Dieu le Père tout-puissant

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Une désexualisation du visage de Dieu : dans les écrits vétérotestamentaires Dieu est relativement peu désigné par le nom de Père. Ce mot ne possède, ...
Dieu le Père tout-puissant 1. La paternité de Dieu

Le Credo qualifie Dieu de Père. Cette appellation biblique (Is 63, 16 ; 64, 7 ; M1, 1, 6 ; 2, 10...) nous est familière, mais elle n’est pas unique pour désigner Dieu. On parle aussi de Dieu comme d’un : -

rocher, défenseur, rempart, bouclier, bras (Ps 16, 17, 18 ; 2 Sa 22) ; époux ; berger (Jr 23 : « Je rassemblerai moi-même mes brebis.. ») ;

Dieu nous échappe et il ne peut en aucun cas être enfermé dans une représentation plutôt que dans une autre. Chaque image révèle un aspect de son mystère, et d’ailleurs le livre du Deutéronome (5, 8) interdit de se fabriquer une image de Dieu, au risque de devenir idolâtre, de faire un Dieu à sa mesure (le péché originel du peuple d’Israël a été de fabriquer le veau gras en or ; la tentation de l’homme est de cerner Dieu, de le mesurer plutôt que de se laisser mesurer par lui en se mettant à sa suite). A ce sujet la révélation de Dieu à Moïse au buisson ardent est fort éloquente : -

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Dieu apparaît au milieu d’un feu brûlant (lumière et amour) qui ne consume rien sur son passage : Dieu est insaisissable comme un feu et respectueux de ce qu’il a créé pour le maintenir dans l’être sans aucunement le détruire (Dieu se nierait lui-même s’il était à la fois créateur et destructeur) ; Par ailleurs nous savons que le Nom révélé à Moïse au buisson ardent (Ex 3, 14) est une manière de préserver son mystère. Le livre de la Sagesse parle à son sujet d’un Nom incommunicable (14, 21).

Tout ceci invite donc à la prudence lorsque nous appliquons à Dieu le nom de Père dans la foi chrétienne. La Bible cherche à dire le mystère de Dieu à partir de tout un ensemble d’images, de métaphores et d’analogies, mais ce que Dieu est vraiment reste à une distance infinie par rapport à ce que nous connaissons de ces réalités-là. Et c'est lui qui vient au contraire donner sens à ces mêmes réalités et nous apprendre ce qu’est être véritablement un père, un berger, un époux ...

A. L’utilisation et la signification du mot « Père » dans l’Ancien Testament L’usage du mot « Père » est assez restreint et tardif pour bien désexualiser Dieu et camper la notion d’alliance. En outre la paternité de Dieu précède la révélation de sa maternité pour bien rappeler l’altérité entre Dieu Créateur et sa créature. Une désexualisation du visage de Dieu : dans les écrits vétérotestamentaires Dieu est relativement peu désigné par le nom de Père. Ce mot ne possède, en effet, qu’une vingtaine d’occurrences provenant, pour une grande part, de textes assez tardifs comme Is 63, 16 ; 64, 7 (« Toi Seigneur, tu es notre Père, notre rédempteur pour toujours »), Ml 1, 6 (« Mais si je suis Père où donc est l’honneur qui m’est dû ? »), Ml 2, 10 (« N’avons-nous pas tous un Père unique ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? »), cf. également Tb 13, 4 ; Si 23, 14 ; 51, 10 ou Sg 14, 3). Un tel phénomène s’explique en partie par le fait qu’Israël entendait bien signifier que le Dieu de l’Alliance se démarquait 1

radicalement des divinités avoisinantes qui portaient souvent le nom de pères ou de mères, ou qui engendraient avec des épouses. En effet, le Dieu biblique n’est pas comparable aux dieux bisexués des peuples voisins1 : il est unique, il n’est jamais accompagné d’une épouse, il n’a pas d’activité sexuelle et, en cela, il se démarque aussi des humains. De ce fait, il est au-delà de la division des sexes, il n’est ni mâle ni femelle, et donc ni homme ni femme puisque ces déterminations exigent l’existence d’un partenaire de sexe opposé. Le Dieu d’Israël, un Dieu de l’Alliance : selon Paul Ricœur la figure du père doit être perdue avant d’être retrouvée. Autrement dit pour en comprendre la véritable portée, il faut passer par un temps de latence et de purification. En effet la Bible ne commence pas par appeler Dieu « Père », elle le désigne comme le libérateur (cf. Dt 5, 6) et le rapport que celui-ci établit avec son peuple n’est pas une relation père/fils, mais une relation d’alliance qui passe par un contrat. D’ailleurs dans les récits de création Dieu n’est pas désigné comme père. Ce n’est qu’après ce détour qu’il peut réapparaître sous ce nom, à partir d’un approfondissement de l’alliance. Parler d’alliance c’est parler d’élection (Israël est le peuple choisi par Dieu). Israël peut alors être dit fils pas élection, autrement dit par adoption et non par génération. Ce sont les prophètes qui introduisent plus tardivement les catégories de paternité et de filiation pour inviter à intérioriser la relation d’alliance. Mais c’est le peuple dans son ensemble qui est déclaré fils et non chacun des croyants : « Car je suis un Père pour Israël et Ephraïm est mon premier-né. […] Celui qui dispersa Israël le rassemble, il le garde comme un pasteur son troupeau » (Jr 31, 9). De la paternité à la maternité divine : une fois que Dieu s’est révélé comme Père apparaît sous la plume de certains prophètes une image féminine de Dieu. En Isaïe deux comparaisons sont à l’œuvre pour traduire l’action de Dieu : Yahvé comme un héros, s’avance, comme un guerrier, il éveille son ardeur, il pousse le cri de guerre, il vocifère contre ses ennemis, il agit en héros. Longtemps, j’ai gardé le silence, je me taisais, je me contenais comme la femme qui enfante, je gémissais, je soupirais en haletant... (Is 42, 13-14).

La première image se situe dans un registre masculin, celle du guerrier qui tient tête à ses ennemis et qui s’en trouve victorieux. La deuxième image ouvre le lecteur sur une réalité tout autre. En effet, les trois verbes soulignés tentent tous de traduire une respiration haletante, semblable à celle d’une femme qui accouche. En cela, Dieu se trouve en quelque sorte comparé à une mère qui enfante en soufflant et qui, à l’issue de l’accouchement, va faire surgir quelque chose de nouveau 2. En Is 49, 15 : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t'oublierais pas. » (Is 49, 15). Dans cette parole, la référence maternelle est évidente, même si le mot mère n’est pas explicitement utilisé3.

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Chez les Hittites, par exemple, un hymne probablement daté du XIIème siècle avant Jésus-Christ et dédié à la déesse solaire d’Arinna use du double titre de père-mère : « Tu es le père et la mère de chaque pays ». Un hymne composé au XIIIème siècle avant Jésus-Christ proclame cette double qualité d’Osiris : « Tu es le père et la mère des hommes ; ils vivent de ton haleine, ils mangent la chair de ton corps, Dieu Primordial du double pays, voilà ton nom ». 2 Derrière ce jeu de comparaison, se tient tout un message : Dieu se donne du mal pour faire advenir à l’existence ; il engage toute sa personne dans son œuvre de vie ; il sait payer le prix de la naissance et de l’engendrement. Il n’est pas un spectateur lointain qui ne s’engage pas. 3 Derrière la comparaison, la figure divine se détache comme un au-delà de toute maternité, parce que Dieu aime bien davantage qu’une mère. Ainsi, grâce à l’écart posé d’emblée entre l’amour et la fidélité d’une mère

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Au milieu de diverses expressions4 celle qui renvoie le plus à l’image de la femme, que l’on trouve sous la plume des prophètes Osée et Jérémie est le mot « rahamim », lui-même dérivé de « rehem » qui signifie l’utérus de la femme, le sein maternel. Cette expression veut traduire la tendresse, la protection, l’amour instinctif et inconditionnel de Dieu : -

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« Comment t’abandonnerais-je Ephraïm, te livrerais-je Israël, comment te traiterais-je comme Adma, te rendrais-je semblable à Ceboyim [villes détruites avec Sodome et Gomorrhe]. Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne détruirai pas à nouveau Ephraïm, car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint et je ne viendrai pas avec fureur » (Os 11, 8-9) ; « Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j’en parle je veuille encore me souvenir de lui. C’est pour cela que mes entrailles s’émeuvent, que pour lui déborde ma miséricorde (tendresse) » (Jr 31, 20) ;

Comment comprendre adéquatement ces images féminines que la Bible attribue à Dieu, dont la plus radicale est celle des « entrailles de compassion » ? Certains théologiens pendant longtemps refusaient de les prendre en compte parce que la maternité, disaient-ils, exigent un principe fécondant, qui est le père, et ne peut donc pas être attribuée à Dieu en qui le Père engendre seul le Fils en tant qu’unique principe dans la Trinité. Mais aujourd’hui avec les connaissances biologiques qui sont les nôtres, nous savons que dans la procréation la mère est avec le père co-principe du corps de l’enfant dans la conception. Nous ne pouvons pas induire un unique principe d’engendrement à partir de conceptions biologiques qui étaient celle de l’Antiquité et du Moyen-Age, mais que nous savons maintenant être fausses. D’après celles-ci la semence du père était le seul principe engendrant le corps de l’enfant, la mère n’étant qu’un réceptacle nourricier permettant à celui-ci de se développer pendant la gestation. La raison pour laquelle Dieu s’est révélé tout d’abord à travers des images de la paternité masculine et seulement ensuite, mais de manière ultime, à travers celles de la maternité féminine, est d’ordre théologique. Le père engendre à l’extérieur de soi un enfant qui se perçoit immédiatement comme autre que lui. En revanche la mère conçoit dans son propre sein et, pendant le temps de la gestation, l’enfant et la mère connaissent une immanence vitale, telle que la perception de l’altérité de celui-ci par rapport à elle sera une acquisition progressive dans laquelle le père jouera un rôle déterminant. Si la Révélation était partie, comme dans nombre de religions païennes, d’une image maternelle de la divinité, elle aurait laissé l’homme dans l’immanence panthéiste d’une « terre-mère ». Il fallait donc que le Dieu créateur se révèle d’abord sous les traits d’un Père qui donne la vie à des créatures qui sont de lui, mais qui ne sont pas lui. Pour que la créature existe comme autre que Dieu, il fallait éviter de la montrer au départ dans l’immanence maternelle de Dieu. Sinon les créatures apparaîtraient et ceux de Dieu, le prophète Isaïe met en évidence la limite du langage utilisé pour parler de Dieu: la qualité de l’amour divin est infiniment plus élevée que celle de la créature, fût-elle déjà très grande. 4 Au livre des Nombres (11, 11-13) Moïse s’adresse au Dieu d’Israël en se lamentant sur la trop lourde charge confiée par Dieu : « Pourquoi fais-tu du mal à ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu m’aies imposé la charge de tout ce peuple ? Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, qui l'ai enfanté que tu me dises : " Porte-le sur ton sein, comme la nourrice porte l'enfant à la mamelle ? Où trouverais-je de la viande à donner à tout ce peuple ? ». Or les verbes utilisés « concevoir » et « enfanter », peuvent concerner l’action d’un homme ou d’une femme : Dieu se comporte donc envers son peuple comme un père ou une mère qui se donnent du souci pour nourrir leurs enfants et en prendre soin.

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comme des émanations divines, et le monde lui-même se présenterait comme un devenir immanent de la divinité. Il fallait donc que l’image paternelle soit première et elle devra rester toujours primordiale dans la foi chrétienne. Cela étant acquis, on va voir apparaître chez les grands prophètes, à partir d’Osée, l’image maternelle des « entrailles de compassion » attribuée à Dieu. La foi monothéiste au Dieu créateur étant exprimée dans l’image du Dieu-Père, l’immanence de la grâce peut se révéler à travers une thématique soit maternelle, soit sponsale. Cette immanence entre l’homme et Dieu dans la grâce ne risque plus d’être conçue comme une fusion panthéiste, puisqu’au départ la séparation entre la créature et le créateur a été posée dans l’image paternelle de Dieu. Sur la base de cette séparation primordiale (la création en Gn 1 est décrite comme une séparation, une mise à distance), qui pose la créature en face du créateur dans l’Alliance, va pouvoir se développer sans confusion tout l’élan de l’union mystique dans l’amour dont Marie sera la parfaite expression.

B. Le mot « Père » dans le Nouveau Testament Le mot « Père » est peu présent dans l’évangile le plus ancien, celui de Marc, il n’apparaît que 4 fois. En revanche sous la plume de Jean, évangile le plus tardif, il revient plus de 100 fois. Ce Père est d’abord « Père de Jésus-Christ » (2 Co 1, 3), et ensuite Père d’une multitude d’enfants adoptifs.

Le Père de Jésus-Christ : Jésus vit une relation particulière avec celui qu’il appelle « abba », que l’on pourrait traduire par « papa », mot araméen (cf. la prière de Jésus au jardin de Gethsémani : « Abba, Père, tout t’est possible », Mc 14, 36 ; Rm 8, 15, Ga 4, 6) qui est le signe d’une profonde familiarité, alors que les juifs n’osaient même pas utiliser directement le mot de « Dieu » par respect pour ce Nom. Sauf dans sa prière sur la croix où il l’interpelle par « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (cf. Ps 21), Jésus s’adresse toujours à Dieu comme son Père. C’est pourquoi il faut dire que Dieu est d’abord « le Père de notre Seigneur Jésus-Christ » (2 Co 1, 3). Cependant les disciples peuvent à leur tour l’appeler « Notre Père » (cf. Lc 11, 2 : « Quand vous priez dites… » ; Mt 6, 7-13), même si ce n’est pas au même titre que lui, comme le souligne une phrase de l’évangile de Jean où Jésus fait une distinction dans son dialogue avec Marie-Madeleine après la résurrection (Jn 20, 17) : « Je monte vers mon Père et votre Père ». Dans l’évangile de Jean Jésus déclare à Philippe : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9). C’est donc en regardant Jésus, en le voyant agir (manger avec les pécheurs, guérir, sauver, chercher le pécheur, l’attendre patiemment cf. Lc 15) que nous pouvons connaître le visage de Dieu le Père, son être même, ses mœurs, sa façon d’agir. Le Père de Jésus-Christ apparaît comme un Dieu qui aime et qui sauve, qui veut la vie, une vie non pas repliée sur soi, mais en abondance. C’est ce qu’expriment tous les récits de guérison, les repas et les rencontres de Jésus, l’envoyé de Dieu, avec toutes sortes de gens. La révélation du Père culmine dans la mort de Jésus pour nous, c’est là que se manifeste l’amour de Dieu pour les hommes : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Aussi Paul peut-il l’appeler « Le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (2 Co 1, 3).

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Mais c’est aussi en regardant ce qui arrive à Jésus, dans sa résurrection, que nous pouvons découvrir qui est le Père. Or, dans le Nouveau Testament, tous les textes qui parlent de la résurrection de Jésus expriment une action dont Jésus n’est pas l’auteur : « Dieu l’a ressuscité ». En cela, il apparaît que Jésus tient sa vie d’un Autre, du Père. Dans cet événement de la résurrection, le Dieu Père apparaît ainsi comme la source de la vie de Jésus-Christ, la source de toute vie5. D’après les récits du Nouveau Testament le Père possède donc une caractéristique fondamentale : il est origine de tout, sa puissance seule peut guérir et sauver. Lui seul peut commencer d'aimer, lui seul peut susciter et resusciter à une vie nouvelle, au-delà de la mort elle-même. Dans la résurrection le Père apparaît comme celui qui a le dernier mot sur la mort.

Le Père d’une multitude d’enfants adoptifs : la paternité de Dieu ne s’exerce pas seulement à l’égard de Jésus-Christ, même s’il est fils d’une façon unique. Avec la venue de ce Fils Eternel il nous est révélé que tout être humain se trouve concerné par la filiation divine, qu’il est invité à vivre l’adoption filiale : « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale » (Ga 4, 4-5). Le Dieu Père est donc aussi Père de chaque être humain. Il est bon de se demander ce qu’il nous propose quand il veut faire de nous ses enfants adoptifs. Quelle est donc cette paternité non pas naturelle mais de grâce ? En fait Dieu le Père veut nous communiquer un héritage qui est sa vie de lumière et d’amour. Il veut nous rendre participants de sa nature divine comme l’indique 2 P (1, 3-4) : « Car sa divine puissance nous a donné tout ce qui concerne la vie et la piété : elle nous a fait connaître Celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu. Par elles, les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature »6. La parabole du Père riche en miséricorde et de son fils cadet égaré relate de cet héritage que Dieu veut nous donner sans partage. Il veut nous offrir sa vie, en communion avec lui, mais la tentation est de prendre « la part » d’héritage séparément de sa source. « Le fils prodigue, c’est-àdire tout homme à la suite d’Adam, dit à son Père : "Père, donne-moi la part d’héritage qui me revient". Le drame du péché réside dans un mot : "la part", car Dieu voulait tout donner. "Donne-moi la part d’héritage qui me revient", donne-moi le monde, ta création, puisque c’est pour moi que tu l’as faite. Laisse-moi en paix y trouver mon bien puisqu’elle est pour moi". Le Père voulait tout donner, mais tout donner dans la communion, dans l’héritage partagé, non pas au sens où l’on découpe, mais au sens où l’on goûte ensemble, comme le montre la suite, au moment du retour du fils, quand on partage tout ensemble. Il voulait pouvoir dire au fils prodigue ce qu’il dira au fils fidèle : "Mon enfant, toi tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi". C’est la phrase même de Jésus à son Père : "Tout ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi" (Jn 17, 10) ». Comme enfant adoptif du Père, chacun de nous est appelé à ressembler au Christ, à devenir fils dans le Fils, image du Père (cf. Col 1, 15 ; la conversion c’est passer de l’image à la ressemblance, de la puissance à l’acte), c'est-à-dire à vivre son existence en relation confiante avec le Père, dans une 5

Pour parler du mystère de trinitaire de façon ajustée, il faut tenir trois choses dans un ordre bien précis : 1) la monarchie du Père, il est l’origine de toutes choses, 2) la distinction des personnes divines par leur procession d’origine, 3) la péricorèse : dès lors que je suis en contact avec une personne divine je suis en contact avec les deux autres. 6 Cette affirmation est reprise dans le concile Vatican II : « L’aspect le plus intime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu » (Gaudium et Spes 29, 1).

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heureuse dépendance marquée par l’écoute, l’obéissance (ob-audire), qui n’est jamais aliénation, mais soumission aimante au créateur. Dans l’évangile Jésus dit des enfants qu’ils sont plus proches du Royaume car l’enfant vit de cette relation confiante à l’égard de ses parents. Il s’agit d’entrer dans les sentiments du Père, d’adopter les mœurs du Père. A nouveau la parabole de Lc 15 est intéressante à ce sujet : le fils aîné vit d’une obéissance extérieure, il ne vit pas des sentiments du Père puisqu’il ne se réjouit pas du retour de son frère cadet. Ces deux fils sont la caricature du péché de l’homme : -

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soit orgueilleusement il se sépare de son créateur, de sa source originelle et est voué au repli sur lui-même à la mort et au péché que symbolise le porc, animal impur dans le judaïsme car voué à ses instincts ; soit il se soumet extérieurement à son créateur, il vit cela comme un devoir, une servitude7 et non comme une relation à une source vitale et son cœur se dessèche, tombant dans la vanité et une autre forme de repli sur soi. Il n’est pas en symphonie avec le cœur du Père.

Quelle que soit l’attitude choisie par l’homme dans sa liberté, Dieu le Père ne cesse de s’occuper avec amour de ses créatures : il les abrite, il les soutient, il les recherche obstinément, sans jamais désespérer d’elles (cf. l’attitude de Dieu au jardin d’Eden, où il cherche à entrer en conversation avec Adam après sa chute). La paternité de Dieu c’est aussi sa providence inlassable sur ses créatures.

Conclusion : il apparaît que ce Dieu Père est tout autre que les humains en tant que père ou mère, car les pères et les mères de conditions humaines ne sont en aucun cas l’origine de tout. Ils sont euxmêmes fils et filles de quelqu'un d’autre qui les précède. La confession de foi en un Dieu Père souligne donc que nous n’avons pas à nous considérer comme l’origine des choses et des êtres. C'est le Dieu Père qui est cette origine. Et pourtant, se considérer comme l’origine des choses est une tentation qui peut guetter l’humanité et chacun de nous : nous pouvons être tentés de nous croire l’origine de notre savoir, de nos compétences, de nos talents. Cette tentation peut même nous conduire à dire : mon fils, ma fille, c’est moi ; leur réussite, c’est grâce à moi. En même temps, il demeure bien vrai que la paternité et la maternité humaines sont susceptibles d’exprimer quelque chose de Dieu car, de fait, être père ou mère, c’est précéder des enfants de notre amour (un enfant est le fruit d’une relation amoureuse) et accompagner leur croissance de façon juste. La confession de foi en un Dieu Père (c'est-à-dire en une première personne de la Trinité origine absolue de toutes choses, et donc de notre vie) possède ainsi plusieurs véritables enjeux : -

rester à notre juste place de créature, marquée par la réceptivité, considérant Dieu comme source première ; nous laisser d’abord aimer par Dieu en étant attentif à ses marques d’amour.

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Ce qui intéresse Dieu ce n’est pas cette obéissance formelle, pas plus que de vrais parents n’imposent à leurs enfants des ordres arbitraires. Ils disent à leurs enfants quel est leur bien : voilà l’obéissance que demande la paternité.

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2. Un Dieu tout-puissant De tous les attributs divins, seule la toute-puissance de Dieu est nommée dans le Symbole. Cette expression fait souvent difficulté, car elle suscite un certain nombre de réactions : -

soit de méfiance : un tel Dieu apparait dominateur, castrateur, contrôlant tout ; soit de l’ironie : comment Dieu peut-il être à la fois être tout puissant et laisser en même temps les forces du mal ravager le monde ?

Le problème est que l’on projette sur cette toute-puissance l’idée que nous nous en faisons : la toute-puissance de quelqu’un qui, par sa force et son pouvoir, sa richesse, est capable de faire et d’obtenir n’importe quoi. Or le mot grec « Pantocrator » (tout-puissant) signifie plutôt : celui qui est maître de toutes choses, le seigneur des puissances, comme le maître du ciel et de la terre. Il y a donc un sens cosmique : il est au-dessus de toutes choses créées. Le mot « Pantocrator » a aussi un sens politique : il désigne Dieu comme le souverain de tous les Seigneurs. Quoi qu’il en soit de tous ces sens, c’est la Révélation dans son ensemble qui donne à ce mot son véritable sens. Plutôt que de partir du sens que nous donnons couramment à la toute-puissance, il nous faut interroger l’Ecriture pour définir l’idée de toute-puissance à partir de Dieu et du Christ. On découvre alors qu’elle est : -

universelle, car Dieu, qui a tout créé, régit tout et peut tout ; aimante, car Dieu est notre Père ; mystérieuse, car seule la foi peut la discerner lorsqu’elle se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9) ;

Universelle : l’Ecriture confesse à maintes reprises la puissance universelle de Dieu. Il est appelé « le Puissant de Jacob » (Gn 49, 24, Is 1, 24), « le Seigneur des armées », « le Fort, le Vaillant » (Ps 24, 810). Si Dieu est tout-puissant « au ciel et sur la terre » (Ps 135, 6), c’est qu’il les a faits. Rien ne lui est donc impossible et il dispose à son gré de son œuvre. Il est le Seigneur de l’univers dont il a établi l’ordre qui lui demeure entièrement soumis et disponible. Il est le maître de l’histoire : il gouverne les cœurs et les événements selon son gré : « Ta grande puissance est toujours à ton service, et qui peut résister à la force de ton bras ? » (Sg 11, 21). Aimante : Dieu est le Père tout-puissant. Sa paternité et sa puissance s’éclairent mutuellement. En effet il montre sa toute-puissance paternelle par la manière dont il prend soin de nos besoins (il libère, guérit, sauve et recrée sans cesse, cf. Mt 6, 32), par l’adoption filiale qu’il nous donne (« Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur tout-puissant », 2 Co 6, 18) ; enfin par sa miséricorde infinie puisqu’il montre sa puissance au plus haut point en pardonnant librement les péchés. La toute-puissance divine n’est nullement arbitraire : « En Dieu la puissance et l’essence, la volonté et l’intelligence, la sagesse et la justice sont une seule et même chose, de sorte que rien ne peut être dans la puissance divine qui ne puisse être dans la juste volonté de Dieu ou dans sa sage intelligence » (saint Thomas, Somme théologique, Ia, q. 25, ad1). Mystérieuse : la foi en Dieu le Père tout-puissant peut être mise à l’épreuve par l’expérience du mal et de la souffrance. Parfois Dieu peut sembler absent et incapable d’empêcher le mal. Or Dieu le Père a révélé sa toute-puissance de la façon la plus mystérieuse dans l’abaissement volontaire et dans la résurrection de son Fils, par lesquelles il a vaincu le mal. Ainsi le Christ crucifié est « puissance de 7

Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 24-25). C’est dans la résurrection et dans l’exaltation du Christ que le Père a « déployé la vigueur de sa force » et manifesté « quelle extraordinaire grandeur revêt sa puissance pour nous les croyants » (Ep 1, 19-22). Seule la foi peut adhérer aux voies mystérieuses de la toute-puissance de Dieu. Cette foi se glorifie de ses faiblesses afin d’attirer sur elle la puissance du Christ (cf. 2 Co 12, 9). De cette foi la Vierge Marie est le suprême modèle, elle qui a cru que « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37) et qui a pu magnifier le Seigneur : « Le puissant fit pour moi des merveilles, saint est son nom » (Lc 1, 49).

Conclusion générale sur l’article « Je crois en Dieu le Père tout-puissant », cf. Dieu sans idée du mal, J.-M. Garrigues, éd. Critérion, p. 22-24 ;

En guise de prière, le Credo du père Sonet : Je crois que Dieu est un Dieu d’Amour un Dieu Père qui a créé le monde par Amour pour que nous soyons tous un jour des adorateurs de l’Amour. Je crois que par Amour Dieu a envoyé son Fils sur terre qu’il est né d’une Vierge, c’est-à-dire toute tournée vers l’Amour je crois que le Christ a été ici-bas l’icône de l’Amour du Père qu’il est mort et ressuscité pour la plus grande gloire de l’Amour. Je crois que l’Esprit-Saint est l’Esprit d’Amour la communion amoureuse, faite personne, du Père et du Fils ; le baiser du Père et du Fils. Je crois que dans mon cœur où il y a présence d’une amitié véritable, d’un amour authentique (et en particulier dans le Sacrement du Mariage) il y a présence de l’Esprit d’Amour. Je crois que l’Eglise est le peuple de l’Amour malgré les imperfections de ses membres, de ses chefs, elle est chargée de conduire le monde vers le Royaume de l’Amour. Je crois, que tous ensemble, songeant à l’heure de notre mort, mais pleins d’espérance et de confiance, nous marchons vers le Royaume des Noces Eternelles, vers le Royaume de l’Amour.

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