Dossier -art et merveilles - les Abattoirs

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19 déc. 2012 ... Kafka sur le rivage, Haruki Murakami .................................................. 45. À la croisée des mondes, Philip Pullman ............................................ 46.
Projet s’inscrivant dans le dispositif Eclair (Ecoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite)

L’ART AU PAYS DES MERVEILLES 5 Décembre 2012 - 22 Janvier 2013

Centre Culturel Alban Minville Œuvres prêtées par les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées Olivier Michelon Directeur Laurence Darrigrand Service des publics

DOSSIER PEDAGOGIQUE ENSEIGNANTS SERIE

HORS LES MURS

Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées, dans le cadre du partenariat conclu avec le réseau ECLAIR toulousain, présentent, « hors les murs », quelques-unes de leurs œuvres. En regard de celles-ci, ce document a pour vocation d’offrir aux professeurs quelques pistes et éclairages.

L’exposition L’art au pays des merveilles présentée au Centre culturel Alban Minville et à la toute nouvelle médiathèque Grand M, introduit une question inéluctable : celle de l’imaginaire.

Evelyne Goupy Chargée de mission DAAC Auprès du Service Educatif .

SOMMAIRE

AVERTISSEMENT ……………………………………………………………………………..

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Rappels généraux ...............................................................................

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Introduction à la démarche pédagogique ............................................

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UNE ŒUVRE / DES QUESTIONS ......................................................................

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DEFINITIONS ......................................................................................................

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REMARQUES CONNEXES : POLYSEMIE DU TITRE DE L’EXPOSITION .......

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Petit retour dans le temps ....................................................................

6

Conséquences pédagogiques .............................................................

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ŒUVRES SELECTIONNEES ET IMPLANTATION DANS LE SITE ...............................

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Centre culturel Alban Minville ..............................................................................

11

Médiathèque Grand M .........................................................................................

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ARTISTES ET DEMARCHES : PARCOURS POSSIBLES .............................................

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GIGANTESQUE / MINUSCULE ..........................................................................

17

HYBRIDES ..........................................................................................................

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UNIVERS PARALLELES .....................................................................................

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LES SENS AU PAYS DE COCAGNE .................................................................

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FOCUS SUR UNE OEUVRE : Le terrain ombelliférique, Bertrand Lamarche ............

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INTERMEDE : « Cette étoffe sur laquelle naissent les rêves » ...................................

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MISE EN RESEAU ...........................................................................................................

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PHILOSOPHIE : FOUCAULT ..............................................................................

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PSYCHOLOGIE : BETTELHEIM .........................................................................

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LITTERATURE ....................................................................................................

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Kafka sur le rivage, Haruki Murakami ..................................................

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À la croisée des mondes, Philip Pullman ............................................

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Pour les plus petits...............................................................................

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THEATRE : JOEL POMMERAT ..........................................................................

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MUSIQUE / OPERA : LE FANTASTIQUE ...........................................................

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CINEMA : DES LANTERNES MAGIQUES A MELIES ........................................

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ARTS PLASTIQUES ............................................................................................

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Bestiaires fabuleux : hybrides et autre monstres .................................

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Ressemblances formelles, associations, rencontres insolites .............

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Ombres ................................................................................................

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Echelle : gigantesque ou minuscule ....................................................

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Couleur ................................................................................................

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Déformation .........................................................................................

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Inversion, détournement ......................................................................

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BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................

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AVERTISSEMENT

Rappels généraux : Le centre culturel Alban Minville et la médiathèque Grand M (ayant ouvert ses portes le 27 mars dernier) accueillent, du 5 décembre 2012 au 22 janvier 2013, l’exposition L’art au pays des Merveilles qui réunit des œuvres bidimensionnelles et tridimensionnelles prêtées par le musée. Celles-ci s’adressent à un large public scolaire. On rappellera que le partenariat plus spécifique entretenu avec le réseau ECLAIR vise à susciter, dans les années suivant cette expérience pédagogique, des visites régulières et l’exploitation pédagogique des expositions du musée. Histoire des arts – Premier degré Les élèves bénéficient de rencontres sensibles avec des œuvres qu’ils sont en mesure d’apprécier. Ces sorties éveillent la curiosité des élèves pour les activités artistiques de leur ville ou de leur région.

En mai, le temps de restitution des travaux d’élèves a pour objectif, en offrant un accès gratuit au musée pour les enfants et leur proche famille, d’amener une assistance peu accoutumée à fréquenter cette structure culturelle - à s’y déplacer et à découvrir ce qu’elle propose. Introduction à la démarche pédagogique : L’exposition ne constitue qu’un point d’appui, le travail avec les élèves étant supposé s’inscrire dans une démarche pédagogique plus large au cours de l’année scolaire. Comment, alors, situer la visite dans un dispositif global (ce qui sera travaillé avant / ce qui sera abordé après) ? Comment envisager, au sein d’un enseignement polyvalent, des mises en réseau, des croisements entre champs disciplinaires ? Comment, tout particulièrement en arts visuels, éviter l’écueil du « faire-faire » ou du « à la façon de » ? Comment engager les élèves à s’emparer de leurs apprentissages sans les placer en situation de simples exécutants ? Cycle 1 : La sensibilité, l’imagination, la création (BO n° 5, 11 avril 2007, hors-série)1 Les références culturelles ne sont pas données comme modèles à atteindre ou à admirer. Elles permettent l’ouverture à des sensibilités différentes et posent les bases d’une culture commune. Guidé par le maître, l’enfant découvre les liens entre inventions des artistes et propositions des élèves. Il se familiarise avec des œuvres qu’on lui fait découvrir dans des contextes différents. Il en perçoit des aspects divers et en distingue certaines particularités. Il acquiert ainsi un début de culture visuelle. Les œuvres et les artistes proposés viennent en appui d’une expérience créative concrètement vécue.

Dans un premier temps, les reprographies des œuvres peuvent permettre à l’enseignant de déterminer des contenus potentiels et de sélectionner les créations à partir desquelles il ancrera ses transpositions didactiques et les séances de pratique. SOCLE COMMUN, Compétence 5 : La culture humaniste L’élève est capable de reconnaître et décrire des œuvres visuelles préalablement étudiées : savoir les situer dans le temps et dans l’espace, identifier le domaine artistique dont elles relèvent, en détailler certains éléments constitutifs en utilisant quelques termes d’un vocabulaire spécifique

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Pour le premier degré, il sera souvent fait référence aux programmes d’arts visuels antérieurs à 2008 car plus précis dans leurs contenus

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Dans un second temps, la phase de visite d’exposition constituera une bonne occasion de mettre en exergue la matérialité des œuvres et l’importance des partis pris d’accrochage. Les élèves seront amenés à prendre conscience qu’un abîme sépare, bien souvent, une œuvre représentée par une image et sa présence tangible. La confrontation directe autorise la comparaison entre l’idée qu’on s’en était faite et la réalité de ses dimensions, couleurs, textures, matières, volumes, sons - voire odeurs, qu’aucune reproduction n’est jamais en mesure de transcrire. En vue de cette visite, l’élaboration d’une stratégie pour mettre la classe en situation de travail – et non simplement d’écoute – est incontournable. Quelles questions poser ? Quelles tâches assigner ? Comment vaincre désintérêt ou ennui ? Comment rendre les élèves actifs ? La diversité des créations offre la possibilité, pour chaque professeur, d'organiser un parcours de visite en fonction d'une thématique ou d'une problématique spécifique (Il semble en effet peu pertinent d'envisager d'exploiter simultanément toutes les productions avec une classe). Dans un troisième temps, se pose la question de faire perdurer profitablement ce moment fugitif de la visite et d’en prolonger l’exploitation pédagogique sans que les élèves ne se lassent. La perspective de voir leurs propres productions exposées peut constituer une forte motivation. A ce titre, il n’est pas inutile de rappeler que la finalité, ici, n’est pas de s’inscrire dans une démarche de « loisir créatif » ni de recherche de « beau » ou de « bien fait ». Par ailleurs, quel que soit son lieu d’exposition, y compris au sein de l’établissement scolaire, toute proposition plastique nécessite la confection d’un cartel venant préciser la démarche suivie (proposition, consignes, contraintes) et, éventuellement, le vocabulaire spécifique issu des phases de verbalisation. Sinon, le public (quel que soit son âge) est maintenu dans un état de réception béate et quasi fétichiste de l’objet, figé dans une attitude d’admiration ou de rejet - ne remettant jamais en question ses stéréotypes. Or, l’objet, même s’il est né du plaisir de faire, ne constitue, dans le cadre scolaire, qu’un prétexte pour apprendre... En ce sens, la dénomination « œuvre » dont usent de façon récurrente certains enseignants à l’égard de travaux d’élèves parait grandement inappropriée. « FORME, ESPACE, COULEUR, MATIERE, LUMIERE et TEMPS sont des notions qui s’entrelacent continuellement dans les pratiques plastiques où le CORPS participe intrinsèquement de la conduite créatrice »2. C’est en s’appuyant sur certaines questions afférentes que le professeur va pouvoir élaborer des dispositifs qui conduiront les élèves à créer des univers fictionnels en opérant des choix porteurs d’effets. L’imaginaire soulève de multiples questions : différentes approches permettent de décloisonner le champ d’activité et de varier les pratiques en classe. Convoquant aussi bien le dessin, la peinture et les compositions plastiques que l’utilisation de l’outil informatique, elles peuvent aussi conduire à faire l’expérience de la muséographie, de l’installation, de la vidéo, etc. Les arts visuels, dès l’école primaire, font partie intégrante de la scolarité et contribuent, à ce titre, à la formation de futurs citoyens acculturés. Cet enseignement concourt à la construction de la personnalité comme à la formation d’un citoyen conscient, autonome et exerçant sa responsabilité visà-vis des faits artistiques. Articulant approches pratiques et culturelles il procure aux élèves les 3 repères culturels nécessaires pour contribuer à la vie sociale.

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In Programme du collège, Arts plastiques, « Présentation générale », p. 2

3

Ibid. p. 3

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UNE ŒUVRE / DES QUESTIONS

Beaucoup de collègues non spécialistes de la discipline, se sentent démunis et désemparés face à l’art. Ayant l’impression de « ne pas savoir », ils s’imaginent être incapables de faire passer quoi que ce soit à leurs élèves dans ce domaine. Cette posture démontre que certains restent campés sur une idée de l’enseignement où les apprentissages se feraient exclusivement par transmission et non par « construction » et appropriation. La transmission (faire passer d’une personne à l’autre, répercuter) pose d’autant moins de problème que la question de l’enseignement porte moins sur la méthode (comment ?) que sur les contenus (quoi ?). Or, depuis de nombreuses années déjà, il a été démontré que le problème de la transposition devait être clairement posé4 et ceci d’autant plus que d’autres pôles viennent alimenter les contenus d’enseignement (monde professionnel, pratiques artistiques de référence, média, inventions technologiques…) Le rôle du professeur doit donc revêtir fonction d’étayage, l’apprenant intervenant alors activement en se confrontant à des « représentations-obstacles » ou à l’utilisation de nouveaux éléments conceptuels. « Apprendre ne consiste pas à recevoir le savoir mais dépend de la manière dont l’élève organise les informations qu’il reçoit, dont il les interprète, les hiérarchise, les code, les met en mémoire » Anne Ragot, Rencontres pédagogiques n°30, INRP, 1991 Le rôle et la place de chacun se trouvent donc modifiés : L’élève devient sujet actif, apprenant - et non plus exécutant. Il construit ses connaissances à partir de ce qu’il sait déjà. L’enseignant s’appuie non seulement sur les pré-requis (ce qu’il faut déjà avoir enseigné) mais aussi sur les pré-acquis (ce qui est déjà là, de l’ordre de l’expérience), sur les représentations (ce que l’élève croit déjà savoir) et sur le milieu socio-familial.

A titre d’illustration, un travail « inversant » les rôles habituels a été mené avec des classes de collégiens concernant l’analyse d’image. Leur vocabulaire s’avère, certes, bien éloigné de ce qu’on obtiendrait avec des enfants de cycle 2 ou 3, mais la démarche peut s’avérer transposable : Chaque élève dispose de la reprographie couleur d’une même œuvre figurative qui est, par ailleurs, projetée. On place volontairement la classe dans un jeu de rôle : Chacun « pense à » ou « note » 4 ou 5 questions qu’il poserait à d’autres élèves au sujet de cette image. Une mise en commun permet d’inscrire toutes leurs propositions au tableau. Après cette séance, l’enseignant reprend toute cette matière première et la classe de façon à établir un questionnaire plus structuré… On voit, du coup, que le professeur joue le rôle d’un chef d’orchestre, le travail fondamental repose sur le questionnement et la mise en action - donc sur l’implication - des élèves. L’adulte, dans ce cadre, est là pour améliorer et préciser le registre lexical de la classe, il fait aussi la synthèse des idées émises, en les classant par paragraphes bien différenciés auxquels sont attribués des titres. Ce qui aboutit au plan suivant : Références du document (sa carte d’identité) Ce que je vois : étude des données plastiques de l’œuvre Ce que je reconnais Ressentis personnels et hypothèses 4

Cf. Yves Chevallard, La transposition didactique, Ed. La pensée sauvage, 1991

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Ainsi, l’outil (le questionnaire), est-il élaboré par les élèves eux-mêmes avant qu’il ne leur soit demandé, après plusieurs séances de pratique, d’y répondre – en ayant recours à leur expérience plastique, à une observation attentive et à des recherches documentaires.

DEFINITIONS

Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales5, Merveille : 1A. − Événement ou chose qui cause un vif étonnement par son caractère étrange et extraordinaire. − En partic. Événement ou chose qui paraît dépasser les forces de la nature. Synon. miracle, prodige ♦ [P. allus. à l'ouvrage de Lewis Carroll] Le pays des merveilles. Le monde des contes de fées. − Expressions ♦ Vieilli. C'est merveille de + inf., c'est merveille que + subj. C'est une chose admirable, étonnante, extraordinaire. C'était merveille de l'entendre. 1B. − P. méton. Étonnement, émerveillement. 2A. − Chose qui suscite l'étonnement et l'admiration en raison de sa beauté, de sa grandeur, de sa perfection, de ses qualités exceptionnelles. − Loc. (Attendre, dire, raconter) monts et merveilles. (Attendre, dire, raconter) des choses étonnantes, extraordinaires, remarquables. ♦ Promettre monts et merveilles. Faire des promesses exagérées et trompeuses. − En partic. Les sept merveilles (du monde). Les sept œuvres d'art6 qui chez les Anciens passaient pour être supérieures aux autres en beauté, en grandeur, en magnificence. B. − P. hyperb. 1.− Une merveille de. Une merveille de beauté, de goût, d'habileté, d'ingéniosité. 2. Loc. verb. a) Faire merveille, faire des merveilles. [Le suj. désigne une pers.] Faire quelque chose d'étonnant, d'exceptionnel, méritant l'admiration. b) Faire merveille. [Le suj. désigne un inanimé] Produire un bel effet, des résultats remarquables, exceptionnels. c) Dire (ou un verbe du même paradigme) merveille(s) de qqn ou qqc. Faire l'éloge de, dire beaucoup de bien de. A. − Loc. adv. Très bien, excellemment; admirablement, parfaitement bien. Chanter, danser à merveille.

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http://www.cnrtl.fr/definition/

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Rappel : les sept merveilles du monde comprennent les murailles et les jardins de Babylone, les pyramides d'Égypte, le phare d'Alexandrie, le tombeau qu'Artémise fit élever pour Mausole, son mari, le temple de Diane à Éphèse, celui de Jupiter Olympien à Pise, en Élide et le colosse de Rhodes

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Programmes, Arts plastiques, Collège, cycle central Images, œuvre et fiction / Images, œuvre et réalité - Les élèves de cinquième et quatrième se familiarisent avec les images et leur diversité. Ils élaborent matériellement des images, découvrent les modalités de leur réception et de leur diffusion. Ils poursuivent à cette occasion l’étude des dispositifs et des codes de représentation.

Dans son Vocabulaire d’esthétique7, Etienne Souriau précise : « qu’il soit ancien ou moderne, en continuité ou en rupture avec le réel, le merveilleux est toujours mis en œuvre par les arts de la même manière : il faut que des faits surprenants et admirables dépassent ce que la nature permet. [...] Dans les arts plastiques figuratifs, il s’agit toujours de faire jouer les puissances de suggestion et de présenter le merveilleux de manière à faire sentir sa différence avec le banal courant. Dans les arts du spectacle, il faut produire des faits réels qui soient perçus par le public comme hors du réel. C’est alors au théâtre le règne des machines et des fantasmagories ; au cinéma, dès son origine, l’ingéniosité des trucages et des effets spéciaux. Le merveilleux y est le domaine du jeu d’apparences et de l’illusion. L’admiration du spectateur est double car elle va, d’une part au merveilleux diégétique (dans l’univers de l’œuvre) mais aussi au procédé réel qui a si bien donné l’impression d’une réalité de l’impossible. » Arts Plastiques, Lycée, classe de Première Figuration et image Ce point du programme est à aborder sous l'angle de la question de la distance de l'image à son référent.

REMARQUES CONNEXES : POLYSEMIE DU TITRE DE L’EXPOSITION Petit retour dans le temps : « Le merveilleux, au début du XXe siècle, était perçu comme un élément d'une rhétorique désuète. C'est Breton qui, dans ses textes théoriques, lui a redonné son lustre ; et le champ sémantique actuel du mot merveilleux en garde la trace. Dès 1924, il établit une relation d'identité entre le beau et le merveilleux : le merveilleux est une propriété de la poésie et plus particulièrement de la poésie pré-surréaliste et surréaliste - singulier destin pour un mot qui jusque-là désignait un effet employé dans certains récits et, surtout, des récits traditionnels. Breton ne l'ignore pas et laisse même entendre que la poésie moderne est l'authentique héritière du conte archaïque. Cette conception garde-t-elle un sens en dehors du contexte surréaliste ? Le mot merveille, comme le mot latin mirabilia dont il est issu, implique à l'origine un double effet d'étonnement et d'admiration ; même si nos contemporains tendent à oublier l'étonnement, il n'a pas pour autant disparu de la langue sans laisser de traces. La théorie du merveilleux, à un stade ancien, a été une théorie de la surprise. Aristote est traditionnellement considéré comme le premier théoricien du merveilleux. En effet, il a employé, dans trois passages de sa Poétique, le mot thaumaston, qui signifie à la fois étonnant et admirable ; on l'a donc traduit par mirabile (en latin), puis par meraviglioso (en italien) et merveilleux (en français).

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Vocabulaire d’esthétique, Etienne Souriau, PUF, 1990, pp. 1001 - 1002

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Pour Aristote, la surprise est nécessairement gratifiante parce qu'elle annonce un supplément de sens. Dans la fiction, elle est crédibilisée par la mimèsis, l'effet de réel (particulièrement convaincant lorsqu'il se produit sur scène) et finalisée par la catharsis, l'épuration des passions réalisée à la clôture du récit et justifiant celui-ci auprès de son public. En questionnant le texte de la Poétique, on obtient des résultats ambigus : tantôt la surprise est liée à un coup de théâtre (56 a, 20) ou à un épisode aux limites de la vraisemblance (60 a, 12, 13 et 17) ; tantôt elle suggère une intervention des dieux, mais seulement parce qu'elle exclut toute autre explication (52 a, 4 et 6). Tout est donc réuni pour faire du concept de merveilleux un mélange explosif. D'emblée, après la Renaissance, les doctes se divisèrent sur le problème du référent surnaturel : les uns optaient pour le merveilleux païen par fidélité machinale au principe de l'imitation des Anciens ; les autres prônaient le merveilleux chrétien parce qu'il était plus vraisemblable. Résumons-nous. Le concept de merveilleux est apparu dans une société qui croyait l'avoir hérité d'une autre - et qui n'a pas su qu'elle l'inventait. Il a été utilisé pour penser une articulation entre la fiction et la religion. Où est le merveilleux ? À quels signes le reconnaît-on ? Y a-t-il un type de regard plus particulièrement apte à l'appréhender ? Disons schématiquement que la première question est culturellement archaïque, la deuxième moderne, la troisième contemporaine. Mais le merveilleux a été théorisé à l'époque moderne et c'est le deuxième problème qui a occupé d'abord le devant de la scène. L'émerveillement, dans son double mouvement de surprise (impliquant la prise de conscience d'une distance) et d'admiration (entraînant la réduction de cette distance par la révélation d'une proximité ou même d'une fusion), peut apparaître comme une réponse programmée aux signaux que l'œuvre d'art nous adresse ; en ce sens, il est commandé par l'objet. D'autre part, l'émerveillement est une stratégie permettant au sujet de mobiliser son énergie, soit pour jouir de l'objet, soit pour l'apprivoiser ; à cet égard, le sujet, même naïf, est le maître de son émerveillement. On se replie alors sur les trois formes de merveilleux – divin, magique et humain – admises par les classiques. Le merveilleux humain lui-même est aux frontières du concept : les exploits guerriers ou sportifs, les « prodiges de valeur », sont-ils humains ou surhumains ? À quel moment le héros sort-il des limites ? Quand son coup d'épée fend le heaume de l'adversaire ? Quand il lui fend le crâne ? Quand il coupe en deux l'adversaire tout entier, cheval compris ? La Chanson de Roland ne fait pas la distinction, qui emploie dans tous ces cas – et dans ces cas-là seulement – le mot « merveille ». Au-delà de cette limite, il n'y a plus que des êtres surnaturels (merveilleux divin) ou des hommes ayant passé un pacte avec les puissances surnaturelles (merveilleux magique). L'émerveillement se résout dans la merveille, laquelle joue un rôle codifié dans des genres littéraires prédestinés à l'accueillir. Elle peut être le sujet de la narration dans les contes. Il y a du merveilleux quand un personnage (ou un objet) détient et exerce un pouvoir extraordinaire. Le problème est alors le statut de l'extraordinaire : est-ce dans la nature ou hors de la nature que se situe l'objet merveilleux ? On a vu que les classiques l'éloignent de la nature : l'emploi du mot surnaturel le montre assez. Commençons par le mythe, qu'on se contentera de définir ici comme une histoire relative aux temps primordiaux et à l'origine du monde, transmise de bouche à oreille au sein d'une caste sacerdotale et révélée aux jeunes gens lors de leur initiation, qui s'accompagne d'épreuves commémorant le récit mythique. Le mythe requiert la croyance dans la société où il a cours : pour l'initié, sa vérité ontologique est éprouvée comme dévoilement et confirmée par l'adéquation du rite au mythe, de la copie au modèle. Par ailleurs, le mythe est gorgé de merveilleux ; on pourrait même le définir comme le genre où il n'y a que du merveilleux. Les rares réussites du merveilleux chrétien – La Divine Comédie, Les Tragiques, Le Paradis perdu, La Messiade – relèvent de ce registre.

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Si le mythe fonde la nécessité du monde, la légende – et l'épopée qui en est issue – instaure la nécessité de l'histoire. Elle raconte la vie et la mort des héros qui ont fondé le lignage. Elle aussi en appelle à la croyance de l'auditoire, mais le présent ne la répète pas nécessairement ; il ne peut le faire que si nous égalons les vertus ancestrales en obtenant les mêmes faveurs divines. Faute de nous inspirer une suffisante émulation, elle peut encore nous stimuler par son prestige ; la légende est exemplaire et au minimum divertissante. Elle n'opère pas dans le registre du pouvoir, comme le mythe, mais dans celui de l'influence. Ici l'homme est au centre et le merveilleux lui apporte un supplément d'énergie. Parmi les genres littéraires archaïques, la légende se distingue par sa pérennité : des chansons de geste sont issus les romans de chevalerie, puis les poèmes héroïques de la Renaissance et de l'âge classique ; les romans bretons et les sagas nordiques ont été redécouverts à l'époque romantique. La légende a gardé son pouvoir d'exemple en dehors des lignages dont elle fondait jadis les prétentions (mais le plus souvent au sein de la classe sociale ou de la nation qui s'y reconnaissait) ; elle a progressivement acquis une tonalité nostalgique, un goût de la couleur locale et un sens du lointain. Elle a accompagné les explorateurs (thème des mondes perdus) et a facilité aux Occidentaux l'accès aux aventures de leurs ancêtres préhistoriques (Cf. La Guerre du feu) ou des barbares qui ont précipité dans l'oubli des civilisations préadamiques (Cf. heroic fantasy). Elle a suscité chez des érudits (comme J.R.R. Tolkien), connaissant bien les épopées des peuples d'Occident, le goût d'en opérer une mise en forme syncrétique (Le Seigneur des anneaux). En somme, elle s'est prolongée en fausses légendes, qui ne sont plus objets de croyance mais restent après tout de belles légendes, puisqu'elles ont gardé de leurs modèles le romanesque et la poésie. Le conte merveilleux est un récit de pur divertissement reçu comme fictif par son auditoire, ce qui permet au conteur d'inventer des variantes mais l'oblige à déployer tout son talent pour produire une illusion qui n'est protégée par aucune croyance. « Les contes sont des mythes en miniature, où les mêmes oppositions sont transposées à petite échelle »8. Ils ont, dans l'ordre culturel, un registre bien à eux : l'intemporel (« il était une fois... »), le quotidien, le local et le familier. Le conte est le genre archaïque où il y a le moins de merveilleux et où le merveilleux est le moins dangereux pour l'ordre humain, comme s'il se situait aux limites extrêmes de la nature, dans un registre où l'imaginaire, le pittoresque, le facultatif et plus généralement le non-être l'emportent sur l'ordre, la règle et la loi. Si le merveilleux entretient des liens avec la croyance, il devient factice quand on cesse d'y croire, quand les conditions d'une rencontre privilégiée ne sont plus réunies ; la merveille abandonnée, falsifiée, réduite à un clinquant ou à un vernis, n'a plus que le pouvoir d'abuser le lecteur. Or cette déchéance est déjà largement acquise au XVIe siècle. L'histoire du concept de merveilleux est en grande partie une histoire du retrait du merveilleux. La place du mythe est occupée par le « grand code », la Bible, en attendant d'être envahie par la science. Chez les classiques, la fidélité aux règles et à la raison tend asymptotiquement à rendre la surprise impossible. L'imaginaire n'est plus une voie féconde vers l'inimaginable, mais un obstacle importun sur le chemin de la pensée. Si le merveilleux est étonnement, il est d'abord perturbation du temps : « Dans l'étonnement, nous sommes en arrêt », affirme Heidegger. Sur le plan du quotidien, nous déployons une vigilance toujours prête à déboucher sur une action, une curiosité qui questionne l'avenir et qui, dans sa démarche, implique un éparpillement du moi. Le miracle de l'art, c'est qu'il ne refuse ni la réticence ni la curiosité, qu'il joue avec elles pour mieux les apprivoiser, qu'il apporte l'explication demandée et que cette explication est un nouveau sujet d'étonnement : ainsi selon Winnicott « l'objet est répudié, ré-accepté et objectivement perçu ». L'attention portée au merveilleux devient un pari sur l'avenir, aboutissant à un 8

Lévi-Strauss, « La structure et la forme. Réflexions sur un ouvrage de Vladimir Propp », Cahiers de l’institut de sciences économiques appliquées, 1960

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regroupement et non à un éparpillement du moi, « état proche du retrait qu'on trouve dans la concentration » (ibid.). Il entre en concordance avec l'objet de l'étonnement, s'ouvre à la merveille et devient le lieu précaire de sa révélation. On sait bien que l'absolue confiance du lecteur enfantin fait écho au jeu : dans les deux cas s'édifie un espace potentiel où le monde extérieur est mis au service du rêve. On admet moins facilement que le merveilleux tout entier procède de la même démarche et que le sujet de l'émerveillement, issu du moi de l'illusion, puisse devenir le on de la croyance. L'ultime problème est alors celui de l'authenticité. Si elle réside dans la conscience de la mort à venir et l'acceptation de l'angoisse, le merveilleux, apparemment fondé sur le refus de la mort et des limites de l'homme, est la plus parfaite expression de l'enfance arrogante et de la naïveté archaïque. »9

Conséquences pédagogiques : Des développements ci-dessus découle un réseau de correspondances. La liste des associations d’idées et synonymes convoquent deux acceptions qui font écho au champ artistique. Cependant, l’une d’entre elle n’est pas recevable en tant que potentielle visée d’enseignement car elle repose sur des données subjectives n’autorisant aucune évaluation pertinente des compétences des élèves. De plus, elle aborde un aspect désuet n’entretenant aucun lien avec les préoccupations de l’art moderne ou contemporain. Tout pédagogue éclairé en déduira vite l’écueil dans lequel il vaudrait mieux éviter de tomber :

MERVEILLE(S)

Beauté

Imaginaire Prodige Enchantement

Admiration Chef-d’œuvre Emerveillement Grandeur Perfection Qualités exceptionnelles, remarquables Magnificence Splendeur

Etonnement Conte Etrangeté Extraordinaire Féerie Fiction Légende Merveilleux Miracle Phénomène irrationnel Surnaturel Rêve

Les contes, peuplés d'êtres surnaturels et d'objets magiques construisent un premier espace du merveilleux que les enfants découvrent à l'âge des histoires racontées. Bottes de sept lieues, tapis volants, baguettes, miroirs et breuvages magiques constituent autant d’attributs permettant de déclencher, dans cet univers, des événements tout aussi extraordinaires. De ce rapprochement émane un deuxième écueil qui consisterait à n’user 9

Jacques Goimard, article « Merveilleux », in Encyclopædia Universalis [en ligne]

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des arts visuels qu’en tant que discipline illustrative d’un autre champ disciplinaire (ici, le français). En Arts plastiques / Arts visuels, c’est donc la question de la relation de l’image à son référent qui peut ici se voir convoquée et, plus généralement, celle de toute représentation.

Entrent en jeu l’ordinaire et la « normalité », donc la frontière au-delà de laquelle la ressemblance peut passer pour invraisemblable. Quel que soit le paramètre qu’on modifie (forme, couleur, échelle, proportions, matière), le résultat s’inscrira dans un étrange décalage opérant du sens. Il deviendra alors jubilatoire pour les élèves d’inventer des objets singuliers, des figures insolites et des personnages monstrueux, fantastiques ou féériques à partir d’images et d’objets du quotidien. Leur mise en scène, en intégrant la question du « décor », aboutirait - tout aussi bien que l’écrit - à une narration troublante, drôle ou inquiétante. Arts Plastiques, Collège, classe de Cinquième Images, œuvre et fiction, En cinquième, selon le contexte et l’actualité de la situation pédagogique les élèves sont invités à élaborer des dispositifs plastiques, graphiques, photographiques, environnementaux, scénographiques, sculpturaux, architecturaux susceptibles d’aboutir à une mise en image d’univers imaginaires, fictionnels. A ce niveau, le travail sur l’image s’attachera en premier lieu à étudier ce qui différencie les images qui ont pour référent le monde sensible, réel, de celles qui se rapportent à un univers imaginaire, fictionnel. Le rapport au réel ou à la fiction mobilise de nombreux questionnements sur les dimensions indicielle, métaphorique ou symbolique des images.

« Dans cet ensemble d’œuvres, de nouvelles chimères résultent de l’exploration de la lisière entre le réel et l’imaginaire, à travers la fantasmagorie, la fiction, le rêve, ou le mythe, voire les mutations de nos identités corporelles et spirituelles. Ces artistes nourrissent un axe fort de la collection des Abattoirs / Frac Midi-Pyrénées : celui de l’imaginaire et de ses modalités d’apparition. L’intérêt pour ces processus recoupe des enjeux actuels cruciaux. Car si le monde est bien ce que l’on en fait, matériellement et physiquement, il reste au préalable déterminé par nos images mentales. Dès lors, la conscience et l’expérimentation de ces domaines, en vue d’un renouvellement de nos représentations, apparaissent comme autant d’urgentes nécessités. Sans manquer, comme ici, d’exorciser les « monstres de la raison». »10

Cycle 3 : CULTURE HUMANISTE Conjuguant pratiques diversifiées et fréquentation d’œuvres de plus en plus complexes et variées, l’enseignement des arts visuels (arts plastiques, cinéma, photographie, design, arts numériques) favorise l’expression et la création.

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Pascal Pique, introduction du Dossier de presse, Exposition Hybrides et Chimères, Ibos, 2010 : http://www.parvis.net/intranet/Upload/Liens/CentredArt/centredart_648.pdf

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ŒUVRES SELECTIONNEES ET IMPLANTATION DANS LES SITES

A- Centre culturel Alban Minville Entrée :

Stéphane CALAIS

Daniel COULET

Arras (France), 1967 Vit et travaille à Paris (France)

Montpellier (France), 1954 Vit et travaille à Paris (France) et à Noueilles (France)

L'or, le chien, et les oiseaux (n°2)

Grande ombrelle

2004 - 2005

1991

Polyrésine et peinture 2 éléments de 89 x 59 x 135 cm

Résine synthétique armée 310 x 38 x 34 cm 2/8 Tirage résine de 1995 d'un original réalisé en 1991

Et esquisses préparatoires...

Coursive :

Marianne PLO Toulouse (France), 1977 Vit et travaille à Toulouse (France)

Orion (capture d’écran) 2007 Vidéo durée: 1'59'' visible sur http://www.marianneplo.com/film/orion/

Joan DURAN El Masnou (Espagne), 1947 Vit et travaille à Barcelone (Espagne)

Le loup qui hurle dans la longue nuit stellaire 1993 – 1994 Ensemble de 8 photographies diamètre: 90 cm (100 avec cadre)

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Salle d'exposition vitrée :

Fabien VERSCHAERE

TODT

Vincennes (France), 1975 Vit et travaille à Paris (France)

Collectif d'artistes New York (États-Unis)

Black clown and mystery

Exurbia (Détail)

2004

2007

Céramique, acrylique, socle bois Dimensions du clown : 121 x 47 x 44 cm Dimensions du socle : 100 x 50 x 50 cm

Installation Polyuréthane expansé, objets en plastique Dimensions variables

Hans BIRKEMEYER

Didier MARCEL

Renato RANALDI

Marrakech (Maroc), 1957 Vit et travaille à Nîmes (France)

Besançon (France), 1961 Vit et travaille à Dijon (France)

Florence (Italie), 1941 Vit et travaille à Florence (Italie)

Annabella 1984

Sans titre

Un restauro

Autre titre : Supports tomates

1982

Plomb et plastique, hauteur: 190 cm, profondeur: 12 cm Eléphant en plomb : H: 5cm x L: 8cm Poisson en plastique : H: 38cm x L: 13cm Trompe de l'éléphant : H: 154 cm

1999 98 supports en acier inox poli de 80 cm, 89 cartes postales-maquettes photocopiées Eléments organiques (tomates). Dimensions variables

Terre cuite peinte et encre de Chine 80 x 50 x 20 cm

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Angela BULLOCH

Corinne SENTOU

Fort Frances (Canada), 1966 Vit et travaille à Londres (Royaume-Uni) et à Berlin (Allemagne)

Toulouse (France), 1964 Vit et travaille à Paris (France) et à Dijon (France)

Möbius night, sky model - Mark II

Collier

2003

1999

Matériaux divers 45 x 110 x 53 cm Pièce unique

L'oeuvre se déploie au sol selon diverses configurations 3030 perles de résine rose accrochées sur du fil en nylon longueur: 100 m

Coin cafétéria :

Alain FABRE

Pierre MABILLE

Aki KURODA (Akihiko Kuroda, dit)

Laguépie (France), 1959 Vit et travaille à Toulouse (France)

Amiens (France), 1958 Vit et travaille à Fontenay-sous-Bois (France)

Kyoto (Japon), 1944 Vit et travaille à Paris (France)

Les cloches 24 heures 1989

1986 Tempera sur papier marouflé sur bois Dimensions avec cadre : 84,5 x 75,5 cm

Nostalgia

Pacifique limousine "mélo"

Linogravure sur papier Arches 46,6 x 49,7 cm (hors marge), 16/25

Lithographie 73,5 x 54,5 cm

Niki de SAINT PHALLE Neuilly-sur-Seine (France), 1930 - San Diego (États-Unis), 2002

Rêve d'une jeune fille Lithographie 48,3 x 65,2 cm

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Bertrand LAMARCHE Levallois-Perret (France), 1966 Vit et travaille à Paris (France)

Le terrain ombelliférique 2005 Images de synthèse, vidéo projection, 23minutes Musicien : Erik Minkkinen

Salle du fond à gauche de la cafétéria :

Olivier LEROI Romorantin-Lanthenay (France), 1962 Vit et travaille à Nançay (France)

Trahison du reflet 1990 Gouache sur livre marouflé sur papier 28 x 19,5 cm Dimensions avec cadre : 54 x 43,5 cm

Et autres productions...

B- Médiathèque Grand M

Sous vitrine, à l’entrée :

Stéphane CALAIS Arras (France), 1967 Vit et travaille à Paris (France)

House 1995 Mousse de polyuréthane recouverte de confettis, posée dans une boîte en plastique transparente dans laquelle sont disposés des confettis. Trois feuilles de rhodoïd - bleu, rouge et jaune - sont collées sur trois des quatre parois verticales de la boîte. Contenant : 13 x 26 x 18 cm Mousse : 13 x 14 x 19 cm.

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En entrant :

Marianne PLO Toulouse (France), 1977 Vit et travaille à Toulouse (France)

Les hordes (capture d’écran) 2007 Vidéo durée: 2'07'' visible sur http://www.marianneplo.com/film/les-hordes/

Entre les parois vitrées :

Sophie DUBOSC

Buddy Di ROSA (Richard Di Rosa, dit)

Paris, 1974 Vit et travaille à Notre-Dame-de-Bondeville (France)

Sète (France), 1963 Vit et travaille à Paris (France)

Figure bras jambe, debout contre un mur

Bébé René agrandi

2009

1984

Cire microcristalline 90 x 40 x 30 cm

Résine polyester peinte et bois 90 x 48 x 50 cm

Cimaise vers la médiathèque-enfants :

Andy WARHOL (Andrew Warhola, dit) Pittsburgh (États-Unis), 1928 - New York (États-Unis), 1987

Peaches (Pêches) Titre attribué : Fruits jaunes de la série : Space fruit : still lifes 1979 Sérigraphie 76 x 101,5 cm

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Philippe HORTALA

Philippe HORTALA

Toulouse (France), 1960 - Toulouse (France), 1998

Toulouse (France), 1960 - Toulouse (France), 1998

Sans titre (Autre titre : Fraisiers)

Sans titre 1989

1993

Acrylique et collage sur papier 116,3 x 76 cm

Lithographie 64,3 x 48,4 cm

Philippe HORTALA Toulouse (France), 1960 - Toulouse (France), 1998

Sans titre (Autre titre : Fraisiers) 1993 Lithographie 44,5 x 65,4 cm (hors marges)

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ARTISTES ET DEMARCHES : PARCOURS POSSIBLES

De l’autre côté du miroir, de l’autre côté de l’exposition, se situe le travail de pratique artistique engagé avec les élèves au sein de leur établissement scolaire. Le merveilleux est donc le but à atteindre, l’effet à produire. Les entrées qui suivent, sans être ni exhaustives, ni exclusives, constituent des parcours possibles pour naviguer au sein de l’exposition. Elles donnent également des indications sur les potentiels angles d’attaque qui permettraient aux classes d’aboutir à des réalisations plastiques relevant de l’extraordinaire - sans que le terme « merveilleux » n’ait été prononcé avant la phase d’effectuation. Arts Plastiques, Collège, classe de Cinquième L’image et son référent. Cette entrée permet d’explorer le sens produit par la déformation, l’exagération, la distorsion et d’ouvrir sur les questions de la ressemblance et de la vraisemblance, de la citation, de l’interprétation.

GIGANTESQUE / MINUSCULE

BIRKEMEYER Hans, Annabella, 1984 A l’instar d’une œuvre surréaliste, cet assemblage soumet délibérément ses valeurs plastiques à une intention poétique. Avant même de reconnaître les divers éléments qui le composent, la question de sa stabilité et de ses proportions interpellent. Comment cet ensemble longiligne, où le plus massif se trouve en haut, peut-il bien tenir debout ? Certes, on remarque les deux appuis (sol et mur) et une éventuelle fixation mais les cent cinquante centimètres de son développement sinueux et désaxé semblent aller contre tout principe « rationnel » d’organisation. Cette érection hésitante, campée dans un axe oblique, débouchant sur une extrémité supérieure évasée, accentue l’impression d’équilibre précaire et de fragilité. En reconnaissant les figures intégrées à l’assemblage, la fameuse citation de Lautréamont (« beau comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d'une machine à coudre et d'un parapluie ») vient spontanément à l’esprit. Quels liens un éléphant et un poisson entretiennent-ils ? Pourquoi ces changements fantaisistes d’échelle ? Pourquoi cette trompe surdimensionnée ? Passe-t-on, de façon renouvelée, du « coq à l’âne » ? Serait-il question, à l’instar de la grenouille vis-à-vis du bœuf, d’une nouvelle parabole où le poisson voudrait se faire plus gros que l’éléphant ? Mais dans ce cas, pourquoi ce dernier supporterait-il (au sens du support, de la base, du maintien mais aussi, de la psychologie) un comparse si embarrassant ? Est-il en train de l’aspirer ? De le recracher ? De le gonfler ? S’agit-il d’un hybride ? Et pourquoi ce prénom « Annabella » ? Serait-ce une référence à l’éléphant(e) d’Asie du zoo d’Anchorage ? Est-ce une remise en question des pitreries auxquelles sont contraints ces animaux dans les cirques ? Autant d’interrogations qui ne trouveront jamais de réponse incontestable. A chacun son histoire...

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La seule référence fiable à laquelle on puisse faire appel nous ramène aux pratiques surréalistes, notamment aux cadavres exquis dont Ernst et Masson - entre autres - étaient friands. Comme si un équivalent tridimensionnel venait faire écho à leurs improbables associations bidimensionnelles...

BULLOCH Angela, Möbius night, sky model - Mark II, 2003 Apparue sur la scène artistique à la fin des années quatre-vingts, sa démarche se caractérise par l'utilisation de pratiques propres aux avant-gardes des années soixante et soixante-dix (art conceptuel, minimalisme…) dont Angela Bulloch joue par une relecture décalée et distanciée. Son travail s’organise en " familles " d'œuvres se déclinant en installations interactives, en pièces dans lesquelles le langage est omniprésent et en créations lumineuses banalisant nos technologies sophistiquées. Angela Bulloch oriente sa démarche artistique tant vers la perception sensorielle que mentale des images. Cette sculpture met l’accent sur l’aspect physique, astronomique et fictionnel des utopies. L’artiste y évoque, à travers une anomalie géométrique, l’obscurité constellée de lueurs - donc le ciel, la nuit. Le "ruban de Möbius", noué en ellipse, symbolise l’infini et exprime l’idée d’un univers réorganisé ou mis dans un certain ordre. Des diodes lumineuses scintillent - donnant l’apparence des étoiles. Quand l’infiniment grand devient infiniment petit... C’est donc la question du microcosme et du macrocosme qui est ici traitée. Celle de la préciosité, aussi. Un tout petit espace pour une image de l'infini : on retrouve là un des questionnements chers à Yves Klein… La matière ordinaire du socle sur lequel est installée l'œuvre ne fait que magnifier l'ensemble… Mots clés : Préciosité, infini, cosmos, échelle, espace tridimensionnel ramené à une surface qui se tord...

COULET Daniel, Grande ombrelle, 1991 Daniel Coulet est enraciné dans le réel, c'est à la nature qu'il a emprunté les premières formes dont il a fait les éléments, sans cesse revisités, de son répertoire. Il ne s'est jamais détaché de ses origines terriennes, il a été élevé, dit-il, « loin de tout », et vit aujourd'hui dans une solitude où l'horizon et le ciel sont sans fin ; le paradoxe tient à ce que, malgré cette retraite, voire sans doute grâce à elle, il ne cesse de travailler pour les hommes des villes. Ce sont notamment ses importantes sculptures monumentales érigées dans l'espace public, au long de ces dernières années, qui ont révélé son travail en tant que sculpteur. « Les innombrables usagers du métro toulousain qui côtoient, à la station Mirail-Université, L'Arbre fleur ou La Fleur stalagmite, et leurs projections en silhouette dessinée sur le mur, pensent-ils que ces œuvres doubles de Daniel Coulet, connotent la vie qui circule au cœur et dans le sol des villes - la sève des organes n'ayant ni temps, ni lieu, mais étant porteuse à la fois de lumière et d'ombre, de rumeur et de silence, dans leurs foisonnantes frondaisons ? Elles sont l’indice d’une croissance sans limites dont la ville serait le laboratoire, où le ciel transgresserait les murs, où chaque sculpture en contiendrait parfois une autre, comme greffée, née d'elle, gardant le rythme de la première en son sein.

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Là aussi, la démesure opère : la grande ombrelle s’étire sur plus de trois mètres de haut, élégante et gracile. Autant dire que ce délicat champignon ne peut se trouver qu’au pays des géants ! Un peu inquiétant, non ? Les dessins constituent des croquis préparatoires, projets, esquisses, de ce qui sera, au final, matérialisé en volume. C’est une projection en traits noirs et gras, en taches diluées, en empâtements et coulures. Les uns et les autres sont indissociables car contenant la même recherche profonde, intérieure ; ils nous font partager le malaise et la jubilation, le réalisme et la fantaisie.

SENTOU Corinne, Collier, 1999 Native de Toulouse, où elle a fait ses études à l’Ecole Supérieure des Beaux-arts, Corinne Sentou fait partie des jeunes artistes de la région dont l’audience s’accroît de manière significative sur le plan national. Son travail peut être qualifié de sensible et parfois de minimal - en ce qu’il repose souvent sur des impressions et des processus simples, qui nécessitent cependant des mises en œuvre importantes. L’artiste crée des figures imaginaires, une sorte de « mythologie moderne ». On ne regarde pas son travail, on pénètre un univers très fort, envoûtant et obsédant. Désir et angoisse s’entremêlent. Une obsession du rose et une présence très forte de la pratique artistique témoignent d’un intérêt prononcé pour le geste artistique et la place de la femme artiste. « Ainsi de la sculpture Collier, puisqu’il s’agit effectivement d’une sorte de collier géant de 100 mètres de long constitué de 3030 perles de résines patiemment mises bout à bout. L’œuvre, toujours identique et jamais la même, se déploie au sol selon diverses configurations. Sorte de sculpture caméléon, cette pièce répond aux concepts de fluidité, d’enchaînement, d’amplification et de dilatation que l’artiste aime à expérimenter. » Pascal Pique Le surdimensionné, le gigantisme, nous ramènent aux contes et à leurs perpétuels jeux de changement d’échelle. L’accessoire « bijou », l’aspect ornemental et la couleur rose de l’objet convoquent la figure absente d’une fillette. Enfiler des perles... en attendant quoi ? Une petite géante ? Dans cette œuvre, la ligne - instauratrice d'ornement, de géométrie, de concept, de déplacements divers, mais aussi de continuité et d'interruption - participe d'un principe d'incertitude soigneusement composé : Corinne Sentou agit en laissant évoluer chez le spectateur attentif ce qu'elle a laissé en dépôt. Courbes et arabesques sont confiées au bon vouloir des régisseurs et infiniment modulables... En cela, son dispositif fait écho aux Stoppages étalon de Duchamp. Quel heureux hasard ! Programmes Maternelle : PERCEVOIR, SENTIR, IMAGINER, CRÉER Les compositions plastiques (fabrication d’objets) sont les moyens d’expression privilégiés. Les enfants expérimentent divers instruments, supports et procédés. Ils découvrent, utilisent et réalisent des objets de natures variées. Ils construisent des objets en utilisant peinture, papiers collés, collage en relief, assemblage, modelage... Dans ce contexte, l’enseignant aide les enfants à exprimer ce qu’ils perçoivent, à évoquer leurs projets et leurs réalisations ; il les conduit à utiliser, pour ce faire, un vocabulaire adapté. À la fin de l’école maternelle l’enfant est capable de : - adapter son geste aux contraintes matérielles (instruments, supports, matériaux) ; - réaliser une composition en volume selon un désir exprimé

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HYBRIDES

Arts Plastiques, Collège, classe de Cinquième Les situations permettent aux élèves de fabriquer de la fiction. Ils sont amenés à : - Construire une narration ; - Utiliser divers modes de production (supports, médiums, matériaux, choix d’outil) ; - Utiliser divers modes de représentation.

CALAIS Stéphane, L'or, le chien, et les oiseaux (n°2), 2004 – 2005 S'il revendique le dessin comme étant à l'origine de tout (de l'œuvre, de l'image, de l'organisation du monde comme de sa propre pratique), Stéphane Calais fait feu de tout bois : peinture, sculpture, installation - à l'exclusion cependant de la vidéo. Dans le paysage artistique, il fait figure de touche-à-tout atypique et fantasque qui surgit là où on ne l'attend pas. Pour lui, le monde est une "banque", un désordre de signes et d'objets dont il n'a de cesse d'user et d'abuser. Ses œuvres cristallisent le passage du cerveau à l’image et à l’objet. Apparemment hétéroclites, ses productions constituent les différentes pièces d'un puzzle. Selon leur modalité d'assemblage, elles donnent vie à une " œuvre potentielle " en constante évolution, dans laquelle elles interagissent et se répondent. De la confrontation hardie des manières, des matières et des sujets découlent la multiplicité des points de vue et l'élargissement du champ de vision. L'étincelle surgit de cette cohabitation détonante et fantaisiste. Ici, deux « créatures », installées chacune sur un socle, semblent garder "un" temple. Leur corps massif adopte une posture symétrique. D’aspect stylisé, leur partie inférieure est lisse tandis que leur tête s’orne de reliefs évoquant la crinière d’un lion. Leur gueule entrouverte, même si elle ne semble pas agressive, n’est guère engageante et donne peu envie de plaisanter avec la bête... Deux lions mâtinés de chien, ou l’inverse : deux chienslions, accueillent le spectateur à l’entrée. Gardiens? Protecteurs? Leur exotisme de pacotille, répliques en résine recouvertes d'oiseaux peints à l'aérographe, nous font hésiter entre l'émerveillement spirituel et le kitsch du plus mauvais goût. Les chiens Fu (Fu signifie bonheur en Chinois), appelés aussi lions chinois, de couleur dorée (donc richesse ?), sont des animaux légendaires – dont la référence remonterait au IIe siècle avant notre ère - supposés écarter les génies malfaisants. Apparaissant toujours par paire (symétrie, ordre), on distingue le mâle - jouant avec une balle - de la femelle, maintenant un lionceau sous sa patte. Ils fourniraient une protection contre le Chi négatif et empêcheraient des gens malintentionnés de s’immiscer dans une demeure ; ils apporteraient, par la même occasion, bonheur et fortune. Symbolique, leur présence au sein de la Cité Interdite à Pékin les a rendus célèbres. Les empereurs chinois réglementèrent précisément la taille et la matière de ces statues en fonction du rang de leur propriétaire. D’après les recommandations du feng shui concernant l’emplacement du couple, il conviendrait, le public faisant face au seuil, de disposer le mâle à gauche de la porte et la femelle à droite.

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DI ROSA Buddy, Bébé René agrandi, 1984 Richard Di Rosa reçoit le surnom de Buddy, en référence à Buddy Holly, souvenir de ses premières amours : la musique. Le travail de sculpteur de Buddy est inséparable de celui de son frère peintre, dont il met le monde mythique en volume depuis 1983. Les frères Di Rosa appartiennent au mouvement de la Figuration Libre. Nourris de la culture de masse contemporaine, ils inventent un art qui se veut populaire, naïf, un tantinet érotique : un "Art Modeste". Cultivant le mauvais goût et l'excentrique, ils prennent des distances avec l'histoire de l'art et la diffusion traditionnelle des œuvres, afin de combattre l'élitisme et de s'adresser au plus grand nombre. Ils affectionnent les supports bon marché, les héros et héroïnes stéréotypés. Bébé René appartient à la famille René – apparaissant notamment dans une grande toile peinte par Hervé en 1984 : La rue du malheur, évoquant la cruauté ambiante des milieux populaires où se mêlent tragique et comique. « Au départ, mon René, c'est un Français moyen, qui travaille à l'usine mais qui aime bien s'habiller tous les soirs pour sortir en boite. Il se marie alors avec Renée, avec qui ils ont un premier môme alors qu'ils habitent encore Ia rue du Malheur. Un jour que leur rue vient à être détruite par les Vingt Mille Ennemis, toute la petite famille est obligée de se réfugier dans le sud de la France, au bord de la mer ; et comme ils ont la particularité de se reproduire comme des souris, c'est à dire par centaines, ça crée très vite un vrai petit peuple de René... » Du haut de ses 90 centimètres, Bébé René est un cliché : il ressemble au Marius du port de Sète, présente un caractère psychologique bien défini, accentué par des détails expressifs : la "clope au coin du bec", un sourire béat, une grande bouche rouge, sensuelle et braillarde, un air gai et vulgaire tout droit issu de la faconde méridionale. Sa forme rudimentaire de cyclope unijambiste - entre érection phallique et poubelle de mobilier urbain - peut évoquer les Totems de Gaston Chaissac. On observera aussi la simplification et l'intensité des couleurs utilisées. Présenté sans socle, on dirait le bricolage d'un enfant qui aurait voulu inventer un personnage à son échelle. On s'attardera, par ailleurs, quelque peu sur l'ambiguïté phonétique du titre, lequel peut s'entendre agrandi ou a grandi : • La première version conduisant à un aspect explicatif : personnage agrandi d'après une image préexistante, • La seconde présentant un aspect narratif - quelques épisodes du "feuilleton" nous faisant cependant défaut, nous serions en droit d'imaginer son passé et son avenir… Idem en ce qui concerne phonétiquement le prénom "René" : est-ce une fille ou un garçon ? Les vêtements unisexes dont est paré le personnage ne nous renseignent guère…. Par ailleurs : René ou re-né ? Cet étrange "monstre gentil" tient de l'ébauche, de l'inachevé ; les proportions utilisées lui confèrent un air gauche, à la limite du ridicule. Être encore petit, malformé, sans tronc, sans cou, sans bras, cyclope et unijambiste, il veut, malgré tout, se donner les airs d'un grand avec sa cigarette et son sourire goguenard. La couleur "layette" de sa peau contribue à asseoir son immaturité. Et pourquoi n'arbore-t-il qu'un œil ? Ne serait-ce pas le signe d'une unicité de point de vue ? Sa forme cylindrique induit l'idée d'un "tube digestif", celle d'un être passif, qui ingurgite, consomme, la "ramène" beaucoup et agit peu… Comment le pourrait-il d’ailleurs, démuni de bras comme il l’est ? Son aspect physique ne contribuerait-il pas à brosser un portrait psychologique ? Ne serait-ce pas, pour tout dire, le reflet peu flatteur de notre société de consommation ? Sa facture n'est pas sans rappeler la texture des personnages de carnaval ; sa mise, un déguisement… Est-ce une sculpture ? Une figurine "agrandie" que les enfants pourront manipuler, tel un gros nounours ?… Un copain tout droit échappé de Bob l'éponge ?...

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Cet artiste semble témoigner avec tendresse et dérision de son environnement quotidien dans un style optimiste et jubilatoire.

DUBOSC Sophie, Figure bras jambe, debout contre un mur, 2009 Appuyés contre la paroi, des morceaux de corps assemblés attendent... constituant un corps incomplètement reconstitué, uniquement formé d’un bras et d’une jambe laiteux, blanchis et jaunis par l'effet de la cire. Langueur monochrome. On connaissait Sophie Dubosc pour ses objets à la croisée des chemins, un pas dans le réel un autre dans une saisissante torpeur onirique, mimant à chaque installation l'inquiétante étrangeté freudienne. Magritte ne semble pas très loin et le spectateur, aux prises avec le monde des apparences, est confronté à un surréalisme mortifère. Ce qui nous fait face est précisément la citation partielle d’un de ses tableaux, réalisé en 1927, intitulé L'Entr'acte. Le peintre surréaliste y montrait les mêmes corps morcelés en attente derrière un rideau. Ce moulage correspond à la transcription tridimensionnelle de la figure située à gauche dans l’image de référence. Sophie Dubosc reconstitue donc, en ronde bosse, ce que Magritte composait en peinture. Rien ne vient perturber la scène si ce n'est cette suspicion traînante, cette gêne de se confronter à un organisme hybride, à des formes inertes et relâchées. Ce corps vulnérable et amoindri, aux membres délicats, provoque un sentiment ambigu de malaise et d’empathie. Cette Figure bras jambe monstrueuse, et pourtant si humaine, évoque également l'idée, inquiétante, de mutation de l'espèce. On ne sait finalement rien sur les devenirs possibles de notre constitution physique, si ce n’est que notre apparence actuelle est totalement transitoire : calme avant l'orage, silence des «mannequins». Leur attente infinie face à nos pas de vivants génère une atmosphère trouble, asexuée et diaphane s’opposant à notre lâche indétermination. Regarder, hésiter, ne surtout pas toucher et tenter de s'éloigner...

PLO Marianne, Les Hordes, 200711 Les Hordes est une vidéo que Marianne Plo a réalisée à partir de série de dessins. Les motifs renvoient à des mythes ou à des histoires fantastiques où la figure animale prend à chaque fois le dessus. Tout est à inventer dans ces histoires où nous n’avons que des bribes de sens. L’œuvre de Marianne Plo procède par assemblage de formes, de volumes et de pratiques hétérogènes. «Mes dessins sont des collages inspirés de l’actualité, des contes, des légendes et des icônes populaires afin de créer un jeu de coïncidences, une mythologie personnelle. Les objets du monde juxtaposés offrent-ils une lisibilité ? L’intention serait d’expérimenter des agencements, un tenirensemble d’éléments hétérogènes, où se croisent de multiples récits que nous aurions à décrypter. Tenter de trouver un sens caché.» Dans cette vidéo, l’artiste nous entraîne dans une forêt paradisiaque remplie d’animaux fabuleux et de végétaux luxuriants. Suit une série de portraits utilisant la 11 Source : dossier pédagogique réalisé par Philippe Caudron, à l’occasion de l’exposition Hybrides et Chimères, Le Parvis, Tarbes, 2010. Vidéo visible ici : http://www.artreview.com/video/les-hordes

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technique du morphing mêlant têtes d’animaux sauvages et visages humains par un jeu de substitutions successives. Arts Plastiques, Collège, classe de Cinquième En cinquième c'est au contact d’œuvres à fort pouvoir iconique que les élèves exercent leur imagination et leur esprit d'analyse. Ils acquièrent des outils et des méthodes pour concevoir et aborder les images du point de vue de leur matérialité, de leur plasticité et de leurs significations, toutes dimensions intimement liées à la nature du médium où elles prennent forme et au statut, artistique ou non artistique, auquel elles renvoient.

RANALDI Renato, Un restauro, 1982 La vie artistique de Renato Ranaldi débute en 1962, avec une pratique picturale qui manifeste, dès ses débuts, une volonté de démontrer comment le langage plastique peut associer différents styles. Après l'expérimentation de divers techniques et matériaux, son intérêt pour les réalisations tridimensionnelles s’accroît. Ses créations témoignent de son ingéniosité concernant la plasticité. Son œuvre prolifique fait constamment référence à des formes archétypales et symboliques. De façon ironique, ses productions contestent l’évidence de la réalité perçue. Il intègre des signes immédiatement identifiables dans une organisation volontairement absurde. Ambiguïté, dépaysement, transport mental surgissent de ces jeux d’apparence. Des éléments de la vie quotidienne se développent de nouveaux phénomènes. S’inscrit-on dans la rupture ? Le portrait ? La parabole ? Tenant d’une restauration archéologique12 mal fagotée, cette « rencontre fortuite » pose la question du rapport des parties au tout. Combinant des éléments simples (jambes, pieds, chaussures), l’artiste joue du doublement ; sa stratégie opératoire, plutôt humoristique et « récupératrice » convoque13 tout autant les mutants peints par Jérôme Bosch au XVe siècle, ceux de Victor Brauner en 193714 et la Prémonition de la guerre civile de Dali (1936) que les spécimens monstrueux conservés au musée Fragonard (Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort). Devant ces deux fragments accolés reconstituant un corps atrophié, le regardeur fait l’expérience de la perplexité : la forme globale associe des éléments antinomiques qui lui confèrent un aspect burlesque. Leur absurdité (ou leur « comique de situation ») génère des paradoxes, comme si chaque forme procédait de son opposé (masculin/féminin, fin/massif, cuisse/mollet, grand/petit, directions opposées (vers l’avant/vers l’arrière), inversion des positions (haut/bas), formes très anguleuses ou exagérément renflées, ...). Ce modelage – digne d’un cabinet de curiosités - tient de la caricature, sa facture assez grossière et ses disproportions délibérées en font un objet à double niveau de lecture, associant contiguïté et rupture avec la réalité perçue. A titre d’exemples, on remarquera le respect de la couleur de carnation alors que le traitement anatomique s’écarte de tout canon ou, encore, l’exécution grossière et bosselée des chaussures (à l’inverse du cuir) où seules les languettes présentent une finesse étonnante. Cette dramaturgie visuelle, théâtrale, bouffonne, place le visiteur devant un art de l’allusion et non de l’illusion. A la fois simulacre (les jambes reconnaissables) et prodige 12

Voir le titre Restauro

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Le travail de Joan Fontcuberta pourrait aussi se voir convoqué, bien que sa série « Faune » ait été créée un peu plus tardivement (entre 1985 et 1989) et élargisse grandement le propos artistique. 14

Voir notamment, Trio, Huile sur bois (chêne), 18 x 13,6 cm, conservée au Centre Georges Pompidou http://collection.centrepompidou.fr/Navigart/images/image_fset.php?it=2&is_sel=0&cc=45&iid=16671&maxh=728

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(l’hybride qui en résulte), la sculpture oscille entre ressemblance et invraisemblance, devenant ainsi un lieu d’interface. Les pieds chaussés (association nature / culture) sont, par définition, cachés, seraitce une partie trop intime pour être dévoilée ? Le problème se pose-t-il de trouver chaussure à son pied ? De s’en trouver sans (sens) dessus-dessous ? Or, la chaussure est un fort indice de l’humain (bipède homo sapiens). Imaginons l’œuvre départie de ses noires extrémités, que verraiton ? Qu’est-ce que cela suggèrerait ? Un os, un drôle de boomerang ou un détail citant partiellement le tableau de Dali susmentionné ? L’objet interroge la représentation du corps, mais aussi l’équilibre. L’articulation des deux composantes questionne également la notion d’espace. Le point de vue sur l’œuvre revêt, quant à lui, une importance capitale dans la lecture des proportions accordées aux éléments constitutifs ; une vue en plongée ménage bien des surprises comparée à une vision latérale. Arts Plastiques au cycle Terminal, enseignement de spécialité, série L L'enseignement obligatoire des arts plastiques en série L s'appuie sur les connaissances et compétences acquises par l'élève au cours de sa scolarité. Il repose essentiellement sur l'exercice d'une pratique. Celle-ci se fonde sur les formes de la création artistique contemporaine et leur mise en relation avec celles léguées par l'histoire de l'art mais aussi avec d'autres champs de connaissances. L'enseignement des arts plastiques vise à la compréhension des processus de création, sur les plans pratique et théorique, à la connaissance des œuvres, à la construction d'attitudes artistiques et à l'exercice de la réflexion critique. Le professeur d'arts plastiques veille à ce que la pratique engagée par l'élève l'aide progressivement à comprendre les enjeux artistiques fondamentaux. Il introduit ainsi les connaissances et apporte les outils permettant de comprendre la diversité des formes d'expression plastiques qui traversent l'histoire jusqu'à aujourd'hui.

VERSCHAERE Fabien, Black clown and mystery, 2004 L’univers ludique, étrange et mystérieux de Fabien Verschaere est peuplé de princesses, de clowns, de diables, de sirènes, de crânes, d’étoiles, de squelettes, de centaures, de lutins et de bien d’autres personnages imaginaires qui se déploient avec frénésie dans un monde tour à tour féérique et cauchemardesque. Son œuvre grouille comme la création humaine, dans une imagerie toute médiévale, convoquant la culture populaire, la bande dessinée, le monde de l’enfance, l’inconscient et la psychanalyse. Pour lui, « le cirque, le carnaval et la fête sont la métaphore de la réunion entre le clown et la mort » - métaphore que sa démarche artistique cristallise. Entre peinture et sculpture, son clown trône dans la salle vitrée : dressée sur un socle, cette sculpture à la fois très gaie et un peu inquiétante nous apparaît comme une idole, la représentation - au premier abord fantaisiste - d’un esprit, d’un dieu, d’un démon ou d’un personnage célèbre... En tout cas, cette figure sombre - et solaire à la fois - est peut-être le gardien du temple dans lequel nous entrons. Nez de clown, cornes de diablotin, pieds fendus, ailes de papillon, étoiles de mer, branches d’arbre, il y a du végétal, du minéral et de l’animal dans cet « autoportrait » surprenant que fait l’artiste de lui-même Cette sculpture rassemble deux archétypes : le clown/le diable. Comme dans les photographies de Cindy Sherman, le clown prend ici figure inquiétante, étrange. Mutant, entre l'homme et le végétal, le vif et l'obscur, le grotesque et le sévère, il semble surveiller tout ce qui se trouve à ses côtés, surtout les visiteurs…

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Ce personnage carnavalesque et grotesque évoque sans détour le goût prononcé de l’artiste pour l’iconographie mexicaine – dans laquelle la mort et la fête sont omniprésentes et intimement liées. Son univers est également proche de celui de Jérôme Bosch ; comme lui, Fabien Verschaere porte sur le monde une vision tout à la fois éblouie et hallucinée, festive et inquiète.

UNIVERS PARALLELES

de SAINT PHALLE Niki, Rêve d'une jeune fille Née en France en 1930, Niki Saint-Phalle ne tarde pas à traverser l’océan pour rejoindre New York, où elle est élevée. Mais son enfance est douloureuse : son père lui inflige des violences sexuelles qui la marqueront à vie. Aussi, quand, vers l’âge de 30 ans, elle commence à créer, ses œuvres, remplies de révolte et de provocation, cherchent surtout à déranger celui qui les regarde. Les années passant, cette violence s’estompe. Peu à peu, les sculptures et les dessins de Niki de Saint-Phalle se chargent de gaieté et d’humour. Installée à Paris en 1950, elle réalise ses premiers assemblages et peintures de 1952 à 1956, incluant divers éléments hétéroclites. Ces créations sont si cocasses et colorées qu’elles semblent conçues pour les enfants. Cela réjouit l’artiste : « Le fait que les enfants grimpent sur mes sculptures me procure un immense plaisir », confie-t-elle. Dans cette contrée bidimensionnelle bizarre, on croise d’étranges végétaux, de drôles de tables montées sur roues, des bâtisses bigarrées, des pendules où les diverses parties de la journée ne durent que huit heures et où le soleil a rendez-vous avec la lune... Des indications ponctuent le paysage : délimitations, légendes... Des flèches conduisent notre regard vers des détails qui interrogent ou prennent valeur humoristique. Le monstre de droite, hybride anthropomorphe - réunissant éléphant, serpent et femme - se pare de motifs courbes et bariolés. L’aspect physique de la créature amuse : comment tient-elle debout ? Comment peut-elle avancer ? Sa physionomie évoque une sorte d’Hydre de Lerne inachevée. On ne parvient pas trop à déterminer si elle vient de lâcher son poignard par mégarde (ou maladresse) ou si elle souhaite s’emparer de cette arme. Aurait-elle rendez-vous avec le garçon attablé un peu plus loin ? Cette image a été choisie pour composer l’affiche de la manifestation. Cette dernière pourrait faire l’objet d’une analyse permettant aux élèves d’établir la distinction entre image de communication et œuvre d’art.

Arts Plastiques, Collège En classe de quatrième, les élèves sont amenés à se saisir de la singularité des images d’artistes et les différencier des images de communication et de documentation.

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DURAN Joan, Le loup qui hurle dans la longue nuit stellaire, 1993 – 1994 En 1992, son alignement sonore de paratonnerres reliant la terre au ciel, transformant le sacré en énergie terrible et plastique, fut remarqué à la Chapelle SaintJacques de Saint-Gaudens, lors de l’exposition « Demoes aereos ». Son travail peut être qualifié « d’art spatial ». Cette série de photographies compose une installation s’achevant sur la constitution d’une nouvelle constellation. Sept de ces images sont en couleur, la dernière - s’inscrivant comme somme de l’ensemble - est en noir et blanc. Il s’agit d’un voyage initiatique traitant de l’histoire de Midi-Pyrénées. Cette pérégrination débute 9500 ans avant notre ère et s’achève le 25 décembre 1918. Sept sites emblématiques ont été sélectionnés. A chacun d’eux a été attribuée une influence planétaire, selon les théories de Carl Gustav Jung15. Ces sept points, placés sur la carte du territoire, sont reliés par des lignes imaginaires formant la nouvelle constellation qu’on découvrira dans la dernière image. Les sept lieux : - La grotte du Mas d’Azil (- 9500) où naquit la civilisation de l'aziléen (ainsi dénommée d'après le site lui-même) a ainsi hérité de l’influence de Jupiter et de ses qualités d’organisation. - Notre-Dame de Rocamadour a été choisie en tant que centre de pèlerinage dédié à la Vierge noire et, surtout, parce qu’il s’y trouve une petite "Cloche Miraculeuse" (constituée d’un assemblage de plaques de fer, datée de l'année 850, qui tinterait de façon autonome pour annoncer des miracles). Neptune lui a été attribué avec les caractéristiques de subconscient, d’intuition et de désordres mentaux. - Le château de Montségur, marque une étape-clé dans la persécution des Cathares. Le 16 mars 1244, au pied de la forteresse, 244 hérétiques refusant de renier leur foi montent volontairement sur le bûcher. Leur martyre marque la fin de la croisade contre les Albigeois. A cet épisode correspond Mars, dieu de la destruction. - Le Trésor de Saint-Bertrand de Comminges dispose d’un coffret décoré de scènes de chasse datant du XIVe siècle. Petit, réalisé en laiton doré estampé sur âme de bois, il porte cette mention : PER AMOR DE MA DONA ME COULBAT AB AQUESTA VIBRA. C’est donc Vénus, déesse de l’amour qui lui revient. - Moissac, dont l’abbaye Saint-Pierre fut sécularisée en 1625 - ce qui dénote son état d’abandon - hérite de Pluton, symbole des grandes mutations, des changements intérieurs importants. - Figeac où naquit, le 23 décembre 1790, Jean-François Champollion, déchiffreur des hiéroglyphes, considéré comme l’explorateur d’une autre culture, reçoit Mercure, allégorie du message et de la communication. - A Toulouse, le 25 décembre 1918, Pierre Georges Latécoère inaugure le premier tronçon de l’aéropostale (Toulouse – Barcelone). Uranus, dieu du ciel auquel l’artiste apparente le « déplacement véloce » des sentiments intérieurs, est associé à la ville rose. Grâce à un programme informatique spécifique, mis au point par le M.I.T., une simulation astronomique concernant la position des planètes a été établie pour chaque 15

Carl Gustav Jung (1875 – 1961) fut le pionnier de la psychologie « des profondeurs » en soulignant le lien existant entre la structure de la psyché (c'est-à-dire l'« âme », dans le vocabulaire jungien) et ses productions et manifestations culturelles. Sa démarche reposait sur des notions de sciences humaines puisées dans des champs de connaissance aussi divers que l'anthropologie, l'alchimie, l'étude des rêves, la mythologie et la religion. Auteur prolifique, il a exploré de nombreux domaines des humanités : entre autres, l'étude comparative des religions, la philosophie, la sociologie et même la critique de l'art et de la littérature. On lui doit les concepts d'« archétype », d'« inconscient collectif » et de « synchronicité ».

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localité, à la date indiquée. L'image résultante, en couleur, fut transférée sur support photosensible. L’ultime photographie, de taille identique, recompose cette constellation imaginaire (celle du Loup qui hurle dans la longue nuit stellaire) superposée à la carte de Midi-Pyrénées. Dans des indications adressées au musée, l’artiste insiste grandement sur la façon dont cette œuvre doit être scénographiée. Il accorde une grande importance à une implantation respectant l’orientation des points cardinaux. Mais, manifestement, ces recommandations ne peuvent être appliquées dans l’espace du Centre culturel Alban Minville où l’installation héritera d’un accrochage conventionnel linéaire lui ôtant sans doute une grande partie de sa « magie ». Arts Plastiques, Collège, classe de Cinquième Les élèves sont amenés à se réapproprier des images, les détourner pour leur donner une dimension fictionnelle

FABRE Alain, Les cloches 24 heures, 1989 L’environnement dans lequel vit l’artiste constitue sa source d’inspiration. Il avoue se trouver confronté à une série de difficultés qu’il résout grâce à la couleur, au graphisme, à un ensemble de combinaisons. Il considère son travail pictural en état de « perpétuelle correction », arguant que l’essentiel n’est pas le produit fini, mais la construction de celui-ci. Son travail polarise une densité de formes et de couleurs, visant la simplification. De cette réduction de moyens, naît un dialogue entre fond et formes. La peinture se réalise par couches successives. Touche après touche, recouvrement après recouvrement, le travail se précise. Le contraste entre couleurs chaudes et froides est intense. La singularité de cette représentation réside dans l’autonomie de son organisation. On pointe le compartimentage en vingt-quatre cases irrégulières, chacune ornée d’une tête humaine dont l’orientation (horizontale, verticale ou oblique) suivrait, de façon aléatoire, le parcours des aiguilles d’une pendule. Ces vingt-quatre visages entretiendraient-ils un lien avec les vingt-quatre heures d’une journée ? On remarque comme un « air de famille » qui tient à leur traitement graphique, au fond sombre sur lequel se détachent leurs tracés clairs, à ce halo obscur qui déborde leurs contours. Pourtant, tous sont différents. Traiterait-on alors du temps ? De sa réalité toute subjective ? Focillon, dans sa Vie des formes16, n’affirme-t-il pas : « Nous répugnons extrêmement à renoncer à une conception isochrone du temps, car nous conférons à ces mesures égales, non seulement une valeur métrique qui est hors de discussion, mais une sorte d’autorité organique. De mesures elles deviennent cadres, et de cadres elles deviennent corps. Nous personnifions. [...] Mais au fond de nous-mêmes, nous n’ignorons pas que le temps est devenir, et nous corrigeons avec plus ou moins de bonheur notre conception monumentale par celle d’un temps fluide et d’une durée plastique. » Devant ce quadrillage spatio-temporel inégal de la surface, jouant d’un réseau de lignes plus ou moins fines, délimitant des zones striées dont la surface évoque le veinage du bois, semblent cabrioler une étoile filante qui aurait laissé la lune loin derrière elle. Mais cette dernière a manifestement rendez-vous avec le soleil ! Au premier plan, une double cloche laisse entrevoir ses battants opposés et son axe de balancement. Serait-il question ici de sonorité et de mouvement ? Paradoxalement évoqués dans une image fixe et, par définition, silencieuse ? 16

Henri Focillon, La Vie des formes (1934), rééd. PUF, 2010

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Cette représentation brassant dessus et dessous (quatre plans sont visibles), aplats et tracés, ressemblance et invraisemblance, s’inscrit dans un format pas vraiment rectangulaire dans lequel on aurait voulu confiner le temps. Son bord supérieur se présente sous la forme d’une ligne brisée dont les trois segments sont orientés en fonction de leur point de jonction avec les lignes épaisses qui ponctuent l’ensemble : une bonne façon de souligner l’organisation générale, le support étant partitionné en trois bandes verticales de largeur différente – comprenant chacune huit compartiments. Arts Visuels, Cycle 2 - Pratiques Artistiques L’enseignement s’appuie sur une pratique régulière et diversifiée de l’expression plastique, du dessin et de réalisation d’images fixes ou mobiles. Il mobilise des techniques traditionnelles (peinture, dessin) ou plus contemporaines (photographie numérique, cinéma, vidéo, infographie) et propose des procédures simples mais combinées (recouvrement, tracés, collage/montage). Ces pratiques s’exercent autant en surface qu’en volume à partir d’instruments, de gestes techniques, de médiums et de supports variés. Les élèves sont conduits à exprimer ce qu’ils perçoivent, à imaginer et évoquer leurs projets et leurs réalisations en utilisant un vocabulaire approprié.

KURODA Aki (Akihiko Kuroda, dit)17, Nostalgia Sa première exposition personnelle en France eut lieu en 1980, à la Galerie Maeght (Paris). Il participa à la Biennale de Paris la même année. En 1985, il édite une revue qu'il appelle Noise, à laquelle contribuent, entre autres, Jacques Derrida et Michel Serres. Remarqué dès 1980 pour ses silhouettes et ses toiles monochromes, il établit des « passages » entre des mondes divers : le modernisme et l’art contemporain, l’Orient et l’Occident, le corps et le cosmos, la mythologie et l’avenir. Sa création s’étend à d’autres mediums que la peinture : gravure, sculpture, fresque, photographie, décor, scénographie, installations etc. Il crée des mondes présentant des styles antagonistes - ce qui donne à son travail un caractère énigmatique. Remarqué pour ses silhouettes longilignes figurant sur des toiles monochromes bleues, l’œuvre pictural d’Aki Kuroda se nourrit de multiples influences dont jamais ne s’écarte un sujet récurrent et central : la dimension de l’homme dans l’espace, l’espace-temps, le cosmos, l’univers. « Le mot clé de mon travail est « Inside out/ Outside in »… Vous savez, j’aime me promener en ville. Celle-ci m’envahit. Et, au bout d’un moment, c’est mon esprit qui vient à elle. Une sorte d’intériorité qui sort. Là, je crée mon coin secret. C’est un endroit où la vie quotidienne devient plus forte, plus dynamique. Car je ne suis ni japonais, ni français. Je suis déraciné. Donc j’ai besoin d’avoir toujours le sentiment de vivre de manière plus dynamique avec cette ville qui devient de plus en plus mon sujet. [...] En jouant avec la programmation de notre société, j’ai essayé de créer une bulle de savon (une sphère transparente), un jardin en friche où les éléments qui se rencontrent créeront une vibration. A l’intérieur de cette « Sphère en gravitation », s’entremêlent la lenteur et la vitesse, la gravitation, le temps et l’espace. C’est le système qui créé lui-même les hasards. Trois ou quatre éléments interconnectés modifient le temps et le mouvement pour créer quelque chose que je n’ai pas programmé. Je suis un jardinier cosmique qui laisse pousser librement.»18 Depuis 1992, Aki Kuroda conçoit des spectacles-performances qu’il nomme Cosmogarden dans lesquels se mêlent différentes formes artistiques. 17

Sources : Wikipedia et galerie Maeght (http://www.maeght.com/galeries/artiste_detail.asp?id=1)

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Extraits du site Cosmogarden (http://www.cosmogarden.com/index.php/fr#works)

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On retrouve cet artiste aux multiples facettes19 comme concepteur des décors du ballet Parade pour Angelin Preljocaj à l'Opéra de Paris et au Festival d'Avignon en 1993. Il a collaboré avec des architectes comme Tadao Ando et Richard Rogers afin de réaliser des peintures en relief au Japon. Par ailleurs, ses œuvres n'ont cessé d'inspirer des gens de lettres comme Marguerite Duras, Michel Foucault, Pascal Quignard. Les tableaux ne sont qu’un des visages de ses créations où tout est jardin : le corps, la vie, la ville, le cosmos. Une comète ? Une fusée ? Une étoile filante ? Quoi que ce soit, cela déborde du cadre pour plonger vers une destination qui nous échappe, hors-champ, loin des mystères de la nuit. Dans cet espace-temps, la trajectoire oblique de cet Objet Filant Non Identifiable nous autorise à envisager toutes sortes de destinées...

Bertrand LAMARCHE, Le terrain ombelliférique, 2005 Diplômé de l’École nationale supérieure d’art de la Villa Arson à Nice, son travail a été montré dans diverses expositions personnelles en France : The Double Twin au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète (2006), The Plot au Musée des Beaux-Arts de Nancy (2005) puis à Glassbox à Paris (2006), Autobrouillard à Transpalette à Bourges (2003), Vortex à la Galerie Le Sous-Sol à Paris (1998) ; ainsi qu’à l’étranger (notamment l’exposition Autobrouillard au Centre National de la Photographie à Genève en 2004). Il a également participé à de nombreuses expositions de groupe en France et à l’étranger, dont Là où je vais, je suis déjà, Le Printemps de Septembre, Toulouse (2008) ; Absolumental 1 et 2, Les Abattoirs, Toulouse (en 2006 et 2007) ; La répétition, la tête dans les nuages, Villa Arson, Nice (2000) et ExtraETordinaire, Printemps de Cahors (1999). Le travail de Bertrand Lamarche intègre paysage, urbanisme et architecture. Modélisé et remodelé au fil du temps, il se caractérise par une attention critique et sensible à l'évolution de certains lieux et sites où l’artiste déploie des fictions. En arrimant une trame fantasmagorique à une grille préexistante, il propose ainsi un script de décodage de divers espaces. L'artiste réalise des propositions qui sont autant d'expériences physiques nouvelles pour le spectateur. Croisant art cinétique et subjectivité, architecture et science-fiction, cinéma élargi et inconscient, les maquettes, installations et vidéos de Bertrand Lamarche matérialisent des phénomènes de projection physique et mentale, qui s’ancrent dans la réalité pour mieux s’en distancier. L’exposition montée à Noisy le Sec du 6 décembre 2008 au 7 février 2009, par exemple, déployait ses investigations autour de la vision, la modélisation et l’échelle, tout en prolongeant ses recherches formelles précédentes sur la métamorphose. Tissant des liens entre le langage cinématographique, le son, la météorologie et l'urbanisme, les diverses pièces présentées convoquaient une approche visuelle directe mais néanmoins inquiétante. Par la simplicité de leur mise en œuvre, elles généraient une remarquable puissance d’évocation. Enregistreuses de réalité, elles en livraient, en image, une version métamorphosée, dégradée par la décomposition lente de leur mouvement perpétuel, amplifiée par leur taille et leurs couleurs. Les visiteurs assistaient à la représentation en acte d’un décalage, voire d’un dédoublement du réel en un « autre », fictionnel, fantasmé. (Œuvre analysée plus loin)

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Voir le dossier en ligne : http://www.cosmogarden.com/images/stories/docs/Aki-Kuroda.pdf

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LEROI Olivier20, Trahison du reflet, 1990 Olivier Leroi a été forestier avant de s’inscrire à l’Institut des hautes études en arts plastiques (Paris) avec Daniel Buren, Pontus Hulten et Sarkis. Jonglant avec le mot, l’image et la forme, l’artiste réalise une œuvre où l’humour et l’absurde sont le leitmotiv d’un langage plastique d’une poésie vivifiante. L’artiste cultive dans son propos une dimension ironique, dadaïste, oulipienne, usant volontiers de figure de rhétorique, d’images métaphoriques et métonymiques. Vivant proche de la nature, dans une forêt du Cher, il s’inspire des mystères du paysage, de sa faune aquatique et végétale, et l’applique à la connaissance humaine dans un jeu de sens formel. Il en résulte une sorte d’écart de langage dans une distorsion de sens et de perception burlesque, chaque œuvre fonctionnant comme un dispositif à perturber et à questionner en s’amusant. La puissance esthétique de son travail nous rapproche des “Pierres de rêve” évoquées par Roger Caillois. Une intervention minimum sur un support ou un motif déjà existant vient faire œuvre humaine sur une œuvre naturelle et en fait basculer le sens. Les sciences « obliques », les sentiers de la pensée transversale, instruisent les mécanismes de l’imaginaire et les songes de chacun. Selon la formule consacrée, le paysage est la portion de l’espace qui s’offre à la vue. Derrière cette apparente simplicité se trouve une réalité bien plus complexe. Les dessins de cet artiste jouent souvent du reflet mais ses fins tracés s’entrecroisent dans de trompeuses symétries. Un « échange gazeux » semble s’opérer entre principe de réalité et utopie personnelle. En deux dimensions, il tisse une vision du monde. Il dessine, découpe et réorganise les éléments plastiques sous forme de dessins-collages. Il combine de façon subtile en portant un regard extraordinaire sur l'ordinaire. Ces œuvres sont pour la plupart méticuleusement présentées, telles des illustrations intimistes

MABILLE Pierre, Pacifique limousine "mélo", 1986 L’artiste enseigne à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Nantes Métropole. Réalisée trois ans après sa première exposition personnelle, ce tableau regroupe des éléments, pour la plupart reconnaissables, mais dont l’ensemble laisse le spectateur perplexe. L’organisation « atomisée » des parties complexifie l’appréhension globale de l’image, l’emplacement des couleurs vives accentue cet égarement du regard. Une mise en tension s’opère : l’extérieur se confond avec l’intérieur, le fini avec l’in-fini, l’endroit avec l’envers, la surface du sol avec celle des murs. Peindre son atelier, c’est forcément prendre du recul : le champ déborde de la surface peinte. Les tableaux, le châssis et la fenêtre orchestrent une belle confusion. Cette mise en abyme fait perdre tout repère spatial. Tout parait être en lévitation... Des bateaux semblent s’échapper du tableau qui les contenaient pour naviguer sur le sol de la pièce, intégralement bleue, elle aussi ; le chiffon reposant sur le coin supérieur gauche du châssis prend forme de voile... Et vogue le navire, pris dans la brise qui fait voltiger des feuilles de palmier du Pacifique jusqu’à cet intérieur européen ! La lumière extérieure saturée se retrouve dans le faisceau issu de la lampe qui surplombe le bureau et les outils du peintre. La limousine, évoquée dans le titre, passe d’un cadre à un autre... Que d’histoires à se raconter ! C’est comme si les objets, pris d’un intense besoin de liberté, s’évadaient de la surface dans laquelle ils étaient maintenus pour vivre, de 20

Présentation de Frédéric Bouglé, commissaire de l’exposition « (P)résidence », Le Creux de l’enfer, juillet - septembre 2004

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façon autonome, leurs propres aventures. Pour un peu, les murs devenus mers feraient déborder les toiles, les toiles de mer ! Tout se disloque et part à la dérive, laissant, au passage, de petits graffiti gribouillés comme autant de repentirs, vestiges entortillés de contours faisant défaut à certaines formes...

MARCEL Didier, Sans titre (Autre titre : Supports tomates), 1999 Sa démarche repose sur une interrogation fondamentale concernant l’intervention de l’homme dans la nature. Sa pratique part d’une mise en abîme, du constat que le naturel est lui-même mis en scène - au point qu’il est devenu presque impossible de démêler le vrai du faux. Depuis plusieurs années, Didier Marcel interpelle la sculpture et l’objet, inscrits dans un rapport avec l’architecture, à travers les questions de masse, de matière, d’échelle. Il travaille à redonner un lieu à l’œuvre, à lui conférer un statut d’objet intérieur. Son travail, qui se développe autour des idées d’opposition et de contraste, conduit à un subtil déplacement de la notion d’exposition ; la question du mode de présentation (sous toutes ses formes) y est récurrente - qu’il s’agisse des socles, des présentoirs ou même du revêtement du sol… Ses propositions éprouvent radicalement la mise en espace muséographique. Des tomates, empruntées au monde bien réel du calibrage, sont disposées tels des bibelots périssables, individualisés, tandis que les maquettes proposent une étrange « carte » du territoire. L’association de ces deux types de volumes (les fruits rouges et les architectures miniaturisées) étonne : cette topographie génère un univers improbable dont la dimension poétique naît de singulières combinaisons ; elle convie, dans un premier temps, le spectateur à se déplacer latéralement. Dans cette re-présentation/présentation, les bâtiments en modèle réduit se côtoient dans une proximité géographique incongrue qui s’émancipe de tout souci d’échelle ou de cartographie. Les supports-tomate en inox renvoient à une présentation manufacturée - et néanmoins précieuse - de l’objet. Leur fonction n’est autre que d’élever au rang d’œuvre d’art de simples objets, ici des tomates. On pense immédiatement aux ready-mades duchampiens. Rien, dans cette œuvre, n’a été fabriqué par l’artiste : pas plus les tomates, que les maquettes ou les supports. En jouant de cette association hétérogène entre naturel et artificiel, l’artiste délègue aux régisseurs le soin de « réaliser » l’œuvre. L’idée prévaut donc sur l’exécution : cette posture relève des courants minimaliste et conceptuel. Mais s’agit-il pour autant de « ready-mades » ? Ces artefacts d’architecture, par exemple, sont autant des images tridimensionnelles que des objets. Ils constituent un paysage introduisant de l’urbain dans le rural. Et plutôt que de les exposer abstraitement (articulés, comme chez Duchamp, à des énoncés), Didier Marcel les met théâtralement en scène et les métamorphose en représentations sculpturales d’un monde imaginaire. Basculement du plan du paysage, éparpillement, étendards... Il suffit de faire pivoter la reprographie... ou de tourner la tête pour rétablir un sens de lecture « normalisé » ! En opérant de la sorte, l’artiste convie le spectateur à une nouvelle appréhension de l’objet et de l’espace dans lequel il évolue. Ce « redressement » du plan horizontal au plan vertical n’est pas sans rappeler les tableaux-piège de Spoerri. Ces choix procèdent d’un rapport très personnel à la banalité, à tout ce qui est ordinaire, invisible, à tout ce qui se fond dans le paysage. A partir de la déréalisation d’éléments issus d’environnements connus de tous, Didier Marcel s’emploie à recréer, dans l’espace neutre et aseptisé de la salle d’exposition, un paysage harmonieux et coloré. Ses maquettes deviennent les éléments d’un décor dominé par des panneaux signalétiques rouges ou des éoliennes d’un nouveau genre. De la collecte à la collection : le pas est franchi. Prélever, organiser, répéter, restituer, installer, de façon à obtenir un objet de curiosité, un objet de salon, tenant de l’ornement.

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Est-ce un tableau, un bas-relief, une sculpture, une installation ? Peut-on faire rentrer cette production dans une catégorie bien définie ? Ne serait-on pas confronté, là, à une belle échappée ? Quel rapport établir entre la chose observée dans la nature et la chose vue dans l’exposition ? De la répétition surgit l’impression de portion, de fragment. Ce paysage se donne à lire comme une vue parcellaire (premier effet de distanciation) dont on pointe facilement l’écart avec le réel (deuxième effet de distanciation). Dernier point, et non des moindres : l’œuvre, organique, évolue au fil des jours. L’intégration de matériaux périssables implique que les visiteurs successifs - supposés regarder la même œuvre – seront les témoins de divers stades allant jusqu’au flétrissement et à la chute des fruits. Nouvelle notion : le temps – et, plus particulièrement, les questions de pérennité et d’éphémérité. A l’instar de l’homme qu’on ne peut restreindre à une définition immuable, un paysage se façonne avec l’écoulement du temps, une longue expérience, de constantes métamorphoses. Il ne cesse de se construire.

PLO Marianne, Orion, 200721 Orion se présente comme un conte, hommage à Gérard Manset et à son album mythique « La mort d’Orion »22, dont peut d’ailleurs entendre les premières paroles : « Où l’Horizon prend fin, où l’œil jamais de l’homme n’apaisera sa faim, au seuil enfin de l’Univers, sur cet autre revers trouant le ciel de nuit, d’encre et d’ennui profond, se font et se défont les Astres ». Ces dessins animés, tout droit sortis de l'imaginaire de l'artiste, sont peuplés de créatures en perpétuelles mutations. L'animal, le rêve, la métamorphose sont au cœur de cette œuvre qui donne vie au trait et à la couleur. « Je m'intéresse aux chantiers plus qu'aux constructions abouties » déclare l’artiste, faisant ainsi du processus un pilier de son œuvre. D’une ampoule allumée en plein jour surgissent nombre de phénomènes parmi lesquels déambule la femme sans-tête (la femme 100 Têtes ?). L’orage gronde et menace, les éclairs fusent... De l’éclairage à l’éclair, rien n’est franchement clair... Nous voici propulsés dans les airs, au milieu des astres. Orion ? Vous avez dit « Orion » ?

Le titre fait ouvertement référence à ce personnage mythologique. Ce fils géant de Poséidon, était un grand chasseur. Ayant eu connaissance de ses talents, le roi de l'île de Chios le fit venir pour lui demander de débarrasser l'île de tous les animaux sauvages. Orion, avec ses deux chiens Sirius et Procyon, accepta cette tâche et s'en acquitta... à merveille. Après quoi, il connut quelques déboires qui le précipitèrent tout droit dans le cosmos.

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Le visionnement est relativement rapide et aisé à partir de ce lien : http://www.artreview.com/video/orion-1

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Sans doute l'album le plus original de Gérard Manset, paru en 1970

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TODT, Exurbia, 200723 Todt est un groupe composé de trois artistes (deux hommes et une femme) qui travaillent ensemble depuis les années 1970. Originaires de New York, les membres de TODT, qui composent aussi une fratrie, sont parmi les premiers artistes à avoir revendiqué une seule et même identité collective. TODT développe un travail radical et exubérant qui attaque de plein fouet les outrances de nos sociétés de surconsommation et d’hyper médiatisation. Ils se définissent eux-mêmes comme des «résistants» et dénoncent les effets pervers de la normalisation des individus et de leur environnement physique ou mental. Dans l’exposition, les visiteurs deviennent les explorateurs d’une étrange forêt en miniature ou d’un jardin extraordinaire, à première vue paradisiaque sauf qu’ici tout est en plastique - où prolifèrent des végétaux exubérants, des minéraux bizarres, des insectes proches des vers de terre, des papillons ou encore des animaux mutants.... Cette sculpture est, en fait, un détail d’un ensemble beaucoup plus vaste exposé aux Abattoirs voici quelques années. Cette « nature » recomposée se présentait comme une juxtaposition d’îlots dans lesquels le visiteur circulait et se promenait. L’installation Exurbia fait référence à ce qui existe au-delà de l’urbain dans les périmètres délaissés, comme les friches, les échangeurs d’autoroutes ou les jachères, qui sont des zones non contrôlées et non anthropiques. Ces sortes de « niches écologiques » sont d’ailleurs propices au développement d’espèces endémiques, parfois mutantes. Étudiées de près par les scientifiques et les urbanistes, elles sont considérées comme des modèles possibles de développement.

LES SENS AU PAYS DE COCAGNE

CALAIS Stéphane, House, 1995 Cette œuvre, pour sa part, nous convie à un univers « macabre-festif ». Une masse informe, recouverte de confettis, git dans une boîte transparente dont trois des faces sont doublées d’un rhodoïd coloré (une couleur primaire par face). Cette enveloppe, surnommée House (maison) serait donc à lire comme une demeure. Que contient-elle exactement ? Manifestement, de la matière grise modelée, autant dire un cerveau. Comment, alors, ne pas attribuer à la boîte valeur de cercueil ? Un cercueil de verre comme il en est fait mention dans bien des contes... Il s’agirait donc d’une énième variation sur le thème de la vanité24. Si les artistes d’hier insistaient sur le caractère éphémère de la vie, les créateurs actuels dénoncent l’absurdité 23

Source : dossier pédagogique réalisé par Philippe Caudron, à l’occasion de l’exposition Hybrides et Chimères, Le Parvis, Tarbes, 2010, http://www.parvis.net/intranet/Upload/Liens/CentredArt/centredart_656.pdf 24

Une vanité - très répandue à l'époque baroque, particulièrement en Hollande - est une catégorie particulière de nature morte dont le contenu allégorique suggère que l'existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d'importance.

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de notre monde, l’apparat, le vide, la légèreté de l’être. La condamnation de la société du divertissement prend ici des allures récréatives. En effet, les confettis, projectiles inoffensifs et festifs sont lancés au moment de certaines célébrations, tout particulièrement durant les carnavals. Le cerveau ainsi enrobé en devient méconnaissable. La sensation colorée varie au fil du déplacement du spectateur. L’œuvre ne mobilise pas uniquement ses pensées mais sollicite aussi son corps... Un corps animé face à une substance inerte... Laquelle, en fonction du point de vue adopté, n’est jamais perçue de la même manière. Ici, c’est le regardeur qui fait l’œuvre, en fonction du filtre coloré par lequel s’engouffre son regard. Au pays de la « maladie des yeux », les couleurs ont parfois une drôle d’allure ! e

Arts Plastiques, classe de 3 : L’espace, l’œuvre et le spectateur : Les élèves de troisième poursuivent leur investigation des moyens plastiques et leur réflexion artistique en approfondissant la question de l’espace que le travail sur l’objet et sur l’image a déjà permis d’aborder. Sans délaisser l’espace plan, ils se sensibilisent à la réalité spatiale de certaines œuvres : sculpture, environnement, installation, œuvre in situ, scénographie, chorégraphie, cinéma, vidéo. Autant de domaines d’expression qui peuvent être explorés dans des séquences d'apprentissage afin de conduire les élèves à concevoir et à projeter l’espace, à l'expérimenter physiquement par la perception et la sensation.

HORTALA Philippe, Sans titre (Autre titre : Fraisiers), 1993 « Philippe Hortala (du latin hortus le jardin) s’inscrit en 1978 à l’Ecole des BeauxArts de Toulouse. Dès son obtention du Diplôme national Supérieur d’Expression Plastique “Les Fauves” envahissent sa peinture. En 1984, il s'installe à Barcelone où il consacre une série de peintures au “Port de Barcelone”. Il s’inscrit à l’Academia San Luc où il se concentre sur des petits nus au pastel, travail qu’il poursuivra jusque dans les années 90. Il retrouve Toulouse et entreprend la série des “Intérieurs”. Après un bref voyage à Belgrade, des scènes de guerres civiles deviennent le sujet de sa peinture. Il continue de travailler en Espagne, à Madrid, Grenade, Séville. Lors de son séjour à la Cité Internationale des Arts (Paris, 1986-1988), il inaugure la série des “Pâtisseries” qui trouvera un prolongement dans ses gros plans de “ Fraisiers” en 1993. Dès 1995, il s’attèle à de nouvelles toiles d’inspiration potagère et poursuit, parallèlement, un travail d’assemblage à partir d’ustensiles de cuisine. Il meurt accidentellement le 2 octobre 1998 dans son atelier. Artiste figuratif, Hortala participe au grand mouvement de retour à la peinture opéré à la fin des années 70. Le personnage aura laissé sur sa ville natale une empreinte palpable, faite d’admiration pour ses facilités picturales et d’agacement amusé pour ses frasques multiples. Peut-être trop doué et trop bruyant pour la cité. Pas assez sage en tout cas pour les honneurs officiels de la ville. Il a du talent, c’est manifeste. Très vite il laisse voir des aptitudes techniques surprenantes. Il a une intelligence du regard et de la main qui force le respect. Et puis, quitte à forcer le trait, il s’est construit cette allure de Gene Vincent à la bouille bien faite, dans son cuir peinturluré, Rangers aux pieds, les cheveux en bataille, la tête au vent sur sa grosse cylindrée. Hortala transporte son aura de braillard punk de coin en coin de la ville. Rock’n’roll attitude, toujours… Ben est vite séduit par le personnage qu’il rencontre à l’occasion d’une exposition

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à la Galerie Axe Actuel. En 1988, dans une sorte de dictionnaire drolatique intitulé “La Vérité de A à Z”, Ben écrit, entre les mots Horizon et Humour : “Hortala, petit King Kong de Toulouse”. Lui, Hortala, s’invente, grand prince, le terme de “Pintador”, mélange de peintre et de toréador. Hortala est dans l’arène des fauves. Il se bat avec violence avec la peinture. Il y laissera des plumes, c’est sûr. Son art est celui d’une époque donc, qui n’a que faire des chapelles et des approches conceptuelles. On l’associe bien vite (trop vite ?) à la Figuration libre, aux Combas, Di Rosa, Boisrond et consort, qu’on sort bien vite du chapeau pour promouvoir la vitalité du moment et qu’on oublie un peu, quand les jours ne sont plus à la fête. Libre, Hortala l’est, trop individuel pour rentrer dans un mouvement. Hortala est peintre, manifestement peintre. Il pioche à tout va dans les formes qui le séduisent, il réinvente les anciens et déjoue les modernes, les malaxe entre eux, pour créer un bouillon vivifiant où grondent les avions et rugissent les tigres. Des parentés, il faudra davantage les trouver du côté de la botte italienne, de la transavant-garde de Bonito Oliva, avec son cortège d’élégants cultivés, ses Sandro Chia, Francesco Clémente, Enzo Cucchi, Minno Paladino... Fougueux, Hortala conçoit ses tableaux comme des arènes où se confondent sur des sujets faussement banals, l’ordre et le chaos, le squelette géométrique des choses et l‘énergie païenne qui les animent. « A l'instar de quelques artificiers cherchant à faire sauter quelques bombes, je m'essaye plutôt à faire exploser l'artifice au milieu d'une nature dénaturée, entre lesquels je me trouve être pris en sandwich. Il y a loin d'une quête d'authenticité, plutôt une certaine puanteur devant ces « tableaux » que je m'efforce de faire klaxonner - un raffinement de la bâtardise extrême menant à un “lamentabilisme” certain. » (Philippe Hortala. No fun for no futur, Axe actuel, 1984). Du raffinement et de la bâtardise… Hortala le peintre horticole en étalera plein sa peinture, jusqu'à son décès accidentel, queue de la comète, laissant une œuvre ample et dynamique, vive et lettrée, rigoureusement personnelle, une œuvre d’époque qu’il nous faut encore largement réévaluer pour ce qu’elle est : l’expression minutieuse d’un caractère hors norme… » 25 Hors norme, ses parts de gâteau et ses pieds de fraisiers le sont, en effet. Surdimensionnés, ils ne rentrent même plus dans le cadre du tableau et confrontent les gourmands que nous sommes à avoir les yeux plus gros que le ventre, à se délecter d’une telle profusion... Bienvenue au pays du plaisir des sens !

Maternelle PERCEVOIR, SENTIR, IMAGINER, CRÉER L’école maternelle propose une première sensibilisation artistique. Les activités visuelles et tactiles accroissent les possibilités sensorielles de l’enfant. Elles sollicitent son imagination et enrichissent ses connaissances et ses capacités d’expression ; elles contribuent à développer ses facultés d’attention et de concentration. Elles sont l’occasion de familiariser les enfants, par l’observation, avec les formes d’expression artistique les plus variées ; ils éprouvent des émotions et acquièrent leurs premiers repères dans l’univers de la création. Ces activités entretiennent de nombreux liens avec les autres domaines d’apprentissage : elles nourrissent la curiosité dans la découverte du monde ; elles permettent à l’enfant d’exercer sa motricité ; elles l’encouragent à exprimer des réactions, des goûts et des choix dans l’échange avec les autres.

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Yvan Poulain, Extraits de la présentation de l’exposition Les jardins de Philippe Hortala, octobre / décembre 2010, Musée Calbet, Grisolles

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WARHOL Andy (Andrew Warhola, dit), Peaches (Pêches) - Titre attribué : Fruits jaunes, de la série « Space fruit : still lifes », 1979 Fils d'émigré tchèque né dans la cité minière de Pittsburgh, Andy Warhol fait ses études au Carnergie Institute of Technology de 1945 à 1948. Il est d'abord reconnu en tant que brillant publicitaire avant d'exposer et de vendre ses toiles - toujours avec le même succès. Ses deux carrières de publicitaire et d'artiste sont étroitement liées, tant au niveau des techniques employées que des thèmes abordés. En effet, ses photographies sérigraphiées, reportées sur toile et reproduites à l'infini, symbolisent la standardisation et le culte de la consommation de la nouvelle société américaine des années 1960. Il dresse donc le tableau d’une société tout entière et met en place une nouvelle forme de production artistique, presque industrielle. Il se tourne résolument vers le monde décrié de la marchandise (hamburger, boîtes de lessive, canettes de Coca Cola) et vers les nouvelles formes de culture populaire : publicité, bande dessinée, stars de cinéma et de la politique. Ses boîtes d’emballage Campbell’s sont des faux ready-made, car réalisés par l’artiste qui reprend sur les objets la typographie publicitaire. A l’image de la logique marchande, ces objets trompent l’œil et l’esprit. Chez les pop artistes américains, l’objet n’est que rarement introduit tel quel. Il est reproduit en trompe-l’œil ou sous une forme grotesque par des agrandissements qui en altèrent le sens, en soulignent la trame, paraissant parfois plus réel que le réel lui-même jusqu’à toucher l’irréel et l’inquiétant. Warhol enlève à leur réalité sa substance, l’inscrivant dans le vertige du multiple, du banal, de l’outrancière couleur – mais l’objet et son image sont néanmoins promus au rang d’œuvre d’art. “Je veux être une machine”, proclamait-il, en légitimant son procédé mécanique de reproduction de l’image, écho d’une société sans âme que son œuvre représente et, par là même, critique. Il se fait donc le chantre d’une société capitaliste à son apogée mais qui est néanmoins troublée par l’image de la mort. Cette nature morte, sous des dehors hauts en couleur, en est peut-être l’illustration. Le tirage de Warhol, totalement traité en aplats colorés, laisse paradoxalement percevoir comme des épaisseurs, des dessus / dessous - qui, comble du comble, ne sont pas permanents et s’inversent en fonction de la distance que le spectateur entretient avec cette production. Arts Plastiques, collège : Ce qui s’enseigne ce sont les savoir-faire et les connaissances que mobilise la pratique. L’enseignement des arts plastiques procure aux élèves les conditions de cette expérience. Celle-ci se concrétise dans une activité d’exploration des moyens plastiques et constitue les bases d’une pratique artistique. Cette pratique sollicite la part de subjectivité, de singularité, d’expérience personnelle de chaque élève, pour la mettre à l’épreuve de contraintes matérielles communes, d’opérations à faire, de notions à mettre en jeu, toutes garantes d’une construction, d’un commencement. Le cheminement de chaque élève s’effectue ainsi sur un territoire de repères communs à tous. Dans cette objectivation, les élèves acquièrent maîtrise et savoir-faire en même temps que, très concrètement, se forme leur regard, c’est à dire leur faculté d’observer le monde, de le mettre à distance, de le représenter. La pratique s’inscrit donc dans une activité mais ne se confond pas avec cette dernière. Entre autre, la créativité de l’élève est un ressort qui contribue à l’exercice d’une pratique artistique. Elle permet le cheminement qui donne loisir à l’élève de tâtonner, d’esquisser, de bifurquer, de réfléchir, de se documenter, de revenir sur ses pas, de découvrir des voies inattendues, de faire des choix. La pratique artistique a toujours pour horizon d’affirmer un parti pris dont l’élève assume les choix formels et expressifs en regard d’une question posée dans le cadre d’une situation d’enseignement.

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FOCUS SUR UNE OEUVRE :

Bertrand Lamarche 1966, Levallois-Perret (Hauts-de-Seine)

Le terrain ombelliférique 2005 Images de synthèse Vidéo projection 23 minutes

Formes génétiques virtuelles, comportements biologiques, détournements de processus scientifiques constituent autant de sources d’inspiration issues du vivant. L'artiste nous propose ici de questionner notre rapport à la nature après l’inscription de nouveaux media dans l’art. Il nous offre la possibilité de perturber virtuellement des environnements végétaux par le biais de dispositifs technologiques. Le Terrain Ombelliférique est une animation réalisée en image de synthèse, accompagnée par la musique d'Erik Minkkinen - membre de Sister Iodine26. 26

Groupe de rock bruitiste et expérimental français, originaire de Paris, formé en 1992 ; Érik Minkkinen en est le chanteur et guitariste.

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Photogrammes du film :

Il s’agit d’une promenade virtuelle parmi les berces du Caucase - appartenant à la variété des ombellifères, variété regroupant toutes les plantes dont la terminaison florale blanche ressemble à un parasol ou une ombrelle. Ce qui distingue cette variété est sa très grande taille, avoisinant parfois quatre mètres : les plantes ont l'aspect remarquable et monstrueux d'une espèce dont on aurait modifié l'échelle. Elle est surmontée par une inflorescence d'environ cinquante centimètres de diamètre. Introduite en Europe centrale au XIXe siècle dans les jardins botaniques en raison de ses qualités ornementales, elle s'est naturalisée dans toute l'Europe, notamment le long des cours d'eau. D'autre part, durant la floraison, le contact ou le frottement des feuilles ou des tiges avec la peau est susceptible d'entraîner des brûlures cutanées. C'est donc une variété urticante, vis-à-vis de laquelle mieux vaut garder ses distances en ne l'admirant que de loin.

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Des motifs stylisant cette plante (découverte en 1895) ont été très utilisés comme éléments décoratifs dans le mobilier, les ferronneries et les papiers peints du mouvement Art Nouveau. Le Terrain Ombélliférique consiste, vingt-trois minutes durant, en la déambulation d’une caméra subjective à travers un terrain virtuel planté de berces du Caucase. Le mode choisi pour les représenter s'apparente au dessin : traçage blanc sur fond sombre. Il décrit principalement la structure de ces plantes, de leur feuillage et de leurs terminaisons florales. Ce traitement les rend luminescentes et comme projetées en négatif. Tout porte à croire que leurs constituants végétaux ont été radiographiés… La référence à l'imagerie médicale s'impose. Un logiciel permet de programmer les déplacements variables de la caméra, aboutissant à des angles de vue différents sur les berces et le territoire qu'elles ont conquis. Ainsi le spectateur fait-il une expérience sensitive, lorsque, debout et suffisamment proche de l'écran, il se sent physiquement trans(e)-porté par ces déambulations aériennes, la caméra lui procurant l'effet de planer lui-même d'un lieu à l'autre, passant au-dessus de l'eau, au sein de cette forêt quasi préhistorique et fantomatique. Tout le conduit à ressentir les manifestations de vertige, ou, pour le moins, les sensations que provoquent les nacelles de manèges forains ou les balançoires.

Ce long plan séquence brouille nos repères. Tout d'abord, le feuillage, par sa densité, semble se substituer au sol ; ce n'est que lorsque des "canaux" apparaissent que nous comprenons notre méprise. Tout est immobile, pas le moindre souffle de vent n'agite ces plantes dont la rigidité nous fait croire, a priori, qu'il s'agit de cimes d'arbres. Aucun indice relatif à l'échelle ne nous est fourni. Des luminescences semblent surgir de ce dédale de voies aquatiques, comme si une lumière provenait des profondeurs de l'eau. La caméra paraît suivre l'itinéraire de ces traces étincelantes. Dans l'immédiateté de cette immersion dans une présence sensible, le regard, happé par ce travelling incessant, plane au sein d'un vaste terrain-territoire, passe d'une plante à l'autre - toujours à mi-hauteur entre feuillage et ombelles. Il se déplace incessamment, tel un insecte qui naviguerait dans cette pseudo "forêt". Le temps est à l'œuvre, le cheminement s'opère avec une lenteur ne correspondant à aucun moyen de locomotion usuel. La fluidité des passages d'un plan à l'autre, d'une direction à l'autre, d'un point de vue à l'autre, conforte l'impression d'irréalité de la vidéo. Bien que la vitesse de déplacement reste constante, nous avons le sentiment de phases d'accélération ou de ralentissement ; la proximité ou l'éloignement des plantes dans notre champ visuel étant la cause de cet effet subjectif. Même si l'espace est plus ou moins saturé par les ombellifères, le paysage donné à voir occasionne un sentiment incongru : les végétaux semblent sans consistance, "sans corps", évanescents, translucides. Une impression de fragilité en émane, comme si le verre était leur matériau constitutif. Les ombres portées qu'ils génèrent sont totalement improbables. Une atmosphère sombre et spectrale en découle. On ne sait plus si c'est la perception oculaire d'un animal ou celle que procureraient des lunettes de vision nocturne qui est adoptée. Dans ce paysage insolite, tout semble à la fois vrai et factice. La prise de vue tend au réalisme, mais les constituants de l'image semblent inversés, niés. L'ensemble induit une espèce de lieu hors de tous les lieux connus, dans lequel poussent des végétaux dont nous reconnaissons la forme familière sans toutefois être en mesure de les identifier avec certitude. Cette vision ne ressortit absolument pas à l'objectivité. Il ne s'agit en aucun cas d'un documentaire naturaliste. Quel phénomène a bien pu se dérouler dans cet espace naturel pour que ces organismes en soient arrivés à ce stade ? De quoi peut bien provenir leur état de dégénérescence ? Ces plantes géantes constituent-elles une menace ?

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La platitude du relief et les voies d'eau font penser à un marigot. A-t-on affaire à un archétype de paysage plus ou moins refoulé ? À un milieu susceptible d'hanter nos cauchemars ? Aux phobies engendrées par la nuit, le manque d'horizon, la forêt, le sentiment d'être perdu, de tourner en rond et de revenir incessamment au point de départ ? Ou est-ce un décor de conte de fée ? Voyage-t-on dans le lointain ? Nous trouvons-nous sur une autre planète ? Dans un espace inhabitable ? Déserté par l'homme ? Errance ? L'ambiance sonore qui soutient les images est, elle-même, oppressante : les nappes électroniques de base, auxquelles se superposent vibratos, sonorités aigues et métalliques, nous propulsent dans une lancinance hypnotique proche d'un bad trip. Nous sommes juste, devant ces images, totalement à la dérive… tel un radeau non arrimé étudiant une canopée oscillant entre incarnation et désincarnation. Traité sur un mode fantasmagorique, ce projet induit aussi un regard sur les concepts de jardin public et/ou de parc de loisir.

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INTERMEDE :

« Cette étoffe sur laquelle naissent les rêves »27 Se tenir sur les épaules des géants et voir plus loin, voir dans l’invisible, à travers l’espace et à travers le temps... Voir en nous, au plus profond de nous, quand nous nous retirons du monde durant notre sommeil, durant cette lente dérive - quand la conscience semble nous quitter dans l’obscurité de la nuit et ressurgir brusquement, par intermittence, sous la forme énigmatique des hallucinations de nos rêves. Cette lente dérive durant laquelle nous recomposons, réorganisons, recréons - sans le savoir - la signification de ce que nous avons vécu à l’état de veille. Nous vivons des aventures extraordinaires ; des images visuelles intenses surgissent en nous ; nous sommes envahis par des émotions, nous ressentons, nous nous souvenons, nous nous projetons dans l’avenir. Le temps s’écoule - présent, passé, futur - mais de manière étrange, en nous emportant comme un radeau sur un torrent. Tout est réel mais nous n’avons aucune prise - ou si peu de prise - sur ce que nous vivons. Et lorsque nous nous souviendrons au réveil de nos rêves, ce seront des souvenirs d’un monde étrange, un monde où nous devenons capables de voler, un monde qui ressemble à celui des contes de notre enfance, à celui des mythes, à celui des ogres, des sorcières, des fées et des bottes de sept lieues. Un univers étrange, semblable à celui que le mathématicien et logicien anglais Charles Lutwidge Dodgson inventera, au milieu du XIXe siècle, sous le nom de Lewis Carroll. Ce monde à la logique bizarre qui se déploie au pays des merveilles et de l’autre côté du miroir, ce monde où l’espace et le temps se modifient en permanence, où Alice rétrécit, rapetisse ou gonfle, grandit, devient immense, où son cou s’allonge - portant haut sa tête, très haut, jusqu’au sommet d’un arbre ; où le temps est un autre temps, où la causalité échappe à la causalité de nos états de veille, où la logique est une autre logique. Un monde où les jours et les nuits ne se succèdent pas toujours mais peuvent survenir ensemble et se superposer. « Parfois, dit la Reine Rouge à Alice, parfois, en hiver, nous avons jusqu’à cinq nuits qui viennent ensemble pour avoir plus chaud, vous comprenez ? ». Un monde où, comme le dit la Reine Rouge à Alice, « il faut courir de toute la vitesse de ses jambes pour simplement demeurer là où l’on est », pour ne pas reculer dans un monde qui se déplace à toute vitesse autour de nous et sous nos pieds, comme un tapis roulant. « Un monde, comme le dit la Reine Blanche à Alice, où la mémoire fonctionne dans les deux sens », dans le passé, mais aussi dans le futur, un monde dans lequel on se souvient de ce qui surviendra demain. Un monde où il n’y a pas d’explication à ce qui nous arrive et où nous cherchons, pourtant, des explications. Ou alors, il y a plusieurs explications possibles entre lesquelles on ne peut pas trancher, comme, par exemple, quand Alice tombe sans fin et s’étonne : « soit c’était le puits qui était très profond, pensa Alice, soit c’était elle qui tombait très lentement dans un puits peu profond ; parce que ce qui était sûr, c’est qu’elle disposait de beaucoup de temps pour regarder ce qu’il y a avait autour d’elle durant sa chute. » Un monde où le temps parfois s’arrête, où le Mad Hatter, le chapelier fou, explique à Alice, à la table où ils prennent le thé avec le Lièvre de Mars, que depuis qu’il a tué le temps, il est toujours six heures de l’après-midi, il est toujours l’heure du thé et « nous n’avons pas le temps de laver la vaisselle entre deux heures du thé qui se succèdent » Et, comme Alice, nous nous étonnons, durant nos rêves ou au réveil, en nous souvenant confusément de nos rêves, comme Alice, en train de regarder le Chat du Cheshire... En train 27

Transcription du début de l’émission Sur les épaules de Darwin, par Jean Claude Ameisen, programmée sur France Inter le samedi 27 octobre 2012,11h - 12h Disponible jusqu’au 23/07/2015 sur : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=487191

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de regarder le chat s’effacer lentement, en commençant par la queue, puis disparaitre - alors que son sourire demeure quelques instants, flottant dans les airs. Comme Alice qui dit : « j’ai souvent vu un chat sans sourire mais un sourire sans chat ? ».

Français, Collège, Classe de 6e II. La lecture La progression pédagogique du professeur s’attache à traiter toutes les entrées du programme de lecture, certaines pouvant faire l’objet de plusieurs lectures d’œuvres. Les œuvres qu’elle retient sont étudiées en œuvre intégrale ou par groupements de textes en classe ; elles peuvent aussi faire l’objet d’une lecture cursive en dehors du temps scolaire. Un projet d’organisation raisonnable au regard des objectifs poursuivis par ces programmes comprend la lecture d’au moins trois œuvres intégrales et trois groupements de textes étudiés en classe, et trois œuvres lues en lecture cursive en dehors du temps scolaire. Pour certaines œuvres, une version modernisée ou une adaptation de qualité est recommandée ; un astérisque les signale. Contes et récits merveilleux Le professeur fait lire au moins deux contes choisis parmi les œuvres suivantes : - Les Mille et Une Nuits* ; - Contes de Charles Perrault, de Madame d’Aulnoy, des frères Grimm, de Hans-Christian Andersen ; - Alice au pays des merveilles* de Lewis Carroll ; - Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ; - Petit Bodiel et autres contes de la savane ; Il n’y a pas de petite querelle de Amadou Hampâté Bâ ; - Contes, Nouveaux contes d’Amadou Koumba de Birago Diop ; - La Belle Histoire de Leuk-le-lièvre de Léopold Sédar Senghor.

Histoire des arts, Premier degré Liste d’exemples d’œuvres « Arts du langage, Littérature » : Contes - Contes Russes, L’oiseau de feu. - Andersen, Le Petit soldat de plomb, La Petite sirène. - Grimm, Le Pêcheur et sa femme. - Daudet, La Chèvre de M. Seguin. - Perrault, Contes.

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MISE EN RESEAU :

PHILOSOPHIE

Michel Foucault Heterotopias « Il y a d'abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l'espace réel de la société un rapport général d'analogie directe ou inversée. C'est la société elle-même perfectionnée ou c'est l'envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement, essentiellement, irréels. Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture, sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerais, par opposition aux utopies, les hétérotopies ; et je crois qu’entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y aurait sans doute une sorte d’expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, après tout, c'est une utopie, puisque c'est un lieu sans lieu. Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s'ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d'ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent - utopie du miroir. Mais c'est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement et où il a, sur la place que j'occupe, une sorte d'effet en retour ; c'est à partir du miroir que je me découvre absent à la place où je suis puisque je me vois là-bas. À partir de ce regard qui en quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l'autre côté de la glace, je reviens vers moi et je recommence à porter mes yeux vers moi-même et à me reconstituer là où je suis; le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu'il rend cette place que j'occupe, au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l'espace qui l'entoure, et absolument irréelle, puisqu'elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas.

Quant aux hétérotopies proprement dites, comment pourrait-on les décrire, quel sens ont-elles? On pourrait supposer, je ne dis pas une science parce que c'est un mot qui est trop galvaudé maintenant, mais une sorte de description systématique qui aurait pour objet, dans une société donnée, l'étude, l'analyse, la description, la " lecture de ces espaces différents, ces autres lieux, une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l'espace où nous vivons; cette description pourrait s'appeler l'hétérotopologie. »28 28

Extraits de : Michel Foucault, Dits et écrits 1984, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.

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PSYCHOLOGIE

Bruno Bettelheim Les contes de fées et la conjoncture existentielle

« Les contes de fées ont pour caractéristique de poser des problèmes existentiels en termes brefs et précis. L’enfant peut ainsi affronter ces problèmes dans leur forme essentielle, alors qu’une intrigue plus élaborée lui compliquerait les choses. Le conte de fées simplifie toutes les situations. Ses personnages sont nettement dessinés ; et les détails, à moins qu’ils ne soient très importants, sont laissés de côté. Tous les personnages correspondent à un type ; ils n’ont rien d’unique. Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des histoires modernes pour enfants, le mal, dans les contes de fées, est aussi répandu que la vertu. Dans pratiquement tous les contes de fées, le bien et le mal sont matérialisés par des personnages et par leurs actions, de même que le bien et le mal sont omniprésents dans la vie et que chaque homme a des penchants pour les deux. C’est ce dualisme qui pose le problème moral ; l’homme doit lutter pour le résoudre. Le mal est présenté avec tous ses attraits – symbolisés dans les contes par le géant toutpuissant ou par le dragon, par les pouvoirs de la sorcière, la reine rusée de Blanche-Neige – et, souvent, il triomphe momentanément. De nombreux contes nous disent que l’usurpateur réussit pendant quelque temps à se tenir à la place qui appartient de droit au héros (comme les méchantes sœurs de Cendrillon). Ce n’est pas seulement parce que le méchant est puni à la fin de l’histoire que les contes ont une portée morale ; dans les contes de fées, comme dans la vie, le châtiment, ou la peur qu’il inspire, n’a qu’un faible effet préventif contre le crime ; la conviction que le crime ne paie pas est beaucoup plus efficace, et c’est pourquoi les méchants des contes finissent toujours par perdre. Ce n’est pas le triomphe final de la vertu qui assure la moralité du conte mais le fait que l’enfant, séduit par le héros s’identifie avec lui à travers toutes ses épreuves. A cause de cette identification, l’enfant imagine qu’il partage toutes les souffrances du héros au cours de ses tribulations et qu’il triomphe avec lui au moment où la vertu l’emporte sur le mal. L’enfant accomplit tout seul cette identification, et les luttes intérieures et extérieures du héros impriment en lui le sens moral. Les personnages des contes de fées ne sont pas ambivalents ; ils ne sont pas à la fois bons et méchants, comme nous le sommes tous dans la réalité. De même qu’une polarisation domine l’esprit de l’enfant, elle domine le conte de fées. Chaque personnage est tout bon ou tout méchant. Un frère est idiot, l’autre intelligent. Une sœur est vertueuse et active, les autres infâmes et indolentes. L’une est belle, les autres sont laides. L’un des parents est tout bon, l’autre tout méchant. La juxtaposition de ces personnages opposés n’a pas pour but de souligner le comportement le plus louable, comme ce serait vrai pour les contes de mise en garde […]. Ce contraste des personnages permet à l’enfant de comprendre facilement leurs différences, ce qu’il serait incapable de faire aussi facilement si les protagonistes, comme dans la vie réelle, se présentaient avec toute leur complexité. Pour comprendre les ambiguïtés, l’enfant doit attendre d’avoir solidement établi sa propre personnalité sur la base d’identifications positives. »29

29

Extrait de : Bruno Bettelheim, La psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976

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LITTERATURE

Kafka sur le rivage30, Haruki Murakami Le jeune narrateur - Kafka Tamura, 15 ans - s'est identifié au héros de La colonie pénitentiaire. Si ce texte l'obsède, c'est parce qu'il y voit une allégorie de son destin, et une description prophétique de la machine infernale qui va le broyer. Car Kafka Tamura, comme Œdipe, est un damné : une funeste prédiction lui a annoncé qu'il serait un fils parricide et incestueux... Pour échapper à ces démons qui le traquent, il s'enfuit de sa maison de Tokyo, erre à travers le Japon en écoutant les disques de Radiohead, et se réfugie dans une bibliothèque où l'attendent un étrange mentor et une walkyrie au visage terni par le chagrin. "J'ai l'impression de suivre un chemin que quelqu'un d'autre a déjà tracé pour moi" dira le héros maudit de Murakami, qui signe un récit orchestré comme une tragédie antique. A la confession de Kafka Tamura s'ajoute une autre histoire, celle du vieux Nakata, un handicapé mental qui semble tout droit sortir de L'idiot : ce clone du prince Mychkine a de la peine à communiquer avec les humains mais il n'a pas son pareil pour parler aux chats et pour déchiffrer les mystérieux présages du monde surnaturel. Entre Kafka Tamura et Nakata, entre l'enfant perdu et le mage amnésique, des fils invisibles se nouent peu à peu, dans les détours d'un scénario de plus en plus hypnotique, où les monstres et les anges dansent la même sarabande, où le cauchemar et la grâce se mêlent jusqu'au vertige. Sous la baguette d'un enchanteur qui puise ses sortilèges dans les pires noirceurs de la condition humaine. Kafka sur le rivage est un roman envoûtant.

« L'écrivain signe ici un livre aussi énigmatique qu’un rêve. En l’ouvrant, on traverse les miroirs : l'empire des signes est un empire des songes. Braconnier de l'invisible, explorateur de cette "inquiétante étrangeté" dont parle Freud, Murakami s'est imposé au Japon comme le seul auteur capable de prendre la relève des Mishima, des Kawabata, des Kenzaburô Ôé : il renoue avec la grande tradition nippone, afin de réconcilier littérature et métaphysique : ses chasses subtiles sont autant d'aventures spirituelles.

C'est le brouillage entre la réalité la plus brutale et l'irréalité la plus menaçante qui définit cet univers si singulier : ses héros sont des messagers de l'ombre, des colporteurs de ténèbres. Ils savent qu'il suffit d'un rien, d'un incident, d'un souffle, pour que les belles apparences se déchirent et que leurs destins basculent soudain dans d'insondables gouffres. "Le monde de l'inconscient est un mirage sans fond qui peut devenir effrayant", dit l'un d'eux.

Lire Murakami, c'est donc marcher vers l'inconnu, franchir des frontières et des passerelles au-delà desquelles des Orphée modernes cherchent leur Eurydice sans jamais la trouver. Kafka sur le rivage est un roman à la fois très japonais (un art de l'estampe, où les ombres sont toujours nimbées d'une lumière délicate) et très occidental, à cause des références littéraires : Sophocle, Shakespeare, Dostoïevski rôdent dans ce récit. »31

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Kafka sur le rivage, Haruki Murakami, Belfond, 2006

31

Source : extraits de l’article « Le passeur de l'invisible », André Clavel, L’Express, publié le 01/02/2006

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LITTERATURE DE JEUNESSE

À la croisée des mondes32, Philip Pullman Avec cette trilogie, Philip Pullman prouve qu’on peut s’adresser intelligemment au jeune public. Règle numéro un : ne pas prendre les enfants (et a fortiori les adultes) pour des idiots bien-pensants. Règle numéro deux : s’attarder sur des personnages crédibles, touchants et humains. Règle numéro trois : proposer un monde à la fois différent et crédible, mais suffisamment proche pour ne pas faire disparaître tout repère. Saupoudrer le tout de créatures fantastiques bizarres, absurdes, comiques et très sérieuses, finalement beaucoup plus efficaces que les sempiternels dragons. Remuer, ajoutez une pincée de mondes parallèles, et vous y êtes. Pourquoi la jeune Lyra, élevée dans l'atmosphère confinée d'une prestigieuse université anglaise est-elle l'objet de tant d'attention ? De quelle mystérieuse mission est-elle investie ? Lorsque son meilleur ami Roger, disparait, victime des ravisseurs d'enfants qui opèrent dans tout le pays, elle n'hésite pas à se lancer sur ses traces. Un voyage périlleux et exaltant lui apportera la révélation de ses extraordinaires pouvoirs et la conduira à la frontière d'un autre monde... Le jeune Will, lui, à la recherche de son père disparu depuis des années, est persuadé d'avoir tué un homme. Dans sa fuite, il franchit une brèche presque invisible qui lui permet de passer dans un monde parallèle. Là, à Citagaze, la ville au-delà de l'Aurore, il rencontre Lyra. Ensemble, les deux enfants devront lutter contre les forces obscures du mal et, pour accomplir leur quête, pénétrer dans la mystérieuse tour des Anges. Dans le troisième tome, Lyra, est retenue prisonnière par sa mère, Mme Coulter qui, pour mieux s'assurer de sa docilité, l'a plongée dans un sommeil artificiel. Will, armé d’un poignard subtil, s'est lancé à sa recherche, escorté de deux anges, Balthamos et Baruch. Avec leur aide, il parvient à délivrer son amie. Mais, à son réveil, Lyra lui annonce qu'une mission encore plus périlleuse, presque désespérée, les attend : ils doivent descendre dans le monde des morts...

Pullman réussit le difficile pari de faire exactement coïncider le plaisir des enfants et des adultes en trois romans menés de main de maître. Les royaumes du Nord, La tour des anges et Le miroir d’ambre se lisent comme une trilogie cohérente, axé sur une héroïne féminine nommée Lyra, âgée de 11 ans au début de l’histoire. S’y ajoute son pendant masculin, Will, lui aussi fraîchement éclos du monde des mômes et pas encore complètement convaincu qu’il ne va pas tarder à être un adulte comme les autres. Prendre une paire d’enfants pour personnages principaux est une vieille ficelle du genre, mais l’auteur évite soigneusement tous les pièges qui en découlent : aucun manichéisme n’est décelable, même chez les « méchants » dûment estampillés comme tels. Côté obscur des mondes décrits, l’Eglise officielle est remarquablement bien malmenée, le paradis et l’enfer jetés aux oubliettes. Quand les gens meurent, ils meurent. C’est triste, injuste et parfois choquant, mais c’est comme ça (De fait, Pullman propose une explication plus qu’intelligente à la question fatale que tout gamin a un jour posé « Où va-t-on quand on est mort ? »). De l’amour qu’éprouvent Lyra et Will, il est évidemment question, mais de manière subtile, touchante et tragique. Bref, tous les éléments requis sont présents pour faire de cette trilogie un monument d’invention et de suspense.

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A la croisée des mondes, L'intégrale (Les royaumes du Nord, La tour des anges et Le miroir d’ambre), Philip Pullman, Gallimard Jeunesse, Collection : Grand format littérature - Romans Junior, 2007

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Pour les plus petits Cycle 1 La Boîte Illustrations : Kevin O'Malley L’école des loisirs, 1993 C’est l'histoire d’un petit garçon qui s’invente un vaisseau à partir d'un simple carton et part à l'aventure : à bord de la boîte, tout est possible : s'envoler dans l'espace, amerrir sur l'océan et naviguer dans une cité habitée par un peuple étrange. Là, il va falloir libérer le pauvre Teddy qui est tombé entre les mains d'un bien sinistre personnage...

Cycle 2 Max et les Maximonstres Texte et illustrations : Maurice Sendak Première édition France: 1967 L'école des loisirs, 1973 Ce soir-là, Max a décidé de faire plein de bêtises. Sa mère le renvoie dans sa chambre. Une forêt commence à pousser, il part à l’aventure vers une île étrange remplie de monstres. Max est un petit garçon qui fait une immense colère. Plus sa colère est grande, plus le texte se retrouve évincé par l’image. La crise de Max atteint son apogée lorsque l’illustration occupe entièrement la double page. On note que la colère monte en 8 doubles pages et redescend en 4 doubles pages. Comme quoi il ne s’agit pas d’un retour au même point, mais bien d’une avancée, Max vient de passer l’âge de raison et renonce finalement à être le roi des Maximonstres.

Parci et Parla Texte et illustrations : Claude Ponti L'école des loisirs, 1994 Un nouveau matin commence pour un frère et sa sœur : Parci et Parla. Quand ils sortent de chez eux, ils rencontrent des cubes et des champignons qui volent, un petit chaperon rouge qui n'y voit plus rien parce que personne n'a ouvert son livre depuis longtemps et qu'il y fait noir... Et pendant ce temps, que font les poussins ? Un joli album de Claude Ponti qui, comme toujours, fait montre d'une imagination débridée et débordante dans une histoire pleine de trouvailles et de créativité. Les illustrations sont colorées et bourrées de détails amusants. Le texte est drôle : Ponti aime toujours autant les mots-valises et les rebondissements inattendus.

Cycle 3 La Craie magique Texte : Geneviève Brisac, Illustrations : Michel Gay L'école des loisirs, 2000 Violette n'aime pas aller au parc. Elle a beau le dire et le répéter, on l'y emmène quand même. Alors, quand elle y est, elle ne joue pas. Elle ne fait qu'une seule chose : elle creuse un souterrain pour s'évader. Mais aujourd'hui, pendant que Violette creusait, une petite femme très très vieille avec une très vieille petite voix s'est approchée d'elle et a laissé tomber une craie sur le sol. Il faut absolument que Violette ramasse cette craie. Car elle est magique. Elle a un pouvoir si extraordinaire que ce serait dommage de ne pas s'en servir, là, tout de suite.

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THEATRE

Joël Pommerat « Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles (…) Le texte, c’est la trace que laisse le spectacle sur du papier. On n’écrit pas un texte de théâtre. (…) L’essence du théâtre pour moi, ce n’est pas cela. Le théâtre se voit, s’entend. Ça bouge, ça fait du bruit. Le théâtre, c’est la représentation. (…) Quand je fais parler des gens sur scène, je me confronte à la question de la parole et des mots. Mais travailler le geste, l’attitude, le mouvement d’un acteur sera aussi important que travailler les mots. Je réfute l’idée d’une hiérarchie entre ces différents niveaux de langage ou d’expression au théâtre. La poétique théâtrale n’est pas seulement littéraire. »33 À venir : Programmes limitatifs des enseignements artistiques en classe terminale pour l’année scolaire 2013-2014 Théâtre - Enseignement de spécialité, série L - Joël Pommerat, Cendrillon

Après Le petit Chaperon Rouge en 2006 et Pinocchio en 2008, l’auteur‐metteur en scène revient aujourd’hui au conte dont il affectionne la dimension narrative et l’art d’exposer, sans résolution simpliste, les multiples facettes de questions complexes : le bien, le mal, la peur, la mort,… En réécrivant ses propres versions des contes traditionnels, il fait mine de nous emmener en pays connu (et, dit‐il, ce recours à un fond d’histoires partagées par tous met l’adulte et l’enfant en relation, crée un vrai lien dans le public) pour mieux ensuite dérouter nos imaginaires et nous inviter à opérer nos propres réappropriations d’un matériau très riche. Il dit aussi aimer sortir du sérieux de l’artiste qui ne créerait que pour un public « averti » d’adultes. Il se lance un défi car il y a une exigence véritable quand on travaille pour les enfants. Reprenant à son compte les motifs de Cendrillon, ses merveilles déployées sur fond de deuil difficile, de communication brouillée et de violences relationnelles, Joël Pommerat réécrit librement34. Sur la trame d’un conte déjà tant de fois transformé par la tradition orale, très provisoirement fixé d’abord par Charles Perrault puis par les frères Grimm et dont il existe de par le monde plusieurs centaines de variantes, il tisse sa propre vision de la jeune orpheline… Il mêle les éléments reconnaissables à d’audacieuses transfigurations, n’est fidèle qu’à ce qui le touche. Menant de front une écriture personnelle stimulée par la présence des acteurs et le travail minutieux de la lumière, des projections et du son, il crée pour la scène des images neuves et troublantes, désoriente l’oreille par l’apparente simplicité d’une langue tenue à l’essentiel, émeut par l’étrangeté d’un jeu dénué des théâtralités convenues. En le renouvelant, en l’habillant des pouvoirs illusionnistes du théâtre contemporain, il rafraîchit la puissance originelle du conte, sa texture à la fois familière et cryptée : un dédale de sens pour questionner la vie, qu’on ait 8 ou 88 ans, sans morale ou réponse toute faite... 33

Extraits de Troubles de J. Gayot et J. Pommerat, Ed. Actes Sud, 2009, p. 19‐21

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A écouter, jusqu’au 13/09/2014, l’émission qui lui fut consacrée sur France Inter : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=240031

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Quelques caractéristiques singulières de ce travail : - Usage du décalage - Confusion des rôles - Brouillage des générations et des identités - Gens ordinaires qui d’habitude n’ont pas la parole - Découpage en séquences très brèves - Grande fluidité de passage de l’une à l’autre - Refus du socialement correct - Ecriture simple, dépouillée, musicale. « La fée rate tous ses tours de carte, ne parvient pas à fabriquer la moindre robe de bal, fume comme un pompier et jure comme un charretier. Mais il est vrai que Cendrillon, qui s’appelle Sandra et que ses méchantes demi-sœurs surnomment Cendrier, est, elle-même, assez exaspérante : sa montre-réveil sonne toutes les cinq minutes pour lui rappeler qu’elle doit absolument penser à sa défunte mère et elle cultive son côté masochiste avec une ostentation d’ado en pleine crise. Quant à la méchante belle-mère, accro à la chirurgie esthétique, elle parviendrait presque à nous attendrir en voulant se forger un autre destin que le sien. Tout est bien là mais rien n’est pareil dans ce Cendrillon cruel et drôle, léger et profond, poétique et trivial, que Joël Pommerat a écrit et mis en scène au Théâtre de l’Odéon où il est artiste associé jusqu’en 2013. Après Le Petit Chaperon Rouge et Pinocchio, le créateur de la compagnie Louis Brouillard conclut ainsi son cycle consacré aux contes, récits qui parlent aux adultes comme aux enfants et que les psychanalystes nous ont appris à entendre différemment. Comme les précédents spectacles, cette Cendrillon a séduit public et critiques, unanimes et dithyrambiques. » Kathleen Evin, L'humeur vagabonde (archives France Inter du lundi 19 décembre 2012)

Crédit photographique : Cicci Olsson

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MUSIQUE

De la constitution d'une grammaire sonore du fantastique aux jeux sur l'horizon d'attente que crée cette dernière (qu'on songe par exemple aux musiques des films de David Lynch - et aux effets déceptifs dont elles jouent), on pourra s'interroger aussi bien sur la part de l'efficacité du fantastique musical qui revient en propre à la mise en œuvre d'une histoire étrange, qu'à sa prise en charge par une figure – et/ou une « voix » - surnaturelle(s) – ou, encore, à sa représentation par une rhétorique dans un espace sonore reconnaissable et/ou, justement, jouant de leur étrangeté acoustique à l'égard de l'œuvre où elles s'insèrent. Quels sont, par exemple, les moyens dont dispose la composition musicale d'une œuvre pour faire progresser celle-ci vers et dans ce moment de retournement du réel qui caractérise le fantastique ? Ces moyens sont-ils seulement – ou encore – de l'ordre de la fable, de celui du récit, de la narration, de l'aménagement de la représentation ? Ou bien doivent-ils leur puissance d'invocation, d'évocation, de retournement, au surgissement dans la diégèse de ce qui lui serait étranger : suspens discursif, pause orchestrale, développement lyrique, moment de vacuité etc.?

« Dans les œuvres fantastiques, la musique n’est plus un simple décor, elle symbolise tout le drame et plonge l’auditeur dans l’action. Déclencheur des évènements, elle tient le spectateur en haleine. Le genre du fantastique est propice aux nouvelles sonorités afin de créer des sensations d’insécurité ou d’instabilité. Les compositeurs cherchent avant tout à produire une atmosphère, une couleur, un climat particulier. Ils multiplient les impressions confuses, les nuances subtiles, les harmonies instables et développent ainsi une grande puissance de suggestion. Afin d’obtenir des impressions d’étrangeté, les compositeurs étendent les possibilités de l’orchestre, en utilisant par exemple les tessitures peu communes des instruments. La multiplicité des nouveaux alliages va permettre aux musiciens de laisser libre cours à leur imagination. Grâce à ces nouveaux mondes sonores, les compositeurs traduisent des situations inquiétantes et nous font croire à l’invraisemblable ! »35

David Lynch est un metteur en scène soucieux de l’homogénéité de ses films, tant sur le plan formel qu’émotionnel. Pour cette raison, il ne laisse à personne le soin de prendre en charge le travail du son, élément primordial s’il en est, pour accompagner l’image dans la perception que le spectateur doit en avoir. Depuis ses débuts, Lynch accorde au son une intimité rare douée d’une réflexion concrète sur l’efficacité de celui-ci et sa fusion organique avec l’image. Ainsi, le réalisateur s’enferme-t-il des semaines durant dans le studio d’enregistrement qu’il s’est aménagé chez lui pour travailler, retravailler, innover, expérimenter toutes sortes d’échantillonnages sonores destinés à accompagner l’image de ses films, d’en alourdir le sens, la tension, le malaise. Le son définit l’image, qui résulte finalement en partie de la création de celui-ci. Les musiques de ses films sont toutes structurées de la même façon, axées autour de nappes sonores, brumeuses à souhait, composées par Badalamenti, et aux côtés desquelles s’articulent des morceaux de jazz des années 50 et des partitions classiques. C’est la rencontre avec Angelo Badalamenti peu avant Blue Velvet qui va pousser David Lynch à s’intéresser de près à la musique, lui qui y était complètement extérieur et qui ne se concentrait que sur les effets sonores. Il découvre, à l’écoute des partitions du compositeur, qu’une osmose parfaite se lie entre son propre monde visuel et les couches musicales 35

Extraits du dossier pédagogique L'orchestre c'est fantastique !, Concerts éducatifs, Cité de la musique

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atmosphériques qui viennent se poser sur les images. Les deux univers n’en forment qu’un et David Lynch soumet subtilement la musique aérienne et lancinante de Badalamenti aux scènes fortes de ses films.

Quelques œuvres musicales à (re)découvrir : -

Le Roi des Aulnes de Franz Schubert sur un poème de Goethe (1815) Une nuit sur le mont Chauve, poème symphonique de Modeste Moussorgski (1867), réorchestré par Nikolaï Rimski-Korsakov en 1908 La symphonie fantastique, de Berlioz (1830) Thèmes de Twin Peaks ou de Mulholland drive, d’Angelo Badalamenti

OPERA

La flûte enchantée, dont la première représentation eut lieu le 30 septembre 1791, relève de l’esthétique du merveilleux et du spectaculaire propre au monde baroque. Mozart aurait lui-même activement participé à l’écriture du livret inspiré d’un conte oriental. C’est le récit d’une initiation : l'œuvre nous conduit à travers les aventures du prince Tamino, parti délivrer la jeune Pamina enlevée par le mage Sarastro. Accompagné de l’oiseleur Papageno, le prince Tamino doit affronter des épreuves redoutables afin de rejoindre sa belle... Histoire des arts, Premier degré Liste d’exemples d’œuvres « Les Temps modernes : Arts du spectacle vivant » Un extrait de La flûte enchantée de Mozart

« Avec son opéra le Freischütz, Weber inaugure un genre dont les futures générations vont raffoler. Ici, toutes les saveurs du fantastique sont réunies : nuit, forêt obscure, surnaturel, pacte avec le diable... Le compositeur innove par la force de l’écriture orchestrale. Chaque instrument se voit attribuer un rôle caractéristique. Ainsi le cor symbolise-t-il la forêt et les chasseurs, le basson s’identifie-t-il à la nuit, la petite flûte au monde maléfique… »36

Quelques œuvres à (re)découvrir : - La flûte enchantée de Mozart (1971) - Le Freischütz, de Carl Maria von Weber (1821) - Faust, de Charles Gounod (1859)

36

Ibid.

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CINEMA

Explicitement magiques, les innombrables lanternes qui apparurent vers 1660 préfigurèrent la multiplication et le succès d’un certain nombre d’appareils chargés de rendre l’image “vivante”. De fait, le Thaumatrope (1625, Fitton et Paris) utilisera ingénieusement la persistance rétinienne pour fondre deux dessins respectivement inscrits sur le recto et le verso d’un disque de carton que l’on fera tout simplement tourner. Le Zootrope (1834, Horner), le Praxinoscope (1877, Reynaud) et le Théâtre optique (1888, Reynaud) jalonnent ensuite les prodigieux progrès effectués par la science dans ce domaine. Pellicule de 35 millimètres à deux rangées de quatre perforations par image (Thomas Edison, vers 1885), Kinétoscope (Edison, 1894) et puis, surtout, le Cinématographe Lumière (1895) : la fin du XIXe siècle accouche d’un nouvel art qui, outre son naturel statut de media, relève d’abord du pur spectacle et constitue un objet de fascination. De toutes les émotions provoquées par le cinéma, la peur est sans doute la première de toutes. On raconte que les spectateurs de L'Entrée du train en gare de la Ciotat (1896) des frères Lumière quittèrent la salle, terrifiés par ce train qui fonçait vers eux. A leur suite, des générations de spectateurs allèrent chercher le frisson dans les salles obscures. Aujourd'hui encore le « fantastique » au sens large est sans doute le plus populaire parmi les genres cinématographiques. Les pionniers comme Georges Méliès en France ne tardèrent pas à explorer les possibilités du cinématographe, notamment les premiers trucages permettant d'introduire l'étrange dans un univers réaliste. Leurs successeurs seront plus timides, sans doute par crainte de la censure, jusqu'à ce que l'expressionnisme allemand ne libère l'imaginaire en proposant des visions hallucinées du réel (Le Cabinet du Dr Caligari, R. Wiene, 1919). Le Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922) peut être considéré comme le premier chef d'œuvre du fantastique. C'est dans les années trente, aux Etats-Unis, que ce genre va trouver ses lettres de noblesse, à la faveur de la crise économique : avec ses monstres imaginaires et ses dangers fantasmatiques, il est propice à faire oublier au public ses soucis quotidiens. Ainsi, King Kong d'Ernest B. Schoedsack et Merian Cooper deviendra-t-il un des rares mythes modernes.37

Georges Méliès : l’Enchanteur « Personnage simultanément réalisateur, scénariste, interprète, décorateur, costumier et créateur d’effets spéciaux, il est reconnu pour sa mise en scène du « fabuleux ». Celle-ci implique l’exécution de trucages - qui étaient évidemment perçus comme inédits en 1900. L’inventivité, l’habileté et la débrouillardise se posent comme les premiers facteurs de réussite. Deux innovations particulières retiennent l’attention : - La substitution - ou “arrêt de caméra” - permet de remplacer un être ou un objet par un autre. Alors qu’il visionnait une série d’images filmées place de l’Opéra, le cinéaste constate qu’un omnibus a disparu pour laisser place à un étrange corbillard. L’artiste saisit rapidement la cause du problème. La pellicule s’était bêtement bloquée quelques instants (le temps d’imprimer les premiers mouvements de l’omnibus) pour se redéclencher lors du passage du second véhicule. Couper, intervertir les comédiens ou les matières inanimées, réactiver la caméra et effectuer de minutieux 37

Source : France Télévisions, Culture Lycée, Cycle « Le cinéma fantastique » – Dossier de présentation

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-

collages, le réalisateur soumet le cadre référentiel aux facultés quasi divines de l’appareil. La surimpression (fondée sur un rembobinage de la pellicule) facilitera le surgissement de spectres et d’incroyables démultiplications.

En 1897, l’auteur du Voyage dans la lune aménage, à Montreuil, un grand hangar en salle de travail, il l’’équipe d’une structure de plus en plus perfectionnée. Ce studio s’inspire des machineries théâtrales. La création de décors peints, de costumes - souvent extravagants, d’accessoires et de maquettes, reflète la multiplicité des compétences de l’homme qui s’inspire, par ailleurs, allègrement du patrimoine littéraire (Jules Verne et Wells). Le DVD La magie Méliès38 plonge directement le spectateur au sein de quinze mondes merveilleux. Ces derniers figurent le bien-fondé d’une réputation - laquelle accorde au cinéaste un rôle prépondérant dans l’émergence des tout premiers effets spéciaux. Proprement géniaux, les trucages font presque office de problématique puisque chargés de matérialiser le soubassement extraordinaire des univers filmés. Démultiplications de têtes (“Un homme de têtes”, 1898; “Le mélomane”, 1903: “L’homme-orchestre”, 1900), dilatation simple effet de travelling avant - d’un visage (“L’homme à la tête de caoutchouc”, 1901), disparitions d’objets et personnages (“Les cartes vivantes”, 1904; “Le locataire diabolique”, 1909) ou métamorphoses ( “Voyage dans la lune”, 1902; “Barbe bleue”, 1901) prévalent sur des histoires dont les motifs fantastiques s’érigent comme de paradoxales mises en abyme. La confection du trucage gouverne un contenu qui, en dépit de ses assises référentielles, demeure un simple comparant métaphorique. »39 La naissance rapide de l’industrie cinématographique, la montée en croissance des géants Pathé, Gaumont, Eclair, ont su imposer une autre économie, d’autres structures, un cinéma plus réaliste, moins rêveur. Ces trois sociétés, aux structures financières solides, ont chassé des écrans les films féériques de Méliès, dont le style, avant la Grande Guerre, devient totalement obsolète. Après avoir tenté de collaborer avec Charles Pathé et avoir connu de graves échecs financiers, Méliès arrête sa production cinématographique en 1913. Il connaît alors la gêne. Le public l’oublie totalement. Il anime le théâtre des Variétés à Montreuil mais, après la guerre, il doit gagner sa vie en vendant des jouets à la gare Montparnasse. Scorsese, dans son film Hugo Cabret, rendait, l’an passé, un splendide hommage à ce cinéaste magicien, inventeur de l'illusion cinématographique.

« Du trucage aux effets spéciaux », de Méliès à Tim Burton, Terry Gilliam, Michael Snow ou Michel Gondry… Autant d’univers à faire découvrir à nos élèves !

38

Méliès : le cinémagicien, coffret DVD (documentaire de Jacques Mény accompagné de films de Méliès), Arte Vidéo, 1997, 222 mn 39

Source : Extrait d’une chronique de Cécile Migeon présentant la récente édition « prestige » du DVD. Site http://www.devildead.com

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ARTS PLASTIQUES

... SINGULIER, INSOLITE, INCONGRU, ETRANGE, TROUBLANT, MECONNAISSABLE, EXTRAORDINAIRE, EFFRAYANT... Bestiaires fabuleux : hybrides et autre monstres Dès l’Antiquité, les mosaïques et les peintures des vases grecs à figures noires et rouges témoignent d’histoires dans lesquelles abondent de drôles de créatures. Les mythes sont remplis d’hybrides vaincus par des héros : - Héraklès et l'Hydre de Lerne, - Persée et la Méduse, - Thésée et le Minotaure... Plus tard, monstres, démons et merveilles - représentatifs de l'imaginaire des artisans de l'époque médiévale où le merveilleux côtoyait si facilement le quotidien - peuplent l'art roman. Le bestiaire40, du XIe au XIIIe siècle, est sculpté dans la pierre des églises, tissé dans les tapisseries, décrit et peint dans les manuscrits ornés d’enluminures. Les créatures fabuleuses sont l’œuvre de Dieu, au même titre que les autres. Cependant le christianisme a peu inventé de créatures étranges. Il a su les récupérer, le plus souvent, dans les cultures grecques, égyptiennes, sumériennes. Accepter l’existence d’un monstre exige néanmoins une conscience capable de se détacher du visible (on ne rencontre pas tous les jours une serre, une licorne ou un dragon au coin d’un bois…) et d’accepter sans partage la parole de Dieu et les lois qui en découlent. La création d’animaux étranges obéit à des motivations psychologiques complexes. Elle est le fruit d’un mélange inconscient de désirs et d’angoisse. « C’est le sommeil de la raison qui engendre les monstres », affirmait Goya. Programmes limitatifs des enseignements artistiques en classe terminale Arts plastiques - Option facultative toutes séries - pour l’année scolaire en cours et en 2013-2014 Joan Fontcuberta, série Fauna (Faune). Photographe contemporain catalan mais aussi diplômé en sciences de l'information, Joan Fontcuberta fait œuvre d'analyste exigeant de la transmission de l'information et questionne pour cela toutes les formes de prétendues vérités. Sa démarche est simulatrice et s'appuie sur les possibilités offertes par l'image photographique et ses capacités de manipulation. La série « Faune », créée entre 1985 et 1989, est un mélange de photographies, textes, cartographies, schémas, vitrines et vidéos dont l'installation simule avec force détails les découvertes faites par un soi-disant professeur Ameisenhaufen, zoologiste de son état. Par l'insolite et le vraisemblable, Joan Fontcuberta gagne la confiance du spectateur...

Ressemblances formelles, associations, rencontres insolites Léonard de Vinci encourageait ses élèves, pour nourrir leur imaginaire, à observer les taches de moisissure sur les murs ou les circonvolutions des nuages dans le ciel. Autant de matières susceptibles d’alimenter ce que l’on pourrait appeler un « art de l’invention ». Selon lui, observer la nature permettrait d’y découvrir des compositions extraordinaires, des batailles d’animaux, des paysages et des monstres, « des diables et autres choses fantastiques ». Cette pratique de la lecture des formes, des images, des signes, dans les 40

Voir l’exposition qui lui a été consacrée à la BnF, http://expositions.bnf.fr/bestiaire/index.htm

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endroits les plus inattendus, favorise la liberté d’invention et le développement des facultés qu’a l’homme à transgresser le réel. Le peintre milanais Giuseppe Arcimboldo (1526-1593), qui a feuilleté dans sa jeunesse les carnets de croquis où Léonard de Vinci dessinait des êtres fantastiques, a créé des œuvres étranges, capricci, ou ghiribizzi, simulations fantaisistes de têtes anthropomorphes composées à partir de représentations de plantes, fruits, animaux et autres. Les éléments sont juxtaposés et combinés, leur forme se substituant à celle des constituants habituels d’un visage. De nombreux créateurs peuvent se voir convoqués au titre de l’étrangeté : Bosch, Bruegel, Füssli, William Blake, Goya, Redon... Au XXe siècle, le groupe des Surréalistes se forme dans un esprit de révolte. Tout comme le mouvement Dada, auquel certains ont appartenu, ces artistes dénoncent l’arrogance rationaliste de la fin du XIXe siècle mise en échec par la guerre. Constatant néanmoins l’incapacité du Dadaïsme à reconstruire des valeurs positives, les Surréalistes s’en détachent pour annoncer l’existence officielle de leur propre mouvement en 1924. André Breton prend en compte la découverte de la psychanalyse et affirme l’importance du rêve dans la création. Dans son manifeste, il affirme : « Le Surréalisme repose sur la croyance en la réalité supérieure de certaines formes d'association négligées jusqu'à lui, à la toutepuissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. » Cadavre exquis, collage, photomontage, décalcomanie, frottage, assemblage : autant de procédés qui sont mis au service de l’onirisme.

Ombres L’allégorie de la caverne de Platon met en scène des hommes enchaînés ignorant tout du monde et de la réalité - qu’ils ne perçoivent qu’à travers les ombres projetées sur les parois de leur grotte. Ce récit révèle la nature complexe de l’ombre : elle est preuve d’existence, trace de présence mais aussi déformation, tromperie. L’ombre qui cache, qui enveloppe les objets de mystère, inquiète. Elle est métaphore de l’inconscient et renvoie à un monde fantastique dans lequel le surnaturel fait irruption dans la réalité. Le « théâtre d'ombres » consiste à projeter sur un écran des ombres produites par des silhouettes que l'on interpose dans le faisceau lumineux qui éclaire l'écran. Les plus connues sont probablement les ombres chinoises PiYing et les wayang kulit d'Indonésie. Le théâtre d'ombres a des origines très anciennes. La tradition fait de la Chine son lieu de naissance (la fameuse ombre chinoise). Il est rapidement devenu une forme particulièrement séduisante de spectacle populaire. Dans son installation Théâtre d'ombres (1984), Christian Boltanski choisit la mise en scène théâtrale pour opérer une mise à distance du spectateur. Le procédé est simple : quelques figurines métalliques découpées s’agitent au souffle d’un ventilateur et à la chaleur des spots, projetant sur les murs des ombres dansantes, spectrales, inquiétantes, symboliques. L’artiste choisit volontairement un dispositif rudimentaire et sans secret pour ne pas détourner l’attention de l’émotion, des souvenirs des jeux et des peurs infantiles mêlés de mysticisme - souvenirs enfouis d’une humanité crédule. Chaque visiteur y reconnaît quelque chose de lui-même, notamment ses propres terreurs. Echelle : gigantesque ou minuscule On retrouve le terme d’échelle en géographie, sur des plans, des cartes … C’est une référence qui fixe par convention des équivalences de dimensions et qui permet de se représenter la taille réelle d’un objet ou d’un espace. Les géographes et les géomètres

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emploient ce mot dans un sens spécifique : une carte à grande échelle représente une portion de terrain réduite ; une carte à petite échelle, le vaste monde. Dans les décalages opérés dans le domaine littéraire, on pense, bien sûr, à Gargantua - personnage qui transparaît dans d’innombrables traditions populaires41.- et aux Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1721). Dans celui des arts plastiques, bien des créateurs se sont emparés de ces étranges rapports de mesure et en ont alimenté leurs œuvres. La question de l'échelle est centrale dans les arts plastiques. Elle permet de se rendre compte du rapport de taille entre deux objets. Le surdimensionnement provoque l'étonnement. La miniaturisation d’un personnage nécessite l’hypertrophie de son environnement. Cette perturbation des repères introduit l’extraordinaire dans le banal, l’inefficace dans le fonctionnel et la menace dans l’inoffensif. Jean de Bologne, Goya, Louise Bourgeois (Maman), César (le Pouce), Claes Oldenburg, Ilya et Emilia Kabakov ("Où sommes-nous ?", les Abattoirs, 2005), Do Ho Suh (Floor), Ron Muek - et bien d’autres - ont usé de la démesure, du colossal au minuscule, dans leurs travaux. À venir : Programmes limitatifs des enseignements artistiques en classe terminale Arts plastiques - Option facultative toutes séries Pour l’année scolaire 2013-2014 : Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen, La bicyclette ensevelie, Parc de la Villette, Paris, 1990. En prenant ainsi pour modèles des objets de la grande consommation, ces deux artistes inscrivent cette œuvre parmi celles qui caractérisent pleinement le Pop Art. Au-delà de la monumentalité de l'échelle de représentation proposée, cette sculpture a pour particularité de ne pas présenter la vision globale de l'objet, mais de fractionner celle-ci en un jeu de cache-cache qui contraint le spectateur à une reconstruction mentale de l'image. Cette œuvre permet donc d'enrichir la question de la représentation de la banalité dans un dispositif de présentation singulier.

Couleur Physiquement, cette sensation visuelle provoquée par la lumière émane de sources lumineuses ou est diffusée par des corps. On pourrait croire que l’imitation, définie comme la reproduction fidèle du monde sensible, constitue le but essentiel de l’art. Or, cette définition ne lui assignerait que le but de copier, aussi bien que possible, les apparences du monde visible. Condamné par Platon et réhabilité par Aristote, ce concept d’imitation a toujours été examiné, redéfini. La peinture utilise des artifices pour interpréter le réel, or, ces conventions codifiées furent grandement contestées à la fin du XIXe siècle. Le rejet des couleurs référentielles apparut avec le Fauvisme qui, à partir de 1905, rompait radicalement avec les conventions figuratives mimétiques. Plus proche de nous, un peintre comme Monory utilise le camaïeu. Il s’en explique : « Le bleu m’a semblé être tout à fait juste pour mon propos. Cela me permettait de prendre de la distance par rapport à ce que je représentais tout en ayant le plaisir de le faire passionnément glacé. Le bleu est ordinairement considéré comme la couleur du rêve, de la nuit. J’indique ainsi par là que cela n’a pas à voir avec une seule réalité, que c’est une projection mentale. De plus, le bleu est une couleur très pratique parce qu’il a une gamme de valeurs très étendue. Très foncé, il arrive au noir et, très clair, il peut aller jusqu’au blanc. Ce qui n’est ni le cas du jaune, ni du rouge qui devient assez moche quand il est dégradé. Le bleu, c’est comme si l’on peignait en noir et blanc et que cela éclate comme une couleur pure. »42 41

Derrière le géant truculent et glouton se cacherait une très ancienne divinité gauloise nommée Gargan, apparemment bienveillante qui remonte peut-être, comme l’édification des pierres dressées, au-delà des Celtes, comme l’affirme G. E. Pillard dans Le vrai Gargantua. Mythologie d’un géant.

42

Extrait de l’entretien mené par Philippe Piguet, « Jacques Monory ou la peinture comme crime », L'œil, n° 533 - Février 2002

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Déformation « De la déformation classique et, sauf jeux plastiques (l’anamorphose, notamment), on relèvera qu’elle trouve le plus souvent sa justification dans l’intention de l’artiste de signifier un désordre d’ordre symbolique ou sensible. Accentuer, c’est faire valoir une distorsion dans l’ordre des choses, distorsion que la représentation reprend à son compte en se distordant elle-même. » Paul Ardenne43 « La déformation « est une modification des formes par rapport à la perception courante (et admise) d’un objet représenté. Le terme réfère souvent à l’anatomie humaine ou à la botanique, et implique alors l’idée de monstruosité. On trouve des déformations de corps des visages, des gestes, des volumes, de la perspective, des proportions et de l’échelle. »44. Les déformations ont souvent une visée expressive. L’artiste recherche une expressivité en exagérant les lignes, les contours de ses modèles. Les exemples abondent : les corps hypertrophiés des déesses mères dans l’art primitif, l’accentuation des expressions dans les corps souffrants, comme celui du Christ peint par Grünewald, les élongations de parties du corps dans le maniérisme, comme la Madone au long cou de Parmesan, les exagérations des traits du visage dans l’art de la caricature depuis Quentin Metsys jusqu’à Daumier. Les déformations et distorsions apparaissent aussi chez les artistes, qui cherchent à traduire leur émotion personnelle comme Munch avec son tableau emblématique Le Cri ou comme Bacon. Chez les expressionnistes, la réalité se transforme en un processus dramatique et explosif : les arbres et les hommes se tordent, animés par la même angoisse dans un espace qui paraît soit réduit par l’effroi, soit dilaté de façon telle que les limites du tableau peuvent à peine le contenir. [...] Le cas particulier des déformations optiques : L’anamorphose est d’abord le résultat d’une déconstruction géométrique de l’image qui précède son redressement perceptif au moment de sa lecture, laquelle se fait obliquement ou par l’intermédiaire d’un miroir. Elle place le spectateur devant une énigme, dont la résolution provoque une surprise ou un émerveillement. On étend parfois ce mot aux déformations perspectives insolites dues aux distorsions permises par l’appareil photo. Une distorsion est une déformation par déplacement des points d’une configuration selon un mouvement tournant ou des lignes courbes. Dans les arts, elles donnent des représentations étranges où les êtres prennent des aspects grotesques ou énigmatiques, ou fantastiques et hallucinants. Les XVIIe et XVIIIe siècles ont cultivé les anamorphoses catoptriques, c’est-à-dire des images distordues qu’on rend à leur première apparence en les reflétant dans un miroir conique ou cylindrique. »45

Inversion, détournement Quelle est notre perception du réel, comment l’interpréter ? Une fois encore, il convient d’établir une distinction entre le réel et la réalité. La réalité est le monde tel que nous le percevons avec nos sens et notre intelligence. Par contre, le réel se définit à partir d’une limite du savoir, non appréhendé mais plutôt cerné et déduit, c’est l’impossible à décrire donc l’impossible à dire. L’interprétation est une construction mentale, une tentative de compréhension de la réalité. Mais interpréter le réel est plus ambitieux dans la mesure où le postulat de départ repose sur « l’impossible à dire ». L’interprétation est donc supposition subjective et non certitude. Il faut accepter de perdre pied. Certains plasticiens nous y invitent grandement :

43

Paul Ardenne, L'image corps : Figures de l'humain dans l'art du XX siècle, Editions du Regard, 2001

e

44

Etienne Souriau, Ibid.

45

Michèle Compain, Catherine Donnefort, Armelle Samzun, fiche vocabulaire pour le FDAC91 http://www.fdac91.ac-versailles.fr/spip.php?article91

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« Annette Messager crée, depuis le début des années 1970, une œuvre singulière dans laquelle se mêlent, sur le mode de la collection, du bricolage et du jeu d’enfant, des éléments de différentes natures, tels photographies, dessins, broderies, objets manufacturés, animaux naturalisés. Son univers, empreint d’humour [...] traque le monde à travers ses vestiges, à la manière d’un ethnologue. À partir de 2001, l’artiste crée de grandes et sombres installations animées par d’inquiétantes mécaniques, qui mettent en scène des corps fragmentés ou disloqués, métaphores de déchirements existentiels ; elles empruntent à l’univers du théâtre, du cinéma expressionniste ainsi que du conte populaire, comme dans Casino, l’installation en 3 temps réalisée à l’occasion de la Biennale de Venise, dont le pantin Pinocchio était le fil rouge. Lointainement inspirée de l’univers de Swift dans ses Voyages de Gulliver, l’exposition qui lui est consacrée à Strasbourg explore un registre relevant du fantastique ou de la sciencefiction, pour mettre en scène les pathologies du monde contemporain en une manière de conte philosophique ou de fable politique. L’esprit de jeu et de dérision qui lui sont familiers allègent la gravité de son propos, tenant à distance l’effroi par l’évocation du monde de l’enfance. »46 « À la fois sombre et émerveillé, le monde de Stéphane Thidet offre des visions distordues de la réalité. Ses œuvres suggèrent un ailleurs, une fiction non accessible mais perceptible, qui confronte le spectateur à un nouvel «état des choses». Souvent liées à l’enfance ou au divertissement, elles dévoilent une certaine perte d’innocence, une inquiétude qui, par l’état de tension permanent qu’elle suppose, provoque une agitation, un tumulte intérieur fécond. Comme pour Alice aux Pays des merveilles, dans l’univers de Stéphane Thidet, les choses et les situations se soustraient à un usage habituel du monde au profit d’une réalité hybride, qui installe un jeu de lectures croisées. »47 Avant toute reconnaissance ou intelligence du regard, les dispositifs de l'artiste sont des « pièges à raison » qui fonctionnent à partir du jeu et du rite, de la frustration et du doute. La question de l’échelle, l’inquiétante familiarité et le renversement des données temporelles et/ou spatiales constituent les éléments d’un scénario qu'il nous invite à expérimenter face à son Refuge, par exemple. Pierrick Sorin, quant à lui, réalise des courts-métrages et des dispositifs visuels dans lesquels il questionne avec humour et désespoir, tel un leitmotiv sous-jacent, la condition humaine, la place et le rôle de l’artiste ainsi que le processus créatif. Pour ce faire, il adopte une démarche humoristique à la croisée de la magie et du burlesque. Il n’a de cesse de manipuler les codes de l’audiovisuel et de détourner les stéréotypes. Acteur principal de ses œuvres, il investit le rôle de l’antihéros dans des situations absurdes et facétieuses - autant de clins d’œil aux illustres Buster Keaton et Jacques Tati. S’inscrivant dans l’héritage de Charles-Émile Reynaud, Pierrick Sorin réinvente avec fantaisie les Petits théâtres optiques48, mélanges d’ingénieux bricolages et de technologies nouvelles, qui lui permettent d’apparaître comme par magie sous forme de petit hologramme parmi des objets réels et des saynètes loufoques.

46

Source : Musée d’Art moderne et contemporain, Strasbourg, communiqué de presse de l’exposition « Continents Noirs » (jusqu’au 3 février 2013)

47

Sophie Kaplan, directrice du Crac Alsace

48

Cf. Le visualiseur personnel d'images mentales (Démonstration d'une machine à lire les rêves), 2004, Collection des Abattoirs

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux : ARDENNE Paul, L'image corps : Figures de l'humain dans l'art du XXe siècle, Editions du Regard, 2001 ARISTOTE, Poétique, Livre de poche, 1990 BETTELHEIM Bruno, La psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976 CHEVALLARD Yves, La transposition didactique, Ed. La pensée sauvage, 1991 FOCILLON Henri, Vie des formes (1934), rééd. PUF, 2010 FOUCAULT Michel, Dits et écrits 1984, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984 GAYOT J. et POMMERAT J., Joël Pommerat, troubles, Editions Actes Sud, Collection Art du Spectacle, septembre 2009 LEVI-STRAUSS Claude, « La structure et la forme. Réflexions sur un ouvrage de Vladimir Propp », Cahiers de l’institut de sciences économiques appliquées, 1960 PILLARD Guy-Edouard, Le vrai Gargantua, mythologie d'un géant, Editions Imago, 1987 SOURIAU Etienne, Vocabulaire d’esthétique, PUF, 1990

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Service Educatif Les Abattoirs- Frac Midi-Pyrénées -– Evelyne GOUPY – Exposition L’art au pays des merveilles– 2012-13