FORMATION SUR LE FILM BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS ...

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9 févr. 2011 ... film d'animation de Tomm Moore, Brendan et le secret de Kells programmé ..... Il y a plusieurs aspects attrayant (l'espace du livre, le cercle, les ...
FORMATION SUR LE FILM BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS de Tomm Moore Le mercredi 9 février 2011, l’association Collège au Cinéma 37 a invité à Tours Xavier Kawa-Topor, spécialiste du film d’animation japonais et directeur de l’Abbaye de Fontevraud (49) pour parler du film d’animation de Tomm Moore, Brendan et le secret de Kells programmé en 2010/2011 en Indre-etLoire. Les enseignants ont donné leurs réactions sur le film, certains l’ayant déjà vu avec leurs élèves. Xavier Kawa-Topor trouve que la réception du film par le public est intéressante car ce film a tout pour plaire aux enseignants et aux enfants. Malgré une bonne critique, le succès escompté n’a pas été au rendezvous : la question de la réception d’un film est toujours liée à des aléas (date, climat sociologique, concurrence…) mais également au public auquel le film s’adresse. Ce film a des atouts très forts et des ressources pour une approche pluridisciplinaire. Effectivement, le nombre de références mises en jeu est extrêmement intéressant, dense, voire trop dense dans les domaines de la culture, de la religion, de l’histoire, de l’animation… Pour Xavier Kawa Topor, tout est subjectif dans ce film, et la taille des personnages est l’un des marqueurs de subjectivité. L’art chrétien irlandais peut être une piste d’exploitation du film. L’abbaye et les personnages sont une partie expressionniste du film dans le sens où ils ne représentent pas quelque chose d’objectif. Le récit initiatique est un composant fort du film, c’est le projet du réalisateur. Le Moyen Âge et le rite initiatique s’entremêlent car ce dernier se travaille autour de figures de l’imaginaire médiéval très présentes. L’analyse graphique et musicale du film est une piste à suivre car une ou deux séquences s’y prêtent bien en ce qui concerne la notion de rythme. I – TOMM MOORE ET FONTEVRAUD 1/ Le réalisateur : Avant cette réalisation, Tomm Moore est novice et a réalisé deux ou trois courts métrages peu connus dans le circuit de l’animation, l'Irlande n'étant pas un pays à forte tradition d'animation. Par rapport à d'autres réalisateurs (Michel Ocelot, Jean-François Laguionie), il obtient tout de suite une reconnaissance internationale avec une nomination aux Oscars. Il est fortement attaché à la culture du Moyen Âge, à la culture celtique.... C’est un réalisateur de films d’animation passionné par les abbayes et Fontevraud est une abbaye passionnée par le film d'animation. L'Abbaye de Fontevraud l’a accueilli pour une avant-première.

Livre de Kells

Newgrange, Irlande

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L'abbaye de Kells est en ruine mais on a gardé la tour qui permettait de repérer les envahisseurs et de se protéger car la porte était en hauteur et on accédait à la tour à l'aide d'une échelle. Le film est donc très bien situé d'un point de vue historique et géographique et ce n'est pas un hasard que l'Abbaye soit le cœur du projet du réalisateur.

2/ L'abbaye de Fontevraud - http://www.abbayedefontevraud.com/v3/ : Située à une heure de Tours, cette cité monastique fondée au 12ème siècle fonctionne sur un enfermement : c'est un monde d'ordre dans un monde de chaos. Les moines constituaient une communauté protégée par des murs avec un jardin de cloître, horizon intérieur vers lequel on regarde. Le cinéma d'animation y a ses quartiers depuis 4 ans et Fontevraud est la seule résidence en Europe qui accueille les auteurs d'animation qui viennent pour écrire leur film (le passage de l'idée au projet). Contrairement à d'autres lieux où les auteurs peuvent seulement réaliser, l'abbaye de Fontevraud se situe en amont du projet, elle demande aux auteurs de venir avec une attention et un fort désir de travail. L’abbaye reçoit régulièrement des réalisateurs comme Florence Mailhe, Takahata Isao…. Le parcours pour rechercher des fonds est beaucoup plus compliqué pour un film d’animation que pour un film d’images réelles. Pour les producteurs, il est difficile de miser sur l’animation en long métrage car la question de la réception du public se pose. II – LONG METRAGE D’ANIMATION Des années 1940 aux années 1990, l’animation a connu une standardisation « disneyenne » où Disney a imposé complètement sa vision de l’animation à la fois aux producteurs et au public pour lequel le seul film d’animation était le Disney de Noël. Cela a eu deux conséquences importantes : - d’une part, penser que l’animation était seulement pour les enfants et s’arrêtait à Disney, - d’autre part, penser que Disney était l’auteur des contes pour enfants comme, par exemple, Blanche Neige. A l’évocation d’un conte pour enfants, les images du dessin animé de Disney viennent systématiquement en tête à tel point qu’aujourd’hui aucun réalisateur ne s’est risqué à réaliser un autre Blanche Neige ou La Belle au bois dormant. Désormais, le Disney est un cinéma d’animation parmi d’autres pour les enfants mais un film d’animation est toujours comparé au modèle Disney ce dont l’animation japonaise a longtemps souffert. Marie Mignot, enseignante au collège Gaston Huet de Vouvray, ajoute que les films d’animation sont maintenant comparés aux films d’animation japonais ! Pour Brendan et le secret de Kells, le film se réfère au cinéma d’animation japonais : - il y a des correspondances assez claires avec Princesse Mononoké de Miyazaki Hayao mais pas forcément conscientes : les deux réalisateurs travaillent sur les mêmes archétypes et certaines images sont semblables. - la rapidité du mouvement des personnages. Pour Xavier Kawa-Topor, ce film ne donne pas suffisamment de temps au spectateur pour voir l’animation et les scènes où il ne se passe presque rien sont les plus intéressantes. Le travail des animateurs peut être réparti de deux façons : - un réalisateur est souvent le créateur des personnages, de l’histoire et, généralement, du storyboard mais le travail d’animation (passage de l’image fixe à l’image animée) est ensuite confié à des animateurs. Il y a une hiérarchie des animateurs, ceux chargés des plans clés et les intervallistes. Les animateurs clés dessinent les mouvements principaux (les phases clés) et les intervallistes font les animations entre les deux mouvements principaux : ce sont davantage des intervenants techniques. Ce travail fait la différence entre un film d’animation qui nous touche émotionnellement ou un film d’animation qui nous touche partiellement (plus les mouvements sont progressifs, plus ils suscitent des émotions).

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les occidentaux ont tendance à confier un personnage à un animateur, le personnage porte le catalyseur de la personnalité de l’animateur comme le faisait Grimault (Le Roi et l’Oiseau). Les Japonais, au contraire, ont une approche plus forte pour la mise en scène et confie une séquence à un animateur. Tomm Moore a travaillé de cette manière et le plus beau moment d’animation du film pour Xavier Kawa-Topor est la dernière séquence sur l’abbé Cellach, l’oncle de Brendan. C’est très rudimentaire mais tout d’un coup on se retrouve proche de ce personnage qui a une vraie intériorité.

Au début des années 1990, un changement s’opère lorsque le schéma disneyen éclate de l’intérieur et de l’extérieur. De l’intérieur, on peut penser à L’étrange Noël de Mr. Jack de Tim Burton, long métrage, ovni total qui fonctionne et pour la même période, il y a eu Wallace et Gromit des studios Altman. Ils montrent alors que les films d’animation peuvent atteindre un grand public. De l’extérieur, la France puis l’Europe et le Monde se rendent compte qu’ils avaient mal jugé les Japonais sur leur manière de travailler l’animation. On commence à découvrir un certain nombre de réalisateurs japonais intéressants. En France, des films très importants comme Le Roi et l’Oiseau, La Planète sauvage avaient eu un impact fort sur les médias mais pas sur le public ; Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot joue un rôle de déclencheur avec un vrai succès auprès du public et de la presse, des envies très fortes vont se créer du côté des producteurs voyant la possibilité de se détacher du système disneyen. En 10 ans, il y a eu beaucoup de changements avec la sortie de films d’animation aux univers graphiques spécifiques comme : - Les triplettes de Belleville de Sylvain Chomet - L’Île de Black Mor de Jean-François Laguionie - U de Serge Elissalde - Persepolis de Marjane Satrapi A la genèse du projet, Tomm Moore apporte une maquette de Brendan et le secret de Kells (également appelé le pilote) à une manifestation urbaine où il rencontre Didier Brunner, producteur. A cette époque, ce dernier vient de connaître deux succès importants (Kirikou et la sorcière et Les triplettes de Belleville) et recherche des projets. Convaincu par ce pilote, il décide de monter un projet de film européen. Didier Brunner a trouvé le scénario riche mais la complexité du récit lui posait problème car il voulait viser un public familial et les films d’animation pour adultes n’avaient connu que peu de réussite à quelques exceptions près : Persépolis ou Valse avec Bachir. La production internationale se joue avec le choix de faire intervenir Fabrice Ziolkowski, scénariste franco-américain travaillant plutôt pour la télévision et pour l’international. Il va faire entrer dans le scénario une standardisation du récit que regrette Xavier Kawa-Topor car il trouve que l’originalité du scénario n’est pas à la hauteur de l’originalité des images même si le scénario reste extrêmement efficace. Pour la musique, Bruno Coulais compositeur connu pour avoir réalisé la musique de Microcosmos et d’Himalaya a un univers efficace mais il est choisi pour sa notoriété internationale. Xavier Kawa-Topor pense que le travail musical est riche par moments mais aurait pu être plus original à d’autres. Pourquoi « production européenne » ? - pour toucher les aides européennes, - pour avoir des collaborations avec des télévisions. Ces deux conditions permettent de réaliser un projet ambitieux et influent sur l’esthétique du film. La télévision, intervenant comme co-producteur, impose des standards extrêmement précis. Pendant des années, elle a refusé les projets de Michel Ocelot et entre autres, Princes et Princesses, car elle trouvait que ça ne marcherait pas. Aujourd’hui, elle produit Dragons et princesses à la télévision ce qui montre bien que ces films peuvent sortir de ce schéma si le public adhère. En Europe, le réalisateur répartit le travail entre plusieurs studios délocalisés dans plusieurs pays, ce qui le met dans une vraie difficulté : comment manager une équipe travaillant dans plusieurs endroits d’Europe, voire du monde, ayant des références techniques, culturelles et des façons de faire différentes ? Pour Brendan et le secret de Kells, cinq pays ont été concernés par le film : - deux studios en Irlande, - deux studios en Belgique, - un studio en Hongrie, - un studio au Brésil, - un studio en France.

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Ce film voit intervenir des effets 2D, des effets 3D et des effets spéciaux comme la profondeur donnée pour les drakkars qui avancent. Déf. de Model sheets : Ce sont des feuilles de modèles qui déterminent à travers un certain nombre de situations l’identité du personnage. Ce n’est pas encore de l’animation.

Déf. de Props : Dès cette étape, l’équipe d’animation crée un volume avant de le faire sur ordinateur pour renforcer l’impact visuel.

Le projet de Tomm Moore se joue sur la volonté à la fois d’être dans le dessin et de faire appel à des moyens technologiques assez élaborés. Il veut vraiment être dans le dessin avec un rendu esthétique très proche de l’enluminure. Il a un côté assez naïf, assez simple : le film a un côté presque artisanal. Takahata Isao, réalisateur japonais, a travaillé dans cette optique là sur Yamada : film complètement numérique avec un aspect crayonné, parti pris assez original en animation. III – MOYEN ÂGE ET CINEMA Bibliographie : Xavier Kawa-Topor a dirigé une série de colloques sur Le Moyen Âge vu par le cinéma européen dont les actes ont fait l’objet d’un livre qui comprend une filmographie et une série de points de vue à la fois d’historiens et de cinéastes sur cette question : « Comment le cinéma regarde le Moyen Âge ? » Il a croisé des regards d’historiens et de cinéastes parce que le problème est souvent mal posé. Le cinéma n’existe pas dans un propos documentaire du Moyen Âge ; le cinéma ne doit donc pas être jugé dans sa capacité à dire quelque chose de vrai, d’exact sur le Moyen Âge. Pour autant, il n’intéresse pas les médiévistes dans sa justesse mais dans ce que le film leur apprend c'est-à-dire dans sa capacité à explorer autre chose que l’exactitude historique. Les médiévistes sont intéressés par l’aspect du récit mais également par deux autres aspects : - d’une part, le cinéma comme objet d’histoire,

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- d’autre part, le Moyen Âge au cinéma comme « terrain vague » de l’Histoire Un film sur le Moyen Âge parle avant tout de la période à laquelle il a été tourné : Jeanne d’Arc de Dreyer, les Monty Python et le sacré Graal, Excalibur de John Boorman ou Robin des Bois de Ridley Scott… Le cinéma change en fonction de son esthétisme, de la Société qui le produit mais également de son rapport avec son histoire et avec ce qu’il est ; il change en fonction de la connaissance de la période de l’Histoire. Ce film nous fait nous interroger sur notre rapport au Moyen Âge. Jacques Le Goff parle du Moyen Âge comme « terrain vague » (lieu où l’on fait fonctionner l’imaginaire) de l’Histoire. Pour les réalisateurs américains mais également européens, le Moyen Âge est une forme d’Atlantide car les réalisateurs ont davantage de marges. Entre récit d’Histoire et récit de Cinéma : comment des grands réalisateurs, en s’intéressant à un matériau qui est un héritage du Moyen Âge (texte ou autre), l’interrogent d’une façon artistique qui éclaire d’un coup l’historien sur un sens qu’il ne voit pas forcément. Filmographie sur le Moyen Âge : - Andrei Roublev de Andrei Tarkovski (1956) - Les Vikings de Richard Fleisher (1958) : Xavier Kawa-Topor est en désaccord avec la représentation des Vikings dans Brendan et le secret de Kells car c’est un choc des cultures où les Vikings sont caricaturés comme des monstres. Dans Les Vikings de Richard Fleisher, le viking est montré d’une manière positive. Dans Brendan et le secret de Kells, Tomm Moore valorise l’aspect culturel celte, chrétien mais les Vikings représentent la Peur et surtout l’étranger, le barbare : ils sont montrés seulement comme une menace. Il trouve qu’il y a un propos protectionniste dans ce film d’animation. Le réalisateur caricature le monde extérieur et le monde intérieur. - Excalibur de John Boorman (1981) : Ce film intéresse beaucoup les historiens. Excalibur dit des choses sans doute très vraies sur l’imaginaire médiévale. - Le nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud (1986) : dans ce film, un parallèle peut être fait avec Brendan et le secret de Kells. Dans le film de Jean-Jacques Annaud, on voit le vieux moine et le jeune moine et dans le film de Tomm Moore, on voit le frère Aidan et Brendan. - La Belle au bois dormant de Disney (1959) - Le roman de Renard de Starewitch (1931) - La Bataille de Kerjenets de Youri Norstein (1971) Takahata Isao a réfléchi sur la manière dont les arts graphiques mettent en place des éléments pré cinématographiques au Japon et en Europe, notamment à travers la tapisserie de Bayeux. Dans sa manière d’analyser ces œuvres-là, les historiens apprennent beaucoup, particulièrement par la tapisserie de Bayeux car Takahata Isao comprend des scènes que les historiens ne comprenaient pas. Une exposition aura lieu à Bayeux du 2 avril à fin décembre 2011 sur cette comparaison entre le cinéma et la tapisserie. IV – LE PROJET DU FILM Tomm Moore fait état de quatre pistes importantes : 1/ Le récit initiatique Son projet est d’accompagner Brendan dans cette ouverture à la Connaissance, à l’Art et au Monde. Ce récit initiatique se joue exclusivement entre le frère Aïdan (à la fois sage et fou dans sa relation avec l’abbé Cellach) et Brendan. Dans ce film, ce récit initiatique est accompagné de l’aspect « transmission », un pari sur la jeunesse très bien mis en évidence. Xavier Kawa-Topor fait une mise en parallèle avec d’autres films d’animation : - Merlin l’enchanteur de Disney : la révélation d’un jeune homme au Monde par un sage - Horus, prince du Soleil de Takahata Isao : révélation du jeune homme lorsqu’il retire l’épée alors que personne n’y arrivait. - Princesse Mononoké de Miyazaki Hayao : cette rencontre extrêmement importante entre Brendan et la fée Aisling pourrait être mise en parallèle avec la rencontre entre le jeune homme, Ashikata, sa quête initiatique et la Princesse du film de Miyazaki.

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Le récit initiatique dans la forêt est bien mis en scène : Brendan va contrarier l’ordre de son oncle, l’abbé Cellach, pour aller chercher les baies dont le frère Aïdan a besoin. Il y a beaucoup de correspondances entre l’église et la lisière de la forêt : 1/ Civilisation = monastère / Sauvagerie = Forêt. 2/ Topographie symbolique : la coupure est tranchée car le réalisateur est totalement dans l’expressionnisme. 3/ La forêt a un côté « église » : la structure de l’église romane est une imitation de la forêt. 2/ La spiritualité Sans qu’il soit forcément facile de faire la part des choses entre ce qui relève de la spiritualité celtique et ce qui relève de la spiritualité chrétienne, les choses sont assez claires dans l’esprit du réalisateur. Il veut montrer la dimension spirituelle de Brendan. Cette spiritualité est plus présente dans l’univers forestier que dans l’univers du monastère où l’on ne voit finalement quasiment rien de la vie religieuse. 3/ La culture irlandaise : ce film est un manifeste pour la culture irlandaise. 4/ Rapport de l’art au monde Au-delà de la dualité entre le livre et le Monde, le livre et la violence, Tomm Moore parle d’un effet d’écho où le « scriptorium » serait un miroir du studio d’animation : il revendique d’une façon très claire cette mise en abyme. Tomm Moore s’interroge sur la place de l’Art dans le Monde de son point de vue d’artiste gérant de l’individuel et du collectif car l’animation est un art collectif, comme le travail d’enluminure avec un maître enlumineur. V – ESTHETIQUE Il y a une correspondance entre le livre et la forêt et entre les pages et les feuilles des arbres. 1/ L’univers visuel Les images iconographiques dans les images médiévales se rapportent à une connaissance fine du livre de Kells. Pour Xavier Kawa-Topor, la difficulté majeure se trouve dans les références religieuses (quatre évangiles, les symboles des évangiles…) sur lesquelles les collégiens n’ont pas de références communes. Les enseignants peuvent travailler sur les différents motifs (végétaux, géométriques, ornementaux…) : le vocabulaire mis en œuvre par le film est riche. La scène où Brendan affronte le serpent Crom Cruach pour obtenir l’œil de cristal est très intéressante car le serpent est présent dans beaucoup de mythes. Cette très belle scène permet à Brendan par l’écriture de circonscrire le chaos avec le cercle. La symbolique du cercle est extrêmement présente dans le film : il est assimilé d’un bout à l’autre à la chrétienté (cercle du monastère, cercle de Brendan, le cercle de la vision c'est-à-dire la vision d’un Monde est souvent circulaire). Comment la forêt devient enluminure ?

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La forêt est dépeinte comme une enluminure avec la forme de lettrines du manuscrit et elle intervient sur le manuscrit : ce chassé-croisé est extrêmement intéressant. Xavier Kawa-Topor laisse aux enseignants le soin de chercher dans la mythologie celte les figurations d’animaux, de végétaux, la symbolique de la pomme, du chêne, du hêtre… Ces références de la mythologie celte sont encore utilisées aujourd’hui dans la culture des jeunes avec tout ce qui est lié à la fantaisie post-Tolkienienne qui s’inspire énormément de la culture celte. L’écriture est très présente dans le film, dans le livre mais également sur les murs. La chambre de l’abbé Cellach est remplie d’écritures, de schémas de machines avec la présence du cercle au sol. Cette présence des signes est là comme un univers mental accompagnant les personnages. C’est vrai pour l’abbé mais également pour Brendan avec le surgissement d’une brume qui prend des motifs iconographiques dans l’imagination de son esprit. 2/ La composition des personnages Au-delà du récit initiatique, la composition des personnages est sans surprise : elle s’explique par l’envie de plaire, pour donner un certain nombre de gages aux spectateurs. La photo ci-contre est tirée de la scène d’ouverture. Ces motifs ne seront plus montrés après cette première séquence et l’humour montré dans cette séquence ne sera plus présent dans le reste du film.

Dans les films d’animation, les réalisateurs introduisent d’emblée une scène comique, voire burlesque, avec un animal pour provoquer l’adhésion du jeune public. Pour Xavier Kawa-Topor, cette séquence n’est pas fondamentale dans l’intériorité des personnages. Cette scène permet seulement de créer de l’empathie entre Brendan et le public. Dans Kirikou et la petite sorcière, Michel Ocelot est original et singulier dans son regard à l’enfance, contrairement à Brendan et le secret de Kells où Tomm Moore ne montre rien sur l’intériorité du personnage : Brendan pourrait être remplacé par un autre enfant. Pour Xavier Kawa-Topor, les personnages de ce film manquent d’intériorité ce qui laisse le spectateur extérieur aux personnages. Cette séquence est très utile pour découvrir le monastère mais le jeu de l’enfant est traité superficiellement. Dominique Roy, présidente de l’association, fait remarquer que les traits du personnage de Brendan sont simplistes par rapport à ce qui est montré dans le dossier pédagogique du film (page 3). Elle fait un parallèle avec les personnages de Takahata Isao qui, quoique simples, sont plus expressifs. Xavier Kawa-Topor ajoute que le producteur a fait rajouter « Brendan » au titre. Pour lui, la séquence où Brendan est attiré par le tumulus du grand sombre et où Aisling lui dit de ne pas y aller a déjà été réalisée dans beaucoup de films.

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3/ La mise en scène Il y a plusieurs aspects attrayant (l’espace du livre, le cercle, les courbes) et des idées fortes intéressantes dans ce film : - plusieurs séquences différentes créent des triptyques ou des diptyques ou des scènes synchronisés dans la même image. - On trouve un processus de roues qui tournent pendant que les enfants parlent devant. - Le spectateur se retrouve fréquemment dans plusieurs espaces cinématographiques juxtaposé : c’est une écriture moderne dont les collégiens ont l’habitude. Cette mise en scène travaille la structure de l’espace du manuscrit médiéval enluminé et la simultanéité des scènes peut faciliter la lecture. Le passage du temps à travers les images sont de très jolies scènes car on y voit passer les saisons, les paysages et les âges de la vie.

Le cercle est surabondant dans le film. Il y a un substrat animiste par le côté magique de la nature : la louve se transforme en fée et les loups se transforment en menhirs. Cette double correspondance est extrêmement présente.

Le cercle et la courbe pourraient être caricaturés en disant que le cercle est du registre du christianisme et la courbe liée à la forêt rappelle la religion celte, la triskèle. La triskèle est la réunion des trois éléments (la terre, le feu et l’eau) à l’œuvre dans le film. Il y a aussi toute une mythologie sur les îles avec le frère Aidan ( ?).

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Les personnages ont été travaillés selon des stéréotypes. L’Italien fait penser au cuisinier dans La Belle et le clochard et le Noir fait penser au pirate d’Astérix. Le chat du moine a réellement existé et il était célèbre dans la littérature.

Le film a été adapté du gaélique en français mais Xavier Kawa-Topor ne sait pas si ce film a une version originale en anglais. Pour la musique, il y a une très jolie séquence quand la fée Aisling escalade la tour : il y a une jolie correspondance entre les volutes qui l’accompagnent et l’ornementation des chants celtes. L’association Collège au Cinéma 37 remercie Xavier Kawa-Topor pour sa venue à Tours et son analyse du film d’animation de Tomm Moore, Brendan et le secret de Kells.

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