Le Roman de Renart - Magnard

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Le Roman de Renart. Collection animée par. Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky. Classiques. Contemporains. &. LIVRET DU PROFESSEUR établi par .
Classiques

& Contemporains

Collection animée par

Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky

Le Roman de Renart

LIVRET DU PROFESSEUR établi par

A NNE L ETEISSIER professeur de Lettres

SOMMAIRE DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE Le Roman de Renart : genèse et prolongements ..................... 3 La littérature animalière au Moyen-Âge

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POUR COMPRENDRE : quelques réponses, quelques commentaires Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4 Étape 5 Étape 6 Étape 7 Étape 8 Étape 9

« Les enfances de Renart » ............................................ « Le puits » : la chute de Renart .................................. « Le puits » : Isengrin piégé .......................................... « Renart et les anguilles » ............................................ « Renart et les anguilles » : la tonsure ............... « Renart et les anguilles » : la pêche .................. « Renart et Tibert le chat » ........................................... « Renart, Tibert et l’andouille » ............................... « Renart et Chantecler » ................................................

Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq

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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE Le Roman de Renart : genèse et prolongements Si Le Roman de Renart a connu un grand succès populaire, il n’en est pas moins d’abord une œuvre de lettré inspirée de récits d’animaux écrits en latin qui existaient déjà tels que : Versus de Gallo (« Poème du Coq »), Gallus et Vulpes, (« Le Coq et le Renard ») datant du XIe siècle, et surtout l’épopée animale intitulée Ecbasis cujusdam captivi per tropologiam, (« Moralité sur l’évasion d’un prisonnier ») qui raconte l’évasion d’un moine, un veau, séduit par un laïc, lequel est un loup, et sauvé par un « renard monastique ». Autour de 1150 apparaît un autre poème latin, en vers, qui raconte la lutte du renard et du loup : l’Ysengrimus, du nom du loup. Le renard s’appelle Reinardus. L’ auteur est un moine de Gand : Nivard. Le Roman de Renart est composé de vingt-cinq branches indépendantes, dont la plus ancienne a été écrite par Pierre de Saint-Cloud. On a pu reconstituer la chronologie des différentes branches : • entre 1170 et 1190 : branches II, Va, III, IV, XIV, I X, V, XV ; • entre 1190 et 1205 : branches VI, XII, VIII, VII, XI, IX, XVI, XVII ; • entre 1205 et 1250 : branches XIII, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XVIII ? XIX, XX, XXI. La branche II comprend : « Chanteclerc », « Renart et la Mésange », « Renart et Tiercelin », « Tibert et le viol d’Hersent ». Cette branche a été prolongée par de nombreuses suites dès la fin du XIIe siècle. Ainsi la branche I est la suite logique de la II, mais elle est traditionnellement toujours placée en tête des manuscrits. Elle comprend : « Le jugement de Noble le lion », « Le siège de Maupertuis », « Renart teinturier ». En relation directe avec la branche II vont s’ajouter : « Le serment de Renart », « Renart, Isengrin et le jambon », « Renart et Frobert le grillon », « Renart, Tibert et l’andouille », puis les branches qui racontent les anguilles et la pêche d’Isengrin, celles de Renart et Isengrin dans le puits, et Renart et Primaut, un cousin d’Isengrin.

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Ainsi, branche après branche, Le Roman s’est étoffé et le personnage de Renart quelque peu modifié. De fripon, menteur et rusé mais plutôt sympathique, il est devenu le symbole du mal que sa couleur rousse rappelle constamment. Les textes se font plus satiriques et plus polémiques que vraiment divertissants. Dès la fin du XIIe siècle, un auteur alsacien, Henri le Glichezaere, compose un récit cohérent des aventures de Renart. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Rutebeuf rédige Renart le bestourné (« Le retournement de Renart »), texte écrit contre l’interdiction de fête et divertissement imposée par Saint Louis. Ménestrels et poètes n’étaient plus accueillis à la Cour ou chez les grands seigneurs. Renart y symbolise la ruse et l’hypocrisie religieuse des moines cordeliers. Deux autres prolongements apparaissent ensuite : Renart le nouvel, de Jacquemart Gielée, qui fait vraiment de Renart une figure diabolique et Renart le contrefait, poème didactique très long, sorte d’histoire universelle dont les événements du monde se rapportent à Renart, écrit par un clerc de Troyes entre 1320 et 1340. En 1314, Le Roman de Fauvel, de Gervais du Bus prend Renart pour modèle de son personnage, un monstre, incarnation de tous les vices. Le Roman de Renart fut aussi traduit et imité en Europe, en particulier par un poète néerlandais Wilhem, qui écrivit un Reineert proche de la première branche qui fut ensuite traduit en bas-saxon, puis en allemand, sous le titre Reinart de Vos, version du Roman de Renart qui inspira à Goethe son Reinecke Fuchs paru en 1793.

La littérature animalière au Moyen-Âge Au Moyen-Âge, il existe une véritable littérature animalière. Les animaux peuvent être des objets d’étude, des supports symboliques ou les acteurs principaux. Objets d’étude dans des encyclopédies comme celle d’Albert le Grand De Animalibus, des recueils de mirabilia, des traités de chasse, d’élevage, qui consignent les savoirs anciens et nouveaux sur les animaux.

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Les exempla et les fables racontent des anecdotes dont les animaux sont les héros. Les adaptations que Phèdre fit des fables d’Ésope sont réunies dans des recueils appelés « isopets », du nom d’Ésope. Supports symboliques, on les retrouve dans la Bible, avec le serpent d’Éden, l’agneau mystique, l’ânesse de Balaam, l’arche de Noé. Enfin, depuis l’Antiquité, les mythologies, qu’elles soient gréco-romaine, celtique ou germanique, apportent leur lot d’animaux merveilleux, hommes-loups, chasses merveilleuses, métamorphoses. Autre forme de littérature animalière, les Bestiaires ne se contentent pas d’inventorier les animaux, ils tentent aussi d’en interpréter la « sénéfiance », comme le fait le narrateur des « Enfances de Renart ». Mais la représentation de l’animal y est souvent fantasmagorique, telle celle du crocodile dévoré de l’intérieur par une hydre. Les animaux locaux, comme le loup et le renard, et les animaux exotiques, que sont le lion et l’éléphant, s’y côtoient au même titre que les animaux fantastiques et irréels, comme le basilic, la licorne ou le griffon. La démarche n’est pas très scientifique car les observations physiques sont mêlées à des commentaires allégoriques et liées avant tout à une vision religieuse du monde. Toute cette littérature fait que Renart, Isengrin, Tibert ou Chantecler ne sont pas si surprenants à cette époque dans les rôles que leur attribue le roman.

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POUR COMPRENDRE : quelques réponses, quelques commentaires Étape 1 [« Les enfances de Renart », p. 68] Cette branche qui raconte l’apparition de Renart est beaucoup plus tardive que les autres. Au XIIIe siècle, on commence à écrire les enfances des héros épiques comme celle de Guillaume d’Orange ou des héros romanesques comme celle de Gauvain. On situe « Les enfances de Renart » autour de 1250. Cette branche est donc la dernière branche écrite de l’histoire de Renart. L’auteur anonyme se cacherait peut-être derrière de nom d’Aucupre donné dans le texte. 1 Le prologue qui introduit l’épisode donne au récit qui va suivre une dimension épique puisque toutes les références ou presque appartiennent au genre de l’épopée. S’ouvrant sur l’évocation de l’Iliade, avec l’enlèvement d’Hélène, il insiste ensuite sur la lutte acharnée que se livrent Renart et son ennemi Isengrin décrite par de nombreux termes guerriers : « terrible guerre », « affrontés », « batailles », « combats ». Ce prologue ainsi rédigé met sur un pied d’égalité les grandes épopées et Le Roman de Renart, tout en marquant aussi son caractère parodique. 7 L’histoire de l’ânesse de Balaam montre un animal qui, miraculeusement, se met à parler et justifie en quelque sorte le fait que les personnages du roman, tous animaux, parlent aussi. 11 Hélène, considérée comme la plus belle femme du monde, a été promise à Pâris par Aphrodite en échange de la pomme d’or, qui la désignait comme la plus belle déesse. Sûr de lui-même, Pâris a enlevé Hélène à son mari Ménélas et l’a conduite à Troie, provoquant ainsi la guerre de Troie.

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12 Les chansons de geste sont des poèmes épiques qui racontent les guerres, les hauts faits ou les légendes de personnages historiques ou fictifs. Les plus anciennes remontent au XIe siècle.

Étape 2 [« Le puits » : la chute de Renart, p. 69] 1 Le conteur, dans le premier paragraphe, annonce son histoire et présente Renart, un peu à la manière d’un camelot faisant l’article. Il souligne le caractère inhabituel de son récit en précisant que même un personnage tout-puissant peut subir « trouble et désagrément ». 2 Ce conteur réapparaît à cinq reprises dans l’ensemble de l’épisode, chacune de ses interventions voulant stimuler l’attention de son auditoire par des apostrophes directes : « Messeigneurs, à présent écoutez cette histoire extraordinaire… », « Messeigneurs, il arriva qu’à ce moment même, à cet instant… », « Seigneurs, écoutez maintenant ce qui va arriver… », « Messeigneurs, à présent écoutez comment les moines étaient tout affaiblis… ». Ces interventions correspondent à chaque nouvelle péripétie de l’histoire. Mais on retrouve aussi le conteur commentant les actions : « Le voilà dans de bien mauvais draps », « Renart est en bien mauvaise posture », « C’est avec une mauvaise intention que Renart s’y est couché », « le loup pour son malheur », « Voici le prieur, que Dieu le déshonore ». 7 La grange est assimilée à une forteresse dont on souligne la solidité de la construction : « murs de pierres, bien épais ». Elle est protégée par « un fossé bien profond » et « la porte est bien fermée ». Le terme « flanquée » suggère l’importance du bâtiment. La nourriture est un véritable objet de quête. Renart est parti loin de chez lui, il traverse plaines et bois, il erre. Les expressions « était venu chercher des provisions », « il avance », « il se remet en marche », « il est inutile de rester là où il n’y a rien à prendre », « il court » indiquent à la fois la difficulté de cette quête et le long chemin qu’elle implique.

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13 Narcisse est un bel enfant né du fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. Le devin Tirésias lui prédit une longue vie s’il ne se connaît pas. De nombreuses jeunes filles sont amoureuses de lui, mais, orgueilleux, il les méprise. La nymphe Écho, punie par Héra qui lui reproche d’aider Zeus dans ses entreprises amoureuses, et condamnée à ne plus pouvoir dire autre chose que les derniers mots qu’elle vient d’entendre, s’éprend de lui. Mais il la repousse et, désespérée, elle se languit tant et si bien qu’elle se dessèche et se transforme en rocher, ne conservant que sa voix. D’autres nymphes sont séduites et repoussées par Narcisse. L’une d’elles lui souhaite d’aimer à son tour sans jamais posséder l’être aimé. Un jour, voulant boire, il se penche sur l’eau et aperçoit pour la première fois son visage reflété par l’eau. Sa beauté le surprend tant qu’il s’admire luimême et contemple cet être parfait sans pouvoir le saisir. Peu à peu, sa langueur dessèche son corps et il meurt. Son corps disparaît, laissant à sa place une fleur couleur de safran.

Étape 3 [« Le puits » : Isengrin piégé, p. 70] 1 La structure de cet épisode est particulièrement soignée. On y trouve trois aventures successives où alternent le monde animal et le monde des hommes : d’abord, Renart chez les hommes ; puis Renart et Isengrin face à face dans un univers plutôt animal malgré des allusions fréquentes et satiriques au monde des humains ; et, en fin de récit, c’est Isengrin seul qui affronte les hommes. Les arrivées des deux protagonistes sont aussi parallèles : chacun arrive affamé en quête de nourriture au même endroit. Ils se retrouvent tous les deux au milieu de la cour et le puits devient le point central où se répondent des épisodes symétriques, comme le jeu du reflet qui abuse successivement Renart et Isengrin. Autre élément de structure, les interventions du conteur soulignent les différentes péripéties. Enfin, le jeu des seaux et celui des reflets accentuent l’impression de parallélisme par un jeu complexe d’allées et venues comiques.

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4 Le ridicule de la confession d’Isengrin tient bien sûr à l’association humanité/animalité, mais aussi à la parodie de la confession. La position ridicule du loup, à l’inverse de la position consacrée, « le cul vers l’orient », ses hurlements, le vieux lièvre et la chèvre dépositaires de la confession font de cette confession et de cette prière une parodie burlesque et satirique. Les commentaires comme l’adverbe « horriblement » soulignent le ridicule du personnage. Alternativement, on trouve des termes propres à l’homme : « pieusement », « chanter », « dans les règles » et des mots se référant au monde animal : « le lièvre », « la chèvre », « se met à hurler ». L’ensemble produit un décalage burlesque et comique. 5 Le texte critique une religion qui promet un paradis aussi immatériel et fantasmatique que celui décrit par Renart au fond du puits. Les valeurs du haut et du bas, du bien et du mal, du paradis et de l’enfer sont constamment bousculées et retournées au gré des besoins de Renart. De même, le jeu des seaux qui montent et descendent transformés en balance divine parodie de façon grotesque la balance tenue par l’archange saint Michel qui pèse les âmes. Cette thématique correspond à l’apparition de ce qu’on appelle « la géographie de l’au-delà ». On peut aussi assimiler ce jeu des seaux au mouvement de la roue de la fortune qui tourne, monte et descend, et devient ainsi la morale de l’histoire : tantôt l’un, tantôt l’autre. La critique de la religion se fait donc par la parodie, mais aussi par un détournement habile des croyances religieuses et par une morale beaucoup plus pragmatique et plus efficace que les hypothèses fumeuses suggérées par la description du paradis selon Renart. Enfin, on peut voir dans ce passage une critique de la crédulité des hommes qui, se laissant abuser par des reflets et des élucubrations fumeuses, quittent la proie pour l’ombre et plongent allègrement au fond du puits quand ils auraient pu rester en haut. 6 Les moines ne sont pas présentés à leur avantage. Ils apparaissent gloutons, paresseux et visiblement peu enclins à la vie spirituelle car se gavant trop d’une nourriture peu digeste et grossière. Ils ont tant mangé de fèves

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qu’ils n’ont plus le courage de rien faire et ce n’est que la nécessité de boire qui les ramène enfin à la vie. Les heures consacrées à la spiritualité et à la prière sont visiblement surtout réservées à la digestion. Ils ne craignent pas d’utiliser les instruments du culte à des fins peu chrétiennes. L’ensemble de ce tableau de la vie dans l’abbaye ne correspond pas vraiment à ce que l’on attendrait de moines appartenant à un ordre religieux ascétique. 10 Les abbayes suivaient un plan précis existant dès le haut Moyen-Âge. Le bâtiment principal est l’église. Elle doit être la plus grande et la plus belle possible. Le cloître est situé au sud et comporte toujours une allée couverte qui entoure le jardin carré. La salle du chapitre donne aussi sur le cloître. Le dortoir est placé tout près de l’église pour éviter aux moines de longs trajets nocturnes quand ils se rendent aux matines. On trouve aussi un réfectoire, un chauffoir, un scriptorium, une bibliothèque. Les abbayes possèdent des granges où entreposer le produit des récoltes, un pressoir et parfois une forge. La vie des moines est tout d’abord consacrée à la prière et à louer Dieu. Huit fois par jour, toutes les trois heures, ils doivent se rendre à l’église. Les premières prières sont les matines. Elles commencent dès deux heures du matin. Les chants sont très importants et doivent être les plus beaux possibles. Pour cela, saint Benoît a autorisé un confort relatif tel que porter des chaussures et non aller nu pieds, porter des vêtements chauds et un bonnet sur la tête pour éviter d’avoir froid, estimant que des conditions de vie trop dures ne faciliteraient pas la prière. Les moines bénédictins portent des vêtements noirs ; les Cisterciens, ordre fondé par Bernard de Clairvaux et qui prône une plus grande austérité, sont vêtus de blanc et vont pieds nus. Les autres activités des moines consistent en travaux de jardinage, cuisine, intendance. Ce sont les frères convers qui s’occupaient des tâches agricoles. Les moines travaillent à recopier des livres à la main. Ils passent donc des heures dans le scriptorium à recopier des livres anciens, à écrire de nouveaux textes, à les illustrer splendidement par des enluminures, des lettrines. Les moines recopient et gravent aussi psaumes et prières sur des tablettes de cire. Écrire est une manière de vénérer Dieu et de fustiger le Diable. Bernard de Clairvaux précise que, « chaque fois que

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vous écrivez un mot, vous giflez le Diable. » Enfin, les moines se doivent d’accueillir les pauvres, les pèlerins et les voyageurs de marque. Ils ont donc une hostellerie et parfois un hospice. Nombre d’abbayes se sont cependant enrichies par le commerce qu’elles pouvaient faire de leur production : miel, vin, etc., mais aussi par la dîme que leur devaient les paysans. Ainsi, si le vœu de pauvreté individuelle était respecté ; la richesse collective était indéniable. Par la suite, d’autres ordres sont apparus, en particulier les ordres mendiants, fondés par saint François d’Assise, qui étaient constitués de moines prêcheurs allant de ville en ville et vivant des dons qu’on pouvait leur faire. 12 Le symbole de la pesée des âmes ou psychostasie est hérité des Égyptiens. Le défunt est introduit par Anubis dans une salle où siègent Osiris, le dieu des Morts, entouré de ses sœurs Isis et Nephthys et des quarantedeux dieux. Devant l’assemblée est dressée une immense balance. Le cœur du défunt est posé sur l’un des plateaux. Sur l’autre est posée une plume. On la retrouve ensuite dans la religion chrétienne, en particulier à travers l’iconographie du Jugement dernier, l’archange saint Michel pesant les âmes et un démon faussant le résultat en posant le pied sur le plateau.

Étape 4 [« Renart et les anguilles, p. 71] 12 La fable de La Fontaine « L’Ours et les deux Compagnons » illustre un thème semblable à la mésaventure des deux marchands. Deux Compagnons, pressés d’argent, À leur voisin fourreur vendirent La peau d’un Ours encor vivant, Mais qu’ils tueraient bientôt, du moins à ce qu’ils dirent. C’était le roi des ours, au compte de ces gens. Le marchand à sa peau devait faire fortune ; Elle garantirait des froids les plus cuisants : On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu’une.

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Dindenaut prisait moins ses moutons qu’eux leur Ours : Leur à leur compte, et non à celui de la bête. S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours, Ils conviennent de prix, et se mettent en quête, Trouvent l’Ours qui s’avance et vient vers eux au trot. Voici mes gens frappés comme d’un coup de foudre. Le marché ne tint pas, il fallut le résoudre : D’intérêts contre l’Ours on n’en dit pas un mot. L’un des deux Compagnons grimpe au faîte d’un arbre ; L’autre, plus froid que n’est un marbre, Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent ; Ayant quelque ouï-dire Que l’Ours s’acharne peu souvent Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire. Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau. Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie ; Et, de peur de supercherie, Le tourne, le retourne, approche son museau, Flaire aux passages de l’haleine. « C’est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous, car il sent. » À ces mots, l’Ours s’en va dans la forêt prochaine. L’un de nos deux marchands de son arbre descend, Court à son compagnon, lui dit que c’est merveille Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal. « Eh bien ! ajouta-t-il, la peau de l’animal ? Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ? Car il s’approchait de bien près, Te retournant avec sa serre. – Il m’a dit qu’il ne faut jamais Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis en terre. » 13 Mots et expressions qui font de Renart un homme : « Renart était dans sa demeure », « il n’avait plus aucune provision… ni de quoi acheter », « il s’inquiète », « il s’agenouille pour réfléchir », « il a un cheval si

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rapide qu’il galope », « arrive tout droit à son château, où toute sa famille », « Hermeline, jeune fille noble et courtoise à la perfection », « les deux frères sautent au cou de leur père », « il ferme la porte », « ils lui ont nettoyé les jambes », « ils ont fait des broches ». Mots et expressions qui rappellent que Renart est un animal : « retrousse ses babines », « sa peau », « ils craignent plus d’être mordus », « la peau du dos et de la gorge », « en ouvre un avec les dents », « il en mange beaucoup… sans sel ni sauge », « il y plonge le museau », « les pattes en avant », « s’en vient à petits bonds ».

Étape 5 [« Renart et les anguilles » : la tonsure, p. 72] 1 L’indécision d’Isengrin est évoquée par les nombreux va-et-vient autour du château de Renart : « il se dirige vers la fenêtre », « il cherche comment il pourra entrer », « il s’est assis sur une pierre », « il court d’un côté, de l’autre ». Les différentes solutions qui se présentent à son esprit complètent les mouvements désordonnés du loup. Il veut supplier, y renonce, sait que c’est sans espoir, mais décide néanmoins de supplier Renart. Son indécision et ses hésitations n’aboutissent à aucune solution nouvelle. 3 La situation est tout à l’avantage de Renart, tout d’abord par sa position. Il est dans une forteresse qu’Isengrin ne peut pénétrer. Intérieur et extérieur s’opposent. Isengrin cherche comment il pourra entrer, il ne parvient pas à mettre un seul pied dedans. On insiste sur le fait qu’il est « dehors ». De plus, les idées du loup sont très limitées, il doit supplier : « en suppliant », « il pense prier ». Renart de son côté joue sur son avantage. Il refuse l’entrée, mais fait aussi « la sourde oreille » et fait l’innocent. 8 Les commentaires du narrateur sont fréquents et soulignent la méchanceté et la ruse de Renart : « Renart, qui sait si bien tromper », « Renart, qui était bien pire que lui », « il se conduit véritablement en méchante bête ».

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9 Les ordres religieux, censés pratiquer la charité, sont présentés comme la cause empêchant Renart d’héberger le loup. La remarque sur l’ordre de saint Benoît de ne pas manger plus mal renvoie aussi à la gourmandise proverbiale des moines. 11 Saint Benoît de Nursie (480-547) fonda l’ordre des Bénédictins en Italie au Mont-Cassin. Les moines vivaient, priaient et travaillaient ensemble. Cet ordre s’est étendu en Occident à partir de 817, sous le roi Louis le Pieux. Les abbayes de Cluny et de Clairvaux suivent cette règle qui impose aux moines trois vœux : l’obéissance à l’abbé, élu par les moines, la stabilité à l’intérieur d’une clôture et la conversion des mœurs, à savoir la pauvreté personnelle, la continence, le silence, les abstinences. Si les moines étaient contraints à jeûner et à respecter l’abstinence, l’unique repas quotidien auquel ils avaient droit pendant la moitié de l’année était cependant copieux et digne de la table d’un seigneur. Cela explique la remarque de Renart sur l’alimentation des moines et la règle de saint Benoît. Cette règle remplaça celle de saint Colomban beaucoup plus rude et fut imposée par Charlemagne. 12 Les novices doivent passer une période d’épreuves, appelé « le noviciat », qui durait un an ou plus. Ils doivent apprendre à chanter les psaumes, à lire et à écrire. Ce sont eux qui servent aux cuisines et à table. Ensuite, ils prononçent des vœux définitifs, reçoivent la tonsure, couronne symbolique, et deviennent moines à part entière. 13 Dans les termes liés à la religion, on peut distinguer : • les mots désignant des religieux : les moines, les chanoines, l’ermite, le prieur ou l’abbé ; • ceux désignant l’ordre monastique : l’ordre de Toron, mais aussi la Sainte Charité, saint Benoît ; • des institutions : l’Église ; • des fêtes : la Pentecôte ; • des principes religieux : « recevez par charité », la foi, la tonsure. Ils sont nombreux dans toute cette partie car c’est le fondement même

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de la ruse de Renart et cela permet aussi une satire des ordres religieux au nom desquels Renart refuse de partager sa pitance avec Isengrin affamé.

Étape 6 [« Renart et les anguilles » : la pêche] 1 L’épisode commence par des indications de lieu, de temps. On place le décor avant de raconter une histoire. 4 Tout comme dans « Le puits », Isengrin est piégé par les belles paroles de Renart. Dans les deux épisodes, c’est la gloutonnerie du loup qui le pousse à l’action. De plus, c’est sur la religion que Renart trompe Isengrin. Dans « Le puits », il lui promet le paradis, dans « La pêche », il le fait tonsurer. Isengrin est constamment ridiculisé, que ce soit par sa crédulité stupide ou par son enthousiasme à se laisser mettre dans des situations grotesques : la confession ridicule, la tonsure douloureuse. Enfin, les deux épisodes se dénouent par l’intervention des hommes qui maltraitent le loup en voulant le tuer : les moines à coups de bâton, Constant des Granges à coups d’épée. Les chiens sont toujours présents et si dans les deux textes, Isengrin en réchappe, ce n’est pas sans dommage. 7 Le « combat » de Constant des Granges est parodique. Il reprend les particularités du roman de chevalerie : détails de blessure, violence des coups et caractère exceptionnel du combat. Mais le loup prisonnier ne peut pas répliquer, Constant des Granges se blesse en tombant sur les fesses, attaque courageusement le loup prisonnier dans le dos et n’est pas capable de maîtriser son coup d’épée. Le décalage parodique est omniprésent. 12 Le loup au Moyen Âge : Au XIIe siècle, on trouve cette description du loup : « Le loup est un animal terrible. Sa morsure est venimeuse parce qu’il se nourrit volontiers de crapauds. L’herbe ne repousse plus là où il a passé. » Elle révèle que le loup terrifie les hommes, il paraît dangereux, cruel et inutile et il faut même éviter de le nommer, comme l’indique le proverbe : « Quand on parle du loup, on en voit la queue. » Le loup était considéré d’abord comme un mangeur

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d’hommes, mais s’il faisait peur c’est aussi par l’association que l’on en faisait avec le Diable. Ce caractère maléfique du loup se retrouve dans le conte populaire du Petit Chaperon rouge. La morale explicite de Perrault ne fait que confirmer celle évoquée par le conte populaire Le Bzou.

Étape 7 [« Renart et Tibert le chat », p. 74] 1 L’aspect de Tibert qui est « bien reposé », dont « les dents » sont « menues et aiguës » et qui possède de « grands ongles pour griffer » calme l’agressivité de Renart. 5 Les deux personnages sont de force égale car chacun essaie de tromper l’autre et la crainte que chacun inspire à l’autre les retient de se battre. De plus, toutes leurs actions sont toujours associées à une arrière-pensée et au désir de tromper son adversaire. 7 Les termes montrant l’hypocrisie des personnages sont les suivants : « je vous prie humblement d’y participer », « je vous jure que je ne vous manquerai à aucun moment », « Renart l’abuse si bien », « il le séduit par de belles paroles » pour Renart ; pour Tibert, on relève : « il fait mine de rien », « Tibert s’excuse humblement ». 10 On trouve des lieux liés à l’activité humaine comme la rue, le sentier, le chemin tandis que le bois, la poudrière appartiennent au monde animal. 11 Le hasard qui conduit Renart est toujours lié à la quête de nourriture. Renart cherche à manger, il a faim et il est fatigué. 13 On trouve des chats malins dans Les Contes du chat perché de Marcel Aymé, Le Chat Botté de Perrault, les fables de La Fontaine « Le Chat, la Belette et le petit Lapin » ou « Le Chat et le Renard ». 14 Le cheval fait partie de l’équipement du chevalier, il en est la pièce maîtresse puisqu’un chevalier sans monture est dans une position humiliante, comme l’est Lancelot dans Le Chevalier à la charrette. Le cheval est

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donc le signe de son statut et reflète ses qualités guerrières. Les termes qui appartiennent au champ lexical du cheval sont les suivants : « cheval », « galoper », « éperonner », « ombrageux », « rétif », « galop ». Les mots qui désignent le cheval sont nombreux et liés à la particularité de chaque animal : le « destrier » est un cheval de combat, le « palefroi » est un cheval d’apparat, la « haquenée » est une jument destinée aux femmes. Le « roncin » est un cheval de somme ou le cheval monté par les écuyers ou les valets.

Étape 8 [« Renart, Tibert et l’andouille », p. 75] 1 Le début de cet épisode fait référence au précédent en soulignant la crainte de Tibert qui fuit Renart. Il le soupçonne de vouloir se venger. Le plaisir de Renart qui aperçoit le chat est aussi directement lié à l’épisode précédent. Enfin, le grand discours de Renart sur la nécessité de s’entraider est bien sûr hypocrite et destiné à rassurer Tibert afin de mieux s’en venger. 3 Le long discours de Renart rappelle les faits tout en montrant à quel point Tibert a mal agi et ne pourra en tirer aucun bénéfice. Il insiste bien sur le fait qu’il « n’a jamais vu personne tromper ou faire du mal, et bien se tirer d’affaire ». Derrière le discours apparemment généreux et magnanime se lit un discours menaçant et inquiétant pour Tibert. L’ensemble du discours culpabilise Tibert et pose Renart en victime généreuse qui sait pardonner. L’habileté du texte de Renart tient dans l’insistance qu’il montre à ne pas penser au caractère prémédité de la traîtrise de Tibert. Discours à double sens puisque Renart lui-même désirait faire ce que Tibert lui a fait subir et le désir de vengeance ne peut qu’en être accru. 4 L’hypocrisie de Renart est ici à son comble et le discours apaisant, moralisateur et quasi religieux prend toute sa valeur satirique, surtout associé à la première partie de la branche qui souligne le plaisir méchant que Renart éprouve en apercevant le chat. Tout ce discours, qui pourrait être dit par un religieux, prend ainsi toute sa dimension satirique par son côté patelin et doucereux.

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9 La base du discours de Tibert est de faire semblant d’ignorer l’impossibilité pour Renart de grimper sur la croix et de prendre l’andouille pour un objet quasi religieux. Toute l’hypocrisie de son discours consiste à faire semblant de vouloir du bien à Renart. En même temps, il pousse ce dernier à jurer ce qu’il ne peut tenir et joue de sa colère pour le condamner doublement à ne pas manger l’andouille et à pouvoir le traîner devant la cour du roi Noble. Son discours est donc particulièrement cruel car Renart n’est pas dupe et sait très bien à quoi s’en tenir quant aux intentions du chat. 12 La parole donnée est l’honneur du chevalier qui doit la respecter coûte que coûte. Se parjurer, c’est risquer la damnation éternelle car toute parole est donnée sur un objet religieux. Le vassal jure fidélité à son suzerain et ne pas respecter ses devoirs envers son suzerain entraîne des conséquences très graves qui peuvent aller jusqu’au retrait de ses biens. 13 Les termes appartenant au monde de la féodalité sont : « je vous fais promesse », « je jure que je tiendrai ce siège », « si vous jurez sur la croix, il n’en sera que plus crédible », « il faut que vous teniez votre serment, et respectiez la parole donnée », « la foi que vous avez jurée », « vous devrez en rendre compte à la cour du roi Noble », « vous vous parjurez », « trahi votre parole », « vous avez juré… sur votre parole d’honneur », « outrage ».

Étape 9 [« Renart et Chantecler », p. 76] 1 L’énumération des richesses, les pluriels sans determinant et les termes comme « riche », « bien garnie », « rempli », « ne manquait de rien » soulignent la profusion de nourriture. De plus, tout ce qui sert à un repas est présent : viandes, fruits, miel. 3 La répétition du verbe « voir » ancre le discours de Pinte dans la réalité. Ce ne sont pas des inventions. Elle apporte des preuves : la haie qui tremble, le chou qui s’agite. La bêtise du coq apparaît d’abord dans sa prétention. Il ne vérifie rien des affirmations de Pinte et se contente d’un « Ce n’est rien » sans vraiment savoir de quoi il en retourne. De plus, sa

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confiance aveugle dans la clôture et dans cette prétendue trêve qu’on ne peut rompre s’oppose à une réalité précise rapportée par Pinte. Aux indicatifs s’opposent des conditionnels et aux preuves apportées par Pinte des assertions non vérifiées. 8 La ruse de Renart et celle de Chantecler reposent sur l’orgueil des deux personnages. Dans les deux cas, il s’agit pour eux de montrer qu’ils sont les plus forts et de narguer l’autre. Ils ne résistent donc pas à la flatterie. 11 Chez les paysans, la base de la nourriture est constituée par les céréales dont on fait des bouillies, des galettes, du pain. Les céréales les plus fréquentes sont le blé noir ou sarrasin, l’orge, le seigle. Le froment est plus rare et apparaît surtout sur les tables riches. Le paysan mange aussi des soupes à base de pois, navets et choux, parfois agrémentées d’un morceau de lard salé ou fumé. On peut aussi trouver des œufs, du poisson ou du petit gibier comme le lapin, mais la viande est rare. On mange laitages et fromages. Les fruits du verger, pommes, poires, prunes et ceux des bois, baies, nèfles, prunelles constituent le dessert. La table du seigneur est plus riche et plus variée. Le pain est blanc et sert d’assiette sur laquelle on découpe des viandes rôties, du gibier. Des pâtés, des potages et des poissons ouvrent le repas qui se termine par des desserts sucrés au miel. La cuisine des nobles et des riches bourgeois est souvent parfumée d’épices venues d’Orient, ou agrémentée d’amandes et de fruits secs. 12 Les distractions au Moyen-Âge ressemblent beaucoup aux nôtres. Les hommes jouent à la soule, ou choule, jeu qui nécessite une balle de cuir remplie de sable et des crosses. Ils jouent aussi aux palets, aux boules, aux quilles, au jeu de paume. Des jeux de société encore présents de nos jours existent déjà au Moyen Âge, comme les échecs, les dés ou les dames.

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