La femme est l'avenir de l'homme

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La femme est l'avenir de l'homme. Henri Pena-Ruiz. (in « Est-ce ainsi que les femmes vivent ? précédé de « le Festival du livre de Mouans-Sartoux 2008 » ...
La femme est l'avenir de l'homme Henri Pena-Ruiz (in « Est-ce ainsi que les femmes vivent ? précédé de « le Festival du livre de Mouans-Sartoux 2008 », collectif d’auteurs animé par Malika Mokeddem et Marie-Louise Gourdon, éd. De l’Aube 9.08 www.aube.lu,, hors-commerce, 64 pp. ISBN 978-2-7526-0531-3)

Relisons Simone de Beauvoir. Dans Le Deuxième Sexe, elle affirme: « On ne naît pas femme; on le devient. » Que veut-elle dire ? Que la femme existe d'abord comme être humain. C'est en tant que telle qu'elle est sujet porteur de droits. Et ce en amont même de la différence des sexes. Celle-ci, bien réelle, ce sont des sociétés régies par des rapports de forces qui décident d'en faire l'objet de discriminations. Et dès lors, l'éducation, la sédimentation des coutumes, la systématisation des représentations idéologiques vont véhiculer un traitement discriminatoire qui, à la longue, apparaît comme normal, surtout à ceux qui en tirent avantage. L'habitude est une seconde nature, rappelait Pascal. Telle est, schématiquement, la généalogie de la mystification sexiste qui prétend fonder sur la nature une injustice millénaire. La provocation verbale de Simone de Beauvoir est donc salutaire. Par la force du paradoxe, elle ébranle deux mille ans de préjugés afin de faire naître une interrogation là où le machisme ordinaire avait installé de pseudo-évidences. La liberté et la plénitude de l'égalité des droits se réfèrent à l'être humain comme tel, abstraction faite de toutes différences. Une telle abstraction est émancipatrice, car elle délivre d'emblée les dominé(e)s de toute fatalisation du rapport de forces qui les tient assujetti(e)s. Certes, les différences existent dans la société, comme un fait, mais un tel fait ne vaut pas droit. C'est dire qu'aucune différenciation des droits selon le critère du sexe n'est légitime. Les trois religions du Livre se développèrent dans des sociétés où l'homme dominait - et il est bien temps de récuser l'usage fait des mythes d'amazones dominatrices et de sociétés. matriarcales originaires. Les trois monothéismes ne surent guère prendre leurs distances à l'égard des préjugés sexistes de l'époque, et leurs textes de référence, pris littéralement, commirent l'erreur de convertir le fait en droit. Ce qui, même du point de vue de croyant(e)s, ne va pas sans problème. Dieu serait-il machiste ou sexiste ? La question semble sacrilège, mais elle a sa justification. Raisonnons en nous plaçant du point de vue de quelqu'un qui croit en Dieu. Si Dieu est conçu comme un être éternel, comment peut-il partager les préjugés d'une époque historique déterminée ? Si Dieu est pure bonté, comment peut-il vouloir la domination d'un sexe sur l'autre ? Et si Dieu est tout-puissant, n'a-t-il pas le moyen d'empêcher le mal, au lieu de le faire advenir par la femme, maudite cueilleuse de pomme ? Est-ce Dieu qui parle quand la Bible, les Évangiles et le Coran donnent la domination masculine comme allant de soi ? Les trois textes posent la hiérarchie entre les sexes comme une sorte d'évidence. Leurs auteurs n'ont-ils pas attribué à leur Dieu les préjugés qu'eux-mêmes véhiculaient ? Ce genre d'approche éclairée est recommandé par Spinoza, Averroès et Thomas d'Aquin ou Pascal. Seule la raison, liée bien sûr au cœur, peut opérer cette distinction des niveaux de lecture, et délivrer ainsi la conscience de représentations qui codifient un rapport de forces en enrôlant la divinité pour le sanctifier. On le voit, à la lumière de l'émancipation laïque: nul n'est invité à abandonner sa religion pour se

libérer. La seule exigence est de délivrer la foi de préjugés historiques dont elle n'a pas à être solidaire, sauf quand les théologiens entendent faire la loi. Olympe de Gouges est bien obligée de parler des droits de la citoyenne, non parce que la citoyenneté aurait un sexe, mais justement pour rappeler que la citoyenneté masculine ne concerne que la moitié du genre humain: elle réalise le paradoxe étonnant de décliner l'universel en absolutisant une particularité (le sexe masculin). Si Olympe revendique le droit de monter à la tribune comme à l'échafaud, c'est pour s'étonner qu'une révolution qui a démoli la Bastille de l'enfermement arbitraire reste en chemin dans le processus d'émancipation universelle. Condorcet, qui voulait que l'instruction publique soit dispensée à égalité aux filles et aux garçons, le dit aussi à sa manière. Pour éviter tout ethnocentrisme, on remarquera que ce n'est pas la culture occidentale comme telle qui a fait naître l'idée de l'égalité nécessaire des sexes, mais la résistance pluriséculaire des femmes à toute logique d'oppression et d'infériorisation, ainsi que l'engagement résolu des hommes révoltés par la hiérarchie machiste. La réalité, vérifiable, c'est que ces valeurs sont nées à rebours des traditions occidentales, et non dans leur prolongement. Celles-ci n'ont-elles pas véhiculé la notion machiste de chef de famille, la confusion sexualité-procréation, et le thème de la femme au foyer ? Souvenons-nous de Mariatou Koïta, courageuse femme malienne qui refusait l'excision du clitoris en tant que mutilation multiforme de la femme, mais refusait aussi que cette excision soit présentée comme un trait culturel. Ce n'est pas trahir sa culture que de promouvoir des exigences éthiques et juridiques universelles, qui conduisent effectivement à vivre son appartenance à une culture de façon critique et distanciée. Le chantage à la trahison est l'œuvre des fondamentalistes qui veulent oublier qu'en son sens dynamique la culture est d'abord dépassement des préjugés, émancipation, et non soumission passive aux traditions les plus rétrogrades. Pourquoi une femme devrait-elle administrer la preuve de sa virginité alors que l'homme n'est pas soumis à la même exigence ? Pourquoi la pluralité des expériences sexuelles serait-elle jugée mauvaise chez la femme et normale, voire bonne, chez l'homme ? Il faut en finir avec ces discriminations qui n'avouent pas leur nom et se cachent dans le langage commun. Louis Aragon disait de la femme qu'elle est l'avenir de l'homme. Comment comprendre cette formule qui touche le cœur comme la raison ? On peut admettre que l'exigence d'une émancipation accomplie porte la femme au meilleur d'elle-même, comme elle le fait pour l'homme. Deux êtres libres, disposant d'eux-mêmes, adviennent ainsi et se tournent l'un vers l'autre dans le cadre d'un respect mutuel authentique, d'un désir qui n'est plus entaché de volonté de domination. Je me donne d'autant plus librement à l'autre que je garde la maîtrise de mon être. Et l'autre de même. N'est-ce pas une relation autrement riche et gratifiante qui se crée ainsi ? En luttant pour la femme, l'homme doit certes renoncer aux mesquineries et aux abjections de sa domination coutumière. Mais il gagne une merveilleuse chance: celle de construire un couple où l'égalité dans la différence porte la vie commune à un niveau d'exigence qui est aussi une source de bonheur. Ainsi compris, l'homme, débarrassé des attitudes sexistes, deviendra aussi l'avenir de la femme. Henri Pena-Ruiz est philosophe, professeur, ancien membre de la commission Stasi sur l'application du principe de laïcité dans la République. Écrivain, il est devenu un spécialiste des questions de laïcité. « Qu’est-ce que la laïcité ? », coll. Folio, éd. Gallimard Histoire de la Laïcité, genèse d’un idéal, coll. Découvertes, éd. Gallimard Dieu et Marianne, philosophie de la laïcité, éd. PUF, etc. Histoires de toujours : dix récits philosophiques, Flammarion, 2008. éd. 3.10

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