Etude de Nuit et Brouillard. Par Alain Resnais. Fiche technique. Titre : Nuit et
Brouillard. Réalisateur : Alain Resnais. Date de production : 1956. Pays de ...
Etude de Nuit et Brouillard Par Alain Resnais
Fiche technique Titre : Nuit et Brouillard Réalisateur : Alain Resnais Date de production : 1956 Pays de production : France Durée : 32 minutes NB ou couleur : Un mélange entre des prises de vue en couleur datant de 1955 et des images d’archives, tirées tant des archives nazies que de celles des alliés, en noir et blanc. Scénariste : Jean Cayrol Adaptation ou non (d'une œuvre littéraire, de mémoires...) : Non Chef opérateur : Acteurs/personnages dans le film : Pas d’acteur à proprement parlé, des personnages connus présents dans les images d’archives avec la foule des déportés, la voix de Michel Bouquet en narrateur. Synopsis : Nuit et brouillard est un film documentaire mêlant image d’archives et vidéos tournées en 1955, réalisé par Alain Resnais, à l'initiative d'Henri Michel du Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale. Après avoir abordé la montée du nazisme il traite principalement de la déportation et des camps de concentration nazis, en application des dispositions dites « Nuit et brouillard » de 1941.
Analyse Zakhor. L’impératif biblique, « souviens‐toi » est là, présent, et ce dès l’ouverture du film. Nuit et Brouillard se veut alors vecteur de mémoire alors que l’image occupe dans le souvenir de la Déportation une place prépondérante. Celui‐ci s’est constitué dès avril 1945 à partir des photos des charniers, des camps libérés qui ont stupéfié l’opinion publique. S’ajoutaient aussi les photos des « revenants » qui marquèrent sans doute davantage les esprits que les premiers récits des rescapés. Ce film documentaire réalisé par Alain Resnais, est alors une commande du Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, organisme gouvernemental fondé en 1951, afin de rassembler de la documentation sur la période de l’Occupation. D'une durée de trente‐deux minutes, le film est un mélange d'archives en noir et blanc et d'images tournées en couleur, le tout ayant été supervisé par deux historiens de la déportation : Olga Wormser‐Migot et Henri Michel. Le texte, écrit par Jean Cayrol, ancien déporté, est dit par l’acteur Michel Bouquet. On peut aussi souligner le rôle émotionnel de la musique de Hanns Eisler, ancien résistant lui‐même. Nuit et Brouillard tire son titre du nom donné aux déportés aux camps de concentration par les nazis, les NN (Nacht und Nebel), qui semblaient ainsi vouloir jeter l'oubli sur leur sort. Quels enjeux alors autour de ce film qui parle de ceux qui devaient être définitivement effacés ? Nuit et Brouillard, qui se place entre réalisme historique et subjectivité (I), nous dévoile l’horreur quotidienne des camps (II), devenant par là source d’enjeux mémoriels importants (III). Cet œuvre est, au‐delà du film, un documentaire, et cela prend toute son importance au vu du sujet traité. Selon le dictionnaire historique de la langue française, documentaire vient en effet du latin documentum « exemple, modèle, leçon, enseignement, démonstration ». Une volonté affichée de montrer, d’expliquer, et surtout de faire apprendre certaines réalités. Selon Bresson, il s’agit alors « de faire voir ce que tu vois par l’entremise d’une machine qui ne le voit pas comme tu le vois » Il nous faut alors poser la question de la subjectivité d’une telle œuvre, et notamment dans le cas d’une reconstitution, ordinairement placée entre le documentaire et la fiction. Considérant qu’on ne peut reconstituer le passé tel quel, Nuit et Brouillard met au travail l’écart entre passé et présent, les images d’archives n’étant plus des illustrations d’époque mais des signes de l’esprit du temps que l’on interroge par un va et vient constant. On a alors non pas la mise en scène d’une action mais une enquête sur les actes, comportements et retentissements d’une situation. La dispute alors récurrente à propos de ce film ne porte plus sur la réalité des événements mais sur la forme donnée à leur représentation, la mise en scène qui les donne à voir, et qui peut elle être mise en cause. La question est alors autant d’ordre esthétique qu’historique dans la mesure où la perception de l’événement ne dépend pas simplement du fait mais aussi de sa représentation devant le spectateur.
Il est impératif de souligner que ce film est une commande, du Comité d’Histoire sur la Deuxième Guerre Mondiale, afin de commémorer les dix ans de l’ouverture des camps. On affiche alors une volonté de réalisme historique, mais aussi de commémoration de ces événements gravissimes. Cet organisme a alors pour fonction de rassembler de la documentation mais aussi de poursuivre des recherches historiques sur la période de l'occupation de la France en 1940‐1945, avait pour secrétaire général Henri Michel. Celui‐ci est l’un des deux conseillères historiques qui ont chapeauté ce documentaire, apportant leurs connaissances à cette réalisation. Il est un historien reconnu, résistant lui‐ même sous l’Occupation et secrétaire général de la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France, dés janvier 1948. Olga Wormser‐Migot est la deuxième historienne sur ce projet, Resnais allant jusqu’à dire d’elle: «Elle connaissait les archives à la perfection, et apporta à la recherche de documents pour le film toute son énergie..» Elle aussi un des piliers du Comité, elle a entrepris des recherches sur le sujet de la déportation dés 1944 dans le cadre du Service de l’état civil du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés. A eux deux, ces deux références historiennes sont tant le cadre de ce documentaire, que l’une des principales sources de ses archives et apportent une garantie de sérieux et de réalisme. Il est alors important de s’intéresser au style de Resnais, qu’il développe particulièrement dans ce documentaire. On parle de panoptique marqué, genre baptisé par Orson Wells « audience camera » à propos de Citizen Kane. Les mouvements de caméra sont ostensibles et indépendants de l’action. Elle est plutôt rare en documentaire car elle nécessite une mise en scène très préparée et un tournage techniquement lourd, manière de souligner l’intense anticipation de cette réalisation. Par des travellings, panoramiques, décadrages ou recadrages, remises au point, la cinématographie se montre en même temps qu’elle montre. La caméra exerce alors le point de vue omniscient d’un narrateur tout puissant, auquel s’identifie aisément le spectateur : démonstrative, elle semble en savoir plus que les protagonistes et nous transmet cette impression. C’est la caméra qui mène l’enquête, elle plonge dans le temps et les souvenirs des témoins, inspecte les vestiges, reconstitue le puzzle. Cette technique abondamment utilisée dans Nuit et Brouillard mêle alors le plus objectif : l’exercice ostensible de la caméra, et le plus subjectif : l’impression spectaculaire de « compréhension totale » (au sens spatial et mental du terme). Nuit et Brouillard offre à la fois le caractère « scientifique » d’une synthèse documentaire et le caractère émotionnel de la reconstitution, soulignée par le texte énoncé par Michel Bouquet. Ce documentaire part d’un parti pris simple, celui de se concentrer avant tout sur la réalité des camps de concentrations. On note en effet l’absence de toute image de conflit, aucune scène ne semblant devoir rappeler la réalité de la guerre. Ce film se centre avant toute chose sur les différents aspects de la déportation et de la concentration, et même la mise en image de la montée du nazisme est bien davantage une contextualisation qu’une réelle analyse de la situation.
Répondant en effet, tant aux conditions de la commande qui a été passé, qu’aux impératifs de l’époque, Resnais choisit de se consacrer quasi exclusivement au camp de concentration. Se multiplient en effet les sources et archives sur le sujet, issues tant des fichiers nazis que des données collectées par les libérateurs des camps. Dix ans après la fin de la guerre, l’heure est à une volonté de commémoration face aux événements ayant eu lieu. Sans tout révéler, en vertu d’un pardon réunificateur, le sujet est longuement abordé, et Nuit et Brouillard s’inscrit alors dans cette logique de diffusion des récits de la déportation. A ceci près qu’il s’illustre par une volonté de réalisme poussé, passant pour cela par une description détaillée de la vie quotidienne des camps. Celle‐ci est alors montrée, sans pudeur, commentée, et apparaît comme clairement dévoyée. C’est ainsi que se voient traités dans ce documentaire, l’ensemble des éléments du quotidien des déportés, des aspects banals qui prennent une forme horrifiante au sein des camps. On voit ainsi le problème de la faim, et les marchandages que cela entraîne, mais aussi les latrines, ordinairement lieu privé par excellence et qui deviennent ici un colossal lieu de rencontres dans cette cité abominable. La figure du travail, l’une des référence de notre société, illustre à ce titre particulièrement bien comment des éléments de notre vie peuvent être repris au sein de ce documentaire afin d’en montrer toute l’horreur au sein des camps. Qu’il soit d’été et d’hiver, le travail est essentiellement présenté sous son aspect meurtrier, telle la figure de ces trois mille décès lors de la construction d’un escalier. Au delà, nous sont présentés les usines souterraines, aux prénoms aimablement féminins, mais qui doivent être enterrées pour échapper aux bombardements et dont les ouvriers pèsent alors trente kilos. Ici comme partout ailleurs dans le camp, on compte sans ciller les morts à la fin de chaque journée. L’hôpital lui‐même, figure rassurante par excellence semble être corrompu par les nazis et devient un lieu de barbarie innommable révélé par la caméra de Resnais. Le décor semble ordinaire, mais ici nul espoir d’être soigné, les visages sont émaciés, et la réalité des expériences qui s ‘y pratiquent font frémir. Nul désir de soigner ici, mais des expériences médicinales, un entrainement sur sujets vivants pour les médecins du front… Un ensemble de cadres usuellement rassurants, sont ainsi repris dans Nuit et Brouillard sous leur forme dévoyée pour en faire un témoignage marquant de l’horreur des camps. Au‐delà des éléments de la journée des déportés, il semble intéressant de se pencher sur l’utilisation des objets banals dont la multiplicité en fait l’un des plus surs symboles de l’abomination de la déportation. L’extrait en question, relativement court, prend place entre 24min14sec et 26min. On y voit tout d’abord une série d’images fixes, des piles d’objets dont l’immensité reflète le nombre inconcevable de personnes à qui elles ont pu appartenir. Nous sont alors montré en plan fixe, figé, des lunettes, des rasoirs, possessions éminemment personnelles et qui se voient ici rassemblées par la mort atroce de leurs détenteurs. Pire, le commentaire nous informe que ce sont là les greniers de l’armée allemande, les massacrés des camps servant alors, à leur cœur défendant, les combattants de la Wehrmacht. L’image se pose alors sur un hangar tout entier rempli de cheveux de femmes, on peine à saisir tant leur nombre que l’humiliation indescriptible qui a du être la leur. L’image, par un recadrage successif, frappe par ses proportions, par la quantité rassemblée ici. Un
prix, et commence l’horrible inventaire, illustré étape après étape d’image d’archive poignantes. Ces cheveux tondus, seront pour des tapis, les os pour des engrais, le commentaire marque une pause puis reprend sur la fabrication de savon à partir des corps, de papier à partir des peaux. Une économie innommable ainsi mise révélée, et ce alors que ces camps se montrent si prolixes en vies humaines… « Et déjà on sent venir l’oubli », disait Léon Werth dès 1944. Le début du film, jusqu’à deux minutes quarante deux, est alors révélateur de la place que ce documentaire entend jouer dans la propagation de la mémoire de la Déportation. Un travelling lent, qui nous montre un paysage paisible et vide de toute présence humaine, pour finalement révéler les grilles barbelées des camps de la mort. Le commentaire lui‐même est éloquent « Même un paysage tranquille », alors que suivent l’énumération des camps, de simple points sur une carte. Tout est fait pour montrer que ces places auraient pu surgir n’importe où, et l’herbe qui repousse est alors la figure de cet oubli qui prend le pas sur tout. La caméra est alors celle qui, seule, se rend sur les lieux, celle qui ramène l’attention du public en ces lieux désolés. « Le sang a caillé » dit‐il, soulignant le temps qui semble devoir recouvrir les blessures de la guerre. Le devoir du documentaire apparait alors comme de reprendre l’histoire, méthodiquement, de détailler ces camps pour en raviver la mémoire. C’est la le sens de ce voyage jusqu’à Auschwitz, ou Resnais vient redonner vie aux souvenirs de ceux qui sont passés par là. Dans cette démarche de commémoration, Nuit et Brouillard révèle bien des éléments sur les camps, et l’impact qu’il a pu avoir en effet un enjeu capital dans cette mémoire des événements de la seconde guerre mondiale qu’il revendique. Si n’est jamais contestée la véracité des faits ici montrés, de nombreuses pressions ne s’en sont pas moins exercées sur le film. Ainsi, en 1956, la commission de censure de l’Etat Français qui cherche à estomper les responsabilités de l’Etat en matière de déportation a‐t‐elle exigé que soit supprimée du film une photographie d'archives sur laquelle on peut voir un gendarme français surveiller le camp de Pithiviers. Les auteurs et producteurs du film refusent alors mais sont tout de même contraints de masquer la présence française, en l'occurrence en couvrant le képi du gendarme, signe distinctif par excellence, par un recadrage de la photographie et une fausse poutre. Un artifice qui sera présent jusqu’en 1997 dans toutes les copies du film Nuit et Brouillard. Par ailleurs les autorités allemandes demandent également le retrait de la sélection officielle du festival de Cannes 1956. Cette forme de dénégation provoque en retour de nombreuses protestations en Allemagne comme en France, notamment dans les milieux artistiques. Le film fut toutefois présenté, mais hors compétition afin de ne récolter aucun prix officiel. Alain Resnais n’en obtiendra pas moins le prix Jean Vigo, celui‐ci est attribué à « un réalisateur français distingué pour son indépendance d'esprit et son originalité de style ». En pratique, ce ne sont alors pas les qualités formelles du film qui sont primées, mais la portée sociale et humaine de cette réalisation.
Réalisé dix ans après la fin de la guerre, Nuit et Brouillard reste tributaire de la perception que l’on pouvait avoir du phénomène dans les années 1950. À cette époque, le souvenir de la déportation est véhiculé en premier lieu par les déportés politiques et leurs associations. Les rescapés juifs non seulement sont peu nombreux (pour la France, deux mille cinq cents survivants sur soixante‐dix mille déportés juifs), mais ils ne font pas entendre leur voix, comme si le silence avait été alors un moyen de continuer à vivre après le traumatisme. Des termes comme Shoah, ou Holocauste, ne sont pas encore employés. Primo Lévi n’a‐t‐il pas dit « je me sens coupable d’être un homme car les hommes avaient édifiés Auschwitz. » ? De fait, Nuit et Brouillard est d’abord un film sur l’ « univers concentrationnaire » tel que les déportés des camps de Dachau et de Buchenwald ont pu en rapporter l’expérience. Un phénomène qui gomme alors toute différence entre camp de concentration et camp d’extermination. L’auteur du commentaire, Jean Cayrol, en était lui‐même un rescapé. Le film montre bien les chambres à gaz d’Auschwitz mais gomme la spécificité du génocide juif, le mot juif en lui‐même n’étant cité qu’une unique fois dans le documentaire. L’œuvre d’Alain Resnais se situe dans cette première période de la mémoire de la déportation, où le choc de l’ouverture des camps est proche mais où l’on distingue encore mal l’ampleur et la diversité du phénomène. Il faut alors en 1955 une France unie, sans différenciation entre les victimes de la barbarie nazie, et la vision d’un ensemble des déportés répond alors tant à une volonté politique qu’à un désir d’oubli réparateur. Film de mémoire, partagé entre subjectivité et réalisme, Nuit et Brouillard est resté le documentaire de référence sur la déportation. Jouant tant sur la démarche historique que sur les aspects sentimentaux, l’œuvre d’Alain Resnais marque profondément son spectateur. L’accueil qu’il a pu recevoir à ce titre fut mémorable et on sait que le film est depuis projeté régulièrement dans les établissements scolaires comme illustration des programmes, et fréquemment sur les chaînes de télévision et dans les salles de cinéma spécialisées. Pour autant, il est clairement daté, s’inscrivant dans le contexte de cette année 1956 et de ses enjeux. A nous dés lors de mettre en évidence ceux‐ci, de la censure au manque de connaissances sur la différenciation des camps, afin d’offrir au spectateur contemporain une vision complète de cette mémoire de la déportation si capitale.
Sources et bibliographie SOURCES: Film visionné sur la banque de vidéos : video.google.com BIBLIOGRAPHIE Sur le genre documentaire : Francois NINEY, Le documentaire et ses faux semblants, Klincksieck, Paris, 2009, 209p. (questions 23, 33 et 40) Sur la mémoire de la déportation Georges Bensoussan, Aushwitz en héritage ?, Paris, Mille et une nuits, Les Petits Libres, 1998, p23‐80 Annette Wieviorka, Déportation et génocide entre la mémoire et l’oubli, Plon, Paris, 1992 (p304‐305) Sur Nuit et Brouillard : Christian Delage et Vincent Guigueno, Les contraintes d'une expérience collective : Nuit et Brouillard, L'Historien et le film, Gallimard, Paris 2004, p. 59‐78. Sylvie Lindeperg, « Nuit et Brouillard » Un film dans l’histoire, Odile Jacob, Paris, 2007
Jean Cayrol , Nuit et Brouillard, Libres Fayard, Paris, 1997 SITES INTERNET CONSULTES http://shoah.free.fr/nuitbroui.htm, consulté le 5 décembre 20010 http://pagesperso‐orange.fr/d‐d.natanson/qui_de_nous_veille.htm, consulté le 4 décembre 2010 http://www.imdb.fr/title/tt0048434/, consulté le 30 novembre 2010 http://dletouzey.free.fr/resnais.htm, consulté le 5 décembre 2010