La tulipe noire

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TULIPE NOIRE. UN PEUPLE RECONNAISSANT. Le 20 août 1672, la ville de la Haye, si virante, si blan- che, si coquette que Ton dirait que tous les jours sont ...
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Le l'esiameut de M.

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Le Caurase . Le Coriicolo Le Midi de

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La l'rincesse Flora.. l'ro|Mis d'Art et de

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Idines

Cliaiivellii

TliéAtie ciinplet.

Louves

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Aiadaniede Cliaiublay.

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.

Le Trou de

l'enfer

.

La Tulipe noire. • . Le Vicomte île UrageIdiin?

de

cliceoul



.

Trois .Maîtres. . . . Les Trois .Mousiiue-

voluiioii

La .Mannnse d'£s-

Emma

lôles.

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L"ll(inin;e

LesUraiiic-gal.iils.—

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un Fui'

Les.Moliicansde Paris Les .Morts vont vite. Napoléon

Hommes

Inpénue 2

—lalMilcilu Marquis LaD.inudeMon-oreau LaLanu'de VolupK'. Les iJenx lii.inu. . . Les Deux lleiiies. . Lien dis|.ose. ... Le Uraiiie de 93 . . Les UiaiiicsdehiiHer

Ca-

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Ilisloire

li.ilsaiio.

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Le .Meneur

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rliauiliie:

L'Iloroscoi'e

LeC.lia-st'urileSauvaLeCli,lu'aii(ri';p|)sieiii

llisi.

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Henri IV, Louis -Mil, lUcliclieii. . La (juerredcs leiiniies

2 1

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La .Maison de i;l,ics. Le Alaltri! l'unnc^.. Les .M,iri,i:;i.'s du pi;r('ii:iit('s

COI.I.KCTION MICIIKL I.livT

I,A

BIIODAHU

La Vie au

Désert.

Une Vie d'artiste . ViniJt Ans après. et

GALLOIS.

. .



-

^^e^^ LA

TULIPE NOIRE PAR

ALEXANDRE DUMAS KOUVELLE ÉDITION

PARIS

CALMANN LÉVY, ÉDITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES 3,

RUE AUBER,

3

1889 Droits de reproduction et de traduction réservai

xizq û^^f

LA

TULIPE NOIRE

UN PEUPLE RECONNAISSANT. Le 20 août 1672, che,

si

la ville

de

la

Haye,

si

virante,

si

blan-

coquette que Ton dirait que tous les jours sont des

dimanches

,

la vi!!o

de

la

Haye, avec son parc ombreux,

avec ses grands arbres inclinés sur ses maisons gothiques, avec les larges miroirs de ses canaux dans lesquels se reflètent ses clochers la ville

de

la

Haye,

aux coupoles presque orientales; la capitale

gonflait toutes ses artères d'nn flot noir et

toyens pressés, haletang, inquiets, le

couteau à

la ceinture, le



des sept provinces dnier,

rouge de

ci-

— lesquels couraieni,

mousquet sur

l'épaule

ou

le

bâ-

^ LA TILIPE NOIUE.

s ton à la main,

vers le Uuy tonhofl", formidable prison dooii

on montra encoro aujourd'hui

les fonôlres grillées et

depuis l'acrusation d'assassinat portée contre

lui

où,

par

le

chiruff^ien Tyrhelaer, languissait Cornoillo do Witt,(rère

do IVx-grnnd [lensionnaire de Hollande. Si l'histoire

de ce temps ei surtout de cette année au

milieu de laquelle nous liée

commençons notre récit, n'était noms que nous ve-

d'une façon indissoluble au» deui

nons de

citer, les

quelques lignes d'eiplicalion que nous

donner pourraient paraître un hors-d'œuvre; mais

allons

nous prévenons tout d'abord

le lecteur,

ce

vieil

ami, à

^ui nous promettons toujours du plaisir à notre première page, et auquel nous tenons

dans

les

parole tant bien que mal

pages suivantes; mais nous prévenons, disons-

nous, notre lecteur que cette explication est aussi indis-

pensable à

la clarté

de notre histoire qu'à l'intelligence du

grand événement politique dans lequel celte histoire s'encadre. Corneille

ou Cornélius de Witt

,

Ruart de Pulten

tre

,

c'est

pays, ex-bourgmes-

à-dire inspecteur des digues de ce

de Dordrecht, sa ville natale, et député aux états de

Hoiiande, avait quarante-neul ans

,

lorsque

landais, fatigué de la république, telle

que

le

peuple hol-

l'entendait Jean

de Witl, grand pensionnaire de Hollande,

s'éprit d'ufl

amcur violent pour le stathoudérat que l'édit perpétuel mposé par iean de Witt aux Provinces-Unies avait à tout ,

i

jamais aboli en Hollande.

Comme

il

se», l'esprit

est rare

que, dans ses évolutions capricieu-

public ne

voie pas un

homme derrière un

principe, derrière la république le peuple voyait les deus figures sévères des frères de Witt

^

ces

Romains delà Hol-

LA TULIPE NOIRE.

3

lande, dédaigneux de flatter le goût national, et amis inflexibles d'une liberté sans licence et d'une prospérité sans

superflu

de

,

môme

le front incliné

que derrière

le

stathoudérat

voyait

il

grave et réfléchi du jeune Guillaume

,

d'Orange, que ses contemporains baptisèrent du

nom

de

Taciturne, adopté par la postérité.

Les deux de Witt ménageaient Louis XIV, dont taient grandir lascendant

dont

ils

senet

venaient de sentir l'ascendant matériel sur la Hol-

de cette campagne merveilleuse du

lande par le succès

Rhin, illustrée par ce héros de

comte de Guiche, en

ils

moral sur toute l'Europe,

et

mois venait d'abattre

trois

roman qu'on

appelait le

chantée par Boileau, campagne qui la

puissance des Provin-

ces-Unies.

Louis

XIV

était

depuis longtemps l'ennemi des

landais, qui l'insultaient

presque toujours

,

il

ou

le

raillaient

est vrai, par la

Hol-

de leur mieux,

bouche des Français

réfugiés en Hollande. L'orgueil national en faisait le Mithridate de la république.

Witt

la

résistance suivie par !a

Il

y avait donc contre

les

de

double animation qui résuite d'une vigoureuse

nation et de

vaincus quand

sauver de

la

la ils

un pouvoir

fatigue

luttant contre le

goût de

naturelle à tous les peuples

espèrent qu'un autre chef pourra les

ruine et de la honte.

Cet autre chef, tout prêt à paraître, tout prêt à se mesurer contre Louis XIV,

si

gigantesque que parût devoir

être sa fortune future, c'était Gaillaume, prince d'Orange, flls

de GuiUaume U, et

roi Charles

avons déjà le

petit-fils,

par Henriette Stuart, da

l« d'Angleterre, ce taciturne enfant, dont nous dit

que

stathoudérat.

l'oii

voyait apparaître l'ombre derrière

LA TULIPE NOIRE.

>

Co jeune

homme

était fl^o

do 22 nns en 1672. Jean de

Witt avait été son nrécepleur et

de

faire

dans son

amour de

de son élève,

il

la patrie

Hollandais el la terreur la

avait

qui lont et défont

terre sans consulter le roi

de changer

politique

lui avait,

par Tédit perpétuel, enlevé ï'es-

lui avait,

hommes,

tion des

11

qui l'avait emporté sur l'amour

du stalhoudérat. Mais Dieu

poir

élevé dans le but

l'avait

de cet ancien prince un bon citoyen.

du

ciel

;

(|u'mspiiait

ri

do celte préten-

ie-i

puissances do la

et par le caprice des

Louis XIV,

du grand pensionnaire

il

venait

et d'abolir

redit perpétuel en rétablissant le stathoudérat pour Guil-

laume d'Orange, sur lequel encore dans

les

il

avait ses desseins, cachés

mystérieuses Drolbndeurs do l'avenir.

Le grand pensionnaire s'inelma devant ses concitoyens; trant, et

malgré

mais Corneille de Witt

menaces de mort de

les

giste qui l'assiégeait

volonté de

la

fut olus récalci-

plèbe oran-

la

dans sa maison de Dordrecht,

il

refu-

sa de signer l'acte qui rétablissait le stathoudérat.

Sur

les instances

de sa femme en pleurs,

ajoutant seulement à son "fioetus,

Ce

fut

nom

il

signa enfin,

ces deu^i lettres

:

V. C. 7i

ce qui voulait dire: Contraint par la force. par un véritable miracle qu'il échappa es jour-là

aux coups de ses ennemis. Quant à Jean de Witt, son adhésion, plus rapide facile

à

la

profitable.

volonté de ses concitoyens, ne

A

quelques jours de

tativo d'assassinat.

là,

il

fut

lui fut

et plus

guère plus

vicume d'uns

Percé de coups de couteau,

il

t

:i-

ne mou-

rut point de ses blessures.

Ce

n'était point là ce qu'il fallait

aux orangistes. La

vie

des deux frères était un éterael obstacle à leurs projets; ils

changèrent donc momentanément de tactique, quitte,

LA TULIPE NOIRE. au moment donné, de couronner mière, et

ils

la

5

seconde par

la

pre-

essayèrent de consommer, à l'aido de la ca-

lomnie, ce qu'ils n'avaient pu exécuter par le poignard. Il

sous

est assez rare la

moment donné,

qu'au

main de Dieu, un grand

grande action

,

homme

mando

se trouve

même le nom

de cet

,

l'histoire enregis-

homme élu, et le recom-

à l'admiration de la postérité.

Mais lorsque

le diable

se

mêle des

affaires

humaines

pour ruiner une existence ou renverser un empire ,

il

est

immédiatement à sa portée quel-

rare qu'il n'ait pas

bien

là,

pourquoi, lorsqu*arrive par ha-

et voilà

sard cotte combinaison providentielle tre à l'instant

il

pour eiécuter une

que misérable auquel il n'a qu'un mot à souffler à l'oreille pour que celui-ci se mette immédiatement à la besogoe. Ce misérable, qui dans posté pour être

comme nous

cette circonstance se trouva tout

du mauvais

l'agent

croyons déjà l'avoir

esprit,

dit,

se

nommait,

Tyckelaer, et était

chirurgien de profession. li il

vint déclarer (^ue Corneille de Witt, désespéré,

l'avait

du

resté

tion de l'édit

comme

prouvé par son apostille, de l'abroga-

perpétuel,

et

enflammé de haine contre

Guillaume d'Orange, avait donné mission à un assassin de délivrer la république

du nouveau stathouder,

et

que

cet

remords à demandait, aimait mieux

assassin c'était lui, Tyckelaer, qui, bourrelé de la seule idée

de l'action qu'on

lui

révéler le crime que de le commettre.

Maintenant, que l'on juge de l'explosion qui se les orangistes fiscal

le

fit

à

la

parmi

arrêter Corneille dans sa maison, le 16 goût 1672

Ruart de Pulten,

bissait

fit

nouvelle de ce complot. Le procureur

dans une

salle

le

noble frère de

du Buytenhoff

Jears

;

ie Witt, su-

la torture préparatoire

LA TULIPE NOIRE.

a

destinée à lui arraclior, conimo aux plus vils criminels, l'aveu de son prétendu complot contre Guillaume.

Mais Cornoille était non seulement un {pend;mt, voynz... dit

En

elfet,

l'olficier.

d'autres visages furieux, grinçant décolère, se

montraient aux fenêtres en criant :

— Sauvé Et

!

évadé

bles imprécations

poursuivons-les



!

ils l'ont fait luir.

peuple, resté dans la rue, répétait avec d'effroya-

II?

:

— Sauvés

Monseigneur,

il

paraît

bien réellement sauvé, dit

— Oui,

de

homme

évadés

!

courons après eux,

que M. Corneille de Wittest

l'officier.

prison peut-ôire, répondit celui-ci, mais

la

pas de la ville

!

I

vous verrez, van Deken, que

;

Itî

pauvre

trouvera fermée la porte qu'il croyait trouver ou-

verte.

— L'ordre de fermer

les portes

de

la ville a-t-il

donc été

donné, monseigneur?

— Non, ne crois pas; qui aurait donné cet ordre? — Eh bien qui vous supposer — y a des répondit négligemment l'Altesse, je

fait

!

Il

î

fatalités,

et les

plus grands

de ces

fatalités-là.

L'officier sentit

hommes

sont parfois tombés victime?

à ces mots courir uh frisson daas ses vei

LA TULIPE NOIRE. nos, car

39

comprit que, d'une façon ou de

il

l'autre, le

pri-

sonnier était perdu.

En ce moment,

comme un

rugissemens de

les

tonnerre, car

il

lui était

la foule éclataient

bien démo»tré

qu?î

Cornélius de Wilt n'était plus dans la prison.

En

effet,

Corneille et Jean, après avoir longé le vivier,

la grande rue qui conduit au Tol-Hek, tout en recommandant au cocher de ralentir le pas de ses

avaient pris

chevaux pour que aucun soupçon.

le

passage de leur carrosse a'éveillAl

Mais arrivé au milieu de cette rue, quand la grille,

son

et la

quand il mort et qu'il

de loin

avait devant lui la vie et la liberté,

cocher négligea toute précaution et mit

le

vit

il

sentit qu'il laissait derrière lui la pri-

le

carrosse au

galop.

Tout à coup



Qu'y

s'arrêta.

il

demanda Jean en passant

a-t-il î

la tête

par

la

portière.

— Oh

I

mes maîtres, s'écria le cocher, il y a... la voix du brave homme.

La terreur étouflait

— Voyons, achève, dit grand pensionnaire. — y a que grille est fermée. — Comment, grille est fermée! Ce n'est le

la

Il

la

pas l'ha-

bitude de fermer la grille pendant le jour.

— Voyez plutôt. Jean de Witt se pencha en

en

effet la grille

dehors de

la

voiture et vit

fermée.

— Va toujours, dit Jean,

j'ai

sur moi l'ordre de

commu-

latioa, le portier ouvrira.

La voiture

reprit sa course

,

mais on

cner ne poussait plus ses chevaux avec

sentait

la

que

le

co-

même confiance.

LA TULIPE NOIRE.

40

Puis on sortant sa I6le par avait été

vu

et

portière, Jean

la

compagnons, formait sa porte à toute

ses

sur

les rejoindre

poussa un

Il

hommes

ori

hommes

pour

hflto,

aller

Buytonhoff.

le

de surprise,

qui couraient devant

Au bout de trois

de Witl

reconnu par un brasseur qui, en retard sur

cent pas

les

il

et

courut après deux autres

lui.

rejoignit et leur parla

s'arrêtèrent, regardant s'éloigner

;

les

la voitiare,

mais encore peu sûrs de ceux qu'elle renfermait. I

a voiture

— Ouvrez — Ouvrir,

pendant ce temps

,

,

arrivait

au Tol-Hek.

cria le cocher.

I

dit le portier

paraissant sur le seuil de sa mai-

son, OHvrir, etavecquoi^

— Avec parbleu dit le cocher. — ATeclacleï, oui; mais faudrait l'avoir pour cela. — Comment vous n'avez pas clef de porte? dela clef,

I

il

manda

le

la

la

1

cocher.

— Non. — Qu'en avez -vous donc — Dame!

on me

l'a

fait

?

prise.

— Qui cola? — Quelqu'un ne no

sortît

de

— Mon ami, la voiture et

qui probablement tenait à ce que person-

la ville.

dit le

grand pensionnaire sortant

risquant le tout pour le tout,

mon

la tête

de

ami, c'est

pour moi Jean de Witt et pour mon frère Corneille, que j'emmène en exil. Oh monsieur de Witt, je suis au désespoir, dit le portier se précipitant vers la voiture, mais sur l'honneur,



la clef

1

m'a été

prise.

— Quand cela?

'

LA TUUPE NOIRE.

- Cp

— Pa —

4i

matin. qui î

l'

homme

Par un jeune

de viQgt-deux ans, pâle et

maigre.

— Et pourquoi avez- vous remise? — Parce qu'il avait un ordre signé et scellé. — De qui — Mais de messieurs de l'hôtel de — Allons, tranquillement Corneille, paraît que bien la lui

?

ville.

dit

il

décidément nous sommes perdus.

— Sais-tu — Je ne — Allons,

si la

même

précaution a été prise partout

î

sais.

de

dit

Jean au cocher, Dieu ordonne à l'homme

tout ce qu'il peut pour conserver sa vie

faire

une autre porte. Puis, tandis que



le

cocher

faisait

Merci de ta bonne volonté,

portier

;

l'intention est réputée

tention de nous sauver,

comme si tu — Ah dit I

et,

tourner

mon

pour

;

gagne

la voiture,

am.i, dit

le fait

;

Jean au

tu avais

aux yeux du Seigneur,

l'in-

c'est

avais réussi. le portier,

— Passe au galop

voyez-vous là-bas?

à travers ce groupe, cria Jean au co-

cher, et prends la rue à gauche; c'est notre seul espoir

Le groupe dont trois

parlait

Jean avait eu pour noyau les

hommes que nous avons vus

suivre

des yeux

la

voilure, et qui depuis ce temps et pendant que Jean par-

lementait avec le portier

s'était grossi

de srpt ou huit nou-

veaux individus. Ces nouveaux arrivans avaient évidemment des intentions hostiles à l'endroit

Aussi, voyant le?

du

carrosse.

chevaux venir sur eux au grand ga-

LA TULll'K NOIKE.

«2

on travers de

lop, so mirent-ils

bras armés de bâtons et criant

De sou

côté, le cocher so

la

Arrête

:

rue en agitant leurs 1

arrfite

pencha sur eux

I

et les sillonna

de coups de fouot. La voilure et

les

hommes se

heurtèrent enfin.

Leslrèresde Witt ne pouvaient rien voir, enfermés qu'ils étaient dans la voiture. Mais

ds sentirent les chevaux se

cabrer, puis éprouvèrent une violente secousse.

moment

d'hésitation et de

machine

roulasite,

tremblement

Il

y eut un

dans toute

la

qui s'emporta de nouveau, passant sur

queltjuc chose de rond et de flexible qui semblait être le

homme

corps d'un

renversé, et s'éloigna au milieu des

blasphèmes.

— Oh

dit Corneille, je crains

!

bien que nous n'ayons

fait

un malheur.

— Au galop

!

au galop

Mais, malgré cet

1

cria Jean.

ordre, tout à coup le cocher s'arrêta.

— Eh bien ? demanda Jean. — Voyez-vous? cocher. dit le

Jean regarda.

Toute mité de

populace du Buytenhot apparaissait à

la

rue que devait suivre

la

hurlante et rapide

— Arrête tile

d'aller

— Les

comme un

la

ouragan.

et sauve-toi, dit Jean au cocher plus loin

voilà

I

;

l'extré-

voiture, et s'avançait

;

il

est inu-

nous sommes perdus.

les voilà

1

crièrent ensemble cinq cents

voix.

— Oui, sins

l

les voilà, les traîtres

répondirent à ceux

1

les

meurtriers

qui venaient au

I

les assas-

devant de

la

voiture ceux qui couraient après elle, portant dans leurs

bras le corps meurtri d'un de leurs compagnons, qui,

«

LA TULIPE NOIRE.

«yant voulu sauter à la bride des chevaux, avait été renversé par eux. C'était

sur lui qao les deux frères avaient senti passer la

voiture.

Le cocher son maître,

En un

s'arrêta

mais quelques

;

instar.2es

que

lui

instant le carrosse se trouva pris entre

ceux qui

couraient après lui et ceux qui venaient au devant de

En un une

fît

ne voulut point se sauver.

il

instant,

domina toute

il

lui.

cette foule agitée

comme

Un maréchal

venait,

île flottante.

Tout à coup

l'île

flottante s'arrêta.

d'un coup de masse, d'assommer un des deux chevaux, qui tomba dans les

Eq ce moment

traits.

le

volet d'une

fenêtre s'entr'ouvrit et

l'on put voir le visage hvide et les

ne

homme

Derrière lui apparaissait la tête de pâle

que

yeux sombres du jeu-

se fixant sur le spectacle qui se préparait. l'offlcier

presque aussi

la sienne.

— Ohl mon Dieul moH Dieul se passer?

murmura

monseigneur, queva-t-il

l'officier.

— Quelque chose de terrible bien certainement, répondit celui-ci.

— Ohl

voyez-vous, monseigneur,

pensionnaire de

— En

vérité,

la il

voiture, faut

ils le

ils

battent,

tirent ils le

le

grand

déchirent.

que ces gens-là soient animés d'ufit le jeune homme du mê-

ne bien violente indignation,

me

ton impassible qu'il avait conservé jusqu'alors.

— Et voici Corneille qu'ils tirent

à son tour du carrosse.

Corneille déjà tout brisé, tout mutilé par la

voyez donc, voyez donc.

— Oui, en

effet, c'est

bien Corneille.

torture.

On

i

LA TULIPE NOIRE.

i'i

un

L'olûcior poussa

laiblo orl cl détourna

C'est (juc, sur je dernier

même

barre de ter qui

(^.e

50 releva cependant, mais

Puis

dans

hommes

dos

iric

.

avniii

eût touctiéla terre, le Ruart venait d( rece-

qu'il

voir un coup Il

In

degré du niarchepicd,

la foule,

ge sanglant

le

avait brisé la tôle.

lui

pour retomber aussitôt.

prenant par

les pieds, le tirèrent

au milieu de laquelle on put suivre

le silla-

y traçait et qui se rclermait derrière

qu'il

lui

avec de grandes huées pleines do joies.

homme

Le jeune

devint plus pâle encore, ce qu'on eût

cru impossible, et son œil se voila un instant sous sa paupière.

mouvement de pitié, le premier que son compagnon eût laissé échapper, et voulant pro-

L'ofQcier vit ce

sévère fiter

de cet amollissement de son âme,

— Venez,

monseigneur,

venez,

va assassiner aussi

le

— Mais jeune — En vérité le

!

pas bon de

homme

dit-il.

dit

il,

car voilà qu'on

grand pensionnaire. déjà ouvert les yeux.

avait

Ce peuple est implacable.

Il

ne

fait

le trahir.

— Monseigneur,

dit l'officier, est-ce

pas sauver ce pauvre

homme,

qu'on ne pourrait

qui a élevé Votre AltesseT

y a un moyen, dites-le, et dussé-je y perdre la vie... Guillaume d'Orange, car c'était lui, plissa son front

S'il

d'une façon sinistre, éteignit étincelait sous sa

— Colonel

l'éclair

de sombre fureur qui

paupière et répondit

van Deken,

allez, je

:

vous prie, trouver mes

troupes, afin qu'elles prennent les

armes à tout événe-

ment.

— Mais laisserai-je de ces assassins?

donc monseigneur seul

ici,

en face

LA TULIPE NOIRE.

— Ne vous

moi plus qug^e ne m'en

inquiétez pas de

quiète, dii Drusquement

le

prince.

in-

— (nez.

parut avec une rapidité qui témoignait bien

L'oiticier

moins de son obéissance que de la au niaeux assassinat du second des Il

45

fermé

n'avait joint

de

la porte

joie

de n'assister point

frères.

ckambre que Jean,

la

qui par un effort suprême avait gagné le perron d'une

maison située presqu'en face de



celle

était

caché son

élève, chancela sous les secousses qu'on lui imprimait de

dix côtés à la fois en disant

— Mon frère, où Un de

est

mou

:

frère î

ces furieux lui jeta bas son chapeau d'un coup

de poing.

Un

autre lui montra le sang qui teignait ses mains, cevenait d'évenlrer Corneille, et

lui-là

il

accourait pour ne

point perdre l'occasion d'en faire autant au grand pensionnaire, tandis

que

l'on traînait

au gibet

le

cadavre de ce-

qui était déjà mort.

lui

Jean poussa un gémissement lamentable et mit une de mains sur ses yeux.

ses

— Ah

I

tu fermes les

garde bourgeoise, Et

il

poussa dans

lui

lequel le sang

yeux,

le

!

— Va

soldats de la

visage

moi un coup de pique sous I

de Witt essayant de voir ce qu'était

cria

devenu Corneille, à travers frère

un des

jaillit.

— Mon frère mon

dit

et bien je vais te les crever,

le flot

de sang qui l'aveuglait

le rejoindre

pliquant son

I

hurla

mousquet sur

un autre la

tempe

et

en

lui

ap-

en lâchaùt

la

dé-

assassin

tente.

Mais

le

:

I

coup ne

partit point. 3.

LA TULIPE NOIUE.

4e Alors

meurtrier retourna son armo, et

le

deux niams par

le

canon,

la

preuant h

assomma Jean de Wilt d'un

il

coup do crosse. Jean do Wilt chancela et tomba à ses pieds.

Mais aussitôt, se relevant par un suprômo eiiori

— Mon frère que

le

cria-t-il

homme

jeune

D'ailleurs

me

i

tira le

contrevent sur

peu de chose à

restait

il

assassin lui lâcha

qui partit cote lois el

,

d'une voix tellement lamentable

à bout portant lui fil

lui.

un

troisiè-

un coup de

pistolet

voir, car

sauter le crâne.

Jean de Will tomba pour ne plus se relever. Alors chacun de ces misérables, enhardi par celle chute,

lut

arme sur le cadavre. Chacun voudonner un coup de masse, d'épée ou do couteau, cha-

voulut décharger son

tirer sa

cun voulut

goutte de sang, arracher sou lambeau

d'habits.

Puis

quand

ils

furent tous deux bien meurtris, bien dé'

chirés, bien dépouillés, la populace les traîna

nusetsan-

glans à un gibet improvisé, où des bourreaux amateurs les suspendirent par les pieds.

Alors arrivèrent les plus lâches,

frapper

la

qui n'ayant

chair vivante, taillèrent en lambeaux

morte, puis s'en allèrent vendre par

la ville

pas osé la

chair

des petits

mor-

ceaixx de Jean et de Corneille à dix sous la pièce.

Nous ne pourrions

dire

Imperceptible du volet terrible scèie

,

la

si

à travers l'Ouverture presque

jeune

mais au moment

deux martyrs au occupée de

le

gibet,

il

homme vit la fin de celte môme où l'o» pendait les

traversait la foule qui était trop

joyeuse besogne qu'elle accomplissait pour

s'inquiéter de lui, et gagnait leTol-Hek toujours fermé.

— m

LA TULIPE NOIRE.

— Ahl monsieur, s'écria

me

le portier,

rapportez- vous

a clef?

— Oui, mon ami, voilà, répondit jeune homme. — Oh un bien grand malheur que vous n© m'ayez la

I

le

c'est

pas rapporté cette clef seulement une demi-heure plus tôt, dit le

portier en soupirant.

—Et pourquoi cela? demanda le jeune homme.

— Parce que j'eusse pu

ouvrir aux messieurs de Witt.

ayant trouvé

Tandis que,

porte fermée,

la

obligés de rebrousser chemin.

de ceux qui

— Lh celle

1

la porte

homme

sorti

s'écria

1

une voix qui semblait

et

reconnut

C'est vous, colonel? dit-il.

de

la

ont été

être

pressé.

Le prince se retourna



ils

sont tombés au milieu

les poursuivaient.

porte

d'un

Ils

colonel van Deken.

le

Vous

pas encore

n'êtes

Haye? C'est accomplir tardivement mon ordre.

— Monseigneur, répondit porte à laquelle je

me

le colonel, voilà

présente,

j'ai

la troisième

trouvé les deux au'

très fermées.

— Eh bien Ouvre,

mon

ébahi à ce

1

ce brave

ami,

titre

dit le

homme

de parler

celle-ci.

de monseigneur que venait de donner

colonel van Deken à ce jeune nait

va nous ouvrir

prince au portier qui était resté tout

si

homme

pâle auquel

il

18

ve-

familièrement.

Aussi, pour réparer sa laute, se hâta-t-il û'ouvrir le Tol-

Hek, qui roula en criant sur ses gonds.

— Monseigneur veut

-il

mon chçval ? demanda le colonel

à Guillaume.

™- Merci, colonel, tend à que!(}ues pas Et prenant un

je

dois avoir

une monture qui m'at-

d'ici.

sifflet

d'or dans sa poche,

il

tira Je cet

LA TULIPE NOIRE.

48

instrumont, qui à celto époque serrait à appeler les doet prolongé,

mestiques, un son aigu

au retentissement

un second

accourut un écuyer à cheval et tenant

duquel

cheval en main.

Guillaume sauta sur

deux

et piquant dos

Quand

il

fut là,

il

il

cheval sans se servir de

le

gagna

l'eirier,

route de Leyde.

la

se retourna.

Le colonel le suivait à une longueur de cheval. Le prince

lui

ûl signe de preadro rang à côté de

— Savez-vous,

dit-il

lui.

sans s'arrêter, que ces coquins-là

comme

ont tué aussi M. Jean de Wilt

ils

venaient de tuer

Corneille?

— Ahl rais

monseigneur,

dit tristement le colonel, j'aime-

mieux pour vous que restassent encore ces deux diffifranchir pour être de

cultés à

le

fait

stathouder de Hol-

lande.

— Certes,

il

eût mieux

que ce qui vient est lait est fait, vite, colonel,

prit à

dit

,

jeune homme,

le

nous n'en sommes pas

la

cause.

pour arriver à Alphen avant

que certainement

Le colonel

valu

d'arriver n'arrivât pas. Mais enfin ce qui

les états

Piquons

message vont m'envoyer au camp.

s'inc'iina, laissa

le

passer devant son prince, et

sa suite la place qu'il tenait avant qu'il lui adressât

la parole.

— Ahl

je

voudrais bien,

murmura méchamment

laume d'Orange en fronçant et je

le sourcil, serrant ses

enfonçant ses éperons dans voudrais bien voir

quand

il

ia flgure

ventre de son cheval,

que

fera

Louis

apprendra de quelle façon on vient de

bons amis MM. de Witl Oh

nomme

le

Guillaume

le

!

Guillèvres

soleil, soleil,

le Soleil,

traiter ses

comme

je

me

Taciturne; soleil, gare à tes rayons!

LA TULIPE NOIRE.

49

Et il courut vite sur son bon cheval, ce jeune prince,

charné veille

rival

du grand

roi, ce

stathouder

si

l'a-

peu solide

la

encore dans sa puissance nouvelle, mais auquel les

bourgeois de la Haye venaient de faire un marchepied

avec les cadavres de Jean et de Corneille, deux nobles princes aussi devant les

hommes

et

devant Dieu.

BO

IJ^

TULIPE NOIKE,

V L

AMATEUR DE TULIPES ET SON

Cependant, tandis que taient

en

pièce=; les

les

bourgeois de

queGuillaumH li'Orange, après

s'être assuré

Haye met-

lui

que

morts, galopait sur

Leyde suivi du colonel van Deken, vait

la

cadavres de Jean et de Corneille, tandis

antagonistes étaient bien

compatissant pour

VOISIN.

continuer

qu'il trouvait la

honoré jusque-là, Craeke,

deux

ses

route de

la

un peu trop il Sa-

confiance dont

le fidèle serviteur,

monté

de son côté sur un bon cheval, et bien loin de se douter des terribles

événemens qui

son départ, courait sur

les

s'étaient accomplis depuis

chaussées bordées d'arbres

jus-

qu'à ce qu'il fût hors de la ville et des villages voisins.

Une laissa

fois

en sûreté, pour ne pas éveiller

son cheval dans une écurie

ment son voyage sur des bateaux qui par rent à Dordrecht en passant

les

soupçons,

il

et continua tranquille-

relais le

avec adresse par

menè-

les

plus

courts chemins de ces bras sinueux du fleuve, lesquels

étreignent sous îeurs caresses humides ces lies charmantes

bordées do saules, de joncs et d'herbes fleuries daas

lesquelles broutent

nonchalamment

les

gras troupeaux

reluisans au soleil.

Craeke reconnut de loin Dordrecht, bas do sa colline semée de moulins.

Il

le.

ville riante,

vit les belles

au

mai-

sons rouges aux lignes blanches, baignant dans l'eau leur

LA TULIPE NOIRE.

51

pied de briques, et faisant flotter par les balcons ouverts

sur ie fleuve leurs tapis de soie diaprés de fleurs d'or, merveilles

de l'Inde et de

la

ChiHe, et près de ces tapis, ces

grandes lignes, pièges permaneas pour prendre les anguilvoraces qu'attire autour des habitations la sportule

les

quotidienne que

dans l'eau par leurs

les cuisines jettent

fenêtres.

Craeke, du pont de

aux

la

ailes tournantes,

maison blanche

barque, à travers tous ces moulins

apercevait au déclin du coteau la

et rose but

de sa mission. Elle perdait

les

crêtes do sou toit dans le feuillage jaunâtre d'un rideau le fond sombre que lui faiun bois d'ormes gigantesques. Elle était située de telle façon que le soleil, tombant sur elle comme dans un en-

de peupliers et se détachait sur sait

tonnoir, y venait sécher,

derniers brouillards

empêcher

vait tin et

chaque

Débarqué

le

que

féconder

même

les

de verdure ne pou-

vent du fleuve d'y porter chaque ma-

soir.

a.u

milieu du tumulte ordinaire de

Craeko se dirigea aussitôt vers offrir à

et

tiédir

la barrière

la

la

ville,

maison dont nous allons

nos lecteurs une indispensable description.

Blanche, nette, reluisante, plus proprement lavée, plus

soigneusement cirée aux endroits cachés qu'elle ne l'était aux endroits aperçus, cette maison renfermait un mortel

heureux.

Ce mortel était le la

heureux,

rara

docteur van Baerle,

avis,

filleul

comme

Juvénal,

dit

de Corneille.

Il

habitait

maison que nous venons de décrire depuis son enfance

car c'était

la

maison natale de son père

père, anciens

drecht.

marchands nobles de

la

et

;

de son grand-

noble

ville

de Dor-

LA TULIPE NOIHE.

la

Monsieur van Daërio

merce

di^s

pèro avait amassé dans

le

com-

Indes trois à quatre cent mille florins que

mon-

sieur van B.ierlo

lo fils

lo

avait trouv«'s tous neufs, en 1668,

à la mort do ses bons elcliers parons,

I)i6n

quo ces

llorins

lussent frappés au millésime, les uns do 1640, les autres de

1610; co qui prouvait qu'il y avait

florins

Baerlo el florins du yrana-pèro van uaerlo

;

mille florins, hâtons-nous do le dire, n'étaient se, l'argent

du oère van

ces ijuaire cent

que

de pocho de Cornélius van Baerle, dans

celle histoire, ses propriétés

la

le

la

bour-

héros de

province donnant un

revenu de dix mille florins environ. Lorsque

digne citoyen père do Cornélius avait passé

lo

de vie à trépas, trois mois après les kinér.iiilps de sa fem-

me,

semblait être partie

ijui

chemin de

facile lo cile le

chemin de

sant pour

la

la

la vie,

il

dernière fois

la

première pour

comme

mort,

lui

elle lui avait

avait dit à son

fils

rendre

rendu

fa-

en l'embras-

:

— Bois, mange et dépense,

si

lu

veux vivre en

ce n'est pas vivre que do travailler

réalité, car

tout lo jour sur une

chaise de bois ou sur un fauteuil de cuir, dans un laboratoire

ou dans un magasin. Tu mourras à ton tour, et pas le bonheur d'avoir un fils, tu laisseras étein-

si lu B'as

dre notre nom, et mes florins étonnés se trouveront avoir

un maître inconnu, ces florins neufs que nul n'a jamais peque mon père, moi el le fondeur. N'imite pas suito ut

sés

ton parrain, Corneille de Witl, qui s'est jeté dans la p olitique, la plus ingrate

ment

finira

Puis

il

des carrières, et qui bien certaine-

mal.

était

mort, ce digne monsieur van Baerle, lais-

sant tout désolé son les florins et

fils

Cornélius, lequel aimait

beaucoup son père.

lort peu

LA TULIPE NOIRE. Cornélius resta donc seul dans

En vain son parrain dans

grande maison.

la

Corneille lui

les services publics

;

33

de l'emploi

offrit-il

en vain voulut-il

lui faire

goûter

quand Cornélius, pour obéir à son parrain, se lut embarqué avec de Ruyter sur le vaisseau les Sept Prortnce», qui commandait aux cent trente- neuf bâtimens de

la gloire,

avec lesquels

delà France par

le pilote

amiral

l'illustre

et

allait

balancer seul la fortune

de l'Angleterre réunies. Lorsque, conduit

Léger,

quet du vaisseau

le

fut arrivé à

il

une portée de mous-

Prince^ sur lequel se trouvait le duc

d'York, frère du roi d'Angleterre,

Ruyter, son patron,

eut été faite

lorsque si

de

l'attaque

brusque

et si habile

que, sentant son bâtiment près d'être emporté,

le

duc

d'York n'eut que le temps de se retirer à bord du SaintMichel

lorsqu'il eut

;

vu

le

Saint-Michel, brisé, broyé sous

les boulets hollandais, sortir

sauter flots

un

vaisseau,

le

de

la ligne

ou dans le feu quatre cents matelots

qu'à la

fin

;

Comte de Sanwick,

lorsqu'il eut

vu

dans

les

lorsqu'il eut

vu

et périr

;

de tout cela, après vingt bâtimens mis en mor-

ceaux, après trois mille tués, après cinq mille blessés, rien n'était décidé ni la victoire,

un

nom

que

de plus,

pour ni contre, que chacun c'était

la

à recommencer,

bataille

s'attribuait

que seulement de Soutwood-Bay, était ajouet

au catalogue des batailles; quand il eut calculé ce que perd de temps à se boucher les yeux et les oreilles un



homme

qui veut réfléchir

même lorsque

nonnent entre eux, Cornélius de Pulten

dit

et à la gloire, baisa les

sionnaire, qu'il avait

ses pareils se ca-

adieu à Ruyter, au Ruart

genoux du grand pen-

en vénération profonde

,

et rentra

dans sa maison de Dordrecht, riche de son repos acquis, de ses vingt-huit ans, d'une santé de

fer,

d'une vue per-

LA TUi>n>E NOIRE.



quo do srs quatre cenl mille

ç.uilo, et plus pitai et

de SCS dix

viction

qu'ur.

homme

a toujours reçu du

être heureux, assez pour

En conséquence

ne

pour se

et

florins

déca-

do revenus, de cette con-

uiillo florins

pour

ciel trop

l'être pas.

faire

un bonheur

h sa iaçon,

Cornélius se mit h étudier les végétaux et les insectes, cueillit et classa

tomologie de

toute la flore des

la province,

piqua toute

îies,

sur laquelle

il

composa un

l'en-»

traité

manuscrit avec planches dessinées de sa main, et enfin, ne sachant plusque (aire de son temps et de son argent surtout, qui allait

s'augmentant d'une leçon effrayante,

il

se

mit à choisir parmi toutes les folies de son pays et de son

époque une dos plus élégantes Il

aima

et des plus coûteuses.

les tulipes.

comme on

temps,

C'était le

sait,



les

Flamands

et les

Portugais, exploitant à l'envi ce genre d'horticulture, en étaient arrivés à diviniser la tulipe et à faire de cette fleur

venue de de

faire

la

ce que jamais

l'Orient

naturaliste n'avait osé

race humaine, de pour de donner de la jalousie

à Dieu.

Mons il ne fut plus question que mynher van Baërie, et ses planches, ses fos-

Bientôt de Dordrecht h

des tulipes de ses,

ses

chambres de séchage,

rent visités

comme

ses cahiers de

cayeux fu-

jadis les galeries et les bibliothèques

d'Alexandrie par les

voyageurs romains.

illustres

Van Baerle commença par dépenser son revenu de née à

établir sa collection, puis

à la perfectionner

;

nom

nomma

la

:

il

nom

la Corneille,

récompensé d'un

cinq espèces différentes

trouva

Jeanne, du

de son père,

l'an-

ébrécha ses florins neufs

aussi son travail fut-il

magnifique résultat qu'il

il

de sa mère,

du

nom

du

la Baerle,

de son parrain

;



LA TULIPE NOIRE. les

55

noms nous échappent, mais

autre-

les

amateurs pour-

ront bien certainement les retrouver dans les catalogues

du temps. En 1672, au commencement de l'année, Corneille de Witt vint à Dordrecht pour y habiter trois mois dans son ancienne maison de famille

ment Corneille

était

;

car on sait que non-seule-

né à Dordrecht, mais que

des de Wilt était originaire de cette Corneille

commençait dès

d'Orange, à jouir de

lors,

la famille

ville.

comme

la plus parfaite

disait

Guillaume

impopularité. Cepen-

dant, pour ses concitoyens, les bonshabitans de Dordrecht, )1

encore un scélérat à pendre,

et ceux-ci,

peu

de son républicanisme un peu trop pur, mais

flers

n'était pas

satisfaits

de sa valeur personnelle, voulurent bien

de

la ville

quand

il

lui offrir le vin

entra.

Après avoir remercié ses coacitoyens, Corneille sa vieille

maison paternelle,

tions avant tulîcr

et

alla voir

ordonna quelques répara-

que madame de Witt,

sa

femme,

vînt s'y ins-

avec sesentans.

Puis le Ruart se dirigea vers la maison de son

qui seul peut-être à Dordrecht ignorait encore

du Ruart dans

la

filleul,

présence

sa ville natale.

Autant Corneille de Witt avait soulevé de haines en maniant ces graines malfaisantes qu'on appelle les passions politiques,autant

van Baerle avait amassé de sympathies

en négligeant complètement sorbé qu'il était dans Aussi van Baerle ses ouvriers,

au monde un

la

était-il

aussi

homme

la culture

de

la politique,

ab-

culture de ses tulipes. chéri de ses domestiques et de

ne pouvait -il supposer

qu'il existât

qui Toulût du mal à un autre

El cependant, disons- le à la

homme.

honte de l'humanité, Cor-

LA TULII'E NOIRE.

àO

van

n(Mius

Baerlo avait, sans

lo s.ivoir,

un onncmi

aulronienliérocc, bien aulremenlacharné, irréconciliable, et son frère

bit-

que jusque-là n'en avaient complé

parmi

les orangisles

bi(>n

n auln-nienl !e

Kuart

les plus hostiles à cette

admirable Iraternilé qui, sans nuage pendant la vi*;, venait dévouement au-delà de la mort.

se prolonger par le

Au moment où

Cornélius

commença de s'adonner aux

y jeta ses revenus de l'année et les llorius du son père. Il y avait à Dordrecht et demeurant porte à porte avec lui, un bourgeois nommé Isaac Boxtel, qui, depuis tulipes,

il



le jour

il

avait atteint l'âge do connaissance,

suivait le

penchant et se pâmait au seul énoncé du mol tulhan,

même

que

qui, ainsi

l'assure le floriste français, c'est-à-dire l'his-

premier mot

torien le plus savant de cette fleur, est le qui, dans la

langue du Chingulais,

chef-d'œuvre de

Il

bonheur

le

d'être riche

comme van

donc 5 grand'peinc, h force do soins et do dans sa maison do Dordrecht un jardin com-

s'était

patieuce, fait

mode à

désigner ce

création qu'on appelle la tulipe.

pas

n'avait

Boxtel Baerle.

la

ait servi à

la culture,

il

avait

aménagé

le terrain selon les

prescriptions voulues, et donné à ses couches précisément

autant de chaleur et de fraîcheur que le codex des jardi-

en autorise.

niers

A

la

vingtième partie d'un degré près, Isaac savait

température de ses châssis.

11

savait le poids

du vent

la

et le

tamisait de façon qu'il l'accommodait au balancement des

tigesdesesfleurs. Aussi ses produits commençaient-ils à plaire.

Us étaient beaux, recherchés même. Plusieurs ama-

teurs étaient venus visiter

Boxtel avait lancé dans le nelort

une

tulipe

les

monde

tulipes de Boxtel. Enfin,

des Linné-

et des

de son nom. Oette tulipe avait

Tour-

fait

son

LA TULIPE NOIRE. Chemin, avait traversé

57

France, était entrée en Espagne,

la

avait pénétré jusqu'en Portugal, et le roi

de Lisbonne,

qui, chassé



ceire,

i'.

s'amusait,

non

s'était retiré

comme

pas,

don Alphonse VI,

dans le

de Ter-

l'île

grand Condé, à

arroser des œillets, mais à cultiver des tulipes, avait dit

PAS

il

MAL en regardant

la susdite Boxtel.

Tout à coup, à

la suite

s'était livré, la

passion de

de toutes la

les

études auxquelles

tulipe ayant envahi Cor-

nélius van Baerle, celui-ci modifia sa maison de Dordrecht,

que nous l'avons

qui, ainsi

Bûxtel et lequel,

était voisine

dit,

de celle de

élever d'un étage certain bâtiment de sa cour,

fit

en s'élevant, ôta environ un demi-degré de cha-

leur et,

en échange rendit un demi- degré de froid au jar-

din de Boitel, sans compter qu'il

gea tous

les calculs et

coupa

le

vent et déran-

toute l'économie horticole de son

voisin.

Après tout, ce

du voisin à-dire le

en

n'était rien

Boxtei.

Van Baerle

une espèce de fou qui

que ce malheur aux yeux n'était

les défigurant les merveilles

faisait

qu'un peintre,

c'est-

essaie de reproduire sur la toi-

de

la nature.

Le peintre

élever son atelier d'un étage pour avoir meilleur

jour, c'était son

îomme monsieur

droit.

Monsieur van Baerle

était peintre

Boxtei était fleuriste-tulipier;

il

voulait

du soleil pour ses tableaux, il en prenait un demi-degré aux tulipes de mînsieur Boxtei. ,

La

loi était

pour mons eur van Baerle. Bene sit.

D'ailleurs, Boxtei avait

à

la tulipe, et

que

découvert que trop de

rée avec le tiède soleil brûlant soleil de midi.

soleil nuit

mieux et plus colodu matin ou du soir qu'avec le

cette fleur poussait

LA TULIPE NOIRE.

58 Il

sut

donc presque tivé à Cornélius van Baerle de lui avoir

bâli ^.Tûtis

un

parasoleil.

Peut-être nVtait-co point tout à lat vrai, etce que disait Boxtcl

h l'endroit

de son roisin van Baerl»

pas ^oxpres^ion entière de sa

âmes trouvent dans

la

n'était-ii

pensée. Mais les grandes

philosophie d'étonnantes ressour-

au milieu des grandes catastrophes. Mais hélas? que devint-il, cet infortuné

ces

vil les vitres

Boxtel,

quand

de l'étage nouvellement bâti se garnir

il

d'oi-

gnons, de o^yeux, de tulipes en pleine terre, do tulipes en pot, enfin

nomane

de tout ce qui concerne

tulipier

prote^sioa d'un

la

mo-

1

Il y avait les paquets d'étiquettes, il y avait les casiers, y avait les boîtes à compartimens et les grillages de 1er destinés à fermer c^s casiers pour y renouveler l'air sans donner accès aux sDuris, aux charançons, aux loirs, aux il

mulots et aux

rats,

curieux amateurs de tulipes à deux

mille francs l'oignon.

Boxtel tut fort ébahi lorsqu'il vit tout ce matériel, mais

no comprenait p«s encore l'étendue desonmaiheun avait van Baerle ami de tout ce qui réjouit la vue.

il

On Il

étudidit à fond la nature pour ses tableaux, finis

ceux de Gérard Dow, son maître,

et

comme

de Miéris, sen ami.

N'était-il

pas possible qu'ayant à peindre l'intérieur d'un

tulipier,

il

eût amassé dans son nouvel atelier tous les ac-

cesïOires de la décoration

1

Cepeadant, quoique bercé par cette décevante idée, Boj.tel

ne putrési^trr à l'ardente curiosité qui

soir venu,

il

et regardant 'a

terre

appliqua une échelle contre

chez

le voisin Baerle,

d'un énorme carré

il

le dévorait.

le

mur

Le

mitoyen,

se convainquit que/

peuplé naguère de plantes

LA TULIPE NOIRE.

59

différentes, avait été remuée, disposée

terreau

mêlé de boue de

rivière,

en plates-bandes de combinaison essentielle-

ment sympathique aux tulipes, le tout contreforté de bordures de gazon pour empêcher les éboulemens. En outre, soleil levant,

miser

soleil

soleil

le

de

ombre ménagée pour tade l'eau en abondance et à por-

couchant,

raidi;

au sud sud-ouest, enfîu conditions complènon-seulement de réussite, mais de progrès. Plus de

tée, exposition tes,

doute, van Baëri© était devenu tulipier. Boxtel se représenta sur-le-champ ce savant homme

400.000 florins de

capital,

aux 10,000

employant ses ressource^ morales des tulipes en grand.

douleur

et coriçut,

un vague

par avance, une telle

de succès, que ses mains se relâchant,

noux s'affaissèrent,

il

aux

de rente,

et physiques à la culture

entrevit son succès dans

Il

mais prochain avenir,

florins

les

ge-

roula désespéré en bas de son échelle.

Ainsi, ce n'était pas

pour des tulipes en peinture, mais

pour des tulipes réelles que van Baërle lui prenait un demi-degré de chaleur. Ainsi, vnn Baërle allait avoir la plus admirable des expositions solaires, et eu outre une vaste chambre où conserver ses oignons et ses caïeux chambre éclairée, aérée, ventilée, richesse interdite à Boxtel, qui avait été forcé de consacrer à cet usage sa cham:

bre à coucher, et qui, pour ne pas nuire par l'influence

des esprits animaux à ses caïeux et à ses tubercules, se résignait à coucher

au grenier.

mur à mur, Boxtel un émule, un vainqueur peut-être,

Ainsi porte ù porte, rival,

lieu d'être filleul

hritél

quelque

jardinier

allait

avoir

et ce rival,

un au

obscur, inconnu^ c'était le

de maître Corneille de Witt, c'est-à-dire une celé-

LA TULIPE NOIRE.

00

Boïlel,

on

le voit, avait l'esprit

moins bien

fait

que Po-

rus, qui se consolait d'avoir iHé vaincu par Alexandre, jus-

tement à cause do

la céh^brité

do son vainqueur.

En elfot, qu'arriverait-il si jamais van Baerle trouvait une tulipo nouvelle et la nommait la Jean de Witt, après en avoir nommé une la Corneille! Ce serait à en étouder de rage. Aiiisi,

dans son envieuse prévoyance, Boxtel, prophète

de malheur pour lui-môme, devinait ce qui

allait arriver.

Aussi Boïtel, cette découverte faite, passa-t-il crable nuit qui se puisse imaginer.

la

plus exé-

LA TULIPE NOIRE.

fft

VI

LA HAINE d'un tulipier.

A

de ce moment, au lieu d'une préoccupation,

oartir

Boxtei eut une crainte. Ce qui donne de la vigueur et de la

noblesse aux etforts du corps et de

d'une idée favorite, Boxtel

dommage Van il

du

qu'allait lui causer l'idée

Baerle,

comme on

l'esprit, la culture

en ruminant tout

le perdit

le

voisin.

peut le penser, du

moment

eut appliqué à ce point la parfaite intelligence aont

nature l'avait (Joué, van Baerle réussit à élever

oii Ja,

les plus

belles tulipes.

Mieux que qw que ce soit

à

Harlem

et à

Leyde, villes qui

offrent les meilleurs terroirs et les plus sains climats, Cor-

nélius réussit à varier les couleurs, à

à multiplier Il

était

de cette école .ingénieuse

devise dès

modeler

les

formes

les espèces.

le

et

naïve qui prit pour

septième siècle cet aphorisme développé en

1653 par un de ses adeptes « C'est offenser Dieu

:

que mépriser

les fleurs.»

Prénaisse dont-l'école tulipière, la plus exclusive des écoles, fit

en 1653

le

syllogisme suivant

« C'est offenser Dieu

:

que mépriser les fleurs.

» Plus la fleur est belle, plus en la méprisant

Oieu.

çn

offense

LA TULIPE NOIRE.

(rj

plus belle de toutes lesRours.

D

La tulipo est

»

Donc qui méprise

la

offense

tulipe

la

démesurément

Dieu. »

Raisonnement à

l'aide

mauvaise volonté,

les

duquel, on

le voit,

avec delà

quatre ou cinq mille tulipiers de

Hollande, de France et de Portugal, nous ne parlons pas

de ceux de Ceylan, de l'Inde et de

la

Chine, eussent mis

l'univers hors la loi, et déclaré schismatiques, hérétisfues et dignes

mes Il

de mort plusieurs centaines de millions d'hom-

froids

ne

pour

la tulipe.

faut point

doutw que pour une

sous

le

même

drapeau que

lui.

Donc van Baerle obtint des succès nombreux ler

de

liste

rie

lui, si

fit

par-

la

Hollande, et qae

la

la tulipe-

de Dordrecht fut représentée par Cornélius van Baerle,

Ainsi

et inoffensif savant.

du plus humble rameau

la

rejetons les plus fiers, et l'églantier

colores les

et

bien que Boitel disparut à tout jamais de

des notables tulipiers de

modeste

le

Box-

pareille cause

quoique ennemi mortel de van Baerle, n'eût marché

tel,

commence

la

rose gigantefe(^ue

maisons royales ont

Baerle,

et

adonné tout

la

in-

parfumée. Ainsi

pris parfois naissance

mière d'un bûcheron ou dans

Van

greffe fait jaillir les

aux quatre pétales dans

la

chau-

cabane d'un pêcheur.

entier à ses travaux de semis,

de

plantation, de récolte, van Baerle, caressé par toute la tuliperie d'Europe,

ne soupçonna pas

y eût un malheureux détrôné dont

même il

qu'à ses côtés

il

était l'usurpateur.

Il

continua ses expériences, et par conséquent ses victoires, st

en deux années couvrit ses plates-bandes de

sujets telle-

LA TULIPE NOIRE.

63

ment merveilleux que jamais personne, excepté pput-être Shakespeare etRubens, n'avait tant créé après Dieu. Aussi,

pour prendre une idée d'un damné ou-

lallait-il,

par Dante,

blié

lallait-il

voir Boxtel

pendant ce temps.

Tandis que van Baerle sarclait, amendait, humectait ses tandis qu'agenouillé sur le talus de gazon,

plates-baades, il

analysait

ditait les

chaque veine de

la tulipe

en floraison

et

mé-

modifications qu'on y pouvait faire, les maria-

ges de couleurs qu'on y pouvait essayer, Boxtel, caché der-

un

rière et

dont

il

sycomore

petit

se faisait

un

qu'il avait planté le

éventail,

bouche écumaiite, chaque

long du mur,

suivait, l'œil gonflé,

U

chaque geste de son voi-

pas,

quand il croyait le voir joyeux, quand il surprenait un sourire sur ses lèvres, un éclair de bonheur dans ses

sin, et

yeux, alors

leur envoyait tant de malédictions, tant de

il

furieuses menaces, qu'on ne saurait concevoir

comment

ces souffles empestés d'envie et de colère n'allaient point s'infiltrant

dans

de décadence

Bientôt, tant

ne y

fait

il

ie

voir

était artiste

val lui tenait Il

acheta

van Baerle, aa tond, et

fleur,,

porter des principes

Il

voulut voir aussi ses

le

chef-d'œuvre d'un ri-

au cœur.

un

télescope, à l'aide duquel, aussi bien

propriétaire lui-même, la

des fleurs y

germes de mort. mal une fois maître d'une âme humai-

de rapides progrès, bientôt Boxtel no se con-

testa plus de fleurs,

les tiges

et des

depuis

le

il

que

le

put suivre chaque révolution de

moment où

elle

pousse, la première

année, son pâle bourgeon hors de terre, jusqu'à celui où, après avoir accompli sa période de cinq années, elle arrondit son noble et gracieux cylindre sur lequel apparaît l'incertaine

nuance de sa couleur

et

se développent les

LA TULIPE NOIBE.

61

pétales de la fleur, qui seulement alors révèle les trésors secrets de son calico.

OU

I

que do

lois

lo

malheureux jaloux, perché sur son van Baerlo

échelle, ap

subissait la fièvre et qui

change

lo

suffo-

1

le

do

(^u'il

no pouvait

mal qui ronge

l'onvio, ce

cœur en une myriade do pe-

serpons qui se dévorent l'un l'autre, source infAme

tits

d'horribles douleurs.

Que de fois, au milieu de ses tortures, dont aucune desne saurait donner l'idée, Boxtel iut-il tenté de

cription

sauter la nuit dans le jardin, d'y ravager les plantes, de

dévorer

les

oignons avec

Mais

tuer une tulipe

un

horticulteur,

les dents, et

lui-même

lère le propriétaire

si

s'il

c'est

de

sacrifier h sa co-

osait défendre ses tulipes.

aux yeux d'un

,

épouvantable crime

véritable

1

Tuer un homme, passe encore. Cependant, grâces aux progrès que

van Baerie dans tinct,

dita

la

faisait

tous les jours

science qu'il semblait deviner par ins-

Boxtel en vint à

un

tel

paroxysme do fureur

de lancer des pierres et des bâtons dans

les

qu'il

mé-

planches

de tulipes de son voisin. Mais gât,

comme

la

rue

du

ciel

lécites,

était

,

réfléc.hitquelelendemain

loin,

que pierres

et

,

à la

vue du dé-

l'on constaterait alors

que

bâtons ne tombaient plus

siècle comme au temps des Amaque l'auteur du crime, quoiqu'il eût opéré dans

au dix-septième

la nuit, serait loi

il

van Baerie informerai!, que

découvert et non seulement puni par

mais encore déshonoré

h

tout jamais

la

aux yeux de

LA TULIPE NOIRE.

63

i'Europe tulipière, Boxtel aiguisa la haine par la ruse et résolut d'employer Il

un moyen qui ne

chercha longtemps,

Un soir

derrière, avec

la

une

trouva.

il

de dix pieds de long, et la

les jeta,

plate-bande maîtresse,

plate-bande princière, de la plate-bande royale, qui

do Rotre, gris de

éclatant

lait,

lin

pourpre

et

rouge

mouvant, rouge

et la Merveille, de

;

de Witt, mais encore

la Corneille

Brabançonne, blanc de

Irée,

mais enfin

c'est vrai,

ficelle

non seulement contenait la

compromît pas.

attacha deux chats chacun par une patte de

il

du haut du mur, au milieu de de

le

Harlem

;

et

;

la

Mur-

incarnadic

la tulipe

Colombin

obscur et Colombin clair terni.

Les animaux ellarés, en tombant du haut en bas du mur, se ruèrent d'abord sur la plate-bande, essayant de fuir cha-

cun de son

côté, jusqu'à ce

l'autre lût teiadu

plus loin,

ils

;

mais

que le fil qui les retenait l'un à

alors, sentant l'impossibilité d'aller

vaguèrent çà et



avec d'atfreux miaulemens,

lauchant avec leur corde les fleurs au milieu desquelles

ils

un quart d'heure de lutte parvenus à rompre le fil qui les enchevê-

se débattaient; puis enfin, après

acharnée, étant trait, ils

disparurent.

Boxtel, caché derrière son sycomore,

ne voyait

rien,

>

cause de l'obscurité de la nuit; mais aux cris enragés de?

deux

chats,

fiel,

s'emplissait de joie.

il

supposait tout, et son cœur, dégonflant de

Le désir de s'assurer du dégât commis était

si

grand dans

cœur de Boxtel qu'il resta jusqu'au jour pour jouir par ses yeux de l'état où la lutte des deux matous avait mis

le

les plates-bandes

U

était glacé

de son voisin.

par

le

brouillard

du matin; mais

il

ne

M

LA TULIPE NOIRE.

sentait pas le froid

l'espoir

;

do

la

voDgeance

lui teRait

chaud.

La douleur de son rival

allait le

Aux premiers rayons du

payer de toutes ses peines.

soleil, la porte

de

la

maison

blanche s'ouvnt; van Baerle apparut, et s'approcha de ses plates-bandes, souriant la nuit

dans soh

Tout à coup

il

lit,

qui y a

comme un homme fait

aperçoit des sillons et des monticules sur ce

terrain plus uni la veille qu'un miroir; toute çoit

comme rait 11

rangs symétriques de

les

qui a passé

de bons rôves.

ses tulipes

coup

il

aper-

désordonnés

sont les piques d'un bataillon au milieu duquel au-

tombé une bombe. accourt tout pâlissant.

Boitel tressaillait de joie. Quinze ou vingt tulipes lacérées,

éventrées, gisaient les unes courbées, les autres brisées tout

à

fait et

la sève,

ter

déjà pâlissantes;

la

sève coulait de leurs blessures;

ce sang précieux que van Baerle eût voulu rache-

au prix du

sien.

Mais, ô surprise 1 ô joie de van Baerle ô douleur inexprimable deBoxtel! pas une des quatre tulipes menacées par i

l'attentat

de ce dernier n'avait été

atteinte. Elles levaient

fièrement leurs nobles têtes au-dessus des leurs

compagnes.

c'était assez

chait les

pour

C'était assez faire

cheveux à

la

cadavres de

pour consoler van Baerle,

crever d'ennui l'assassin, qui s'arra-

vae de son crime commis

et

com-

mis inutilement.

Van Baerle,

tout en déplorant le malheur qui venait de le malheur qui, du reste, par la grâce de Dieu, était moins grand qu'il n'aurait pu être, van Baerle ne put en

ffapper,

deviner la cause.

Il

s'informa seulement et

apprit

que

LA TUUPE NOIRE. toute la nuit avait été bles.

Au

reste,

il

reconnut

auquel

blaient

comme

fleur brisée, et

passage des chats à

poil resté sur le

de

le» gouttes indifférentes

elles faisaient

terri-

la trace

champ de ba-

la

rosée trem-

à côté sur les feuilles d'une

pour éviter qu'un pareil malheur se renou-

velât à l'avenir, rait

le

au

laissée par leurs griffes, taille et

67

troublée par des miaulemens

il

ordonna qu'un garçon jardin-er couche-

chaque Quit dans

le jardin,

sous une guérite, près des

plates-bandes. Boxtel entendit donner l'ordre.

dès

même

le

Il

vit se

dresser la guérite

jour, et trop heureux de n'avoir pas été

soupçonné, seulement plus animé que jamais contre l'heureux horticulteur,

Ce

il

fut vers cette

attendit de meilleures occasions.

époque que

la société tulipière

de Har-

lem proposa un prix pour la découverte, nous n'osons pas dire pour la fabrication de la grande tulipe noire et sans tache, problème non résolu et regardé comme insoluble, si l'on considère qu'à cette époque l'espèce n'existait

pas

même à l'état

Ce qui

faisait dire

de bistre dans

à chacun que

la nature.

les fondateurs

du

prix

eussent aussi hien pu mettre deux millions que cent mille livres, la

chose étant impossible.

Le monde

tulipier n'en fut

pas moins

ému

de

la

base A

sonfaîle.

Quelques amateurs prirent

l'idée,

mais sans croire à son

applicalion; mais telle est la puissance imaginaire des horticulteurs que, tout

manquée à cette

en regardant leur

l'avance,

ils

spécu''-ition

grande tulipe noire réputée chimérique

cygne noir d'Horace, et dition française.

comme

ne pensèrent plus d'abord qu'à

comme

le

comme

merle blanc de

le

la tra-

^

LA TULIPE NOIRE.

Van Baerlo dée

;

lut

du nombre des

Boxtel fut au

tulipiers qui prirent

l'i-

nombre do ceux qui pensèrenA à

la

Du moment où van Baerle eut incrusté Injustice,

une grandie gravité à

l'interrogation.

— Jo

le suis,

maître van Spennon, répondit Cornélius

en saluant giïicieusemont son juge, et vous

— Alors livrez-nous

les papiers séditieux

le

savez bien.

que vous cachez

chez vous.



Les papiers séditieux? répéta Cornélius tout aba-

sourdi de l'apostrophe.

— Oh no pas l'étonné. — Je vous jure, maître van Sponnen, faites

!

que

— Alors je juge

:

reprit Cornélius,

complètement ce que vous voulez

j'ignore

dire.

vais vous mettre sur la voie, docteur, dit le

livrez-nous les papiers que

le traître

Corneille de

Wilta déposés chez vous au mois de janvier dernier.

Un

éclair passa dans l'esprit de Cornélius.

— Ohl

oh

I

dit

van Spennen, voilà que vous commen-

cez à vous rappeler, n'est-ce pas?

— Sans doute; et je n'ai

mais vous parliez de papiers séditieux,

aucun papier de ce genre.

— Ah vous niez? — Cerlaineaient. !

Le magistrat se retourna pour embrasser d'un coup d'oeil

tout le cabinet.

— Quelle est

la

pièce de votre maison qu'on

nomme

le

séchoir? demanda-t-il.



C'est justement celle

où nous sommes, maître van

Spennen. Le magistrat

jeta

un coup

d'œil sur

fée aa premier rang de ses papiers.

une

petite

note pla*

.

\ \

LA TULIPE NOIRE.

— C'est bien,

83

comme un homme

dit-il

qui est

fixé.

Puis se retournant vers Cornélius

— Voulez-vous me remettre ces papiers — Mais je ne puis, maître van Spennen.Ces papiers ne ? dit-il.

sont point à moi

un dépôt

m'ont été remis à

ils

:

titre

de dépôt, et

est sacré.

— Docteur Cornélius,

dit le juge,

vous ordonne d'ouvrir ce

nom des états, je me remettre les pa-

au

de

tiroir et

piers qui y sont renfermés.

Et

du doigt

le

magistrat indiquait juste

troisième

le

ti-

roir d'un bahut placé près de la cheminée.

dans ce troisième

C'était

en

tiroir,

effet,

papiers remis par le Ruart de Pulten à son

que

preuve

parfaitement renseignée.

la police avait été



qu'étaient les

filleul,

Ah vous ne voulez pas î dit van Spennen voyant que Cornélius restait immobile de stupéfaction Je vais donc 1

.

l'ouvrir

moi-même.

Et ouvrant le tiroir dans toute sa longueur, le magistrat

mit d'abord à découvert une vingtaine d'oignons, rangés et étiquetés avec soin

dans

le

filleul

même

par

le

état

;

puis

le

paquet de papier demeuré

exactement où

il

avait été remis à son

malheureux Corneille de Witt.

Le magistrat rompit

un regard avide sur

les

les cires,

premiers

déchira l'enveloppe, jeta feuillets

668 regards, et s'écria d'une voix terrible

qui s'ofïrfrent à :

— Ah la justice n'avait donc pas reçu un laux avis — Comment Cornélius, qu'est-ce donc — Ah ne faites pas davantage l'ignorant, monsieur !

I

!

dit

?

I

van Baerle, répondit

— Comment que — Oui, car au nom l

le magistrat, et

je

vous suive

des états,

je

1

suivez-nous. s'écria le docteur.

vous arrête.

LA TULIPE NOIRE.

84

On Il

n'arrêtait pa«

encore au

nom

de Guillaume d'Orange.

n'y avait pas assez longtemps qu'il

(^tait

slathouder pour

tîela.

— M'arrôterl s'écria Cornélius; mais qu'ai-je donc — O'ia ne me regarde point, docteur, vous vous oh

fait?

ex-

pliquerez avec vos juges.

— Où cela? — A Haye. la

Cornélius, stupéfait, embrassa sa nourrice, qui perdait

connaissance, donna

la

main

daient en larmes, et suivit

une chaise

comme un

au grand galop à

la

le

;i

ses

serviteurs, qui fon-

magistrat, quiTcnferma dans

prisoonier d'Etat, et le

Haye.

ttt

conduire

LA TULIPE NOIRE.

vm ONE INVASION.

Ce qui venait d'arriver vre diabolique de

On

était,

mynheer

corame on

le

devine, l'œu-

Isaac Boitel.

se rappelle qu'à l'aide de son télescope,il n'avait pas

perdu un seul avec son

On

détail

de cette entrevue de Corneille de Witt

filleul.

se rappelle qu'il n'avait rien entendu,

mais

qu'il

avait tout vu.

On

se rappelle qu'il avait deviné l'importance des papiers

conflés par le Ruart de Pulten â son filleul, en voyant celuici

serrer soigneusement le paquet à lui remis dans le tiroir



il

Il

serrait les

oignons

les plus précieux.

en résulte que lorsque Boxtel, qui suivait la politique

avec beaucoup plus d'attention que son voisin Cornélius, sut

que Conseille de Witt

haute trahison envers

était arrêté

les états,

il

comme

coupable de

songea à part

lui qu'il

mot à dire pour faire arrêter le filleul en même temps que le parrain. Cependant, si heureux que fût le cœur de Boitsl, ilfrissonna d'abord à cette idée de dénoncer un homme que n'aurait sans doute qu'un

eette dénonciation pouvait conduire à l'échafaud.

Mais les

le terrible

mauvais

des mauvaises idées,

esprits se familiarisent

c'est

avec

que peu à peu

elles.

LA TULIPE NOIIŒ.

86

in/nheer Isaac Boxlcl s'encourageait avec c«

D'ailleurs

sophisme

:

Corneille de Will est

un mauvais citoyen,

puisqu'il est

accusé de haute trahison et arrêté. Je suis, moi, un

Or, est

si

hon citoyen, puisque je ne

monde

de rien au

que

et

je suis libre

Corneille de Wilt est

chose certaine, puisqu'il

l'air.

un mauvais citoyen, ce qui est accusé

de haute trahison

son complice Cornélius van Baerlo est un non

et arrêté,

moins mauvais citoyen que Donc,

suis accusé

comme

comme moi

je suis

lui.

un bon

citeyen, et qu'il est

du

devoir des bons citoyens de dénoncer les mauvais citoyens, il

est

de

mon

devoir à moi, Isaac Boxtel, de dénoncer Cor-

nélius van Baerle.

Mais ce raisonnement n'eût peut-être pas, qu'il

lût,

pris

si

un empire complet sur Boxtel,

spécieux

et peut-être

l'envieux n'eût-il pas cédé au simple désir de vengeance

qui lui mordait le cœur, n'eût surgi le

démon de

si

à l'unisson

Boxtel n'ignorait pas le peint

de sa recherche sur Si

modeste que

la

du démon de

l'envie

la cupidité.

où van Baerle

était arrivé

grande tulipe noire.

lût le docteur

Cornélius,

il

n'avait

pu

cachera ses plus intimes qu'il avait la presque certitude de gagner en l'an de grâce i673 le prix de cent raille florins proposé par

la société

d'horticulture de Harlem.

Or, cette presque certitude de Cornélius van Baerle, c'était la fièvre

Si

qui rongeait Isaac Boxtel.

Cornélius était arrêté, cela occasioHnerait certaine-

ment un grand l'arrestation,

pes du jardip-

trouble dans la maison. La nuit qui suivrait

personne ne songerait à veiller sur

les tuli-

LA TULIPE NOIRE.

87

Et, cette nuit-là, Boxtel enjamberait la muraille, et

me

savait

il

tulipe noire,

où il

était

enlèverait cet oignon

;

au lieu de fleurir chez

Cornélius, la tulipe noire fleurirait chez lui

com-

l'oignon qui devait donner la grande

lui,

et ce serait

qui aurait le prix de cent mille florins, au lieu que ce fût

Cornélius, sans compter cet honHeur la fleur

suprême d'appeler

nouvelle tulupa nigra Boxtellemtis.

^Résultat qui

satisfaisait

non-seuiemeni sa vengeance,

mais sa cupidité. Eveillé,

dormi,

il

il

ne pensait qu'à

ne rêvait que

la

grande tulipe noire; en-

d'elle.

deux heures de l'après-midi, la que nsynheer Isaac ne sut poiat y ré-

Enfln, le 19 août, vers tentation fut sister plus

s'

forte

longtemps.

En coRséquence,

il

dressa une dénonciation anonyme,

laquelle remplaçait l'authenticité par la précision, et jeta celte dénonciation à la poste.

Jamais papier vénéneux glissé dans

les

gueules de bron-

ze de Venise ne produisit un plus prompt et

un plus

terri-

ble effet.

Le

même soir, le principal magistrat reçut la dépêche; même il convoqua ses collègues pour le lende-

à l'instant

main matin. Le lendemain matin ils s'étaient décidé

réunis, avaient

l'arrestation et avaient remis Tordre, afin qu'il fût

exécuté, à maître van Spennen, qui s'était acquitté,

me nous avons

avait arrêté Cornélius

orangistes de la

com-

vu, de ce devoir en digne Hollandais, et

Haye

van Baerle

juste

faisaient rôtir les

au momeBt où les morceaux d^^s ca-

davres de Corneille et de Jean de Witt. Mais, soit honte, soit faiblesse dans le crime, Isaac Boxtel

n'avait pas eu le

courage do braquer ce jour-là son

,

LA TULIPE NOIRE.

88

télescope, ni surlejardin, ni sur

l'atelier, ni

sur

le sf^choif

dans

savait trop bien ro qui allait se pns'^er

Il

der.

Il

ne se leva

môme

maison

la

du pauvre docteur Cornélius pour avoir besoin

d'y regar-

point lorsque son unique

domesnon

tique, qui enviait le sort des domestii]ues do r,orn(^Iius,

moins amèrement que Boxtel enviait tra

dans sa chambre. Boxtel

lui dit

le sort

— Je ne me lèverai pas aujourd'hui Vers neuf heures,

il

;

je suis

malade.

entendit un ^rand bruit dans,

à ce bruit;

et fri^lanU pâle et haletant,

de

la place, le gibet

Gryphus

surmonté de

se mit à rire.

il

la

lui

montrait, au ionû

cynique inscription.

LA TULIPE NOIRE.



Ah

mon

ab

I

99

Eh

répondit-il. 0«i, vous avez lu...

1

bien

!

cher monsieur, voilà où l'on arrive quand on a des

intelligences avec les

ennemis de monsieur

le

prince d'O-

range.

—Messieurs de Witt ont été assassinés lit,

sueur au iront

la

lius,

les bras

murmura

1

Corné-

en se laissant tomber sur son

et

pendans, les yeux fermés.

— Messieurs de Witt ont subi la justice Gryphus ; appelez-vous cela

assassinés,

du peupie,

vous

?

moi, je

dit dis,

exécutés. Et,

voyant que

le

prisonnier était arriré non-seulement

au calme, mais h l'anéantissement, bre, tirant

la porte

avec violence

,

il

sortit

et

de

la

cham-

taisant rouler les

verrous avec touit.

En revenante lui, Cornélius se trouva seul et reconnut la chambre où il se trouvait, la chambre de tamille, ainsi que l'avait appelée Gryphus, comme le passage fatal

qui

Et

devait aboutir pour

comme

c'était

lui

à une triste mort.

comme

un philosophe,

c'était surtout

an chrétien, il commença par prier pour l'âme de son parrain, puis pour celle du grand pensionnaire, puis enfin il se résigna lui-même à tous les maux qu'il plairait à Dieu de

lui

envoyer.

Puis, après être descendu Iré

ce cachot

de

du

sur la terre, être ren

ciel

delà terre dans son cachot, s'être bien assuré quedan-< il

la tulipe

était seul,

on posait

la

cur de

prison.

la

il

tira

de sa poitrine les

trois caïeux

noire et les cacha derrière un grès sur lequel

cruche traditionnelle, dans

iBuiile labeur

ces espérances

1

de tant d'années

!

le

coin

le

plus obs-

destruction de

sa découverte allait

si

dou-

donc aboutir au néant

LA TULIPE NOIRE.

100

à la mort

— Pans

prison, pns un T)rln un rayon de soleil. à cette penstH", (^orniMius entra dans un sombre dt^sospoir dontU ne sortit que par une circonstance extraordinaire.

conimo

lui

d'tierbo, pas

1

un alomo do

cotlo

torre, pas

Quelle était cette circonstance ? C'est ce (jue piu-e suivant.

nous nous réservons de dire dans

le cliii-

LA TULIPE NOmE.

iOl

X.

LA FILLE DU GEOLIEB

même

Le

soir,

comme

humide

la dalle

et

main portant à

la

apportait la pitance du prison-

il

Gryphus, en ouvrant

nier,

la

porte de la prison, glissa sur

tomba en essayant de se faux,

il

retenir. Mais

se cassa le bras au-dessus du

poignet.



fit un mouvement vers le geôlier ; mais comne se doutait pas de La gravité de l'accident, Ce n'est rien, dit Gryphus, ne bougez pas.

Et

il

Cornélius

me

il

voulut se relever en s'appuyant sur son bras, mais

l'os plia

un

ta

Il

;

Gryphus seulement alors

sentit la

douleur et je-

cri.

comprit qu'il avait

le

bras cassé, et cet

homme

si

dur pour les autres retomba évanoui sur le seuil de la porte, où il demeura inerte et froid, semblable à un mort.

Pendant ce temps, ouverte,

Mais

l'idée

cet accident

au bruit qu'il

y

la

porte de la prison était demeurée

Cornélius se trouvait presque libre.

et

;

ne il

lui vint

même pas

qu'il avait fait

avait douleur

;

il

en pliant, qu'il y avait fracture, ne songea pas à autre chose qu'a

porter secours au blessé, lui

à l'esprit de profiter de

avait vu, ù la façon dont le bras avait plié,

si

mal intentionné que

eût paru à son endroit dans la seub entrevue

eue avec

Au

le blessé qu'il

eut

lui.

brui»

que Gryphus avait

fait

en tombant, à

la plaint© 6.

LA TULIPE NOIRE,

102

qu'il avait laissé c^chappcr,

uu pas

prt^cipité

so

ontPn-

fit

dre dans l'oscalier, et à l'apparition qui suivit iminédiateinent le bruit df ce pas, Cornélius poussa

auquel répondit

d'une jeune

lo cri

Celle qui avait réponilu au c'était la belle

re et

Gryphus, dont à

la

petit cri

poussé par Coinélius,

cri

Frisonne, qui, voyant sou père étendu

prisonnier courbé sur

lo

un

(ille.

elle connaissait

suite d'une lutte

avait cru

lui,

engagée entre

ter-

que tombé

brutalité, était

la

ti

d'abord

lui et le prisonnier.

Cornélius comprit ce qui se passait dans lo cœur de

jeune

tille

même où

au moment

le

la

soupçon entrait dans

son coeur. Mais ramenée par

le

premier coup d'œll à

honteuse de ce qu'elle avait pu penser, jeune

homme

yeux humides

ses beaux

la vérité, et

sur le

elle leva

et lui dit

— Pardon et merci, monsieur. Pardon

:

de ce que

j'avais

pensé, et merci de ce que vous laites.

Cornélius rougit.

— Je courant

ne lais que mon mon semblable.

— Oui,

et

en

le

injures qu'il vous

devoir de chrétien,

a dites ce matin. Monsieur, c'est plus

Cornélius leva ses yeux sur qu'il

était

il

les

c'est plus

que du christianisme. la belle

d'entendre sortir de

du peuple une parole à Mais

en se-

secourant ce soir, vous avez oublié

que de l'humanité,



dit-il,

la fois si

la

noble

entant, tout éton-

bouche d'une et

si

fille

compatissante.

n'eut pas le temps de lui témoigner sa surprise.

Gryphus, revenu de son évanouissement, ouvrit et sa brutalité

— Ahl voilà

accoutumée ce que

lui

revenant avec

c'est, dit-il,

la

yeux,

Uis

vie

:

on se presse d'apporter

TULIPE NOIRE.

iLA

103

souper du prisonnier, on tombe en se hâtant, en tom-

le

bant on se casse

le bras, et l'on

vous

laisse ià sur le car-

reau.

— Silence,

mon

père, dit Rosa, vous êtes injuste envers

ce jeune monsieur, que

— Lui?

fit

— Cela esl

j'ai

trouvé occupé à vous secourir.

Gryphus avec un si

vrai,

air

de doute.

moBsieur, que je suis tout prêt à vous

secourir encore.

— Vous? Gryphus êtes-vous donc médecin? — C'est mon premier prisonnier. — De sorte que vous pourriez me remettre le brasT — Parfaitement. — Et que vous faut-il pour cela, voyons? — Deux clavettes de bois ei des bandes de linge. — Tu entends, Rosa, Gryphus, le prisonnier va me dit

;

état, dit le

dit

remettre

me

le bras; c'est

lever, je suis

une économie; voyons, aide-moi à

de plomi).

Rosa présenta au blessé son épaule; col il

de

la

jeune

de son bras

se mit sur ses jambes,

épargner

le

Gryphus sa

fille

tandis

chemin, roulait vers s'assit

dans

le biessé

entoura

intact, et faisant

un

que Cornélius, pour lui

un

le

effort, lui

fauteuil.

le fauteuil, puis se

retournant vers

fille,

— Eh bien, n'as-tu pas entendu?

lui dit-il.

Va chercher

ce que l'on te demande.

Rosa descendit

et rentra

un instant après avec deux dou-

ves de baril et une grande bande de linge. Cornélius avait employé ce temps-là à ôter la veste geôlier et à retrousser ses

manches.

cm»

LA TULIPE NOIRE.

104

— Rst-cp bien cela que vous désirez, monsieur? demanda Uosa.

— Oui,

roadomoisollo, ût Corm'lius on jetant les yeux

les objets

sur

apportés; oui,

c'est bien cela.

Maintenant,

poussez celle table pendaat que je vais soutenir

le

bras de

votre père.

Rosa poussa

Cornélius posa

la table.

sus, afin qu'il se trouvât à plat, et avec te,

le

bras cassé des-

une habileté

parfai-

rajusta la Iraclure, adapta la clavette et serra les bandes.

A

la

dernière épingle,

le geôlier

s'évanouit une seconde

lois.

—Allez chercher du vinaigre, mademoiselle, lius,

BOUS lui en frotterons

Mais au lieu d'accomplir te,

les la

tempes,

et

il

dit

Corné-

reviendra.

prescription qui lui était fai-

Rosa, après s'être assurée que son père était bien sans

connaissance, s'avançant vers Cornélius,

— Monsieur, service pour service. — Qu'est-ce à dire, ma belle enfant? demanda Cornélius. — C'est-à-dire, monsieur, que juge qui vous indit-elle,

le

doi-t

terroger demain est venu s'informer aujourd'hui de

la

chambre où vous étiez qu'on lui a dit que vous occupiez la chambre de monsieur Corneille d(; Wilt, et qu a cette réponse, il a ri d'une façon sinistre qui me tait croire que rien de bon ne vous attend. ;

— Mais, demanda Cornélius, (jue peut-on me faire — Voyez ce gibet. — Mais ne suis point coupable, Cornélius. — L'étaient-ils, eux, qui sont là-bas, pendus, mutilés, ?

d'ici

dit

je

déchirés?

— C'est

vrai,

dit

Cornélius en s'assombrissant.

LA TULIPE NOIRE.

iQg

—D'ailleurs, cantinua Rosa, l'opinion publique veux qu«

vous

le

commencera demain condamné les choses vont

serez

coupable ou non,

soyez, coupable. Mais enfin,

procès

votre

:

;

après-demain,

vous

par le temps qui

vite

couri.

— Eh bien,

que concluez-vous de tout

ceci,

mademoi-

selle ?

— J'en conclus que je mon

suis seule,

père est évanoui, que

par conséquent ne vous

le

que

je suis faible,

que

chien est muselé, que riea

empêche de tous sauver. Sau-

vez-vous donc, voilà ce que je conclus.

— Que dites-vous — Je dis que

?

je n'ai

pu sauver monsieur Corneille ni et que je voudrais bien vous

monsieur Jean de Wilt, hélas

I

sauver, vous. Seulement, faites vite; qui revient à

mon

vrira les yeux, et

En mais

effet,

il

la

rou-

regardait sans l'entendre.

— Ne comprenez- vous pas? lait,

il

Cornélius demeurait immobile, regardant Rosa,

comme s'il

— Si

voilà la respiration

une minute peut-être sera trop tard. Vous hésitez?

père, dans

je comprends,

— Mais? — Je refuse. On

fit

fit la

jeune

Cornélius

fille

impatiente.

mais...

;

vous accuserait.

— Qu'importe ? dit

Rosa en rougissant.

— Merci, mon enfant, reprit Cornélius, mais reste. — Vous restez Mon Dieu mon Dieu N'a vez-vous donc je

1

I

!

pas compris que vous serez condamné...

condamné à mort^

exécuté sur un écha^aud et peut-être assassiné, mis en

morceaux comme on a assassiné et mis en riiorceaux monsieur Jean et monsieur Corneille! Au nom du ciftl, ne voas

.

LA TULIPE NOIRE.

lOtS

occupez

pas de moi et luycz

Prenez-y garde,

flûtes.

— Heinl

s'écria

cctto chanihro

elle porte itialheur

nui de

où vous VVilt.

geôlier en se réveillant. Qui

le

par'e

de ces coquins, do ces misérables, de ces scélérats do de

Witt?

— Ne vous emportez

pas,

mon

doux sourire

nélius avec son

;

brave

sang.

les fractures, c'est (ie s'échauffer le

Puis, tout bas à

— Mon enfant,

homme, dit Cor-

ce qu'il y a de pis pour

Rosa suis innocent, j'attendrai

dit-il, je

mes

ju-

ges avec la tranquillité et le c^lrae d'un innocent.

— Silence Rosa. — Silence, et pourquoi — ne faut pas que mon 1

dit

T

Il

père soupçonne que nous

avons causé ensemble.

— Où serait — Où serait

K")

le

mais revenir ici,

mal

mal

?

dit la

?



C'est qu'il

jeune

m'empêcherait de ja-

fille.

Cornélius reçut cette naïve confidence avec il

lui

un sourire;

semblait qu'un peu de bonheur luisait sur son infor-

tune.

— Eh

bien! que marmottez- vous

Gryphus en se levant

et



tous

deux?

dit

en soutenant son bras droit avec

son bras gauche.

— Rien, répondit Rosa; monsieur me que vous avez à

— Le régime que je dois suivre suivre

1

Vous

prescrit le

régime

régime qub

je dois

suivre.

aussi,

I

le

vous en avez un à suivre,

— Et lequel, mon père? — C'est de ne pas venir dans

la

chambre des

la belle

1

prisonniers,

1^7

LA TULIPE NOIRE. OU, quand vous y venez, d'en sortir

marchez donc devant moi, Rosa

el r.orn«^lius

le

plus vite possible;

et lestement!

échangèrent un regard.

Celui de Rosa voulait dire

:

— Vous voyez bien! Celui de Cornélius signifiait

— Ou'il soit

tait ainsi qu'il

3

plaira

au Seigneur i

LA TULIPE NOIRE.

ÏOS

XI

LE TESTAMENT DE CORNELIUS VAN BACULii.

Rosa DB s'était point trompée. Les lugos vinrent le lendemain au Buytonhof et interrogèrent Cornélius van Baerle.

Au

reste, Tmlerrogatoire

ne

pas long;

lut

il

fut

avéré que Cornélius avait gardé chez lui cette correspondance (atale des de Witt avec la France. Il

ne

le

nia point.

seulement douteux «ux yeux des juges que cette correspondance lui eût été remise par son parrain, CorneilIl

le

était

de Witt.

Mais comme, depuis la mort des deux martyrs, Cornélius van Baerle n'avait plus non à ménager, non-seulement il ne nia point que le dépôt lui eût été confié par Corneille en personne , mais encore il raconta comment, de quelle laçon et dans quelle circonstance le dépôt

lui

avait

été confié.

Cette confidence impliquait le filleul dans le crime

du par-

rain. Il

y avait complicité patente entre Corneille

et

Corné-

lius.

Cornélius ne se borna point h cet aveu:

il

dit toute la vé-

de ses sympathies, de ses habitudes, de ses familiarités. II dit son inditlérence en politique, son amour pour l'étude, poer les arts, pour les sciences et rité à

l'endroit

LA TUUPE NOIRE. pour les

109

Il raconta que jamais, depuis le jour où Corvenu à Dordrecht, et lui avait confié co dépôt,

fleurs.

neille était

ce dépôt n'avait été touché ni

même aperçu

par le déposi-

taire.

On

objecta qu'à cet égard

lui

dît la vérité,

il

était

impossible qu'il

puisque les papier* étaient justement enfer-

més dans une armoire où chaque

jour

plongeait la main

il

et les yeux.

Cornélius répondit que cela était vrai, mais qu'il ne mettait la

main dans

le tiroir

que pour s'assurer que ses

oignons étaient bien secs, rsais

yeux que pour s'assurer

si

qu'il

n'y plongeait les

ses oignons

commençaient à

germer.

On

lui objecta

que sa prétendue

indifférencié à l'égard

de ce dépôt ne pouvait se soutenir raisonnablement, parce qu'il était impossible qu'ayant reça un paieil dépôt de la

main de son

parrain,

il

Ce

répondit

:

à

quoi

il

n'en connût pas l'importance.

Que son parrain Coraeille l'aimait trop et surtout était un homme trop sage pour lui avoir rien dit de la teneur de ces papiers, puisque tourmenter

On

lui

le

cette confidence n'eût servi qu'à

dépositaire.

objecta

que

si

M. de Witt avait agi de

eût joint au paquet, en cas d'accident, tant

que son

filleul

était

un

la sorte,

certificat

complètement étranger à

correspondance, ou bien, pendant son procès,

lui

ii

constacette

eût écrit

ijueique lettre qui pût servir à sa justification.

Cornélius répondit que sans doute sou parrain n'avait point pensé

eommei

mb

auïSj

•'

que son dépôt courût aucun uinger, caché dans une armoire qui était regaidée comSticrée que l'arche pour toute la maison van «'était

LA TULIPE NOIRE.

110

Baerlo; le

que par conséquent

que, quant h une

;

moment avant son dans

la

it'ttrasque

d'or

aux

oreillettes de

h l'oreille

remit ses lourdes

lui tendait, et,

clefs

n'en-

il

du guichetier; mais

dans

la

ce-

main blanche qu'on

descendant quelques marches,

milieu de l'escalier, gardé ainsi en haut par par

rem-

porte do Cornéliiss»

la

dentelles blanches, coiffure des belles Frisonnes;

lui-ci

le

plaira.

sortità reculoHs, et le geôlier

il

fit

vous pouvez deman-

et

il

s'assit

lui,

au

en bas

le chien.

Le casque d'or

fit

volte-face, et Cornélius

reconnut

le vi-

sage sillonné de pleurs et les grands yeux bleus tout noyés la belle

Rosa.

La jeune

fille

de

s'avança vers Cornélius en appuyant ses

deux mains sur sa poitrine brisée.

— Oh Et

elle

— Ma

!

monsieur

I

monsieur

1

dit-elle.

n'acheva point. belle enfant, répliqua Cornélius

ému, que

désirez-

vons de moi ? Je n'ai pas grand pouvoir désormais sur rien ie vous en avertis.

LA TUUPE NOIRE.

— Monsieui,

115

je viens réclamer de vous une grâce,

dit

Rosa tendant ses mains moitié vers Cornélius, moitié vers le ciel.



Ne pleurez pas ainsi, Rosa, dit le prisonnier; car vos hrmes m*attendrissent bien plus que ma mort prochaine. Et,

vous

le savez, plus le

mourir avec calme

doit

et

prisonnier est innocent,

même

avec

plus

joie, puisqu'il

il

meurt

martyr. Voyons, ne pleurez plus et dites-moi votre désir,

ma

belle Rosa.

La jeune

fille

se laissa glisser à genoux.

— Pardonnez à mon père, — A votre père Cornélius étonné. — Oui, a été dur pour vous mais dit-elle.

fit

I

si

il

nature,

il

est ainsi

pour tous,

1

il

est ainsi

et ce n'est pas

de sa

vous particu-

lièrement qu'il a brutalisé.



Il

est puni,

dent qui

chère Rosa, plus que puni

lui est arrivé, et je lui

— Merci

I

dit

même

par

l'acci-

pardonne.

Rosa. Et maintenant, dites, puis-je, moi, à

mon tour, quelque chose pour vous ? —Vous pouvez sécher vos beaux yeux,

chère enfant, ré-

pondit Cornélius avec son doux sourire.

— Mais pour vous... pour vous... — Celui qui n'a plus à vivre qu'une heure est un sybarite

s'il

grand

a besoin de quelque chose, chère Rosa.

— Ce ministre qu'on vous avait offert? — adoré Dieu toute ma vie, Rosa. Je J'ai

ses œuvres, béni dans sa volonté. Dieu

l'ai adoré dans ne peut rien avoir

contre moi. Je ne vous demanderai donc pas

un

ministre.

La dernière pensée qui m'occupe, Rosa, se rapporte h glorification

de Dieu. Aidez-moi,

ma chère, je

vous en

dans l'accomplissement de cette dernière pensée.

la

prie,

LA TULIPE NOIRE.

«16



Ah

}eune

monsieur

I

— Donnoz-moi ne pas



mon

rire,

Rire

Corn(^lius, parlez, parlez

s't'cria

1

la

inondfV, de lormes.

fille

!

votre belle main, et promettoz-rnoi de enfant.

s'écria

Rosa au désespoir, rire en ce moment I

Mais vous no m'avez donc pas regardée, monsieur Cornélius ?

— Je vous

ai regardée, Rosa, et avec les yeux du corps et yeux de l'ôme. Jamais femme plus belle, jamais âme plus pure no s'était offerte h moi ; et si je ne vous

avec

les

regarde plus à partir de ce moment, pardonnez-moi, parce que, prêt à sortir de

vie, j'aime

la

c'est

mieux n'avoir

rien h y regwtter.

Rosa

tressaillit.

Comme

onze heures sonnaient au

le

prisonnier disait ces paroles,

du Buytenhoff.

beffroi

Cornélius comprit.



Oui, oui,

hâtons-nous,

dit-il,

vous avez

raison,

Rosa. Alors tirant de sa poitrine,



l'avait

il

caché de nouveau

depuis qu'il n'avait plus peur d'être fouillé, enveloppait les trois caïeux

— Ma belle C'était

dans

autre chose.

amie,

le

le

papier qui

:

beaucoup aimé

dit-il, j'ai

temps où j'ignorais que

Oh! ne rougissez

pas,

l'on

les fleurs.

pût aimer

ne vousdétournez

pas,

Rosa, dussé-je vous faire une déclaration d'amour. Cela,

pauvre enfant, ne bas sur tes

le

tirerait pas

fera /aison

de

ma

Rosa, et j'avais trouvé,

le

conséquence

témérité. je le crois

grande tulipe noire que vous

à

;

il

y a

là-

Buyten'joff certain acier qui dans soixante minu-

Donc j'aimais les fleurs, du moins, le secret de la

l'on croit

savez ou vous ce

le

impossible, et qui est,

savez pas,

l'objet

d'un prix

LA TULIPE NOIRE. de cent mille florins proposé par Harlem. Ces cent mille pas eux que ce papier;

florins, et

je regrette, ces

ils

117

la société horticole

Dieu

sait

de

que ce ne sont

cent mille florins je les ai là dans

sont gagnés arec les trois caïeux qu'il ren-

ferme, et que vous pouvez prendre, Rosa, car je vous les

donne.

— Monsieur Cornélius — Ohl vous pouvez

I

prendre, Rosa, vous ne faites

les

mon enfant. Je suis seul au monma mère sont morts je n'ai jamais eu

de tort à personne,

mon

de

;

ni

sœur

père et

ni Irère

d'amour, et

si

mais su. Vous

;

;

je n'ai

quelqu'un a pensé à m'aimer, le

voyez bien

abandonné, puisque à

mon

cachot,

jamais pensé à aimer personne

cette

me consolant

et

je

ne

l'ai

ja-

Rosa, que je suis

d'ailleurs,

heure vous seule êtes dans

me

secourant.

— Mais, monsieur, cent mille — Ah soyons sérieux, chère enfant,

florins...

dit Cornélius.

!

mille florins feront

une

belle dot à votre beauté;

Cent

vous

les

mes caïeux. ne vous demande

aurez, les cent mille florins, car je suis sûr de

Vous

les

aurez donc, chère Rosa, et je

en échange que

la

promesse d'épouser un brave garçon,

jeune, que vous aimerez, et qui vous aimera autant que

moi j'aimais les fleurs. Ne m'interrompez plus que quelques minutes... Le pauvre

fille

pas, Rosa, je n'ai

étouffait sous ses sanglots.

Cornélius lui prit la main.

— Ecoutez-i7iOi, continua-t-il; voici comment vous céderez. Vous prendrez de la terre dans

Dordrecht. Demandez à Butruysheim,

ma

mon

mon

pro-

jardin de

jardinier,

du

pîate-bande no 6 ;vous y planterez dans une caisse profonde ces trois càieux, ils fleuriront en mai pro-

terreau de

LA TULIPE NOmi".

118

phain, cVst-à-diro dans sopt mois, et

Deur sur sa jours à

les

tigo,

passez les nuits h

sauver du

la

soleil. Elle fleurira noir, j'en suis

sûr. Alors vous ferez prévenir

de Harlem.

Il

de

et l'on

la

fleur,

quand vous verrez la la garantir du vent,

rera constater

président de

le

par le congrès

vous comptera

la société

couleur

la

les cent mille florins.

Ro?a poussa un grand soupir.

— Maintenant, continua Cornélius en essuyant 'ano me

tremblante au bord do sa paupière et qui

née bien plus vait

pas voir

à cette

merveilleuse tulipe noire

était qu'il

q-u'à cette vie qu'il allait quitter,

lar-

don-

ne de-

no déai-

je

re plus rien, sinon que la tulipe s'appelle iÏ05a Bar/ÉB;ms, c'est-à-dire qu'elle rappelle en le

mien,

comme ne

et

même

sachant pas

temps votre

le latin,

nom

ei

biea certaine-

ment, vous pourriez oublier ce mot, tâchez de m'avoir un crayon

et

du papier, que

je

vous

Rosa éclata en sanglots et tendit qui portait les initiales de C.

l'écrive. ub. livre relié

en chagrin,

W.

— Qu'est-ce que cela? demanda prisonnier. — Hélas répondit Rosa, la Bible de votre pauvre le

c'est

I

parrain, Corneille de Wilt. la torture et

Il

y a puisé

trouvée dans cette chambre après l'ai

gardée

portais, car

la force

de subir

d'entendre sans pâlir son jugement. Je

comme une il

me

relique

;

la

mort du martyr,

aujourd'hui

je

l'ai

je

vous l'ap-

lui une Vous n'avez pas eu besoin de cette force mise en vous. Dieu soit louél Ecrivez des-

semblait que ce livre avait en

force toute divine.

que Dieu

avait

sus ce que vous avez à écrire, monsieur Cornélius, ej

quoique

j'aie le

malheur de ne pas savoir

lire,

ce que vottf

écrirez sera accompli.

Cornélius prit la Bible et la baisa respectueusement.

Ut

LA TULIPE NOIRE.

— Avec quoi écrirai-je? demanda— y a un crayon dans Bible, l'ai

Rosa.

Il

y

était,

Jt

conservé.

crayon que Jean de Witt avait prêté à son frère

C'était le

et qu'il n'avait

Ctmélius le

t-il.

dit

la

Il

pas songé à reprendre.

le prit, et

rappelle,

sur la seconde page

mourir à son tour

comme

main non moins ferme

«Ce 23 août

son parrain,

— car, on se — près de

il

écrivit

d'une

:

1672, sur le point de rendre, quoique in-

mon âme

nocent,

,

première avait été déchirée,

la

à Dieu sur

un échafaud,

Rosa

je lègue à

Gryphus le seul bien qui me soit resté de tous mes biens dans ce monde, les autres ayant été confisqués; je lègue, dis-je, à

Rosa Gryphus

tion profonde, doivent la

trois caïeux qui,

ma convic-

dans

donner au mois de mai prochain

grande tulipe noire, objet du prix de cent mille

rins proposé par la société

mon lieu et

touche ces cent mille florins en

mon

unique héritière, à

jeune

homme

de

qu'elle aimera, et

mon

son

» Dieu

me

et le

nom

le

mien

Puis,

déjà dit, je

la Bible à

et

de Rosa Barlœnsis,

réunis.

trouve en grâce et elle en santé

donnant

un

grande tulipe noire qui

la

» Cornélius

— Lisez, — Hélas

comme

âge à peu près, qui l'aimera

de donner à

nom

place et

seule charge d'épouser

la

créera une nouvelle espèce c'est-à-dire

fli?-

de Harlem, désirant qu'elle

Rosa

1

van Baerle.

»

:

dit-il. I

répondit

ne

la

jeune

sais pas lire.

fille

à Cornélius, je vous Vsi

.

LA TULIPE NOIRE.

laO

Alors Cornélius lut h Rosa le testament qu'il venait de iaire.

Les sanglots do

la

pauvre enfant redoubleront.

— Acce[>tez-vous mes condilion.s? demanda en souriant avec mf^lancolio

en baisant

et

le

le

prisonnier

bout des doigts

Ireniblans do la belle Frisonne.

— Oh je ne saurais, monsieur, balbutia-t-ollo. — Vous no sauriez, mon enfant, et pounjuoi donc? — Parce qu'il y a une do ces conditions que je ne sauI

rais tonir.

— Laquelle?

croyais pourtant avoir



dement par notre

fait

accommo-

traité d'alliance.

— Vous me donnez les cent mille florins à do dott — Oui. — Et pour épouser un homme que j'aimerai? — Sans doute — Eh bieni monsieur, cet argent ne peut être h moi. titre

me marierai

ne

Je n'aimerai jamais personne et

pas.

Et après ces mots péniblement prononcés, Rosa fléchit

sur ses genoux et

faillit

s'évanouir de douleur.

Cornélius, effrayé de la voir la

si

pâle et

si

mourante,

allait

prendre dans ses bras, lorsqu'un pas pesant, suivi d'au-

tres bruits sinistres, retentit

dans

les escaliers

accompa-

gné des aboiemens du chien.

— On vient vous chercher mains.

Mon

Dieu l

mon

encore quelque chose à Et elle



J'ai

me

tomba à genoux,

et toute suffoquée

1

s'écria

Rosa en se tordant

les

Dieu! monsieur, n'avez-vous pas dire?

la tête

de sanglots

et

enfoncée dans ses bras, de larmes.

à vous dire de cacher précieusement vos trois

LA TULIPE NOIRE. caïeux et

vous

de

— Oh

soigner selon les prescriptions que je

les

ai dites, et

pour l'amoarde moi. Adieu, Rosa.

oui, dit-elle, sans lever la tête,

!

que vous avez

12J

dit,

je le ferai. Excepté de

ta-t-elle tout bas, car cela,

oh

I

oh

me

1

oui, tout ce

marier, ajou-

pour

cela, je le jure, c'est

moi chose impossible. Et elle enfonça dans son

de Cornélius.

Ce celui

palpitant le cheir ^résor

bruit qu'avaient entendu Cornélius et Rosa, c'était

que

damné, la

sein

\

faisait

le greffîer

qui revenait chercher

le

con-

suivi de l'exécuteur, des soldats destinés à fournir

garde de l'échafaud,

et des curieux familiers

de

la pri-

son.

comme

Cornélius, sans faiblesse

sans fanfaronnade, les

reçut en amis plutôt qu'en persécuteurs, et se laissa

poser

telles

conditions qu'il plut à ces

hommes pour

im-

l'exé-

cution de leur office.

coup d'œil

Puis, d'un

nêtre grillée, faud, le gibet,

il

jeté sur la place par sa petite fe-

aperçut l'échafaud, età vingt pas de l'écha-

du bas duquel avaient

été détachées, par or-

dre du stathouder, les reliques outragées des deux frères de Witt.

Quand

il

lui fallut

descendre pour suivre

les

gardes,

Cornélius chercha des yeux le regard angélique de Rosa,

mais

il

ne

vit derrière les

épées et

les hallebardes

qu'un

corps étendu près d'un banc de bois et un visage livide à demi voilé par de longs cheveux. Mais, en tombant

inanimée, Rosa, pour obéir encore

à son ami, avait appuyé sa main sur son corset de velours, et

même

dans

l'oubli

de toute

vie, continuait

ins-

LA TULIPE NOIRE.

122

tinclivcmont à recueillir io dépôt précieux que lui avait conflf^

Cornélius.

El en quittant le cachot, le jouno

dans

les

doigts crispés do Rosa

honamo

la

feuille

pnl entrevoir

jaunAlre de

cette Bihlo sur laquelle Cornélius rie Witl avait

ment

et

SI

douloureusement éciil

eussent infailliblement,

HE

homme

et

une

si

lulipc.

les

si

pénible-

quelques lignes qui

Cornéliuis les avait lues, sauvé

lA TULIPE NOIRE.

133

XII

LEXECUTION.

Cornélius n'avait pas trois cents pas à faire hors de

la

prison pour arriver au pied de son échafaud.

Au bas de

l'escalier le

lement; Cornélius crut

chien

même

le

regarda passer tranquil-

remarquer dans

les yeux du molosse une certaine expression de douceur qui tou-

chait à

compassion.

la

Peut-être le chi n connaissait-il les

condamnés et ne que ceux qui sortaient libres. On comprend que plus le trajet était court de la porte de la prison au pied de l'échafaud, plus il était encombré de mordait- il

curieux. C'étaient ces

sang

mêmes

curieux qui, mal désaltérés par

qu'ils avaient déjà

bu

trois jours

le

auparavant, atten-

daient une nouvelle victime.

Aussi

à peine Cornélius apparut-il qu'un hurlement

,

immense

se prolongea dans la rue, s'éiendit sur toute la

surface de la place, s'éloignant dans les directions différentes des rues qui aboutissaient à l'échafaud, et qu'en-

combrait

la

loule.

Aussi l'échafaud ressemblait à battre le flot de quatre

Au

ou cinq

une

île

que

serait

venu

rivières.

milieu de ces menaces, de ces hurlemens et de ces

vociférations, lius s'était

pour ne pas

les

entendre sans doute, Corné-

absorbé en lui-même.

tu

LA TULIPE NOIRE.

A quoi Ce

pensait co juste qui allait mourir?

n'était ni h ses

ennemis, ni à ses juges, ni à ses bour.

reaux.

aux

C'était

tulipes

Ik^IIos

avec tous

les

iunocensà

de Dieu,

la droite

pourrait regar*

il

où on avait égorgé MM. Jean

pitié cette terre

neille

de Witt pour avoir trop pensé à

allait

ciel,

soiî ailleurs, alors qu'assis

der en

on

du haut du

verrait

(ju'il

soit à Coyl in, soit nu Bengale,

la

et

Cor-

politique, et



égorger M. Cornélius vau Baerlé pour avoir trop

pensé aux tulipes. L'affaire d'un

coup d'épée,

mon

disait le philosophe, et

beau rAve commencera.

Seulement restait à savoir

me

à M. do

Thou,

et autres

si

comme

a

M. aoChalais, com-

gens mal tués,

le

bourreau ne

réservait pas plus d'un coup, c'est-à-dire plus d'un marty-

au pauvre

re,

Van

tulipier.

Baerle n'en

monta pas moins résolument

les

degrés

de son échalaud.

y monta orgueilleux, quoiqu'il en eût, d'être i'ami rilustro Jean et le filleul de ce noble Corneille que

Il

de cet

marauds amassés pour

les

le voir

avaient déchiquetés et

brûlés trois j ours a u par avan t. Il

s'agenouilla,

fit

sa prière

,

et

remarqua non sans

éprouver une vive joie qu'en posant sa et

en gardant ses yeux ouverts,

moment

la

il

fenêtre grillée du Buytenhol.

Enfin l'heure de faire ce terrible nélius posa son

à ce

menton sur

moment malgré

tenir plus

tête sur le billot

verrait jusqu'au deraier

résolument

lui ses

le

mouvement arriva

bloc

yeux

l'horrible

humide

et froid

se fermèrent

avalanche qui

ber sur sa tête et engloutir sa vie.

;

,

Cor-

Mais

pour souallait

tom-

LA TULIPE NOIRE.

Un

éclair vint luire sur )e plancher

bourreau

levait

Van Baerle

125

de l'écnataud

dit

adieu à

d'une autre lumière il

le

son épée. la

grande tulipe noire, certain de

se réveiller en disant bonjour à Dieu dans

Trois fois

:

et

un monde

fait

d'une autre couleur.

de l'épée passer sur son

sentit le vent froid

col frissonnant. Mais, ô surprise

ne

Il

sentit ni

ne

Il

vit

I

douleur ni secousse.

aucun changement de nuances.

Puis tout à coup, sans qu'il sût par qui, van Baerle se sentit relever par des

mains assez douces et se retrouva peu chancelant.

bientôt sur ses pieds quelque

rouvrit les yeux.

Il

Quelqu'un Usait quelque chose près de

parchemin Et le

un

scellé

même

soleil,

soleil hollandais,

grillée le regardait

jaune luisait

et pâle

au

comme

ciel, et

la

du haut du Buytenholt,

il

convient à

même

fenêtre

et les

mêmes

le

regardaient du

force d'ouvrir les yeux, de regarder,

d'écouter, van

marauds, non plushurlans mais ébahis, bas de

A

sur un grand

lui,

d'un grand sceau de cire rouge.

Baerle C'est

la

place.

commença de comprendre

ceci.

que monseigneur Guillaume prince d'Orange, crailes dix-sept livres de sang que van

gnant sans doute que

Baerle, à quelques onces près, avait dans le corps ne

fls-

sent déborder la coupe de la justice céleste, avait pris en

son caractère et les sembians de son innocence. En conséquence, Son Altesse lui avait fait grâce de

pitié

vie.

— Voilà

flet sinistre,

pourquoi l'épée, qui

s'était

la

levée avec ce re-

avait voltigé trois fois autour de sa tête

com-

LA TULIPE NOIRE.

128

me

l'oiseau funèbre autour de celle

de Turnus, mais ne

s'était point abattue sur sa tête et avait laissé intacts les

ertèbres. \o\\h pourquoi

il

n'y avait eu ni douleur ni secousse.

Voilà pourquoi encore

zur médiocre,

il

le soleil

mais

est vrai,

continuait * rire dans très rupportable des

l'a-

voû-

tes célestes.

Cornélius, rui avait espéré Dieu et

le

panorama

tulipi-

un peu désappomté, mais il se consola en faisant jouer avec un certain bien-être les ressorts intelligeiis do cotte partie du corps que les Grecs appelaient trachelos et que nous autres Français nous nomque de

l'univers, fut bien

mons modestement le

col.

Et puis Cornélius espéra

bien

que

ta

grâce était com-

plète et qu'on allait le rendre à la liberté et h ses plates-

bandes de Dordrecht. Mais Cornélius se trompait,

me

temps

lettre,

dans

Mme

et le

comme

le disait

vers

le

mê-

y avait un poRt scriptum h la plus important de cette lettre était renfermé de Sévigné,

il

\e post-scriptum.

Parce post-scriptum, Guillaume, stathouder do Hollancondamnait Cornélius van Baerle à une prison perpé-

de,

tuelle. Il

était trop

peu coupable pour

coupable pour

la

mort, mais

il

était trop

la liberté.

Corneille écouta donc

le post scriptum, puis,

après

première contrariété soulevée parla déception que

la

le post-

icriptum apportait,

— Bahl pensa-t-il, tout n'est perpétuelle a du bon.

Il

y

a

pas perdu. La réclusion

Rosa dans

la réclusion

perp»^-

LA TULIPE NOIRE. tuelle.

y a encore aussi mes

Il

127

caïeux de la tulipe

trois

noire.

Mais Cornélius oubliait que

les

Sept Provinces peuvent

avoir sept prisons, une par province, et que le pain du pri-

sonnier est moins cher ailleurs qu'à

Haye, qui

la

est

une

capitale.

Son Altesse Guillaume, qui n'avait point, moyens de nourrir van Baerle à

raît, les

à ce qu'il pala

Haye,

l'en-

voyait faire sa prison perpétuelle dans la forteresse de Loewesteln, bien près de Dordrecht, hélas

l

mais pourtant bien

loin.

Car Loewestein, disent te

de

les

que forment, en

l'Ile

géographes, est situé à

face

de Gorcum,

le

la poin-

Wahal

et la

Meuse.

Van Baerle savait assez l'histoire de son pays pour ne pas ignorer que le célèbre Grotius avait été renfermé dans ce

château après

la

mort de Barneveldt,

et

que

les états,

dans

leur générosité envers le célèbre publiciste, jurisconsulte, historien, poète, théologien, lui avaient accordé

me

une som-

de viagt-quatre sous de Hollande par jour pour sa

nourriture.

— Moi qui on

Baerle,

suis bien loin

me

vivrai fort mal,

de valoir Grotius, se

geux

1

s'écria Cornélius,

!

et

que

van et je

mais enfin je vivrai.

Puis tout à coup frappé d'un souvenir terrible

— Ah

dit

donnera douze sous à grand'peine,

le terrain est

:

que ce pays est humide

mauvais pour

les tulipes

et

nua-

1

Et puis Rosa, Rosa qui na sera pas à Loewestein, mur-

mura-t-il en laissant tomber sur avait bien

manqué de

laisser

la

poitrine sa tête qu'ii

tomber plus bas.

LA TULIPE NOIRE.

128

XIII

CE QUI SE PASSAIT PENDANT CE TEMPS-LA DANS L'AMR d'un SPECTATEUR.

Tandis que Cornélius réfléchissait do s'était

Ce carrosse ter

il

;

la sorte,

un carrosse

approché de l'échafaud. était

pour

prisonnier.

le

On

l'invita

à y

mon-

obéit.

Son dernier regard

fut

pour

le

Buytenhof.

espérait

Il

voir à la lenélre le visaf?e consolé de Rosa, mais le carrosse était attelé de bons chevaux qui emportèrent tôt

te

van Baerle du sein des acclamations que multitude en

un

der, avec

de Witt

Ce qui



Il

et

de leur

est bien

magnanime

très

mélange d'invectives

filleul

faisait dire

faire justice

du

l'honneur

certain

sauvé de

la

aux spectateurs

stalhou-

à l'adresse des

mort. :

heureux que nous nous soyons pressés de

de ce grand scélérat de Jean

quin de Corneille, sans quoi

la

ci

et

de ce

petit

co-

clémence de son Altesse nous

les eût bien certainement enlevés

enlever celui

bien-

vocilérait cet-

comme

elle vient

de nous

t

Parmi tous ces spectateurs que l'exécution de van Baêrsur le Buytenhof , et que la façon dont la

le avait attirés

chose avait tourné désappointait quelque peu,

le plus

dé-

sappointé certainement était certain bourgeois vêtu pro-

prement

et qui

depuis le malin avait

si

bien joué des

pieds et des mains qu'il en était arrivé à n'être séparé de

'Hh

LA TULIPE NOIRE.

129

l'échalaud que par la rangée de soldats qui entouraient l'instrument

Beaucoup

du

supplice.

montrés avides de voir couler le ; mais nul n'avait mis

s'étaient

sang perfide du coupable Cornélius

dans l'expression de ce funeste désir l'acharnemeni qu'y avait mis le bourgeois

en question.

Les plus enragés étaient venus au point du jour sur le Buytenhofi pour se garder une meilleure place

devançant

la prison, et

de

comme nous uns .

prison

avons

était arrivé

il

unguibus

dit,

quand

lui,

au premier rang,

et ro$tro, caressant

les

bourreau avait amené son condamné sur

le

monté sur une borne de la fonmieux vu, avait fait au bour-

l'échafaud, le bourgeois, taine

mais

frappant les autres.

et

Et

la

;

enragés, avait passé la nuit au seuil de

les plus

pour mieux voir

reau un geste qui

et être

signifiait

:

— C'est convenu, n'est ce pas? Geste auquel

le

bourreau avait répondu par un autre

geste qui voulait dire



:

Soyez donc tranquille.

Qu'était

bourreau

donc ce bourgeois qui paraissait et

que voulait

Rien de plus naturel ; ce bourgeois Boxtel, qui depuis l'arrestation

nous l'avons vu, venu à prier les trois caïeux

de

si

Dieu avec fe

dire cet éciiange de gestes?

la

était

de Cornélius

mynher était,

Isaac

comme

Haye pour essayer de s'appro-

la tulipe noire.

Grypbus dans ses du boule dogue pour la fidécoups de crocs. Il avait en consé-

Boxtel avait d'abord essayé de mettre intérêts, lité, la

quence iivait

mais

celui-ci tenait

défiance et les pris

évincé

à

rebrousse-poil la haine de

comme un

fervent

Boxtel, qu'il

ami s'enquérant de cho-

LA TULIPE NOIRE.

130

moyen

ménager ccrtainemeDl

pour

indiflén-ntes

ses

queltjue

d'évasion au prisonnier.

Aussi,

aux prttmères propositions que Boxlei avait

(ailes

Gryphus, de soustraire les caieuique devait cacher, sinon dans sa poitrine, du moins dans quelque coin de son

â

cachot, Cornélius van

Baerle,

Gryphus

répondu

n'avait

que par une expulsion accompagnée des caresses du chien de

l'esr^lier.

un lond de culotte aux dents du molosse. Il était revenu à la charge ; mais cette lois, Gryphus était dans t^on lit, fiévreux et le Boxtel ne s'était pas découragé pour

resté

bras cassé. qui

n'avait

11

en échange des quoi

la

même admis

donc pas

retourné vers Rosa

s'était

trois caïeui,,

noble jeune

fille,

,

une

vol qu'on lui proposait de taire,

bien payer, avait renvoyé le

jeune

quoique ignorant encore

du

ritier

la

coitfure d'or pur.

si

non-seulement

le pétitionnaire,

ollrant à

le

la

fille,

Ce

de

et (ju'on lui offrait

tentateur au

à

valeur

bourreau,

dernier juge, mais encore le dernier hé-

du condamné.

Ce renvoi

fit

naître

Sur ces entrefaites

jugement expéditif,

une idée dans ,

le

que

lui

de Boxtel.

jugement avait été prononcé

comme on

temps de corrompre personne. ce à l'idée

l'esprit

donc

voit. Isaac n'avait Il

s'arrêta

avait suggérée Rosa;

il

;

le

en conséquenalla

trouver

le

bourreau. Isaac ne doutait pas tulipes sur le

En

effet,

que Cornélius ne mourût avec

cœur.

Boxtel ne pouvait deviner deux choses

Rosa, c'est-à-dire l'amour;

Guillaume, c'est-à-dire

la

clémence.

:

ses

LA TULIPE NOIRE. Moins Rosa

et

moins Guillaume,

131

les calculs

de l'envieux

étaient exacts.

Moins Guillaume, Cornélius mourait. Moins Rosa, Cornélius mourait, ses caïeux sur son cœur.

Mynher à cet les

Buxtel alla

donc trouver

et

moins

bijoux d'or et d'argent qu'il laissait à l'exécuteur,

acheta toute la défroque du futur

un peu exorbitante de cent Mais qu'était-ce qu'une

homme de

bourreau, se donna

le

homme comme un grand ami du condamné,

à

de

la

il

somme

florins.

somme

de cent florins pour un

peu près sûr d'acheter pour

la société

C'était

mort pour

celte

somme le

prix

de Harlem? mille pour un, ce qui est,

l'arjîent prêté à

on conviendra, un assez

joli

on

placement.

Le bourreau, de son côté, n'avait rien ou presque rien a faire

pour gagner ses cent

l'exécution finie, laisser

florins.

mynher

Il

devait seulement,

Boxtel monter sur l'écha-

faud avec ses valets pour recueiUir les restes inanimés de

son ami.

La chose au reste était en usage parmi les fidèles quand un de leurs maîtres mourait publiquement sur le Buytenhoff.

On fanatique comme l'était

Cornélius pouvait bien avoir

ua autre fanatique qui donnât cent florins de

ses reliques.

Aussi le bourreau acquiesça -t-il à la proposition. avait

mis qu'une seule condition,

c'est qu'il serait

Il

n'y

payé d'a-

vance. Boxtel, faire

,

comme les gens qui

entrent dans les baraques de

pouvait n'être pas content et par ronséqnen4 ne

pas vouloir payer en sortant. Boxtel paya d'avance et attendit.

LA TULIPE NOIIŒ.

2

lit

Qu'on juge après cola la,!

si

Boxlol élait

gardes, grolfior, exécuteur,

Bdorle,

inriuiétaieul:

1

comment

si

comment

le

surveil-

s'il

se placerait-il sur le billot,

;

eu soin au moins

avait-il

eulercmer dans une boîte d'or, par

les

étant

ému,

inouvemons do van

tomborait-il; en tombant n'écraserail-il pas dans

sa chute les inestimables caieui

de

les

exemple,

l'or

plus dur do tous les métaux.

Nous n'enlreproadrons pas do

décrire

produilsur

l'effet

ce digne mortel par i'empôchement apporté à l'exécution

de

A

sentence.

la

reau à

faire

de Cornélius au

tirant

;

la

Boxtel ne (ut plus un

homme. La rage du

du serpent

et

son geste ; sur

s'il

lai et l'eût

grâce accordée par

éclata

stathouder,

le

tigre,

eût été à portée de van Baerle,

il

la

hyè-

cri,

dans

de

dans ses yeux, dans son

se fût jeté

assassiné.

Loewes-

Ainsi donc, Cornélius vivrait, Cornélius irait à tein

là,

;

bourla tôle

la

kcture publique de

ne

le

cette tête njais quand i' main du condamné, le relever tout de sa poche un parchemin ; quand il entendit la lieu d'abattre

grelûer prendre

vit le

en

quoi perdait donc son temps

flamboyer son épéo ainsi au-dessus do

dans sa prison,

être se trouverait

il

il

emporterait les caieux, et peut

un jardin où

il

arriverait à faire fleu-

tjr latulipe noire. Il

est certaines

catastrophes que la

vre écrivain ne peut décrire,

plume d'un pau-

et qu'il est obligé

de livrer

à l'imagination de ses lecteurs dans toute la simplicité du fait.

Boxtel, gistes

pâmé, tomba de sa borne sur quelques orancomme lui de la tournure que venait

mécontens

de prendre sés par

l'affaire.

mynher

Isaac

Lesquels, pensant que

li\s

étaient des cris de joie,

cris le

pous-

bourré-

LA TULIPE NOIRE.

133

rent de coups de poing, qui certes n'eussent pas été

donnés de

l'autre côté

du

mieuT

détroit.

Mais que pouvaient ajouter quelques coups d^ poing à

que ressentait Boxtel

la ri.ouleur Il

voulut alors

I

courir après le carrosse qui emportait

Cornélius avec ses caïeux. Mais dans son empressement, ih? vit

il

pas un pavé, trébucha, perdit son centre de gravité, h dix pas et

roula

que toute

la

ne se releva que

fangeuse populace de

foulé, meurtri, et lorsla

Haye

lui

eut passé

sur le dos.

Dans cette circonstance encore, Boxtel, qui

était

enveiae

de malheur, en fut donc pour ses habits déchirés, son dos meurtri et ses mains égratignées.

On

aurait

pu croire que

c'était assez

comme

cela pour

Boxtel.

On

se serait trompé.

Boxtel , remis sur ses pieds, s'arracha le plus de cheveux qu'il put, et les jeta

che Ce

et

en holocauste à cette divinité farou-

insensible qu'on appelle l'Envie.

fut

une offrande sans doute agréable à

qui n'a, dit la mythologie, lure.

cette déesse

que desserpens en guise de

coif-

LA TULIPE NOllŒ.

|;i.l

XIV

LES PIGEONS DE DORDBBCHT.

C'était déjà certes

van Baerle que

d'être

un grand honnear pour Cornélius enfermé j ustement dans celte même

prison qui avait reçu le savant M. Grotias.

Mais une

grand

fois arrivé

l'attendait.

l'illustre

quand

la

Il

à

la

prison un, honneur bien plus

se trouva

que

la

chambre habitée par

ami de Barnoveldt était vacante à Loewostein, clémence du prince d'Orange y envoya le tulipier

van Baorle.

chambre avait bien mauvaise réputation dans le châà l'imagination de sa femme, M. Grotius s'en était enfui dans le fameux coffre à livres qu'on Cette

teau depuis que, grâce

avait oublié de visiter.

D'un autre côté, cela parut de bien bon augure à van Baerle,

que

cette

chambre

enfin, jamais,

lui fût

donnée pour logement

selon ses idées

à

lui,

faire habiter

ô un second pigeon

mier

facilement envolé.

s'était si

La chambre

est historique.

notre temps à en consigner

côve

i^ui

être

vue.

;

comme

car

Nous ne perdrons donc pas les détails, sauf une al-

ici

avait été pratiquée pour

une chambre de prison

la

;

un geôlier n'eût dû cage d'où un pre-

madame

Grotius. C'éTâlt

les autres, plus élevée peut-

aussi, Dar la fenêtre grillée,avait-on

une charmante

LA TULIPE NOraE. L'intérêt

de notre histoire d'ailleurs

un certain nombre de descriptions

135 n*?

consiste pas dans

d'intérieur.

Pour van

Baerle, la vie était autre chose qu'un appareil respiratoi-

Le pauvre prisonnier aimait au delà de sa machin© pneumatique deut choses dont la pensée seulement, cette libre voyageuse, pouvait désormais lui fournir la posre.

session factice.

Une

et l'autre à

jamais per-

lui.

trompait par bonheur,

se

Il

une femme, l'une

et

fleur

dues pour

le

bon van Baerle Dieuy I

moment où il marchait à l'échalaud, regardé sourire d'un père, Dieu lui réservait au sein mê-

qui l'avait, au

avec

me

le

de sa prison, dans

la

tence la plus aventureuse

chambre de M. Grotius, l'exisque jamais tulipier ait eue en

partage.

Un

matin, à sa fenêtre, tandis qu'il humait

montait du

une

re

patrie,

Wahal

forêt il

vit

et qu'il admirait

de cheminées»

les

dans

l'air frais

moulins de Dordrecht sa

pigeons accourir en foule de ce point

des

de l'horizon et se percher tout frissonnant au les

qui

le lointain, derriè-

soleil

sur

pignons aigus de Loewestein.

Ces pigeons, se

dit

van Baerle, viennent de Dordrecht et

y peuvent retourner. Quelqu'un qui attacherait un mot à l'aile de ces pigeons courrait la chance par conséquent

ils

de faire passer de ses nouvelles à Dordrecht,

où on

le

pleare. Puis, après

un moment de

rêverie,

Ce quelqu'un-là, ajouta van Baerle, ce sera moi.

On

est patient

condamné à une

quand on a vingt-huit ans

et

qu'on est

prison perpétuelle, c'est-à-dire à quelque

LA TULIPE NOIRE.

136

comme TiDgt- deux ou

chose

vingt-trois mille jours

iie

pii-

SOD.

Van Baerlo, pensée bat

le

tout

battait

en pensante ses trois caioux, car cottf au fond do sa mémoire conimo

toujours

cœur au fond do

îout en pensant à ses Il

la poitrine,

van

trois caieux, su

Baerle, disons-aous,

lit

un piégo à pigeons.

tenta ces volatiles par toutes les ressources de sa cui-

sine, dix-huitsous de Hollande par ce,

— et au

jour,— 12 sous de Fran-

bout d'un mois de tentations iulruclueuses,

il

une femelle. Il mit doux autres mois à prendre un mâle; puis il les enterma ensemble, et vers le commencement de l'année prit

1673, ayant obtenu desœuls, fiaate

dans

le niâle

il

lâcha

la

femelle, qui, con-

qui les couvait à sa place, s'en alla

toute joyeuse à Dordrecht avec son billet sous son aile. Elle revifit le soir.

Elle avait conservé le billet. Elle

le

garda ainsi quinze jours, au grand désappoin-

tement d'abord, puis ensuite au grand désespoir de van Baerle.

Le seizième jour eoûn elle revint à vide. Or, van Baerle adressait ce bilJet à sa nourrice, Frisonne, et suppliait les

âmes

charitables qui

la vieille le

trou-

veraieni de le lui faire remettre le plus sûrement et le plus

promptoment possible. Dans cette lettre, adressée à sa nourrice, tit billet

il

y avait un pe-

adressé à Rosa.

Dieu, qui porte avec son souffle les grains de ravenilles

sur les murailles des vieux châteaux et qui les

dans UD peu de

pluie.

fait fleurir

Dieu permit que la nourrice de V4n

Baerie reçût celte lettre.

LA TULIPE NOIRE. Et voici

comment

137

;

En quittant Dordrecht pour la Haye et 1& Haye pour Gorcum, mynhor Isaac Boxtel avait abandonné non seulement sa maison, non seulement son dome^Uque, aon seulement son observatoire, non seulement ses télescopes, mais en* core ses pigeons.

Le domestique, qu'on avait laissé sans gages, commença manger le peu d'économies qu'il avait, puis ensuite il

par

se mit à

manger

Ce que voyant

les pigeons.

les pigeons, ils

émigrèrent du

toit d'Isaac

Boxtel sur le toit de Cornélius van Baerle.

La nourrice

était

un bon cœur qui

quelque chose. Elle se

prit

avait besoin d'aimer

de bonne amitié pour les pi-

geons qui étaient venus lui demander l'hospitalité, et quand le domestique d'Isaac réclama pour les manger les deuze

ou quinze derniers comme quinze premiers, six

avait

mangé

douze ou moyennant

les

les lui racheter,

sous de Hollande la pièce.

C'était le

il

de

elle ofirit

le

double de ce que valaient

les pigeons; aussi

domestique accepta-t-il avec une grande

joie.

La nourrice se trouva donc légitime propriétaire des pigeons de l'envieux. C'étaient ces pigeons mêlés à d'autres qui, dans leur pérégrination, visitaient

la

Haye, Loewenstein, Rotterdam,

allant chercher sans doute

du

blé d'une autre nature

,

du

chènevis d'un autre goût.

Le hasard, ou -plutôt Dieu, Dieu que nous voyons, nous, au fond de toute chose , Dieu avait lait que Coraélius van Baërle avait pris justement

H en

résulte

que

si

un de

ces pigeons-là.

l'envieux n'eût pas quitté Dordrecht

pour suivre son rival à

la

Haye d'abord, puis ensuite à S.

LA TULIPE NOIRE.

138

Gorcum ou

n'étant séparées

calités

de

kl

de

la

à Looweslein,

comme on

que par

la

voudra,

les

doux

Wahal

jonction du

lo-

et

Meuse, c'eût été entre ses mains et non entre celles nourrice que lût tombé

de sorte qur

le

par van Baerle»

le billet écrit

pauvre prisonnier,

comme

corbeau du

le

son temps et ses peines, et

savetier romain, eût perdu

qu'au lieu d'avoir à raconter les événemens variés qui, pareils à

un

tapis

aux mille couleurs, vont se dérouler

sous uolro plume, nous n'eussions eu

gue série de jours, manteau de la nuit. Le

tomba donc dans

billet

les

qu'une lon-

h décrire

pâles, tristes et

comme

sombres

mains de

la

le

nourrice

de van Baerle. Aussi vers les premiers jours de février,

mières heures du soir descendaient du

comme

pre-

les

der-

ciel laissant

rière elles les étoiles naissantes, Cornélius entendit dans l'escalier Il

de

porta la

C'était la

une voix qui le fit main à son cœur et écouta.

la tourelle

voix douce et harmonieuse de Rosa.

Avouons-le, Cornélius ne fut pas si

l'espoir sous

lui

avait

étourdi de surprise,

son aile vide,

en échange de sa et

connaissait Rosa, à avoir,

des nouvelles de son Il

la

si

extravagant de joie qu'il l'eût été sans l'histoire du

geon. Le pigeon

il

tressaillir.

amour

il

s'attendait

si le billet lui

et

lettre

pi-

rapporté

chaque jour, car avait é\A remis,

de ses caïeux.

se leva, prêtant l'oreille, inclinant le corps

du côté de

porte.

Oui,

c'étaient bien les accens qui l'avaient

ému

si

dou-

cement à La Haye. Mais maintenant Rosa, qui avait

à Loewestein

;

fait le

voyage de La Haye

Rosa aui avait réussi, Cornélius ne savait

LA TULIPE NOIRE. comment, à pénétrer dans elle aussi

prison

la

13»

Rosa parviendrait-

;

heureusement à pénétrer jusqu'au prisonnier.

Tandis que Cornélius, à ce propos, échafaudait pensée sur pensée, désirs sur inquiétudes, le guichet placé à la porte de sa cellule s'ouvrit, et Rosa brillante de joie, de

parure, belle surtout du chagrin qui avait pâli ses joues

depuis cinq mois, Rosa colla sa figure au grillage de Cor-

en

nélius

lui disant

— Oh monsieur

1

:

me

monsieur,

voici.

Cornélius étendit les bras, regarda le ciel et poussa un cri

de joie.

— Oh Rosa, Rosa — Silence parlons — Votre père ? — Oui, est dans

I

I

1

cria-t-îi.

bas,

mon

père

me

jeune

suit, dit la

fille.

la cour au bas de l'escalier, du gouverneur, il va monter. tes, instructions du gouverneur ?... il



reçoit

il

les instructions

— — mots

Ecoutez, :

je vais

tâcher de tout vous dire en deux

Le stathouder a une maison de campagne à une de Leyde, une grande

lieue

ma tante,

laiterie

pas autre chose

sa nourrice, qui a la direction de tous les

qui sont renfermés dans cette métairie. Dès que votre lettre, votre lettre que je n'ai pas pu

mais que votre nourrice m'a

quand

il

y

vint,

je

lui

demandai que

troquât ses fonctions de premier perte -clefs de

de

la

Haye contre

de Loewestein.

Il

les fonctions

sorte

de geôlier à

ne se doutait pas de

connu, peut-être eût-il refusé

— De

que vous

j'ai

lire,

couru chez

^'est

reçu

hélas

I

ma tante,

ce que le prince vînt à la laite-

là je suis restée jusqu'à rie, et

lue, j'ai

:

animaux

voilà

;

mon

au contraire,

la

père

prison

la forteresse

but il

mon

;

s'il

l'eût

accorda.

La TUUPE NOIRE.

140

— Comme vous voyez. — Do sorto quo vous verrai tous — Le plus souvent quo jo pourrai. — Rosa ma belle madone Rosa jo

t

les jours T

1

dit Cornélius,

vous

m'aimez donc un peu?

— Un peu... dit-elle,

oh-l

vous n'ôlos pas assez exigeant,

monsieur Cornélius. Cornélius

lui tendit

passionnément

les

mains, mais leurs

doigts seuls purent se toucher à travers le grillage.

—Voici mon père

I

dit la

jeune

fille.

Et Rosa quitta virement la porte et s'élança vers le vieux

Gryphus qui

apparaissait au liaut de l'escalier.

LA TULIPE NOIRE.

141

XV LE GUICHET.

Gryphus Il

nût

était suivi

lui laisait faire sa

du molosse. ronde pour qu'à l'occasion

il

recon-

les prisonniers.

— Mon

père, dit Rosa, c'est

ici

la

fameuse chambre

d'où M. Grotius s'est évadé; vous savez, M. Grotius?

— Oui, oui, ce coquin de Grotius; un ami de co scélérat deBaroeveldt, quej'ai vu exécuter quaad Grotius

Eh

I

ah ah I

I

c'est

bien, je réponds

de cette chambre

que personne ne

j'étais

qu'il s'est

enfant.

évadé.

s'en évadera après

lui.

Et,

en ouvrant

la porte,

il

commença dans

l'obscurité

son discours au prisonnier.

Qaant au chien, il alla en grognant flairer les mollets du prisonnier, comme pour lui demander do quel droit il n'était pas mort, lui qu'il avait vu sortir entre le greffier et le bourreau.

Mais la belle fiosa l'appela, et

— Monsieur,

le

molosse vmt à

elle.

Gryphus en levant sa lanterne pour tâcher de projeter un peu de lumière autour de lui, vous voyez en moi votre nouveau geôlier. Je suis chef des porte-clefs et j'ai les chambres sous ma surveillance. Je ne

suis pas

dit

méchant, mais je suis inflexible pour tout ce

qui concerne la disciplme.

LA TULIPE NOIRE.

192



Mais je vous connais parfaitement,

mon

cher

mon-

sieur Gryphus, dit le prisonnit

promis de v(Miir causer avec, Le lendemain,

tait

hcuros Rosa avait

nf>ul

monta comme

mômes

aveu

la veille,

prtVautions.

(!t

(l

— Ali par cxi'm[)lo cola pourrait bion — Voulez-vous vous on assurer? — Bt de quelle façon? — Oh chose bien — — Allez demain au jardin; lAchez, comme

tulipe

être, s'écria

1

!

!

ma

amoureux.

qu'il était

c'est

Rosa.

facile.

Dites.

fois,

que Jacob sache (luevousy

première

lois, qu'il

laites

vous verrez ce

(}u'il

première

comme

la

semblant d'enterrer

le

du jardin, mais regardez à travers

caïeu, sortez et

vous suive;

la

allez; tdrhez,

porto,

la

fora.

— Bien! mais après? — Après comme agira, nous agirons. — Ah dit Rosa en poussant un soupir, vous aimez bie» il

1

I

vos oignons, M. Cornélius.

— Le

fait est,

dit le

prisonnier avec

un

soupir, que de-

puis que votre père a écrasé ce malheureux caïeu

semble qu'une portion de

— Voyons

I

dit

Rosa

ma

,

il

me

vie s'est paralysée.

voulez- vous essayer autre chosb

,

encore?

— Quoi? — Voulez-vous accepter proposition de mon père? — Quelle proposition — vous a offert des oignons de tulipes par centaines — C'est vrai. — Acceptez-en deux ou et au milieu de ces deux la

I

Il

trois,

ou

trois oignons,

vous pourrez élever

-^ Oui, co serait bien,

dit

Cornélius

le

troisième caieu.

le sourcil froncé, si

LA TULIPE NOIRE.

175

Vôtre père était seul; mais cet autre, ce

Jacob, qui nous

épie...

— Ahl privez

c'est

vrai; cependant, réfléchissez! vous vous

d'une grande distraction.

\h, je le vois,

prononça ces paroles avec un sourire qui

Et elle

n'était

pas entièrement exempt d'ironie.

un instant, il était facile un grand désir. —Eh bien, non s'écria-t-il avec un stoïcisme tout antique, non ce serait une faibless j, ce serait une folie, ce seEn

effet, Cornélius

de voir

réfléchit

qu'il luttait contre 1

1

rait

une lâcheté!

chances de

la

si je livrais

à toutes les mauvaises

ainsi

rolère et de l'envie

qui nous reste, je serais

la

ressource

dernière

unhommo indigne de pardon. Non

I

Rosa, nonl demain nous prendrons une résolution à l'en-

vous

droit de votre tulipe; tions; et quant

profondément,

la

cuh'verez selon mes instruc-

au troisième caïcu



,



Cornélius soupira

quant au troisième, gardez-le dans votre

armoirel gardez-le

comme l'avare garde sa première ou sa comme la mère garde son Gis, com-

dernière pièce d'or,

me

le blessé

garde sa suprême goutte de sang de ses vei-

nes; gardez-le, Rosa tre salut,

du

que



quelque chose

1

est notre richesse

me

que là

dit

gardez-loi et

est

no-

si le

feu

tombait sur Loevestein, jurez-moi, Rosa, qu'au lieu

ciel

bijoux, qu'au lieu de ce

de vos bagues, qu'au lieu de vos

beau casque d'or qui encadre moi,

1

Rosa, que vous

renferme

ma

emporterez ce dernier

cla

:

— Oh

vînt point ce soir-l?ï

au fur

puis, se rappelant

ce

un sou-

oui, disent-ils avec

1

Le cela do Cornélius,

lit

1

deman-

Ircssaillont, so

tressailli,

et

la

c'était

comme

à mesure (^uo

crainto que Rosa

ne

d'habitude.

la

nuit s'avançait, la préoccu-

pation devenait plu? vivo et plus présente, jusqu'à ce qu'en-

préoccupation s'emparAt de tout

fin cette

nélius, et qu'il n'y

eût plus

le

corps do Cor-

qui vécût en

(qu'elle

lui.

Aussi fut-ce avec un long battement do cœur qu'il salua l'obscurité; à

mesure quo

qu'il avait dites la veille la il

pauvre se

fille,

l'obscurité croissait, les paroles

à Rosa, et

(]ui

avaient tant a filigé

revenaient plus présentes h son esprit, et

demandait comment

il

avait

pu dire à sa consolatrice

de le sacrifier à sa tulipe, c'est-à-dire de renoncer à si

besoin

était,

quand chez

nue une nécessité de sa

De

la

lui la

vue de Rosa

était

de

deve-

vie.

chambre do Cornélius on entendait sonner

res à l'horloge

le voir

la forteresse.

les

heu-

Sept heures, huit heures,

puis neuf heures sonnèrent. Jamais timbre de bronze ne vibra plus profondément le

marteau frappant

lo

au iond d'un cœur que ne neuvième coup marquant

le

fit

cette

neuvième heure. Puis tout rentra dans lo silence. Cornélius

appuya

la

main sur son cœur pour en étouffer les bâttemens, et écouta. Le bruit du pas de Rosa, lo Iroissement de sa robe aux de

mârclios

l'escalier, lui

premier degré monté par

— Ah Ce

!

étaient elle,

il

si

familiers que, dès le

disait

:

voilà Rosa qui vient.

soir-là

aucun

bruit

ne troubla

le silence

du corridor ;

LA TULIPE NOIRE. i'horloge

marqua neuf heures un

dilférens

neuf heures

ISl

deux sons demie; puis neuf heures trois quarts; puis enfin desa voix grave annonça non-seulement aux hôtes do

quart. Puis sur

et

mais encore aux habitans de

la forteresse,

Loevestein, qu'il était dix heures.

à laquelle Rosa quittait d'habitude Corné-

C'était l'heure

L'heure était sonnée et Rosa n'était pas encore venue.

/ius.

donc, ses pressentimens ne l'avaient pas trompé;

Ainsi

Rosa irritée se tenait dans sa chambre

et l'abandonnait,

— Oh

!

j'ai

bien mérité ce qui m'arrive,

Oh

1

elle

ne viendra

lius.

venir;

Corné-

disait

pas, et elle fera bien

de ne pas

à sa place, certes, j'en ferais autant.

Et malgré cela, Cornélius écoutait, attendait et espérait toujours.

écouta et attendit ainsi jusco'à minuit, mais à mi-

li

nuit

il

cessa d'espérer et, tout habillé, alla se jeter sur son

lit.

La nuit

fut

longue

et triste, puis le jour vint;

mais

le

jour n'apportait aucune espérance au prisonnier.

A

du matin, sa porte

huit heures

nélius ne

détourna

même

pas

pas pesant de Gryphus dans

la

s'ouvrit

tête,

le corridor,

il

:

mais Cor-

avait entendu le

mais

il

avait par-

faitement senti que ce pas s'approchait seul. Il

ne regarda

£t cependant

môme il

pas du côté du geôlier.

eût bien voulu l'interroger pour

a^anderdes nouvellesde Rosa.

Il

fut

sur le point,

si

ge qu'eût dû paraître cette demande à son père, de cette

drait

demande. que sa

II

espérait, l'égoïste,

fille était

la

de_

étran-

lui faire

que Gryphus lui répon-

malade.

A moins d'événement jamais dans

lui

extraordinaire, Rosa n«

venait

journée. Cornélius, tant que dura le 11

jk>ur,

LA TULIPE NOIRE,

iSi

donc

n'allendit

raens

.subits, à

en

f)oint

réalité.

regard ra{)ide interrogeant sonnier avail tion à

A

la

la

de sa voiï

la

porte, à son le pri-

do Gryphus, Cornélius, contre tous

visite

la

demandé au vieux

plus douce, des nouv(!lles de

comme un

Gryphus, laconique

A

ia

guichet, on voyait que

sourde espérance que Rosafi Tait une Infrac-

ses antécédens, avait

— Ça

le

habitudes.

.SCS

seconde

répondre

Copondant, à ses trossailUv

son oreille tendue du coté do

geôlier, et cela

sa sanlé

;

mais

Spartiate, s'était borné à

:

va bien.

troisième visite, Cornéliu= varia

la

terme de

l'inter-

rogation.

— Personne n'est malade h Loevestein? demanda-t-il. — Personne! répondit plus laconiquement encore que première

la

fois

Gryphus, en fermant

la

porto au nez de

son prisonnier.

Gryphus, mal habitué à de pareilles gracieusetés de la part de Cornélius, y avait vu de la part de son prisonnier

un commencement do tentative de corruption. Cornélius se retrouva seul;

les

était sept

heures du soir; la veille

angoisses que nous avons essayé de décrire.

Mais,

ner

il

un degré plus intense que

alors se renouvelèrent à

la

comme

la veille,

douce vision qui

les

heures s'écouleront sans ame-

éclairait, à travers le guichet, le ca-

chot du pauvre Cornélius, et qui, en se retirant, y laissait

de

la

lumière

pour tout

Van Baerle passa

la

le

temps de son absence.

nuit dans

un

Le lendemain, Gryphus lui parut plus désespérant encore que d'habitude

véritable désespoir.

laid, plus brutal, plus

: il

lui était

passé par

LA TULIPE NOIRE. ou plutôt par

l'esprit, ^,ui

183

cœur, cette espérance que

le

c'était

qui enapêchait Rosa de venir.

Il lui prit des envies féroces d'étrangler Gryphus; mais Gryphus étranglé par Cornélius, toutes les lois divines et humaines défeadaient à Rosa de jamais revoir Cornélius.

Le geôlier échappa donc, sans grands dangers

plus

Le

s'en

douter,

un des

à

eût jamais courus de sa vie.

qu'il

soir vint et le désespoir tourna

en mélancolie

;

cette

mélancolie était dautant plus sombre que, malgré

van

Baërle, les souvenirs de sa pauvre tulipe la

On en

douleur qu'il éprouvait.

époque du mois indiquent lipes

;

que

d'avril

comme

le

:

vous devez mettre

le caïeu

lendemain,

à

le fixer

Je vous indiquerai

en

terre.

si

Rosa

tard

allait laisser

de voir avorter ,

ou

même

si

doux, malgré leur pâ-

passer le temps de

le

caïeu,

Ce

le

la

fille

pour avoir

plantation

il

;

se joignait

été planté troj.

pour n'avoir pas été planté du tout

De ces deux douleurs léunies, perdre

devait, le

un peu humide, commençait du soleil d'avril,

à la douleur de ne pas voir la jeuRe

celle

jour où

le il

ces pâles rayons

qui venant les premiers semblent leur. Si

Ce jour,

soirée suivante. Le temps était bon,

la

l'atmosphère, quoique encore

à être tempérée par

était arrivé juste à cette

les jardiniers les plus experts

point précis de la plantation des tu-

avait dit à Rosa

il

mêlaient à

se

l

y avait certes de quoi

boire et le manger.

fut ce qui arriva le

C'était pitié

quatrième jour.

que de voir Cornélius, muet de douleur

et

pâle d'ipanition, se pencher en dehors de la lenôtre grillée,

au risque de ne pouvoir

retirer sa tête d'entre les barreaux,

pour tâcher d'apercevoir à gauche

le

petit jardin

dont

lui

avait parlé Rosa, et dont le parapet confinait, lui avait-elle

LA

Igi ait,

à la rivière,



cola

ces premiers rayons lulipe, ses

Le

soir,

TUI-IPF.

du

deux amours

Gryphus

dans

l'rsix^raiice

soleil

d'avril, la

la

flllo

avait-il

n'y toucha pas

du

le

dîner de

touché.

Gryphus des-

tout, rt

deux repas

parfaite-

mtacts.

Cornélius ne

— Bon, visite

h

ou

jeune

déjeuner et

les comeslibles destinés à ces

cendit

ment

il

de découvrir,

brisées.

nH)orla le

Cornélius; à peine celui-ci y

Le lendemain,

NOIUE.

;

s'était

pas levé de

journée.

la

Gryphus en descendant après la dernière bon, je crois que nous allons être débarrassé du dit

savant.

Rosa

tressaillit.

— Bah — ne I

Il

dit

boit plus,

Gryphus.

co'^fre,

Jacob, et

fit

Comme

il

comment cela? ne mange plus,

M. Grotius,

il

il

ne se lève

plus,

sortira d'ici dans

un

seulement ce coffre sera une bière.

Rosa devint pâle

— Ohl

comme

la

mort.

murmura-t-elle, je comprends

:

il

est inquio4 de

sa tulipe. Et se levant tout oppressée, elle rentra dans sa bre,



elle prit

une plume

la nuit s'exerça

à

et

du papier,

et

cham-

pendant toute

tracer des lettres.

Le lendemain, en se levant pour se traîner jusqu'à fenêtre, Cornélius aperçut

sous Il

un papier qu'on

la

avait glissé

la porte.

s'élança sur ce papier, l'ouvrit, et lut, d'une écntare

qu'il eut peine s'était améliorée

à reconnaître pour celle de Rosa, tant elle

pendant cette absence de sept jours

:

— Soyez tranquille, votre tulipe se porte bien. Quoique ce

petit

mot de Rosa calmât une

partie des dou-

LA TULIPE NOIRE. (eurs de Cornélius

,

185

n'en fut pas moins

il

nie. Ainsi, c'était bien cela,

Rosa

était blessée; ce n'était point

sensible à l'iro-

n'était point

malade, Rosa

par force que Rosa ne venait

plus, c'était volontairement qu'elle restait éloignée

de Cor-

nélius.

Ainsi

Rosa

libre,

Rosa trouvait dans sa volonté

la for-

ce de ne pas venir voir celui qui mourait du chagrin

d'^

ne pas l'avoir vue. Cornélius avait du papier et un crayon que lui avait apportés Rosa.

comprit que

Il

la

jeune

fille

réponse, mais que cette réponse elle ne

cher que

la nuit.

En conséquence

pareil à celui qu'il avait reçu

Ce

me

n'est point l'inquiétude

rend malade

;

c'est le

il

la

attendait un\i

viendrait cher-

écrivit sur

un papier

ma

tulipe qui

:

que

me

cause

chagrin que j'éprouve de ne pas

vous voir. » Puis

Gryphus

sorti,

puis le soir venu,

il

glissa le

papier

sous la porte et écouta. Mais, avec quelque soin qu'il prêtât l'oreille, ni le pas ni Il

n'entendit qu'une voix faible

douce

comme unecarresse, qui

deux mots

n'entendit

il

froissement de sa robe.

le

comme un

lui jetait

par

le

souffle,

et

guichet ces

:

— A demain. Demain,



c'était le

huitième jour.

— Pendant

jours ^^ornélius et Rosa ne s'étaient point vus.

huit

LA TULIPE NOIRE.

186

XX CB QUI s'Était passé pendant ces huit jours.

Le lendemain en

à l'heure habituelle, van Baerle

«ffet,

entendit gratter à son guichet faire

Rosa dans

les

comme avait

On devine que Cornélius

n'était pas loin

de laquelle

à travers le grillage

charmante figure disparue

allait

il

de cette porte

revoir enfin

la

de['uis trop longtemps.

Kosa, qui l'attendait sa lampe à

un mouvement quand si

l'habitude do le

bons jours de leur amitié.

elle

vit

le



main,

tie

prisonnier

put retenir triste et

si

pâle.



Vous

êtes souffrant,

monsieur Cornélius? demandâ-

t-elle.



Oui, mademoiselle, répondit Cornélius, souffrant

d'esprit et de corps.



J"ai

je

vu, monsieur, que vous ne mangiez plus, dit

mon

Rosa;

vous

père m'a

ai écrit

dit

que vous ne vous

leviez plus; alors

pour vous tranquilliser sur

le sort

du pré-

cieux objet de vos inquiétudes.

— Et moi,

ciit

Cornélius, je vous ai répondu. Je croyais,

vous voyant revenir, chère Rosa, que vous aviez reçu m^i lettre.

— reçue. vrai, je — Vous ne donnerez pas C'est

vous ne savez pas

l'ai

lire.

pour excuse,

cette fois,

Non-seulement vous

lisez

que

couram-

LA TULIPE NOIRE.

187

ment, mais encore vous avez énormément profité sous

de

rapport

— En

non-seulement reçu, mais

effet, j'ai

lu votrs billet.

pour cela que je suis venue pour voir

C'est

moyen de vous

pas quelque

— Me

le

l'écriture.

rendre à

la santé

rendre à

s'il

s'écria Cornélius,

!

n'y aurait

la santé.

mais vous

avez donc quelque bonne nouvelle à m'apprendre î Et en parlant ainsi,

le

jeune

homme

Rosa

attachait sur

des yeux brillans d'espoir. Soit qu'elle

voulût pas

ment

le

ne comprît pas ce regard, comprendre,

la

jeune

fille

soit qu'elle

ne

répondit grave-

:



seulement à vous parler de votre tulipe, qui

J'ai

je le sais, la plus

est,

grave préoccupation que vous ayez.

Rosa prononça ce peu de mots avec un accent glacé qui fît

tressaillir Cornélius.

Le zélé sous

le

aux



Ah

ne comprenait pas tout ce que cachait,

l'indifférence, la

avec sa

prises

vous

que

tulipier

voile de

murmura

!

Cornélius, encore, encore

Rosa, ne que je ne songeais qu'à vous, vous seule que je regrettais, vous seule qui me

ai-je pas dit,

c'était

pauvre enfant toujours

rivale, la tulipe noire.

mon

manquiez, vous seule qui, par votre absence, l'air, le

1

Dieu!

me

retiriez

jour, la chaleur, la lumière, la vie.

Rosa sourit mélancoliquement.

— Ah

!

dit-elle, c'est

que votre

tulipe

a couru un

si

grand

danger. Cornélius piège

— Dieu

si

Un I

tressaillit

malgré

luîi,

et se laissa

prendre au

c'en était un. si

grand dangerl

et lequel ?

s'écria-t-il tout

tremblant,

mon

LA TULIPE NOIUE.

188

Rosa

que ce

me,

regarda avec uno douce compassiou,

le

tîu'cll(>

cl (lu'il fallait

— Oui,

dit-elle,

l'amoureux,

elle sentait

voulait était au dessus dos forces de cet

le

hom-

accoplor celui-là avec sa linhlcsse.

vous aviez deviné

juste, le prétendant,

Jacob ne venait point pojr nioi.

>— Et pour qui venait-il donc?

demanda Cornélius avec

anxiété.

— venait pour — Oh ûl Cornélius la

Il

tulipe.

!

pfllissant à cotte

se trompant,

n'avait pâli lorsque Uosa,

nouvelle plus qu'il avait

hii

quinze jours auparavant que Jacob venait pour

Rosa

annoncé

elle.

et Cornélius s'aperçut à rexpres*

vit cette terreur,

sion de son visage qu'elle pensait ce que nous venons de dire.

— Oh sais la

pardonnez-moi, Rosa,

l

bonté

et

vous a donné

dit-il,

je

vous connais, je

l'honnêteté de votre cœur. Vous,

jugement,

Dieu

force et le

mou-

vement pour vous défendre, mais à ma pauvre

tulipe

la

pensée,

le

la

menacée. Dieu n'a rien donné do tout cela. Rosa ne répondit point 5 ccUc excuse du prisonnier continua

et

:

— Du

moment où cet homme, qui m'avait suivie au que j'avais reconnu pour Jacob, vous inquiétait, il m'inquiétail bien plus encore. Je fis donc ce que vous jardin et

aviez

dit, le

nière fois et

lendemain du jour où je vous

où vous m'aviez

vu pour

ai

la der-

dit...

Cornélius l'interrompit.

— Pardon, encore une vous

ai dit, j'ai

eu

tort

mandé mon pardon de encore.

fois,

Rosa,

de vous

s'écria-t-il. C^i

le dire.

— J'en

cette fatale parole.

ai

Je le

Sera-ce donc toujours vainement?

que

je

déjà de-

demande

LA TULIPE NOIRE.

— Le lendemain de lant ce

ce jour-là, reprit Rosa,

que vous m'aviez

m'assurer

si c'était

189

de

dit...

moi ou

me

rappe-

ruse à employer pour

la

que cet odieux

la tulipe

homme

suivait...

— Oui, odieux... cet

N'est-ce pas,

— Oui,

je le hais, dit

Rosa, car

souffert depuis huit jours

— Ah cette i

dit-il,

vous

1

est

il

cause que

bien

parole, Rosa.

donc au

jardin, et

continua Rosa,

m'avançai vers

plale-ban-

la

je devais planter là tulipe, tout en regardant derriè-

où moi si, cette fois comme l'autre, j'étais suivie. Eh bien ? demanda Cornélius. Eh bien la même ombre se glissa entre la porte

— — la

j'ai

vous aussi, vous avez donc souffert? Merci de

bonne

je descendis

re

haïssez bien

1

— Lelendemain de ce malheureux jour,

fde

le

homme?

!

et

muraille, et disparut encore derrière les sureaux.

— Vous manda seil

fîtes

semblant de ne pas

qu'il

avait

avec une bêche

comme si

lui.... lui...

la

la

un

creusai

comme

ceux d'un

dit Cornélius. ,

jo

me

retirai.

porte du jardin seulement, n'est-ce les fentes

porte vous pûtes voir ce qu'il attendit

je

branches des arbres.

pas? De sorte qu'à travers

Il

con-

?

ce semblant d'opération achevé

— Mais derrière —

plate-bande que

pendant ce temps

— Voyez- vous? voyez-vous? Pi:\is,

le

je plantais le caïeu.

voyais briller ses yeux ardens

tigre à travers les

-^

pas? de-

donné à Rosa.

— Oui, et je m'inclinai sur — Et — Je

la voir, n'est-ce

Cornélius se rappelant dans tous ses détails

fit,

ou

la

serrure de cette

vous une

instant sans doute

fois pC"^tie.

pour s'assurer que

n.

LA TULIPE NOIRE.

190

no

je

reviendrais pas, imis

rhcllp. s'approoha de

puis



arrivt^ ciiliH à

pas de loup do sa ra-

sortit h

il

plato-baïuic

la

fraîchement remuée,

la terre était

un

[lar

son but, c'esl-à-dirn en il

ddlour,

lonj;

l'aco

do r'cndroit

s'arrêta d'un air in-

dotons côtés, interrogea cha(iue angle interrogea chaque fonéln^des maisons voisines,

diflérciU, regarda

ju jardin,

interrogea seul,

Uen

la terre, le ciel, l'air,

isolé, bien

hors de

la

croyant

et

vue de tout

molle, en enleva une portion

la terre

brisa

([u'il

caieu s'y

si le

même manège, et

trois fois le

action

plus ardente, jusqu'à ce qu'enfin,

rie,

qu'il

calma

il

me



état

il

pour

le

fois

recom-

avec une

rommençant à

misérable,

prit

râteau,

le

à son départ dans

le laisser

ne

se trouvait avant qu'il

honteux, tout penaud,

1

se

pouvait être dupe de (juelque superche-

reprit le chemin de la porte promeneur ordinaire.

murmura

mê-

le

l'eût fouillé, et tout

affec-

il

tant lair innocent d'un

— Oh

chaque

l'agitation qui le dévorait,

égalisa le terrain

bien il

doucement

trouvait,

mença

comprendre

monde,

deux mains dans

préeipita sur la plate-bande, enfonça ses

entre ses mains pour voir

qu'il était

le

Cornélius

essuyant les

gouttes de sueur qui ruisselaient sur son front.

Oh

le

!

mi-

sérable, je l'avais deviné. Mais le caieu, Rosa, qu'en avez-

vous

fait? Hélas

!

il

est déjà

un peu

tard

pour

le planter.

— Le caïeu, est depuis six jours en terre. — Où cela? comment cela? s'écria Cornélius. il

Dieu, quelle imprudence il

î Est-

bien

il

!



est-il ?

ou mal exposé ? Ne

être volé par cet affreux Jacob



Il

Oh

I

mon

Dans quelle terre

risquc~t-il pas

est-

de nous

?

ne risque pas de nous être volé, à moins que Jacob

ne force

— Ah

la I

porte de il

est

ma

chambre.

chez vous,

il

est

dans votre chambre.

IM

LA TULIPE NOIRE. Rosa, dit Cornélius an peu tranquillisé. Mais

dans

terre,

comme

dans l'eau

Vous ne

quel récipient? les

dans quelle pe~ germer

le faites

bonnes femmes de Harlem ciaeDor-

drecht, qui s'entêtent à croire que l'eau peut remplacer la

comme

terre,

l'eau, qui

si

parties d'oxigène

composée de

est

trente-trois

de soixante-six parties d'hydrogène,

et

pouvait remplacer... Mais qu'est-ce que je vous dis là moi,

Rosa

i

— Oui, c'est un jeune

riant, la

dre,

fille.

pourvous

peu savant pour moi, répondit en souJe me contenterai donc de vous répon-

tranquilliser,

que votre caïeu

n'est pas

dans

l'eau.

— Ah je respire. — est dans un bon 1

11

pot de grès, juste de la largeur

cruche où vous aviez enterré

la

composé de

terrain

trois quarts

le vôtre.

Il

est

de
t-à-direcinq ans auparavant,

commis un

acte de rébellion bien autrement aiiodin

avait

que

faite

et certains articles

parfaitement entrés dans

raconliient en outre

Ils lui

(^tt'

que vena't de

celui

11

se permettre Cornélius.

avait trouvé sa soupe trop chaude et l'avait jetée h

la tê'e

du chef des gardiens,

tion, avait

eu

le

une

s'enlever

qui, à la suite

de celte ablu-

désagrément en s'essuyant

le

visage de

partie de la peau.

Mathias, dans les douze heures, avait été extrait de sa

chambre

;

Puis conduit à la geôle, tant de Loevestein

Puis

mené à



il

avait été inscrit

comme sor-

;

l'esplanade, dont la

vue

est fort belle et

em-

brasse onze lieues d'étendue.

Là on

mains

lui avait lié les

;

Puis bandé les yeux, récité trois prières Puis

on

des de Lœvestein, au

nombre de douze, lui avaient, sur un

par un «ergent, logé

signe

fait

balle

de naouiquet dans

Ce dont Mathias

;

à faire une génuflexion, et les gar-

l'avait invité

était

fort

habilement chacun une

le corps.

mort incontinent.

Cornélius écouta avec la plus graade attention cit

ce ré-

désagréable.

Puis, l'ayant écouté

:

— Ah ah dans douze heures, dites-vous? — Oui, douzième heure n'était pas môme encore son 1

1

dit-il,

les

la

née, à ce que je crois, dit

le

narrateur.

LA TULIPE NOIRE.

— Merci,

275

dit Cornélius.

le garde n'avait pas terminé le sourire gracieux qui serde ponctuation à son récit qu'un pas soaore retentit

vait

dans

l'escalier.

Des éperons sonnaient aux arêtes usées des marches. Les gardes s'écartèrent pour laisser passer un officier.

dans

Celui-ci entra

où le

la

chambre de Cornélius au moment

scribe de Loevestein verbalisait encore.

— C'est n« 11 demanda — Oui, capitaine, répondit un sous-olficier. — Alors c'est la chambre du prisonnier ici le

?

t-il.

ici

van Baërle

Cornélius

1

—Précisément, capitaine.

— Où est prisonnier — Me voici, monsieur, répondit Cornélius en pâlissant ub le

î

peu malgré tout son courage.

— Vous

êtes

M. Cornélius van Baerle? demanda-t-il, s'a-

dressant cette lois au prisonnier lui-même.

— Oui, monsieur. — Alors suivez-moi. — Oh oh dit Cornélius, dont !

1

le

cœur

se soulevait, pres-

sé par les premières angoisses de la mort, vite

en besogne à

la forteresse

m'avait parlé de douze heures

— HeinI

du

le

drôle qui

I

qu'est-ce que je tous ai dit?

torien à l'oreille

comme on va

de Loevestein, et

fit

iegarde

his-

patient.

— Un mensonge. — Comment cela — Vous m'aviez promis douze heures. T

— Ah!

oui. Mais l'on

vous envoie un aide de camp de

son Alte sse, un de ses plus intimes

même, M. van Deken

276

LA TULIPE NOIRE.

Peste

I

on n'a pas

fait

— Allons, allons, avec

res f?ons-là qu'un Ijourgcois,

trons à

de Witt, oeut, sans balles de il

Cornélius, en renflant sa poitrine

plus graïuio quantitiJ d'air possit)le

la

Et

unfiarcMl lionnourau pauvfliBMathias.

fit

faire la

mon-

de Corneille

grimace, contenir autant de

nommé

mousquet qu'un

allons,

;

filleul

Malliias.

passa fièrement devant le greffier qui, interrompu

dans ses fonctions, se hasarda de dire à

— Mais, capitaine van Deken.

l'officier

:

le j^roctis-verbal n'est

pas

encore terminé.

— Ce — Bon

n'est point la peine 1

répliqua

le

de

répondit

le finir,

l'officier.

scribe en serrant philosophiquemeni

ses papiers et sa ijlumc dans un porteleaille usé et cras-

seux. Il

était écrit,

nerais

pensa

mon nom en

fleur, ni à

un

le

ce

pauvre Cornélius, que je no don-

monde

une au moins, à ce que peu organisé priété d'une

Et

il

ni à

un enfant,

livre, ces trois nécessités

qu'il

l'on assure,

à

ni

homme un

tout

daigne laisser jouir sur terre de

âme et de l'usufruit

suivit l'officier le

cœur

à une

dont Dieu impose

la

pro-

d'un corps. résolu et la tête haute.

Cornélius compta les degrés

qui conduisaient à l'espla-

nade, regrettant de ne pas avoir demandé au garde combien

il

y en

avait; ce que,

dans son

ce, celui-ci n'eût certes pas

Tout ce que redoutait gardait

comme

officieuse

manqué de

le patient

dans ce

trajet, qu'il re-

celui qui devait définiiiveinent le conduire

au but du grand voyage,

c'était

de voir Gryphus

pas voir Rosa. Quelle satisfaction, en sur le visage du père fille!

complaisan-

lui dire.

1

Quelle douleur

effet,

et

de ne

devait briller

îiur le

visage de

la

LA TULIPE NOIRE.

Comme Gryphus supplice,

au moins

S'il allait

la

pauvre

la

mourir sans

tout

conscience d'avoir accompli

la

le

dernier adieu

grande tulipe noire,

reil

ne la voyait pas, s'il aldonné le dernier baiser ou

fille, s'il

avoir

lui

I

mourir enfin, sans avoir aucune nouvelle de

de quel côté

En

juste,

comme

!

Mais Rosa, lait

applaudir à ce supplice, à ce

allait

vengeance féroce d'un acte éminemment

que Cornélius avait

un devoir

277

vérité,

moment

il

et se réveiller là haut,

tourner

fallait

les

yeux pour

sans savoir

la

retrouverl

pour ne pas fondre en larmes dans un pa,

le

pauvre

tulipier avait plus d'œs triplex

autour du cœur qu'Horace n'en attribue au navigateur qu: le

premier

visita les

infâmes écueils acrocérauniens.

Cornélius eut beau legarder à droite, Cornélius eut beau

regarder à gauche,

il

arriva sur l'esplanade sans avoii

aperçu Rosa, sans avoir aperçu Gryphus. Il

y avait presque compensation.

Corné) iu'î,

arrivé

chercha bravement

sur l'esplanade,

des yeuï les gardes ses exécuteurs, et

vit

en

effet

une dou-

zaine de soldats rassemblés et causant. INluis fct

rassemblés et causant sans mousquets, rassemblés

caus.vit sans être alignés

Chuchotant

môme

;

entre eux plutôt qu'ils ne causaient,

r^onduile qui parut à Cornélius

indigne dn

la

gravité qui

préside d'ordinaire h de pareils événemens.

Tout h coup Gryphus clopinant, chancelant, s'appuyant sur une béquille, apparut hors de sa geôle.

pour un dernier regard de haine tout

yeux gris de chat. Alors

il

se mit à

Il

le feu

avait allumé

de ses vieux

vomir contre Cornélius

^^*

LA TULIl'E NOIRE.

un

toi

lorront d'abominables imprécations

s'adn^^sarit h l'olficier

— Monsieur, do

me

que Cornélius,

:

dit-il, je

ne

crois pas qu'il soit biert séant

homme,

laisser ainsi insulter par cet

et cela surtout

dans un pareil moment.

— Hcoutez donc, dit

l'officier

eu

riant,

homme vousen veuille,

que co brave

il

est bien naturel

il

paraît

que vous

l'a-

vez roué de coups?



Mais monsieur, c'était h mon corps défendant. - Bahl dit capitaine en imprimant h ses épaules un geste éminemment philosophique; bahl laissez-le dire. \t^

Que vous importe, Une sueur froide

à présent?

passa sur 1© front de Cornélius à cette

réponse, qu'il regardait

de

la

comme une

ironie

un peu brutale,

part surtout d'un officier qu'on lui avait dit être at-

taché à la personne du prince.

Le malheureux comprit

qu'il n'avait plus

de ressources,

qu'il n'avait plus d'amis, et se résigna.

— Soit, murmura

t-il

en baissant

bien d'autres au Christ, et puis

me comparer

son geôlier et ne

si

tête;

la

on en a

fait

innocent que je sois, je ne

à lui. Le Christ se lût laissé battre par

l'eôt point battu.

Puis, se retournant vers l'officier, qui paraissait complai-

samment

attendre qu'il eût

fini

ses réflciious,

— Allons, monsieur, demanda-t-il L'offlcier lui

qui

lui

montra un carrosse

rappela fort

le

,

de quatre chevaux,

carrosse qui dans une circonstance

pareille avait déj^ frappé ses regards

— Montez dedans, — Ah! murmura Cornélius, Ih

où vai5-je?

attelé

au Buytenhoff.

dit-il.

pas les honneurs do l'esplanade

il

,

paraît qu'on à

moi

l

ne

me

fera

LA TULIPE NOIRE. II

179

prononça ces mots assez haut pour que

l'historien

fui semblait être attaché à sa personne l'entendit.

Sans doute

que

crut-il

c'était

uq devoir pour

de don-

lui

ner de nouveaux renseignemens à Cornélius, car

procha de

la portière, et tandis

que

l'olficier, le

marchepied, donnait quelques ordres,

le

il

lui

il

s'ap-

pied sur tout

dit

bas;

— On a ville, et

vu des condamnés conduits dans pour que l'exemple

fût plus

leur propre

grand, y subir leur

supplice devant la porte de leur propre maison. Cela dé-

pend. Cornélius Puis à

fit

un signe de remercîment.

lui-même

— Eh bien

I

:

à

dit-il,

la

bonne heure,

voici

un garçon

ne manque jamais de placer une consolation quand casion s'en présente.

Ma

loi,

mon

ami,

je

qui

l'oc-

vous suis bien

obligé. Adieu.

La voiture roula.

—Ahl scélérat îe

1

ah! brigandl hurla

poing à sa victime qui

jans

me

rendre

ma

lui

fille.

— Si l'on me conduit à Dordrecht, rai

Gryphusen montrant

échappait. Et dire qu'il s'en va

en passant devant

ma

maison

bandes ont été bien ravagées

si

dit Cornélius, je

mes pauvres

ver-

plates-

ÎSO

LA TULIPE NOIRE.

XXX ou l'on commence de se douïer a quel supplice ÉTAIT RÉSERVÉ CORNÉLIUS VAN BAERLE.

La voilure roula tout le jour. Elle laissa Dordrecht à gauche, traversa Rotterdam, atteignit Delft. A cinq heures

du

on avait

soir,

au moins vingt

fait

lieues.

Cornélius adressa quelques questions à servait à

la

fois

conspectes que fussent ses demandes, les voir rester

l'officier

de garde et de compagnon; mais, il

complaisant qui parlait,

si

11

lui

lui

si cir-

eut le chagrin de

sans réponse.

Cornélius regretta de n'avoir plus à côté de

de

qui

lui,

lui

ce gar.

sans se faire prier.

eût sans doute offert sur cette étrangeté, qui sur-

venait dans sa troisième aventure, des détails aussi gracieux et des explications aussi précises que sur les deux

premières.

On

passa

la

nuit en voiture. Le lendemain, au poiat du

jour, Cornélius se trouva

du Nord à

sa

gauchs

et la

Trois heures après,

il

au delà de Leydo, ayant

mer de Harlem

la

mer

à sa droite.

entrait à Harlem.

Cornélius ne savait point ce qui s'était passé à Harlem,

nous

et

en

le

laisserons dans cette ignorance jusqa'à ce qu'il

soit tiré par les

Mais le droit

il

événemens.

ne peut pas en être de

môme du

u être mis au courant des choses,

notre héros.

lecteur, qui a

même

avant

LA TULIPE NOIRE.

281

Nous avons vu quo Rosa et la tulipe, comme deux soeurs et comme deux orphelines, avaient été laissées, par le prince Guillaume d'Orange, chez le président vanSystens.

Rosa ne reçut aucune nouvelle du stalhouder avant

du jour où

soir

Vers

de

nait

soir,

lo

la part

maison de

elle l'arait

vu en

le

lace.

un ofQcier entra chez vanSystens;

ve-

il

de Son Altesse inviter Rosa à se rendre à

la

ville.

Là, dans le grand cabinet des délibérations



elle fut

introduite, elle trouva le prince qui écrivait. Il

à ses pieds un grand lévrier de Frise

était seul et avait

qui le regardait fixement,

comme

si le

fidèle

animal eût

que nul homme ne pouvait lire dans la pensée du maître. faire Guillaume continua d'écrire un instant encore puis, levoulu essayer de

ce

faire,



;

vant les yeux et voyant Rosa debout près de la porte

— Venez, mademoiselle,

dit-il

:

sans quitter ce qu'il écri-

vait.

Rosa

fit

quelques pas vers

— Monseigneur, — C'est bien,

le prince.

Rosa obéit, car

lo

fit

dit-elle

la table.

en

s'arrôtant.

Asseyez-vous.

prince la regardait, Mais à peine le

prince eut-il remporté les yeux sur son papier qu'elle se retira toute

honteuse.

Le prince achevait sa

Pendant ce temps, et l'avait

— Ah

!

examinée ah

'

fit

lettre.

le lévrier était allé

au-devant de Rosa

et caressée.

Guillaume à son chien.

c*est une compatriote; tu

Puis, se retournant vers

scrutateur et voilé en

la

Rosa

même

On voit

bien que

reconnais. et fixant sur elle

temps

son regard

:

16.

2S2

LA TULIPE NOIRE.

— Voyons, ma Le

iiUo, dit-il

peine, Ros,i

en

eût mieux dit en disant

ma

vingt-trois

ou vingt;

arait dix-tiuit

mur. — Ma

flllo, dit-il.

avait

pririco

il

ans à

avec cet accent étrangement impo-

sant qui glanait tous ceux qui l'approchaient, nous ne

mes que nous deux, causons. Rosa commença do trembler de cependant

il

n'y avait rien

som-

tous ses membres, et

que de bienveillant dans la phy-

sionomie du prince.

— Monseigneur, balbutia-t-elle. — Vous avez un père à Loevestein T — Oui, monseigneur. — Vous ne l'aimez pasT — Je ne l'aime pas, du moins, monseigneur, comme une fille

devrait aimer.

— C'est mal mais

c'est

de ne pas aimer son

père,

mon

enfant,

bien de ne pas mentir à son prince.

Rosa baissa

les

yeux.

— Et pour quelle raison n'aimez-vous point votre père — Mon père méchant. — De quelle façon se manileste sa méchanceté? — Mon père maltraite prisonniers. — Tous? — Tous. — Mais ne reprochez- vous pas de maltraiter parti-

T

est

les

lui

culièrement quelqu'un

— Mon

?

père maltraite particulièrement M. van Baerle,

qui...

— Qui Rosa

fit

est votre

amant.

un pas en

arrière.

LA TULIPE NOIRE.

283

— Que j'aime, monseigneur, répondit-elle — Depuis longtemps? demanda prince. — Depuis jour où vu. — vous l'avez vu?

avec

fierté.

le

le

je l'ai

ift

— Le lendemain U.

où furent

si

grand pensionnaire Jean

le

terriblement mis h mort et

son frère Corneille.

Les lèvres du prince se serrèrent, son front se ses paupières se baissèrent de

Au bout d'un

ses yeux.

— Mais que

vous

instant de silence,

d'aimer un

sert-il

plissa,

manière à cacher un instant il

reprit

:

homme

destiné à

vit et

meurt en

vivre et à mourir en prison ?

— Cela

me

servira,

monseigneur,

s'il

prison, à l'aider à vivre et à mourir.

— Et vous accepteriez cette position d'être

la

femme d'un

prisonnier?

— Je serais res

la plus

humaines étant

Oère et la

la plus

heureuse des créatu-

femme de M. van

Baerle

— Mais quoi — Je n'ose dire, monseigneur. — y a un sentiment d'esDérance dans

;

mais...

?

Il

qu'espérez-vous Elle leva ses

\)re

la

si

pénétrant© qu'ils allèrent

clémence endormie au fond de ce cœur som-

d'un sommeil qui ressemblait à la mort.

—Ah

I

je

;

beaux yeux sur Guillaume, ses yeux lim-

pides et d'une intelligence

chercher

votre accent

?

comprends.

Rosa sourit en joignant

—Vous espérez en moi, — Oui, monseigneur. — Huml

les

mains.

dit le prince.

284

L\ TULIPE NOIRE.

Le prince cachota pela

un

la lo^iro (ju'il

venait d*écrire et ap-

SOS olflciers.

dti

— Morisioiir van Deken, sage que voici

;

dit-il,

portez h Loevestcin

le

mes-

vous prendrz lecture des ordres que

donne au gouverneur,

et

en ce qui vous regarde vous

je let

eit^cuterez. L'officier

sonore de

— Ma de

la

salua

,

maison

fille,

et l'on entendit retentir le

dimanche

c'est

que ce jour-là



soit

une grande

Comment Votre murmura Rosa. il

TOUS

le

voûte

que

fête

voici; car je

veux

pour vous.

Altesse veut-elle

que

je sois

costume des épousées frisonnes,

siéra tari bien.

la fête

après-demain. Faites-vous

belle avec les cinq cents florins

me,

la

poursuivit le prince, c'est dimanclio

la tulipe, et

— Prenez

sous

galoD d'un cheval.

vêtue?

dit Guillau-

LA TULIPE NOIRE.

28S

XXXI

HARLEM Harlem, où nous sommes entrés

il

ya

avec

trois jours

où bous yenqns de rentrer à la suite du prisonnier, est une joiie ville, qui s'enorgueillit à bon droit d'être une des plus ombragées de la Hollande. Tandis que d'autres mettaient leur amour-propre à brilRosa

ler

et

par les arsenaux et par

par les magasins

les chantiers,

Harlem mettait toute sa gloire à primer tontes les villes des Etats par ses beaux ormes touffus, par ses peupliers élancés, et surtout par ses promenades omet par les bazars,

breuses, audessus desquelles s'arrondissaient en voûte, le

chêne,

le tilleul et le

marronnier.

Harlem, voyant que Leyde sa voisine, et Amsterdam sa reine,

prenaient, l'une, le

de science,

et l'autre celui

chemin de devenir une

de devenir une

merce, Harlem avait voulu être une

ville

ville

ville

de coaa-

agricole

ou plu-

tôt horticole.

En elle

effet,

bien close, bien aérée, bien chauffée au soleil,

donnait aux jardiniers des garanties que toute autre

ville,

avec ses vents de mer ou ses

soleils

de plaine, n*eût

point su leur offrir.

Aussi

avait-on

vu

s'établir à

Harlem tous ces

tranquilles qui possédaient l'amour de

biens,

comme on avait vu

s'établir à

la

esprits

terre et de ses

Rotterdam

et à

Ams-

LA TULIPE NOJPE.

Î86

lerdarn tous les esprits inquiets ot remuans, qui possèden'' l'ainour des voyngos et s'étab

ir

à

Haye tous

la

Nouh avons

dit

du commerce,

comme on

les politique» et les

que Leydo avait été

avait

vu

monijains.

couquêle des sa-

la

vans.

Harlem

donc logoftt deschoses douces, de

prit

la

mugi-

que, delà peinture, des vergers, des promenades, des hois et des parterres.

Harlem devint

folle

des fleurs,

entre autres fleurs, dei.

et,



tulipes.

Harlem proposa des prix en l'honneur dos nous arrivons

ainsi, fort

parler de celui

l'honneur de

que

la

tulipos,

ot

naturellement comtHe on voit, à

15 mai 1673, en

la ville proposait, le

grande tulipe noire sans tache

et

sans

défaut, qui devait rapporter cent mille florins à son inventeur.

Harlem ayant mis en lumière sa affiché

son goût pour

li3s

fleurs

spécialité,

Harlem ayant

en général

en particulier, dans un temps où tout

et les tulipes

était à

la

guerre

ou aux séditions, Harlem ayant eu l'insigne joie de voir Qorir l'idéal de ses prétentions et l'insigne fleurir

l'idéal

des tulipes, -Harlem,

honneur de

la jolie ville

voir

pleine de

bois et de soleil, d'ombre et de lumière, Harlem avait voulu faire de cette fête qui durât

cérémonie de l'inauguration du prix une

éternellement dans

Et elle en avait d'autant plus le

le

souvenir des hommes.

le droit

que

la

Hollande est

pays des fêtes; jamais nature plus paresseuse

ploya celle

ne dé-

plus d'ardeur criante, chantante et dansante

que

des bons républicains des Sept ProvÏHces à l'occa-

sion des divertissernens.

Voyez

plutôt les tableaux des

deux Teniers.

LA TULIPE NOIRE. est certain

Il

que

les paresseux sont

es plus ardens à se fatiguer,

au

tent

travail,

Harlem

mais

une

découverte, puis

non pas

le

la tulipe

:

hommes met-

plaisir. joie, car elle

noire avait été

prince Guillaume d'Orange assistait à

cérémonie, en vrai Hollandais

la

au en

triplement

triple solennité

les

lorsqu'ils se

lorsqu'ils se meltont

donc mise

s'était

avait à fêter

287 de tous

qu'il était. Enfin

de l'houneur des Etats de montrer aux Français, à

il

était

la suite

d'une guerre aussi désastreuse que l'avait été celle de 1672,

que

le

plancher de

la

république batare

point qu'on y pût danser avec

était

solide à ce

accompagnement du canon

des flottes.

La société horticole de Harlem

en donnant cent mille

d'elle

La

ville n'avait

roté

une somme

s'était

florins d'un

montrée digne

oignon de

tulipe.

pas voulu rester en arrière, et elle avait pareille, qui avait été

de ses notables pour

remise aux mains

fêter ce prix national.

Aussi était-ce, au dimanche fixé pour cette cérémonie,

un

tel

empressement de

la foule,

un

tel

des citadins, que l'en n'eût pu s'empêcher,

enthousiasme

même

avec ce

sourire narquois des Français, qui rient de tout et partout,

d'admirer

le

caractère de ces bons Hollandais, prêts à dé-

penser leur argent aussi bien pour couslruire un vaisseau destiné à combattre l'ennemi, c'est-à-dire à soutenir l'hon-

neur de

la nation,

que pour récompenser l'invention d'ubriller un jour, et destinée h

ne ûeur nouvelle destinée à distraire

pendant ce jour

les

femmes,

les

savans et les ou»

rieux.

En

tête

des notables et du comité

horticole, brillait

M. van Systens, paré de ses plus riches habits. Le digne

homme

avait lait tous ses efforts

pour res-

-%S

LA TULIPE

NOIIIE.

sembler à sa fleur favorite par l'élégance sombre et sôvèrn de ses vêtomcns,

ol hiitons-nous

de dire à sa gloire

qu'il

y avait parfailcmtnil réussi. Noir do

jiis,

velours scabieuse, soie pensée, tel

avec du Unyo d'une blancheur éblouissante,

monialo du président, lequel marchait en

était,

la

tenue céré-

lôte

do son co-

un énorme bouquet pareil à celui que porcent vingt et un ans plus tard, M. de Robespierre,

mité, avec tait,

à

de l'Êlre-Suprême.

la fiMe

Seulement,

lo

brave président, à

place de ce

la

cœur

gonflé de haine et do ressentimens ambitieux du tribun français, avait

nocente que

dans

poitrine

une

innocente

d'e

la

la plus

fleur

non moins in-

celles qu'il tenait h la

main.

On se,

voyait derrière ce comité, diapré

parfumé

ville, les

comme un

printemps,

comme une

les

pelou-

corps savans de

la

magistrats, les militaires, les nobles et les rus-

tres.

Le peuple,

même

chez MM.

les républicains

des Sept

Provinces, n'avait point son rang dans cet ordre de mar-

che;

il

faisait la haie.

C'est,

au

voir... et

reste,

la

meilleure de toutes les places pour

pour avoir.

C'estla place des multitudes, qui attendent, philosophip

des états, que les triomphes aient défilé, pour savoir ce qu'il

en faut dire,

Mais celte lUis, pée, ci

et quelquefois ce qu'il

il

n'étaitquestion, ni

du triomphe de

la défaite

en faut

faire

du triomphe de Pom-

César. Cetiembl«^e. qui tir les

battit

des mains el

fit

reten

éckos de Harlem d'un immense applaudissement.

LA TULIPE NOIHE.

xxxn imE DERNIERS nilKRK

Enco moment

solennel et

se faisaient entendre,

borde

le

comme

un carrosse

ces applaudissemens

passait sur la route qui

bois, et iuivait lentement son

chemin

enfans refoulés hors de l'avenue d'arbres

hommes et

sement des

à

cause des

par l'empres-

des femmes.

Ce carrosse, poudreux, fatigué, criant sur ses essieux, renfermait

le

malheureux vanBaërle, à

re ouverte, commençait de

s'offrir

le

qui, par la portiè-

spectacle

que nous

avons essayé, bien imparfaitement sans doute, de mettre sous

les

yeux de nos

lecteurs.

Cette foule, ce bruit, ce miroitement de toutes les splen-

deurs humaines et naturelles, éblouirent

comme un Malgré

gnon

éclair qui serait entré

le

prisonnier

dans son cachot.

peu d'empressement qu'avait mis son compa-

le

à lui répondre lorsqu'il l'avait interrogé sur son pro-

pre sort,

il

se hasarda à l'mterroger

une dernière

sur tout ce remue-ménage, qu'au premier abord

il

fois

devait

et pouvait croire lui ôire totalement étranger.

— Qu'est-ce cela, demanda-t-il à

— Comme lui cl, c'est

— Ahl

je

vous

l'officier

vous pouvez

use

une

prie,

monsieur

chargé de le voir,

le

lieutenant

f

l'escorter.

monsieur, répliqua ce^

fête.

tête

I

dit

Cornélius de ce ton lugubrement

m "

LA TULIPE NOIRE. indilférent d'un

homme à qui

205

nulle joie de ce

monde

n'ap-

partient plus depuis longtemps. Puis, après

un instant de silence

et

comme

la voiture

avait roulé quelques pas,

— La

tête

patronale de Harlem ? demanda-t-il, car

je

vois bien des fleurs.

— C'est en

effet

une

fête



les

leurs jouent

le princi-

pal rôle, monsieur.

— Gh

1

les

doux parfums oh 1

!

les belles couleurs

f

s'é-

cria Cornélius.

— Arrêtez,

que monsieur voie, dit, avec un de ces moupitié qu'on ne trouve que chez les mi-

vemens de douce litaires, l'olflcier

— Oh

1

au soldat chargé du

de

rôle

postillon.

merci, monsieur, de votre obligeance, repartit

mélancoliquement van Baërle; mais ce m'est une bien douloureuse joie que celle des autres je

vous

:

épargnez-la-moi donc,

prie.

— A votre

aise

marchons,

;

alors.

J'avais

commandé

qu'on arrêtât, parce que vous me l'aviez demandé, et ensuite parce que vous passiez pour aimer les fleurs, celles surtout dont

on célèbre

la fête

aujourd'hui.

— Et de quelles fleurs célèbre-t-on la monsieur

— Celle des tulipes. — Celle des tulipes s'écria van Baërle I

tulipes,

fête aujourd'hui,

?

;

c'est la fête des

aujourd'hui?

— Oui, monsieur

;

mais puisque ce spectacle vous

est dé-

sagréable, marchons. Et l'officier s'apprêta à donner route.

l'ordre

de continuer

la

LA TULIPE NOIUE.

296

Mais Corn(^lius l'nrrêla, un doulo douloureux venait de travorser sa pensf^p.

— Mnn>;iour,dpman(ia-t-il d'une voix tromblanlo, seraitce donc. nijourd'hui (]uo l'on donno

— Lo

lo [)rix?

prix do la tulipo noiro, oui.

Les joues do Cornélius s'empourpreront, un frisson courut par tout son corps, la sueur perla son Iront.

que,

Pii^, réflf'chissant

lui

avorterait sans doute laute

couronner

— Hélas

et sa tulipe alisens, la iôle

d'un

homme et

d'une flcar à

:

1

tous ces braves ^ens seront aussi mal.

dit-il,

heureux que moi, car lennité à laquelle

ils

ne verront pas

celte

grande so-

sont conviés, ou du moins

ils

ils la

ver-

ront incomplète.

— Que voulez-vous dire? monsieur. — Je veux dire que jamais, Cornélius en se rejetant dit

au fond delà voiture, excepté par quelqu'un que je conne sera trouvée.

nais, la tulipe noire

— Alors, monsieur, connaissez pie en ce

l'a

ce quelqu'un que vous

dit l'offlcier,

trouvée; car ce que tout Harlem contera-

moment,

c'est la fleur

que vous regardez comme

introuvable.

— La tulipe noire de son corps oar

s'écria van^Baërle

en jetant

la portière. Oîi cela ?

où cela?

î

— Là-bas, sur trône, voyez- vous? — Je vois! — Allons, monsieur, maintenant

la moitié

le

dit l'officier,

il

faut par-

tir.

— Oh! par

pitié,

par grâce, monsieur,

ohl ne m'emmenez pas!

Comment,

dit

van Baële,

laissez-moi regarder encore!

ce que je vois là -bas

est la tulipe noire, bien

-

LA TULIPE NOIRE. noire... est-ce possible? oii

I

monsieur

l'avez

peut-être teinte en noir seulement; oh! rais bien

laissez-moi

la

elle

si j'étais là, je

sau-

moi, monsieur; laissez-moi descendre»

dire,

le

vous vue ?

être imparfaite, elle est

elle doit

doit avoir des taches,

*-i97

voir de près, je vous prie.

— Etes-vous fou, monsieur, puis-jeî — Je vous en supplie. — Mais vous oubliez que vous êtes prisonnifir? — Je suis prisonnier, est vrai, mais je suis un homme le

il

mon

et sur

d'honneur;

honneur, monsieur,

verai pas; je ne tenterai pas de fuir

regarder

la fleur

fit

je

me

ne

sau-

laissez-moi seulement

1

— Mais mes ordres, Et l'officier

;

monsieur

î

un nouveau mouvement pour ordonner

au soldat de se remettre en route. Cornélius l'arrêta encore.

— Oh

soyez patient, soyez généreux, toute

I

pose sur un sieur, elle

Ak

ma

vie re-

mouvement de votre pitié. Hélas ma vie, mon!

ne sera probablement pas longue maintenaat.

vous ne savez pas, monsieur, ce que je souffre;

!

vous ne savez pas, monsieur, tout ce qui se combat dans ma tête et dans mon cœur ; car enfin, continua Cornélius

avec désespoir,

celle

que

l'on a volée

vous bien ce que

si

c'était

à Rosa.

c'est

ma

Oh

I

tulipe à moi,

que d'avoir trouvé

la

tulipe noire,

de l'avoir vue un instant, d'avoir reconnu qu'elle faite,

que

c'était

à

la fois

si c'était

monsieur, comprenez

un chef-d'œuvre de

était par-

l'art

et

nature, et de la perdre, de la perdre à tout jamais. faut

que

je sorte,

me tuerez

monsieur,

il

faut

que

j'aille la

de

Oh

voir,

f

la il

vous

après si vous voulez, mais je la verrai, je la ver-

rai.

17*

298

LA TULIPE NOIRE.

— Taisez-Yous,

malheureux,

et rentrez vile

Son

carrosse, car voici l'escorte de

qui croise

vAlre, et

la

si

le

prince remarquait un scandale,

entendait un bruit, ce serait

Van

B;iërl(>,

dans vôtrp

Altesse le statliouder

encore plus

do vous

(ait

effrayt^

et

de moi.

pour son compagnon

que pour lui-même, se rejeta dans lo carrosse, mais il ne put y tenir une demi-minute, et les vingt premiers cavaliers étaient à peinra

passés qu'il se remit à

la portière,

gesticulant et on suppliant le staliiouder juste au



celui-ci passait.

Guillaumn, impassible et simple rendait à Il

en

moment

la

comme

d'ordinaire, se

place pour accomplir son devoir de président.

avait à ia

cette journée

main son rouleau de vélin, qui était, dans do fête, devenu son bAton de commande-

ment.

Voyant cet homme qui

gesticulait et qui suppliait, recon-

naissant aussi peut-être

l'olflcior

qui accompagnait cet

homme, le prince stathouder donna l'ordre d'arrêter. A l'instant même, ses chevaux frémissant sur leurs jarrets d'acier

firent halte à six pas

de van Baërle encagé dans

son carrosse.

— Qu'est-ce cela?

demanda

le prince à l'ofQcier,

qui,

au premier ordre du stathouder, avait sauté en bas de voiture, et qui s'approchait respectueusement de lui.

— Monseigneur, votre ordre,

j'ai

dit-il, c'est lo

la

prisonnier d'Etat que, par

été chercher à Loevestein, et

que

je

vous

amène à Harlem, comme Votre Altesse l'a désiré. Que veut-il ? Il demande avec instance qu'on lui permette d'arrêter un instant ici.

— —

— Pour

voir

la tulipe noire,

monseigneur, cria van

LA TOLIPE NOIRE.

299

Baërle, en joignant les mains, et après,

quand

vue, quand j'aurai su ce que je dois savoir le faut,

s'il

,

je l'aurai

je mourï'ai,

mais en mourant je bénirai Votre Altesse miséintermédiaire entre

ricordieuse,

que

Altesse, qui permettra

la divinité et

mon œuvre ait

eu

moi; Votre sa fin et sa

glorification. C'était, en effet, un curieux spectacle que celui de ces deux hommes, chacun à la portière de son carrosse, en-

touré de leurs gardes ble

l'un près

;

;

l'un tout-puissant, l'autre miséra-

de monter sur son trône, l'autre se croyant

près de monter sur son érhafaud.

Guillaume avait regardé froidement Cornélius

du

sa

véhémente

et enten-

prière.

Alors, s'adressant à l'officier,

— Cet homme,

dit-il, est le

tuer son geôlier à LoGvestein

prisonnier rebelle qui a voulu ?

Cornélius poussa un soupir et baissa et

honnête figure rougit et pâlit à

omnipotent, omniscient, cette

quelque messager secret

infaillibilité

et invisible

au

savait déjà son crime, lui présageaient

punition plus certaine, mais encore n'essaya point de lutter,

Il

dre

:

il

il

la tête.

un

Sa douce

Ces mots du prince

la fois.

divine qui, par

hommes, non seulement une reste des

refus.

n'essaya

pomtde

se défen-

au prince ce spectacle touchant d'un désesbien intelligible et bien émouvant pour un si

offrit

poir naïf,

grand cœur

et

un

si

grand

esprit

que

celui qui le

contem-

plait.

— Permettez au prisonnier de descendre,

dit le stathou-

der, et qu'il aille voir la tulipe noire, bien digne d'être vue

au moins une

— Oh

1

fit

fois.

Cornélius près de s'évanouir de joie et chance-

ÏOO

LA TULIPE NOIRE. marcho-piod du

lant sur le El

il

siiHoqua; el sans

fnrross(>,

lo liras

oh

!

monsoi{:!:nour

de l'olûrier qui

lui

!

prôla

son appui,

c'«v4 h ^n