INTERVIEW. Jacques Attali - Maire-Info

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2 déc. 2013 ... Jacques Attali, invité du Congrès des maires, développe ici ses idées sur la réforme de l'administration territoriale de la France et explique.
Politiques

Interview

« À l’évidence, la France a besoin faire face à la mondialisation » Quelles sont les activités de PlaNet Finance en France ? PlaNet finance est une ONG qui travaille dans 80 pays dont le métier est d’aider les gens les plus en difficulté à créer leur entreprise en les conseillant et en leur trouvant un financement. C’est ce qu’on appelle « l’inclusion financière ». Depuis six ans, nous avons commencé cette activité dans les quartiers en France. Nous avons créé 1 500 entreprises, soit plus de 3 000 emplois, dans environ 20 quartiers dans lesquels nous avons des bureaux, et nous ambitionnons de couvrir toutes les zones urbaines sensibles. Ce programme est financé pour un tiers par la Caisse des dépôts, un tiers par les collectivités locales ou des partenaires locaux et un tiers par Pôle emploi. Nous avons aussi un fonds d’investissement en capital, FinanCités, qui nous permet de prendre des participations dans certaines de ces sociétés. Quelles sont les relations de PlaNet Finance avec les collectivités ? Nous ne nous installons dans une commune qu’avec l’accord du maire, nous travaillons en parfaite intelligence avec les collectivités et nous nous coordonnons avec les dispositifs locaux. La collectivité participe au financement dans de nombreux cas mais pas systématiquement. Quel est l’intérêt de la microfinance pour les collectivités et comment peuvent-elles s’y impliquer ?

© Aurélien Faidy

Jacques Attali, invité du Congrès des maires, développe ici ses idées sur la réforme de l’administration territoriale de la France et explique le rôle de la microfinance pour l’emploi des jeunes.

L’intérêt, c’est la lutte contre le chômage des jeunes. Un jeune qui crée son entreprise coûte moins cher à la collectivité en trois ans que le même au chômage pendant trois mois. Nous proposons

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aussi des activités qui permettent aux collectivités de donner un sens utile à leurs jumelages internationaux, pour qu’ils apportent du développement et pas seulement des rencontres. Pour Brest,

Orléans et d’autres villes, nous développons la microfinance dans les villes avec lesquelles elles sont jumelées, parfois en liaison avec les communautés d’Afrique dans ces villes françaises.

1981 Conseiller spécial auprès de François Mitterrand 1991 Président fondateur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement

1998 Président de PlaNet Finance 2008 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française 2010 Une ambition pour dix ans,

rapport remis au président de la République 2012 Pour une économie positive, rapport au président de la République

Interview

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Vous êtes intervenu au Congrès des maires lors du débat «   maires, chance ou faiblesse pour la République ? » (1). Quel message avez-vous délivré ? D’abord, je ne suis pas contre le nombre de maires et de communes. Bien sûr, il y aurait une rationalité à réduire le nombre d’élus, mais je ne crois pas que ce serait une bonne idée car ces élus portent la démocratie locale, ils permettent de maintenir un maillage du territoire essentiel. Ce maillage est important en matière écologique et indispensable pour la grande industrie de demain, celle du tourisme. Mais il y a aussi beaucoup de gaspillages car il y a des redondances. Il faut des regroupements en agglomérations qui prennent en charge les services, avec des élus qui défendent les intérêts des communes. Vous avez aussi attaqué l’organisation de l’administration territoriale française… Il n’y a pas la place dans le long terme pour huit niveaux de collectivités territoriales. La démocratie passe mieux par les communes que par les départements, qui représentent un étage inutile entre la région et les agglomérations. L’action sociale peut être portée par les agglomérations, même s’il faut faire quelques exceptions dans les départements où il n’y a pas d’agglomération. La création de la métropole lyonnaise est un bon exemple de ce qu’il faut faire partout. Par ailleurs, il ne faut surtout pas laisser se développer les pays, un cancer institutionnel. Et il faut revenir

sur la compétence générale, c’est une folie administrative, une vraie source de gaspillage. Mais les collectivités territoriales ont un gros avantage par rapport au gouvernement : celui-ci peut-être renversé chaque jour, alors qu’un maire est là pour six années, et souvent pour plusieurs mandats ; c’est un formidable atout dans l’économie positive, c’est-à-dire la prise en compte du long terme. Quel est votre regard sur l’évolution institutionnelle française depuis votre rapport sur la libération de la croissance française de  ? Toutes les lois récentes vont à michemin ou dans la mauvaise direction. Le conseiller territorial n’était qu’une manœuvre politique pour faire basculer à droite des circonscriptions de gauche, la gauche rend la clause de compétence générale et personne n’ose supprimer le département.

© Aurélien Faidy

de se rationaliser pour

aussi globale. Mais je n’aime pas la réduction proportionnelle, automatique, elle ne fait que masquer l’absence de décisions structurantes. Il faut déterminer des priorités : les ports, les axes structurants – Le Havre-Paris, Marseille-Lyon –, le renforcement des agglomérations, la concentration des ressources dans un plus petit nombre de régions. Les débats actuels sur ces questions sont-ils à la hauteur des enjeux ? Il n’y a pas de débat. On marche sur la pointe des pieds pour ne pas décider. La France est une société de connivence où tout le monde est content qu’on ne décide rien car chacun a peur qu’en acceptant qu’on prenne aux autres, on vienne prendre à luimême. Alors qu’à l’évidence, la France a besoin de se rationaliser

« La démocratie passe mieux par les communes que par les départements » Que pensez-vous de la baisse des dotations de l’État aux collectivités ? Le pays est pratiquement en situation de faillite, la dynamique de l’endettement est extraordinairement dangereuse pour l’État comme pour les collectivités locales. L’État ne peut plus se permettre de donner des ressources aux collectivités de façon

pour faire face à la mondialisation. Les maires ont-ils un rôle à jouer dans la mondialisation ? Oui, en particulier sur le développement du tourisme. Actuellement, nous recevons à peu près 85 à 90 millions de touristes par an. La France a un potentiel de 200 millions de touristes par an en 2020 et 300 millions en 2050, avec les touristes qui vont arriver de Chine et bientôt de toute l’Asie. Ces touristes viendront en Europe, la question est de savoir s’ils viendront en France. Nous avons un pays merveilleusement bien placé, pas trop peuplé, un climat qui ne peut que se maintenir ou s’améliorer avec l’évolution climatique, des infrastructures incroyables, il peut nourrir tous les gens qu’on voudra… Pour accueillir 300 millions de touristes, il faut repenser totalement la politique des campagnes françaises. Nous avons, là, la possibilité de changer le pays. On ne doit pas la gaspiller en construisant des HLM à touristes, ce que certaines régions ont fait. Donc la protection de l’urbanisme et des paysages sera déterminante, avec un rôle de premier plan des maires. S’il y a un domaine dans lequel l’État doit avoir son mot à dire, c’est dans la protection du foncier et le respect de l’urbanisme, il doit intervenir pour reconquérir l’esthétique, le patrimoine, l’identité culturelle des villes et villages. Et il faut acquérir une culture de l’accueil aussi développée que celle de nos concurrents. Propos recueillis par Antoine BLOUET (1) Voir p. .

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