxe, lexique, aspects socioculturels…); mais aussi, préalablement, quant à la définition du contenu grammatical, il y a de nombreuses questions qui peuvent rester dans l’ombre (dans l’implicite), puisque l’élève peut parfaitement construire une compétence tout seul (c’est-à-dire, découvrir lui-même l’explication du fonctionnement du système): par exemple, dans la question des adjectifs possessifs, les élèves maîtrisent parfaitement, sans besoin d’aucune explication et tout simplement par le contact avec la langue dans des dialogues, le système de distribution général dans la possession au singulier (mon-ton-son /ma-ta-sa /mes-tesses). C’est la possession plurielle (notre-nos; votre-vos; leur-leurs), surtout cette troisième personne et les emplois du votre-vos dans les usages de politesse, qui leur posent problème: on peut réduire les explications et les activités d’assimilationrecréation à cette question. La grammaire d’apprentissage complète ainsi la notion de grammaire intériorisée: dans un cas comme dans l’autre, la focalisation du contenu grammatical ne se réalise pas comme une fin en lui-même (contenu théorique, abstrait, décontextualisé), mais en tant que compréhension des mécanismes de fonctionnement de la langue, dans sa fonction de médiation vers l’acquisition de la maîtrise des usages linguistiques divers que présente toute compétence communicative. Ainsi, l’enseignement/apprentissage de la grammaire rencontre l’obstacle ou le paradoxe suivant: la possession d’une compétence linguistique est indispensable pour arriver à parler une langue, mais elle n’est pas suffisante: on peut la posséder de façon parfaite (au stade théorique, des savoirs ou des connaissances explicites), elle ne garantit pas l’exercice des capacités de compréhension et d’expression, et encore moins la pratique d’une communication linguistique. C’est ce que constatent Politzer et MacGroarty: les niveaux très bas de compétence linguistique sont un handicap majeur de la compétence communicative, mais [...] de hauts niveaux de compétence linguistique ne garantissent pas une bonne compétence communicative: pour des niveaux équivalents de compétence linguistique on peut observer des niveaux très variés de compétence communicative. (in Gaonac’h, 1991: 184)

Ainsi, la question de la fixation d’une grammaire pour l’apprentissage d’une LE est à la fois une question linguistique (détermination de l’objet: ce que nous avons fait jusqu’ici), mais aussi à la fois une question psycholinguistique et méthodologique: un contenu grammatical n’est fixé ou n’a de rendement que s’il est «intériorisé», su et conçu de façon naturelle et intuitive, sans que l’apprenant ne soit conscient de son existence ou de son application lors de l’exercice de la faculté de langage. On pourrait dire qu’on doit apprendre une grammaire explicite pour l’oublier: voilà le paradoxe de l’enseignement/apprentissage de la grammaire. À moins qu’on défende un raccourci: ne jamais expliciter les connaissances grammaticales, et appliquer à l’enseignement des LE la façon où nous apprenons, où nous acquérons, la langue maternelle. Peut-être le raccourci est trop fort pour que tout le monde puisse l’emprunter. En tout cas, de l’Université Autonome de Barcelone, et y participent les universités suivantes: Grenoble III (Stendhal), U. Complutense de Madrid et U. d’Aveiro.

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l’accession au stade de grammaire intériorisée exige une certaine intervention ou médiation didactique (stratégie générale, techniques, activités et procédés de classe…), que nous devons également aborder. Nous reproduisons pour finir un schéma où Dirven représente de façon très illustrative comment les différents types de grammaires (descriptive, pédagogique, d’apprentissage, etc.) peuvent se situer les uns par rapport aux autres (in Germain&Séguin, 1995 : 47): Grammaire

grammaire pédagogique descriptive

grammaire

grammaire

grammaire grammaire d’apprentissage d’enseignement linguistique intégrée grammaire dans des de l’usager manuels

indépendante

grammaire de référence

grammaire scolaire

grammaire universitaire

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2. Comment enseigner la grammaire ? Nous allons aborder cette question sous deux angles: d’abord, la démarche ou stratégie méthodologique générale; ensuite les activités concrètes, les procédés ou les techniques de travail, pour le professeur (l’enseignement) et pour l’apprenant (acquisition et apprentissage). 2.1. Principes psychopédagogiques. Démarche générale Le fondement épistémologique principal de la méthodologie traditionnelle de l’enseignement des langues est constitué par la présentation d’une grammaire explicite, ou « forme d’enseignement qui fait passer l’assimilation des formes et des structures linguistiques par l’explication ou l’exposé des règles ou de principes théoriques » (Galisson&Coste, 1975: 275), ou bien l’« exposé et explication des règles par le professeur suivis d’applications conscientes par les élèves » (ibid., 1975: 206). Dans cette perspective, c’est une fois que nous avons appris les règles, et que nous avons compris le fonctionnement de la langue (à travers la conceptualisation de celui-ci) que nous sommes capables de comprendre un texte et de produire des énoncés corrects. Il s’agit donc ici d’une méthodologie déductive: la règle ou la description grammaticale est exposée et expliquée à l’élève, qui doit la comprendre : «apprendre c’est comprendre», pour la MT; puis, il doit appliquer cette règle de façon consciente («déduire») à travers des exercices d’« application grammaticale»; cette façon de faire était un calque de la méthodologie du latin. La constatation –ou l’évaluation– de ce processus a été maintes fois mise en évidence: l’élève apprend de la grammaire, mais il n’apprend pas à parler la langue. Même pour la langue maternelle, la conceptualisation grammaticale n’est pas quelque chose qui va de soi, comme met en relief Alarcos Llorach: Lo que se adquiere, en diversos grados de fidelidad y exactitud, son las reglas de manipulación para construir con las unidades lingüísticas los actos de habla, que son los que por imitación y comparación han permitido la abstracción inconsciente de aquéllas. Reflexionar sobre estos mecanismos es lo que hace la gramática: qué reglas se utilizan para seleccionar y combinar, en las manifestaciones concretas o decursos del habla, las piezas que el hablante ha ido aprendiendo y tiene acumuladas en un reservorio parcialmente igual al de los demás hablantes de la lengua. Pero convertir en conscientes estos mecanismos que intuitivamente conoce el hablante es asunto que requiera madurez de raciocinio y de reflexión que no alcanzan los alumnos hasta relativamente tarde, no antes de la pubertad. (Alarcos Llorach, 1996: 21)

Nous avons suffisamment mis en relief les défauts de cette grammaire explicite auparavant: le contenu grammatical signifiait mettre en place surtout des concepts et des règles qui se référaient à une langue abstraite, éloignée de l’élève, où l’on recherchait les exceptions plutôt qu’à mettre en évidence les régularités. On pratiquait en effet une grammaire déductive, mais sous une forme tant soit peu déformée, puisque la façon habituelle d’apprendre ce savoir grammatical s’était éloignée des principes fondateurs: le travail de classe de l’élève, lors de l’apprentissage, devait en principe mettre en jeu les facultés de réflexion, d’analyse, de compréhension, de raisonnement; or, dans la plupart des cas, on apprenait les règles sans rien comprendre, à coups de mémorisation, puis on passait à des exercices d’application assez compliqués, ce qui

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était totalement rébarbatif et démotivait les élèves. Si l’on pense aussi que les élèves vivaient dans un climat d’anxiété (peur de l’erreur, discipline, autoritarisme), et que tout passait par l’écrit, il est facile de comprendre que l’objectif de parler la langue n’était nullement atteint. C’est ainsi qu’Éric Genevay peut affirmer : « La démarche traditionnelle : recevoir des connaissances et les appliquer. Selon la méthode traditionnelle, les comportements attendus de l’élève consistent, le plus souvent, à ce qu’il suive les explications du maître, puis, une fois la règle comprise, qu’il s’acquitte d’un certain nombre d’exercices d’application en vue du contrôle final » (in Chartrand dir. 1996 : 55).

Le rejet de la grammaire a été surtout appuyé par ces deux facteurs, réunis: –le choix des descriptions, la façon de déterminer concrètement le contenu d’une grammaire pédagogique, comme nous avons mis en relief dans un titre de chapitre précédent; –la mauvaise façon d’envisager l’enseignement et l’apprentissage de la grammaire. C’est ainsi que certaines options méthodologiques se sont orientées vers un questionnement radical de la présence d’une grammaire explicite: les méthodologies audio-orales et audio-visuelles, dans les années 50 et 60, et récemment l’approche naturelle, dans les années 80. L’approche naturelle (Krashen&Terrell, 1988) établit comme fondement de sa démarche une théorie psychologique (ou «théorie du moniteur») selon laquelle8: • il existerait un LAD (ou dispositif d’acquisition du langage) inné (tel que Chomsky l’avait formulé); • il y aurait un fossé infranchissable entre l’acquisition (processus naturel, implicite, informel, inconscient, analogue à celui par lequel l’enfant apprend sa langue maternelle) et l’apprentissage (processus explicite, formel, basé sur la connaissance des règles, conscient, tel qu’il se pratique dans le sein des institutions scolaires); • le processus de l’apprentissage conduit à l’installation d’un dispositif de correction (ou «moniteur »). Le moniteur est « l’ensemble des connaissances explicites, des règles formulées, de la compétence consciente de l’apprenant qui se manifeste surtout au moment de l’énonciation et seulement pour contrôler la grammaticalité des énoncés, le moniteur ne pouvant enclencher lui-même un énoncé » (Bibeau 1983: 103) . Le problème, selon Krashen, c’est qu’il ne peut pas fonctionner en situation de communication naturelle, étant donné que l’apprenant-locuteur n’a pas le temps nécessaire pour le déclencher, et il n’a pas la pression d’une réalisation correcte de la forme, puisqu’il est sollicité vers la communication. Le fossé entre l’acquisition et l’apprentissage est ainsi tel, selon eux, que l’apprentissage ne mène jamais à une acquisition naturelle de la LE. Ainsi, Krashen (1981) établit qu’il n’y a pas de connexion (neuronale) possible entre les connaissances déclaratives (la description grammaticale) et les connaissances procédurales (capacités, savoir-faire) au niveau linguistique. L’approche naturelle se fonde ainsi sur le principe épistémologique de la similitude des processus d’acquisition 8

Nous nous inspirons pour ces brèves remarques du chapitre 17 de Claude Germain («L’approche naturelle», Krashen-Terrell, 1993: 243-259).

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entre la langue maternelle (LM) et la langue étrangère (LE). Le processus à suivre est celui de la LM : les enfants, lors de l’apprentissage de leur langue maternelle, sont capables de construire inconsciemment la grammaire de leur langue, sans avoir besoin d’expliciter les règles de son fonctionnement ; donc, nous sommes tous capables d’apprendre une langue seconde ou étrangère selon cette même démarche. On doit reproduire en situation scolaire les conditions d’appropriation «naturelle» de la langue (sans explicitation grammaticale). Krashen et Terrell excluent donc radicalement la grammaire, sous l’argument que toute règle nuit à la spontanéité du langage. Les élèves, à travers la pratique de la langue, arrivent tout seuls à une grammaire implicite, à une grammaire intériorisée, comme les petits enfants pour leur propre langue. La stratégie méthodologie «naturelle» consiste à faire comme si la grammaire n’existait pas. D’autre part, les recherches psycholinguistiques d’ordre cognitif (constructivisme, cognitivisme, socio-cognitivisme, voir Piaget, Bruner, Ausubel, Vygotsky) établissent que dans l’apprentissage d’une langue, on ne peut exclure nullement, au contraire, le rôle des facultés supérieures dans le processus d’acquisition/apprentissage d’une langue (maternelle ou étrangère): même les petits enfants se posent des questions sur le fonctionnement de leur langue, hasardent des explications, construisent des régularités…, processus qui doivent être considérés comme aussi naturels que les autres (imitation, imprégnation, créativité…). Les théories cognitives de l’apprentissage ont ainsi montré l’importance de la conceptualisation dans le processus de structuration et d’organisation des connaissances. Elles établissent que l’apprentissage langagier est surtout une activité de traitement de l’information et que le lien entre langue et cognition est incontournable dans le processus de l’acquisition. Le constructivisme de Piaget, la théorie de l’apprentissage significatif d’Ausubel, la théorie de l’étayage de Bruner, le socio-cognitivisme de Vygotsky ont insisté sur le rôle de la réflexion, de la compréhension de ce que l’on apprend, l’importance de la formation de concepts clairs, le besoin de leur insertion dans les connaissances déjà installées chez les apprenants. Réduire l’apprentissage d’une langue à un processus d’imprégnation/imitation, dans l’absence totale de réflexion explicite sur l’objet-langue, ne se correspond même pas aux observations que l’on peut faire sur les enfants de 4-5 ans lors de leur apprentissage de la langue maternelle, puisqu’ils «jouent» avec la langue, ils essayent de nouveaux mots, ils appliquent des règles analogiques, ils se posent et posent des questions. Et, comme de nombreux chercheurs ont montré, l’apprentissage réflexif consolide les connaissances, les stocke dans la mémoire de longue durée. Besse et Porquier (1984: 76-79) rejettent également la dichotomie acquisition/apprentissage défendue par Krashen, et établissent que la production et le contrôle de la production sont constamment imbriqués dans la pratique quotidienne d’une langue. L’activité métalinguistique, qui relèverait selon Krashen uniquement de l’apprentissage, est pourtant intimement liée à la faculté de langage. « […] il n’y a pas vraiment de solution de continuité entre ces deux processus, et toute acquisition y implique un certain apprentissage » (1984 : 79). Ils font appel à « de nombreuses études sur les activités métalinguistiques des enfants ou des adultes non scolarisés [qui] vont dans ce sens » (1984 : 77). La didactique de la LE est restée enfermée le long des années 80 dans cette polémique stérile: les partisans de l’approche naturelle, qui ignorent la grammaire; les théories d’apprentissage cognitives qui défendent le rôle de la conceptualisation et de la réflexion. Au début des années 90, un certain consensus, basé sur l’éclectisme, commence à s’établir parmi les didacticiens européens pour concevoir l’acquisition/apprentissage de la LE comme « un processus de construction créative, au

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cours de laquelle l’élève, tout en s’appuyant sur une série de stratégies naturelles, à partir de l’’input’ reçu formule des hypothèses pour élaborer les règles qui donnent forme à la représentation interne du nouveau système linguistique »9. Ce processus de formulation d’hypothèses lui permet d’organiser les éléments linguistiques de manière compréhensible et significative, et lui donne la capacité de produire des énoncés dans les différentes situations communicatives où il se trouve. Cette formule contient deux grandes assises théoriques. D’un côté, il s’agit de concevoir l’apprentissage d’un LE comme un processus essentiellement naturel, similaire au processus d’acquisition de la LM: si l’exposition à la LE se fait de façon appropriée, il se produira chez l’élève une capacité interne similaire à celui que le locuteur natif a développé (l’élève lui-même) quant à la LM. La présentation du matériel linguistique devra ainsi tenir compte de ce processus, qui fonde une progression dans les apprentissages; il faut dire que celle-ci n’a rien à voir avec l’ordre dans lequel est présentée la matière (l’objet-langue), que ce soit dans les grammaires traditionnelles (règles de prononciation; parties du discours; syntaxe) ou structurales (structures courantes ; complexifixation progressive dans chacun des soussystèmes phonétique, morphosyntaxique, syntaxique, sémantique). La progression de l’apprentissage ne consiste pas dans une appropriation successive des divers soussystèmes linguistiques, mais elle doit se faire sous forme d’«approche globale»: la langue doit être un tout, qui se suffit à lui-même, à chaque instant, pour l’élève; nous avons parlé de cette question lors du concept de grammaire d’apprentissage. La deuxième assise ou pilier provient des théories cognitives: puisque la conceptualisation du fonctionnement de la langue aide à son apprentissage, donnons-lui tout son relief, et aidons l’élève à comprendre comment la langue et les discours s’organisent, à quelles règles ils répondent, quelle est leur structure. Il faudra confier dans les capacités de réflexion et de découverte de l’élève, surtout à l’adolescence et à l’âge adulte; et faire travailler véritablement les facultés supérieures (analyse, réflexion, induction, formulation d’hypothèses, etc.). Le constructivisme, de son côté, montre que les compétences se construisent à travers la réalisation des tâches concrètes et que la réflexion sur le processus d’apprentissage doit être mise au centre des soucis des didacticiens. Ces idées étaient déjà le fondement de l’école active (sous une formulation différente, bien sûr), et, comme disait déjà Berlitz au début du siècle, n’expliquons pas à l’élève ce qu’il est capable de découvrir tout seul! On peut dire ainsi (globalement, de façon éclectique) que le processus d’acquisition-apprentissage est un processus naturel, où interviennent autant les facultés – très développés chez l’enfant– d’imitation (de là la répétition, que le behaviorisme avait transformé en élément essentiel pour créer des habitudes linguistiques) et d’imprégnation inconsciente, que les facultés cognoscitives supérieures (analyse, mémoire, réflexion, etc., dont l’adolescent s’approprie peu à peu, voir Piaget, Bruner, Vygotsky): l’idée d’une construction langagière prend ici tout son sens. La prise en charge des dimensions métalinguistique et cognitive dans l’enseignement-apprentissage d’une langue est défendu également par le courant qui est né en Grande-Bretagne sous le nom de «language awareness» (E. Hawkings, 1984). Ce courant, comme l’indique M. Pendanx « vise à développer chez l’apprenant une prise de 9

Nous tirons ce texte du Diseño Curricular Base (MEC 1989: 319, traduction propre), ouvrage qui a servi de base à la reforme espagnole contenu dans la LOGSE (1990, et décrets postérieurs), et qui reprenait les théories du Conseil de l’Europe sur la question. Le Cadre commun européen de référence pour les langues et la LOCE (2002) continuent de se baser sur ce même modèle éclectique.

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conscience langagière (PCL), c’est-à-dire une « prise de conscience, plus ou moins explicite et explicitée selon l’âge des apprenants, de ce qu’est une langue et de ce qu’est le langage, à partir de la langue intériorisée, de leur pratique langagière en compréhension et en production, aussi bien pour la langue maternelle, la langue seconde, que tout au long de l’apprentissage de la langue étrangère » (M. Pendanx, 1993 : 34) » (1995 : 123). L’objectif ne peut pas être mieux marqué : il s’agit de rendre l’élève conscient du fonctionnement de la langue étrangère, en la mettant en rapport avec sa langue maternelle, et de développer chez lui une conceptualisation générale sur le langage, à traves l’exercice des facultés supérieures, et donc de façon explicite. L’approche actionnelle, retenue par le Cadre européen commun de référence pour les langues (2000), synthétise également ces deux conceptions de l’apprentissage. C’est en parlant, en utilisant la langue que nous l’apprenons, pourrait-on dire sous une formulation simple et claire, tout comme « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ». Dans la définition des «caractéristiques de toute forme d’usage et d’apprentissage d’une langue», nous pouvons lire: L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par des gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment une compétence à communiquer langagièrement. Ils mettent en oeuvre les compétences dont ils disposent dans des contextes et des conditions variés et en se pliant à différentes contraintes afin de réaliser des activités langagières permettant de traiter (en réception et en production) des textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les stratégies qui paraissent le mieux convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer. Le contrôle de ces activités par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences. (Cadre…, 2000: 15)

Mais aussi, même s’il s’agit d’un processus naturel, il peut être optimisé grâce à l’intervention ou à la médiation pédagogique menée à bout par le professeur. Aide du professeur, non seulement dans les questions du choix des éléments linguistiques (ou inputs, ce qui serait aussi à faire en collaboration avec une linguistique appliquée), mais surtout quant à l’organisation des activités d’enseignement-apprentissage. C’est pour cela qu’il nous semble important de fixer une démarche générale d’ordre didactique-pédagogique, qui servira de point de départ ou de référence lors de l’établissement des activités/procédés concrets. Le professeur doit posséder un savoirfaire pédagogique spécialisé; la médiation didactique du professeur, dans le cadre d’un contexte éducatif institutionnel qui est le nôtre, doit répondre à une cohérence méthodologique, et s’orienter à partir des idées suivantes: • il est clair qu’il faut partir du niveau de développement psychogénétique de l’élève, de ses aptitudes et des connaissances qu’il a acquises auparavant. • il faut partir du respect initial envers le processus naturel d’acquisition de la langue (étrangère, dans ce cas). • il faut considérer l’activité mentale constructive de l’élève comme facteur décisif dans la réalisation des apprentissages scolaires. • il faut viser à la construction d’un savoir (linguistique, sociolinguistique, discursif, culturel) chez l’élève au sujet de la langue qu’il apprend, une fois cette (semi)conscience implicite établie. • il faut prevoir la mise en place chez l’élève de stratégies d’apprentissage propres à sa personnalité (facultés) et au type de compétence ciblée.

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• tout cela exige à son tour, et avant tout, de créer un climat/une atmosphère en classe détendue, de respect envers les autres, de naturel, où les élèves possèdent des attitudes favorables envers le FLE et envers leur apprentissage. 2.2. Activités concrètes, procédés et techniques de travail l’enseignement et l’acquisition/apprentissage de la grammaire

pour

Grâce aux réponses fournies par les théories exposées auparavant, la question n’est plus: est-ce qu’un grammaire explicite signifie une aide pour l’acquisition d’une compétence de communication?10 Cela va de soi: même avec la méthode traditionnelle, les bons élèves, à longue échéance, arrivaient à comprendre et à parler la LE. La question est plutôt: comment faire pour que le processus d’installation chez l’apprenant d’une sous-compétence linguistique (ou une grammaire intériorisée) se fasse le plus efficacement possible ? Deux remarques préalables pour bien cerner la question posée. La première, c’est qu’il nous faut distinguer entre savoir grammatical (règles formelles, explicites) et compétence linguistique. Nous avons déjà dit auparavant qu’un élève peut parfaitement connaître une série de règles et d’être incapable de les appliquer lors d’un échange communicatif, ou même lors d’un exercice scolaire de compréhension-expression. Le concept de compétence (linguistique) suppose l’intériorisation de ces règles, leur application naturelle et spontanée; la compétence est la réunion d’un savoir et d’un savoir-faire: posséder une compétence linguistique équivaut à posséder une grammaire intériorisée. L’objectif d’un apprentissage ne peut jamais être de faire apprendre par cœur des règles en soi, mais faire que l’élève arrive à les appliquer «inconsciemment» lors de l’usage du langage. La deuxième, nous l’avons déjà dit aussi, c’est que l’acquisition d’une compétence linguistique ne constitue pas la totalité des apprentissages d’une langue: outre les autres sous-compétences (discursive, sociolinguistique et socioculturelle, stratégique), il faudra développer chez l’élève des capacités concrètes, de compréhension et d’expression, tant à l’oral qu’à l’écrit. Ainsi, acquérir une grammaire intériorisée n’est pas apprendre une langue; mais, acquérir une grammaire intériorisée est un puissant atout pour que les autres sous-compétences et les capacités langagières se développent de façon adéquate: nous rappelons à cet effet une métaphore déjà utilisée: posséder une compétence linguistique équivaut à avoir en tête le plan d’une ville, et, dans ces conditions, trouver son chemin ne pose plus de problèmes: il faut encore mettre les moyens pour se rendre à la destination voulue. Et c’est ce but final (l’acquisition d’une grammaire intériorisée; la postulation de la grammaire non pas comme un objectif en soi mais comme un outil de développement des capacités de compréhension-expression) qui nous fait proposer une modification dans les stratégies d’enseignement/apprentissage de la grammaire, basé sur un consensus éclectique, qui s’installe peu à peu dans les consciences et les pratiques de classe. Éclectisme que défendaient déjà certains didacticiens dans les années 70, qui considéraient que la diversité des élèves conseillait n’éliminer ni la grammaire explicite

10

Question qu’on posait dans le premier titre de chapitre, et que posait encore par exemple Claude Germain en 1995 (« Faut-il enseigner la grammaire dans un cours de langue seconde? », in Suzanne G. Chartrand, Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Les éditions logiques). Cela montre l’influence que l’approche naturelle de Krashen avait exercée dans certains pays.

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ni la grammaire implicite, mais de les pratiquer toutes deux, étant donné que l’on ne peut pas réduire les modèles d’apprentissage/acquisition de la LE à un seul schéma: Dans la méthode audio-orale, on recommandait aux enseignants de re rien dire aux élèves sur la langue qu’ils leur enseignaient –autrement dit de ne pas leur enseigner la grammaire... C’était là une interdiction générale qui devait s’appliquer à tous les élèves puisqu’elle repose sur un principe et une théorie. Dans la méthode cognitive, on exige aux professeurs qu’ils expliquent la langue étrangère, et là encore c’est une prescription de caractère général, fondée en théorie. La grande erreur est de présupposer que l’une des deux prescriptions doit être applicable à l’ensemble des apprenants, et que l’autre ne doit être appliquée à aucun. (Strevens, 1976, in Girard 1995: 67)

Dans un titre de chapitre antérieur, nous avons jeté les bases d’un éclectisme quant à la définition du contenu grammatical (fondé sur un choix multiple): nous avons également posé un éclectisme quant aux principes théoriques: or, comme le laisse entendre J.-Cl. Béacco (1987), ces aspects sont essentiels mais ne sont pas suffisants, et pour parler d’un véritable éclectisme didactique, il faut arriver à une intégrationcompénétration de pratiques de classe qui mèneront à l’acquisition d’une grammaire intériorisée (pratique correcte semi-inconsciente de la langue), mais qui feront de même acquérir à l’élève une compétence grammaticale explicite (c’est-à-dire, qu’il pourra, si besoin, expliquer de façon rationnelle ou logique le pourquoi d’un fonctionnement, d’une règle, d’une structuration textuelle, etc.). Il faut signaler que cette position est issue d’un rejet des a priori théoriques quant aux processus d’acquisition des langues étrangères, trait caractéristique des approches communicatives dans leur ensemble. Il nous reste ainsi à déterminer les activités concrètes qui permettent de développer une prise de conscience langagière et qui conduisent à une conceptualisation explicite (ou saisie intellectuelle) du fonctionnement de la langue. Elles peuvent être de plusieurs types. Nous allons exposer plusieurs propositions, pour établir à la fin un commun dénominateur ou un schéma de travail généralisable. Nous reproduisons tout d’abord un classement proposé par M. Pendanx : –activités de découverte, par l’observation guidée, des rapports langue/langage, langue/communication et langues entre elles, à partir de supports tirés de la vie quotidienne : slogans publicitaires, quiproquos, ambiguïtés et malentendus; –activités de réflexion linguistique à partir de traductions littérales malencontreuses ou d’erreurs d’apprenants étrangères; –découverte d’une langue inconnue; –activités ludiques : jeux sur et avec le langage, les situations, la polysémie […]; –les exercices de conceptualisation contrastive (R. Porquier, 1991) qui font appel à la comparaison entre systèmes partiels de langue connus. (Pendanx, 1995 : 123)11

D’autres professeurs-didacticiens conseillent des façons de faire similaires ou bien légèrement différentes: nous ne citons que l’expérience menée à bout par Alma Rosa Aguilar et Delma González, à l’Université du Costa Rica en 1993, où elles proposent « une approche de la grammaire à partir d’une démarche qui favorise le raisonnement par induction et des activités intellectuelles très variées : voir, comprendre, s’exercer, appliquer, produire, s’évaluer ou être évalué. On part du faire pour arriver au savoir » (1993 : 59). Une des constatations qu’elles formulent est la suivante : « la certitude, 11

M. Pendanx signale dans une note d’autres propositions pédagogiques qui « permettent de travailler dans une perspective proche de celle que nous prétendons ici : voir entre autres H. Besse (1981), C. Bourguignon et M. Candelier (1988), C. Luc (1992) ». Nous proposons ces ouvrages également dans nos références bibliographiques.

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chez l’apprenant, d’acquérir une compétence discursive plus souple a été le constat le plus remarquable qu’on ait pu faire. Cette compétence dépasse les limites du FLE et les rassure aussi en LM. Ils développent également une nouvelle attitude vis-à-vis du discours en dégageant la structure, les modalités, l’organisation, bref tous les indices qui mènent à une véritable appréhension du sens, pour commencer à élaborer leurs propres discours avec une correction grammaticale adéquate » (ibid., 60). L’étude empirique menée à bout par Peck (1988), où il soumet à l’observation comment s’y prennent neuf enseignants (de différentes langues, dans de différents pays), montre que sont utilisées « cinq types majeurs de techniques d’enseignement de la grammaire: identification, classification, systématisation, application et généralisation […] À chacune de ces techniques correspondent, de fait, des habiletés cognitives ordonnées du plus simple (identifier) au plus complexe (généraliser) » (in Germain&Séguin, 1995 : 157). En réunissant de façon éclectique les différentes propositions méthodologiques d’enseignement/apprentissage de la grammaire que nous avons signalées, nous obtiendrions cet ordre d’activités: 1º.- Phase de pratique de la langue, qui permettra la mise en place d’une grammaire implicite ou inconsciente chez l’élève, dans un processus similaire à celui qui se produit lors de l’acquisition de la langue maternelle; bien sûr, cette grammaire implicite n’est comparable ni en extension ni en profondeur à celle de la LM. Dans cette phase peut se pratiquer la technique signalée par Peck de l’«identification», qui correspond à «voir» chez Aguilar&González; On pourrait différencier dans cette phase deux étapes : -immersion, bain linguistique : destinée à la compréhension ; -pratique : réutilisation, manipulation, réutilisation simple ou proche (du lexique, des expressions, des structures), ou encore substitutions, avec des changements minimaux, paraphrases.. 2º.- Phase d’induction (ou encore : découverte du fonctionnement de la langue à travers une induction guidée). Faerch (1986) décompose de la manière suivante la technique de l’induction : a) formulation d’un problème, b) induction, c) formulation d’une règle, d) exemplification où l’on fournit de nouveaux exemples, phase qui optionnelle (in Germain&Séguin, 1995 : 159). La pratique de l’induction, ou encore d’une induction guidée (à travers des hypothèses de travail fournies par le professeur), est destinée ainsi à mettre en place l’apprentissage à travers la découverte par l’élève même du fonctionnement de la langue et des discours (explication raisonnée, faite par l’élève), et au moyen de laquelle la grammaire implicite (contenue dans un texte, un ensemble de phrases, ou bien dans la «tête» de l’apprenant) est ainsi explicitée. C’est ce qu’on connaît habituellement sous l’expression «grammaire inductive». Elle correspond à la phase de «découverte» et de «réflexion» chez Pendanx, de «compréhension» chez Aguilar&González ou encore de «classification» chez Peck. Nous devons signaler que la pratique de l’induction est loin d’être une technique nouvelle : O. Jespersen la proposait déjà au début du siècle sous l’appellation de «grammaire inventive», et certains méthodologues directs la pratiquaient déjà. Elle était aussi défendue en 1973 par Pit Corder: Tout apprentissage doit être considéré fondamentalement comme un processus inductif

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-------------------------------------------------------------------------------------mais qui doit être contrôlé et facilité par des descriptions et des explications données au moment opportun et formulées dans des termes qui conviennent au degré de maturité, de connaissance et de développement de l’apprenant. (in Girard 1995: 73)

Cette démarche inductive comprendrait plusieurs étapes à son tour, comme le signale Éric Genevay (in Chartrand 1996 : 57-62) : observer, manipuler, découvrir, utiliser ; ou encore ce que Suzanne Chartrand appelle : la « démarche active de découverte » (1996 : 197), ou DADD, démarche qui est le fruit de plusieurs années d’application avec ses élèves et de réflexion. Elle établit tout d’abord que « les connaissances grammaticales nécessaires à la maîtrise des règles et des normes du français écrit sont à la fois déclaratives, procédurales et conditionnelles » (1996 : 199) ; par exemple, quant aux règles d’accord dans les verbes : « la connaissance de ces règles est de type déclaratif ; elle correspond à un savoir statique. Elle est toutefois insuffisante, car l’élève doit savoir aussi quand et comment les appliquer. Concrètement, il doit être capable de repérer à coup sûr tous les verbes conjugués de son texte pour pouvoir les accorder ; il ne doit pas les confondre avec un participe passé ou un infinitif par exemple. L’élève doit donc reconnaître les contextes linguistiques où ces règles » À partir du constat d’échec des connaissances déclaratives (à travers plusieurs exemples : soit , l’inefficacité de la démarche traditionnelle) 3º.- Phase de conceptualisation proprement dite (qu’on peut appeler encore : réflexion sur le fonctionnement de la langue). Des explications grammaticales sont faites pas le professeur à travers lesquelles il présente à l’élève de façon explicite les règles ou le fonctionnement langagier, pour compléter/corriger un point précis ou faire une synthèse, et la compréhension globale du fonctionnement de la langue est ainsi assurée (généralisation). Ces explications du professeur peuvent prendre plusieurs formes : simplification, exemplification, commentaire, etc. Elle correspond à la phase de «compréhension» chez Aguilar&González (compréhension renforcée ou complétée) et de «conceptualisation contrastive» chez Pendanx (si les textes proposés montrent en parallèle langue maternelle et langue cible). 4º.- Phase de production (phase qu’on peut appeler encore : systématisation, à travers toute sorte d’activités langagières). Des activités de production assurent l’acquisition d’une grammaire intériorisée, dans chacun des points choisis (règles d’emploi, règles d’usage ; syntaxe ; organisation discursive, etc.). La conceptualisation reste insuffisante pour l’acquisition d’une compétence (savoir + savoir-faire) si des activités de production nouvelle ne viennent renforcer et fixer dans des comportements langagiers nouveaux les nouvelles capacités. Aguilar&González insistent particulièrement sur cette question (« s’exercer, appliquer, produire») ; Pendanx et Peck la signalent également. C’est dans cette phase que prennent tout leur sens les propositions d’Alison Mackey (1994) de réunir tâches communicatives et structures grammaticales précises (voir Germain&Séguin, 1995: 170-177). 5º.- Phase de généralisation. Le contact avec la langue postérieur et les nouvelles productions affermissent la systématisation et la généralisation des règles apprises, et de la compréhension globale du fonctionnement langagier. Aguilar&González distinguent quant à elles une activité d’évaluation qui viendrait renforcer encore l’intériorisation du

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système (et la découverte de certaines failles dans l’interlangue nouvellement construite). Il va sans dire que cette phase aboutit finalement en une nouvelle production (expression), où les acquis sont réinvestis de façon libre et créatrice. Évidemment, il faut être capable d’adapter cette démarche aux différents niveaux d’enseignement ; elle doit être appliquée en tout cas à des doses savamment dosées, dans des moments opportuns du processus d’acquisition/apprentissage de la langue, et selon les élèves particuliers. L’essentiel, dans les premières années de l’apprentissage, est de faire acquérir aux élèves les capacités de compréhension-expression à l’oral, puis à l’écrit, à travers la pratique de la langue (écoute, répétitions, interactions langagières), en laissant que l’immersion linguistique et l’imprégnation fassent leur travail : l’élève ne manquera pas de faire lui-même de façon consciente de nombreuses observations. Et rien n’empêche, si un élève le demande, de proposer une hypothèse de travail et de lui faire découvrir la règle de façon inductive, ou encore de fournir une courte explication. Peu à peu, et de façon progressive, on commencera à entraîner l’élève aux activités d’induction et de découverte de façon plus systématique: cette phase pourra commencer bien plus vite si l’âge où commence l’apprentissage de la langue étrangère est la «grande adolescence» (vers 16 ans) ou l’âge adulte. Cette démarche selon les phases successives signalées est appuyée par les conclusions auxquelles arrive M. Santacroce dans une thèse consacrée à l’étude du rapport entre grammaire et didactique du FLE : Les conclusions de ces trois chapitres [de la seconde partie de la thèse] font apparaître le rôle mineur de la langue maternelle dans les premiers temps de l’apprentissage, la prépondérance d’une approche pragmatico-énonciative qui précède les structurations morpho-syntaxiques chez les apprenants mais également l’importance des interactions collaboratives, l’existence de séquences potentiellement acquisitionnelles et la notion de contrat didactique. (Santacroce, 1999 : 4)

Une idée clé est encore le décloisonnement des activités : il n’existe pas de phases rigides et préfixées, comme dans la MAV ; même si on définit une démarche générale, celle-ci doit être conçue de façon ouverte, créative, adaptée aux besoins et aux styles d’apprentissage des élèves. Cette ouverture d’esprit est défendue par de nombreux didacticiens actuels, tel Christian Puren (1994), ou encore Denis Girard: L’enseignement et l’apprentissage d’une langue axés sur la communication n’impliquent pas que toutes les activités de classe doivent viser au développement de la compétence à communiquer sans s’assurer que les élèves comprennent le fonctionnement de la langue étrangère. De nombreux auteurs spécialistes de la didactique des langues ont insisté sur la nécessité de construire progressivement une certaine prise de conscience linguistique tout en offrant la possibilité aux élèves de pratiquer une vraie forme de communication dans des situations naturelles ou simulées. (Girard, 1995: 73)

Finalement, on doit signaler que cette démarche exige une autre attitude face à l’erreur: les erreurs sont inévitables, et doivent être considérées comme l’occasion pour l’élève de reconstruire le système linguistique intermédiaire et passager qu’il élabore (interlangue). Les erreurs révèlent le stade dans lequel se situe l’élève dans sa progression; elles sont donc un indice de l’apprentissage: l’analyse des productions des élèves est ainsi un atout important de prise de conscience de leur processus d’apprentissage. Toute une «pédagogie de la faute» découle de ce parti-pris. R. Porquier caractérise ainsi une démarche pédagogique centrée sur la faute : • elle part « des productions des apprenants, soit par le biais d’un relevé d’analyses d’erreurs préalable, soit directement dans la classe » ;

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• elle accepte « les erreurs comme reflétant les cométences transitoires et comme outil de manipulation ou de réflexion sur le système de la langue » ; • elle met en jeu « la compétence intermédiaire des apprenants, leur intuition grammaticale, leur capacité d’autocorrection et d’intercorrection » ; • elle utilise « un certain nombre de manipulations formelles au service de cette ceonceptualisation », mais elle ne se limite pas « à la forme des énoncés, tenant ocmpte au contraire de leur insertion contextuelle et situationnelle » […] ; • l’enseignant devient un « observateur et un facilitateur de l’apprentissage », jamais un ‘juge’ (Porquier, in H. Boyer et alii, 1990: 216). Cette question a été récemment reprise par B. Lamy (1997), qui a mis au point une stratégie générale de travail pour tirer des erreurs tout leur potentiel pour une amélioration des apprentissages. Après avoir mis en relief que les élèves possèdent de différentes façons d’apprendre, il établit qu’il existe une capacité corrective chez les apprenants12, et qu’il faut mettre en œuvre une stratégie globale pour arriver à la fixation progressive des formes correctes, en passant par une phase d’uniformité, puis une phase de généralisation d’analogies et de différenciations. La démarche comparatiste (LM-LE) est considérée comme incontournable. Il rappelle aussi que «les activités de base de l’apprentissage dans sa relation avec l’enseignement, sont toujours : comprendre, répéter, organiser, produire » (1997: 1). On y retrouve encore, à grande échelle, les phases que nous avons signalées antérieurement : c’est à chaque professeur de les adapter à ses propres besoins, selon que l’expérience lui dictera. INDEX des notions (la grammaire) – grammaire d’apprentissage : pp. 242, 243, 244. – grammaire communicative, ou grammaire du sens et de l’expression : pp. 229, 238, 239. – grammaire descriptive ou grammaire linguistique : pp. 231, 244. – grammaire déductive : pp. 229, 244, 245 – grammaire explicite : pp. 229, 230, 231,, 237, 243, 244, 245, 249, 250. – grammaire fonctionnelle : pp. 229, 233, 235, 239, 241. – grammaire inductive : pp. 218, 229, 240, 251, 252. – grammaire implicite : pp. 228, 229, 231, 234, 243, 245, 246, 249, 250, 251. – grammaire intériorisée : pp. 227, 229, 230, 231, 237, 242, 243, 246, 249, 250, 252. – grammaire normative : pp. 217, 218, 220, 223, 224, 225, 229. – grammaire pédagogique ou didactique : pp. 231, 240, 244. – grammaire textuelle : pp. 235.

12

Capacité qu’il faut éveiller et améliorer, comme mettent en relief Wilma van Straalen-Sanderse et Pauline Sarkar, qui proposent ainsi une démarche pour entraîner l’élève au dépistage des erreurs grammaticales (1986 : 57-62).

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