TULIPE NOIRE. UN PEUPLE RECONNAISSANT. Le 20 août 1672, la ville de la
Haye, si virante, si blan- che, si coquette que Ton dirait que tous les jours sont ...
Vi*-
UNIV. OF
rORONTO LinKARY
>r i
l.nrciles
Le
l-'ils
les
l'ii'res
(;riiit;i's (iil
....
L'iit aiU't
lie raiiiillc
3
O'-.ii-
enrolu'de
I
Le('.a|iilaiiie l'aiil.
Le l'esiameut de M.
Ivanlioe
XV
Les 5
.
Iltni-
Le Caurase . Le Coriicolo Le Midi de
En
.
.
Kuiiii!.
l'iinrcsse de .Monaco.
C.apii.
iJe
la
I.e I'nuc(:iles
leu-e
— —
l'cre
La l'rincesse Flora.. l'ro|Mis d'Art et de
— Li'slloiilsduRliin — Le Arena,
— — —
inconnu.
l'ays
l'ère Ginoijne
à
Flor('n(;i'
l.'Ai'.ihie
,..,..
Hiiitio
Un
.
.
.
i\uit ^ l''loreiice.
(dynipe
luiprcssionsdevoyaKe: En Suisse. . . .
2
Lyonna.
Idines
Cliaiivellii
TliéAtie ciinplet.
Louves
.M:i-
Aiadaniede Cliaiublay.
Typ. P
.
laires
.
Le Trou de
l'enfer
.
La Tulipe noire. • . Le Vicomte île UrageIdiin?
de
cliceoul
—
.
Trois .Maîtres. . . . Les Trois .Mousiiue-
voluiioii
La .Mannnse d'£s-
Emma
lôles.
d'un casse-
L"ll(inin;e
LesUraiiic-gal.iils.—
coiuan
mes
(le
noiscile
.
loups.
un Fui'
Les.Moliicansde Paris Les .Morts vont vite. Napoléon
Hommes
Inpénue 2
—lalMilcilu Marquis LaD.inudeMon-oreau LaLanu'de VolupK'. Les iJenx lii.inu. . . Les Deux lleiiies. . Lien dis|.ose. ... Le Uraiiie de 93 . . Les UiaiiicsdehiiHer
Ca-
(le
.Mille Cl
l'iie
Ilisloire
li.ilsaiio.
;
Le .Meneur
.
rliauiliie:
L'Iloroscoi'e
LeC.lia-st'urileSauvaLeCli,lu'aii(ri';p|)sieiii
llisi.
(li'i'iii
.
.
Henri IV, Louis -Mil, lUcliclieii. . La (juerredcs leiiniies
2 1
Charles
—
.
.
en
Itlas
1
Lct:a|>ii:iiiicraiii{i|iilc
.
d'une iveiiKle, iMcinoiics d'un im^-
Les
1
.
M cm.
3
iiliirnic
.
.
LesliliiiiiMilcsIileiis
Les Grands
.
.
ror.scs.
jaliiji'l Laniliert. Les (;aiilialdicns (ianle cl iMance.
i
.
Meiiioiii'sileiJjrilialili
4
Un
^ll;||Olr(s.
.
3
Itoiiilliril lacoinlessc liiTilic. . . La Hdiiic de neige . Urif-ii-Hrac
Médicis.
.
.
La
Les
.
Lrliitiuidili-MauliMii
.
Olild-
Cl
.
.
du lorçai
mark
tiali'iiiieis.
,
-Mes
2 3
Les
.
.
du résenl
l'iUe
Ciimiis.iiies.
1
Joliii
(le
La .Maison de i;l,ics. Le Alaltri! l'unnc^.. Les .M,iri,i:;i.'s du pi;r('ii:iit('s
COI.I.KCTION MICIIKL I.livT
I,A
BIIODAHU
La Vie au
Désert.
Une Vie d'artiste . ViniJt Ans après. et
GALLOIS.
. .
•
-
^^e^^ LA
TULIPE NOIRE PAR
ALEXANDRE DUMAS KOUVELLE ÉDITION
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES 3,
RUE AUBER,
3
1889 Droits de reproduction et de traduction réservai
xizq û^^f
LA
TULIPE NOIRE
UN PEUPLE RECONNAISSANT. Le 20 août 1672, che,
si
la ville
de
la
Haye,
si
virante,
si
blan-
coquette que Ton dirait que tous les jours sont des
dimanches
,
la vi!!o
de
la
Haye, avec son parc ombreux,
avec ses grands arbres inclinés sur ses maisons gothiques, avec les larges miroirs de ses canaux dans lesquels se reflètent ses clochers la ville
de
la
Haye,
aux coupoles presque orientales; la capitale
gonflait toutes ses artères d'nn flot noir et
toyens pressés, haletang, inquiets, le
couteau à
la ceinture, le
—
des sept provinces dnier,
rouge de
ci-
— lesquels couraieni,
mousquet sur
l'épaule
ou
le
bâ-
^ LA TILIPE NOIUE.
s ton à la main,
vers le Uuy tonhofl", formidable prison dooii
on montra encoro aujourd'hui
les fonôlres grillées et
depuis l'acrusation d'assassinat portée contre
lui
où,
par
le
chiruff^ien Tyrhelaer, languissait Cornoillo do Witt,(rère
do IVx-grnnd [lensionnaire de Hollande. Si l'histoire
de ce temps ei surtout de cette année au
milieu de laquelle nous liée
commençons notre récit, n'était noms que nous ve-
d'une façon indissoluble au» deui
nons de
citer, les
quelques lignes d'eiplicalion que nous
donner pourraient paraître un hors-d'œuvre; mais
allons
nous prévenons tout d'abord
le lecteur,
ce
vieil
ami, à
^ui nous promettons toujours du plaisir à notre première page, et auquel nous tenons
dans
les
parole tant bien que mal
pages suivantes; mais nous prévenons, disons-
nous, notre lecteur que cette explication est aussi indis-
pensable à
la clarté
de notre histoire qu'à l'intelligence du
grand événement politique dans lequel celte histoire s'encadre. Corneille
ou Cornélius de Witt
,
Ruart de Pulten
tre
,
c'est
pays, ex-bourgmes-
à-dire inspecteur des digues de ce
de Dordrecht, sa ville natale, et député aux états de
Hoiiande, avait quarante-neul ans
,
lorsque
landais, fatigué de la république, telle
que
le
peuple hol-
l'entendait Jean
de Witl, grand pensionnaire de Hollande,
s'éprit d'ufl
amcur violent pour le stathoudérat que l'édit perpétuel mposé par iean de Witt aux Provinces-Unies avait à tout ,
i
jamais aboli en Hollande.
Comme
il
se», l'esprit
est rare
que, dans ses évolutions capricieu-
public ne
voie pas un
homme derrière un
principe, derrière la république le peuple voyait les deus figures sévères des frères de Witt
^
ces
Romains delà Hol-
LA TULIPE NOIRE.
3
lande, dédaigneux de flatter le goût national, et amis inflexibles d'une liberté sans licence et d'une prospérité sans
superflu
de
,
môme
le front incliné
que derrière
le
stathoudérat
voyait
il
grave et réfléchi du jeune Guillaume
,
d'Orange, que ses contemporains baptisèrent du
nom
de
Taciturne, adopté par la postérité.
Les deux de Witt ménageaient Louis XIV, dont taient grandir lascendant
dont
ils
senet
venaient de sentir l'ascendant matériel sur la Hol-
de cette campagne merveilleuse du
lande par le succès
Rhin, illustrée par ce héros de
comte de Guiche, en
ils
moral sur toute l'Europe,
et
mois venait d'abattre
trois
roman qu'on
appelait le
chantée par Boileau, campagne qui la
puissance des Provin-
ces-Unies.
Louis
XIV
était
depuis longtemps l'ennemi des
landais, qui l'insultaient
presque toujours
,
il
ou
le
raillaient
est vrai, par la
Hol-
de leur mieux,
bouche des Français
réfugiés en Hollande. L'orgueil national en faisait le Mithridate de la république.
Witt
la
résistance suivie par !a
Il
y avait donc contre
les
de
double animation qui résuite d'une vigoureuse
nation et de
vaincus quand
sauver de
la
la ils
un pouvoir
fatigue
luttant contre le
goût de
naturelle à tous les peuples
espèrent qu'un autre chef pourra les
ruine et de la honte.
Cet autre chef, tout prêt à paraître, tout prêt à se mesurer contre Louis XIV,
si
gigantesque que parût devoir
être sa fortune future, c'était Gaillaume, prince d'Orange, flls
de GuiUaume U, et
roi Charles
avons déjà le
petit-fils,
par Henriette Stuart, da
l« d'Angleterre, ce taciturne enfant, dont nous dit
que
stathoudérat.
l'oii
voyait apparaître l'ombre derrière
LA TULIPE NOIRE.
>
Co jeune
homme
était fl^o
do 22 nns en 1672. Jean de
Witt avait été son nrécepleur et
de
faire
dans son
amour de
de son élève,
il
la patrie
Hollandais el la terreur la
avait
qui lont et défont
terre sans consulter le roi
de changer
politique
lui avait,
par Tédit perpétuel, enlevé ï'es-
lui avait,
hommes,
tion des
11
qui l'avait emporté sur l'amour
du stalhoudérat. Mais Dieu
poir
élevé dans le but
l'avait
de cet ancien prince un bon citoyen.
du
ciel
;
(|u'mspiiait
ri
do celte préten-
ie-i
puissances do la
et par le caprice des
Louis XIV,
du grand pensionnaire
il
venait
et d'abolir
redit perpétuel en rétablissant le stathoudérat pour Guil-
laume d'Orange, sur lequel encore dans
les
il
avait ses desseins, cachés
mystérieuses Drolbndeurs do l'avenir.
Le grand pensionnaire s'inelma devant ses concitoyens; trant, et
malgré
mais Corneille de Witt
menaces de mort de
les
giste qui l'assiégeait
volonté de
la
fut olus récalci-
plèbe oran-
la
dans sa maison de Dordrecht,
il
refu-
sa de signer l'acte qui rétablissait le stathoudérat.
Sur
les instances
de sa femme en pleurs,
ajoutant seulement à son "fioetus,
Ce
fut
nom
il
signa enfin,
ces deu^i lettres
:
V. C. 7i
ce qui voulait dire: Contraint par la force. par un véritable miracle qu'il échappa es jour-là
aux coups de ses ennemis. Quant à Jean de Witt, son adhésion, plus rapide facile
à
la
profitable.
volonté de ses concitoyens, ne
A
quelques jours de
tativo d'assassinat.
là,
il
fut
lui fut
et plus
guère plus
vicume d'uns
Percé de coups de couteau,
il
t
:i-
ne mou-
rut point de ses blessures.
Ce
n'était point là ce qu'il fallait
aux orangistes. La
vie
des deux frères était un éterael obstacle à leurs projets; ils
changèrent donc momentanément de tactique, quitte,
LA TULIPE NOIRE. au moment donné, de couronner mière, et
ils
la
5
seconde par
la
pre-
essayèrent de consommer, à l'aido de la ca-
lomnie, ce qu'ils n'avaient pu exécuter par le poignard. Il
sous
est assez rare la
moment donné,
qu'au
main de Dieu, un grand
grande action
,
homme
mando
se trouve
même le nom
de cet
,
l'histoire enregis-
homme élu, et le recom-
à l'admiration de la postérité.
Mais lorsque
le diable
se
mêle des
affaires
humaines
pour ruiner une existence ou renverser un empire ,
il
est
immédiatement à sa portée quel-
rare qu'il n'ait pas
bien
là,
pourquoi, lorsqu*arrive par ha-
et voilà
sard cotte combinaison providentielle tre à l'instant
il
pour eiécuter une
que misérable auquel il n'a qu'un mot à souffler à l'oreille pour que celui-ci se mette immédiatement à la besogoe. Ce misérable, qui dans posté pour être
comme nous
cette circonstance se trouva tout
du mauvais
l'agent
croyons déjà l'avoir
esprit,
dit,
se
nommait,
Tyckelaer, et était
chirurgien de profession. li il
vint déclarer (^ue Corneille de Witt, désespéré,
l'avait
du
resté
tion de l'édit
comme
prouvé par son apostille, de l'abroga-
perpétuel,
et
enflammé de haine contre
Guillaume d'Orange, avait donné mission à un assassin de délivrer la république
du nouveau stathouder,
et
que
cet
remords à demandait, aimait mieux
assassin c'était lui, Tyckelaer, qui, bourrelé de la seule idée
de l'action qu'on
lui
révéler le crime que de le commettre.
Maintenant, que l'on juge de l'explosion qui se les orangistes fiscal
le
fit
à
la
parmi
arrêter Corneille dans sa maison, le 16 goût 1672
Ruart de Pulten,
bissait
fit
nouvelle de ce complot. Le procureur
dans une
salle
le
noble frère de
du Buytenhoff
Jears
;
ie Witt, su-
la torture préparatoire
LA TULIPE NOIRE.
a
destinée à lui arraclior, conimo aux plus vils criminels, l'aveu de son prétendu complot contre Guillaume.
Mais Cornoille était non seulement un {pend;mt, voynz... dit
En
elfet,
l'olficier.
d'autres visages furieux, grinçant décolère, se
montraient aux fenêtres en criant :
— Sauvé Et
!
évadé
bles imprécations
poursuivons-les
—
!
ils l'ont fait luir.
peuple, resté dans la rue, répétait avec d'effroya-
II?
:
— Sauvés
Monseigneur,
il
paraît
bien réellement sauvé, dit
— Oui,
de
homme
évadés
!
courons après eux,
que M. Corneille de Wittest
l'officier.
prison peut-ôire, répondit celui-ci, mais
la
pas de la ville
!
I
vous verrez, van Deken, que
;
Itî
pauvre
trouvera fermée la porte qu'il croyait trouver ou-
verte.
— L'ordre de fermer
les portes
de
la ville a-t-il
donc été
donné, monseigneur?
— Non, ne crois pas; qui aurait donné cet ordre? — Eh bien qui vous supposer — y a des répondit négligemment l'Altesse, je
fait
!
Il
î
fatalités,
et les
plus grands
de ces
fatalités-là.
L'officier sentit
hommes
sont parfois tombés victime?
à ces mots courir uh frisson daas ses vei
LA TULIPE NOIRE. nos, car
39
comprit que, d'une façon ou de
il
l'autre, le
pri-
sonnier était perdu.
En ce moment,
comme un
rugissemens de
les
tonnerre, car
il
lui était
la foule éclataient
bien démo»tré
qu?î
Cornélius de Wilt n'était plus dans la prison.
En
effet,
Corneille et Jean, après avoir longé le vivier,
la grande rue qui conduit au Tol-Hek, tout en recommandant au cocher de ralentir le pas de ses
avaient pris
chevaux pour que aucun soupçon.
le
passage de leur carrosse a'éveillAl
Mais arrivé au milieu de cette rue, quand la grille,
son
et la
quand il mort et qu'il
de loin
avait devant lui la vie et la liberté,
cocher négligea toute précaution et mit
le
vit
il
sentit qu'il laissait derrière lui la pri-
le
carrosse au
galop.
Tout à coup
—
Qu'y
s'arrêta.
il
demanda Jean en passant
a-t-il î
la tête
par
la
portière.
— Oh
I
mes maîtres, s'écria le cocher, il y a... la voix du brave homme.
La terreur étouflait
— Voyons, achève, dit grand pensionnaire. — y a que grille est fermée. — Comment, grille est fermée! Ce n'est le
la
Il
la
pas l'ha-
bitude de fermer la grille pendant le jour.
— Voyez plutôt. Jean de Witt se pencha en
en
effet la grille
dehors de
la
voiture et vit
fermée.
— Va toujours, dit Jean,
j'ai
sur moi l'ordre de
commu-
latioa, le portier ouvrira.
La voiture
reprit sa course
,
mais on
cner ne poussait plus ses chevaux avec
sentait
la
que
le
co-
même confiance.
LA TULIPE NOIRE.
40
Puis on sortant sa I6le par avait été
vu
et
portière, Jean
la
compagnons, formait sa porte à toute
ses
sur
les rejoindre
poussa un
Il
hommes
ori
hommes
pour
hflto,
aller
Buytonhoff.
le
de surprise,
qui couraient devant
Au bout de trois
de Witl
reconnu par un brasseur qui, en retard sur
cent pas
les
il
et
courut après deux autres
lui.
rejoignit et leur parla
s'arrêtèrent, regardant s'éloigner
;
les
la voitiare,
mais encore peu sûrs de ceux qu'elle renfermait. I
a voiture
— Ouvrez — Ouvrir,
pendant ce temps
,
,
arrivait
au Tol-Hek.
cria le cocher.
I
dit le portier
paraissant sur le seuil de sa mai-
son, OHvrir, etavecquoi^
— Avec parbleu dit le cocher. — ATeclacleï, oui; mais faudrait l'avoir pour cela. — Comment vous n'avez pas clef de porte? dela clef,
I
il
manda
le
la
la
1
cocher.
— Non. — Qu'en avez -vous donc — Dame!
on me
l'a
fait
?
prise.
— Qui cola? — Quelqu'un ne no
sortît
de
— Mon ami, la voiture et
qui probablement tenait à ce que person-
la ville.
dit le
grand pensionnaire sortant
risquant le tout pour le tout,
mon
la tête
de
ami, c'est
pour moi Jean de Witt et pour mon frère Corneille, que j'emmène en exil. Oh monsieur de Witt, je suis au désespoir, dit le portier se précipitant vers la voiture, mais sur l'honneur,
—
la clef
1
m'a été
prise.
— Quand cela?
'
LA TUUPE NOIRE.
- Cp
— Pa —
4i
matin. qui î
l'
homme
Par un jeune
de viQgt-deux ans, pâle et
maigre.
— Et pourquoi avez- vous remise? — Parce qu'il avait un ordre signé et scellé. — De qui — Mais de messieurs de l'hôtel de — Allons, tranquillement Corneille, paraît que bien la lui
?
ville.
dit
il
décidément nous sommes perdus.
— Sais-tu — Je ne — Allons,
si la
même
précaution a été prise partout
î
sais.
de
dit
Jean au cocher, Dieu ordonne à l'homme
tout ce qu'il peut pour conserver sa vie
faire
une autre porte. Puis, tandis que
—
le
cocher
faisait
Merci de ta bonne volonté,
portier
;
l'intention est réputée
tention de nous sauver,
comme si tu — Ah dit I
et,
tourner
mon
pour
;
gagne
la voiture,
am.i, dit
le fait
;
Jean au
tu avais
aux yeux du Seigneur,
l'in-
c'est
avais réussi. le portier,
— Passe au galop
voyez-vous là-bas?
à travers ce groupe, cria Jean au co-
cher, et prends la rue à gauche; c'est notre seul espoir
Le groupe dont trois
parlait
Jean avait eu pour noyau les
hommes que nous avons vus
suivre
des yeux
la
voilure, et qui depuis ce temps et pendant que Jean par-
lementait avec le portier
s'était grossi
de srpt ou huit nou-
veaux individus. Ces nouveaux arrivans avaient évidemment des intentions hostiles à l'endroit
Aussi, voyant le?
du
carrosse.
chevaux venir sur eux au grand ga-
LA TULll'K NOIKE.
«2
on travers de
lop, so mirent-ils
bras armés de bâtons et criant
De sou
côté, le cocher so
la
Arrête
:
rue en agitant leurs 1
arrfite
pencha sur eux
I
et les sillonna
de coups de fouot. La voilure et
les
hommes se
heurtèrent enfin.
Leslrèresde Witt ne pouvaient rien voir, enfermés qu'ils étaient dans la voiture. Mais
ds sentirent les chevaux se
cabrer, puis éprouvèrent une violente secousse.
moment
d'hésitation et de
machine
roulasite,
tremblement
Il
y eut un
dans toute
la
qui s'emporta de nouveau, passant sur
queltjuc chose de rond et de flexible qui semblait être le
homme
corps d'un
renversé, et s'éloigna au milieu des
blasphèmes.
— Oh
dit Corneille, je crains
!
bien que nous n'ayons
fait
un malheur.
— Au galop
!
au galop
Mais, malgré cet
1
cria Jean.
ordre, tout à coup le cocher s'arrêta.
— Eh bien ? demanda Jean. — Voyez-vous? cocher. dit le
Jean regarda.
Toute mité de
populace du Buytenhot apparaissait à
la
rue que devait suivre
la
hurlante et rapide
— Arrête tile
d'aller
— Les
comme un
la
ouragan.
et sauve-toi, dit Jean au cocher plus loin
voilà
I
;
l'extré-
voiture, et s'avançait
;
il
est inu-
nous sommes perdus.
les voilà
1
crièrent ensemble cinq cents
voix.
— Oui, sins
l
les voilà, les traîtres
répondirent à ceux
1
les
meurtriers
qui venaient au
I
les assas-
devant de
la
voiture ceux qui couraient après elle, portant dans leurs
bras le corps meurtri d'un de leurs compagnons, qui,
«
LA TULIPE NOIRE.
«yant voulu sauter à la bride des chevaux, avait été renversé par eux. C'était
sur lui qao les deux frères avaient senti passer la
voiture.
Le cocher son maître,
En un
s'arrêta
mais quelques
;
instar.2es
que
lui
instant le carrosse se trouva pris entre
ceux qui
couraient après lui et ceux qui venaient au devant de
En un une
fît
ne voulut point se sauver.
il
instant,
domina toute
il
lui.
cette foule agitée
comme
Un maréchal
venait,
île flottante.
Tout à coup
l'île
flottante s'arrêta.
d'un coup de masse, d'assommer un des deux chevaux, qui tomba dans les
Eq ce moment
traits.
le
volet d'une
fenêtre s'entr'ouvrit et
l'on put voir le visage hvide et les
ne
homme
Derrière lui apparaissait la tête de pâle
que
yeux sombres du jeu-
se fixant sur le spectacle qui se préparait. l'offlcier
presque aussi
la sienne.
— Ohl mon Dieul moH Dieul se passer?
murmura
monseigneur, queva-t-il
l'officier.
— Quelque chose de terrible bien certainement, répondit celui-ci.
— Ohl
voyez-vous, monseigneur,
pensionnaire de
— En
vérité,
la il
voiture, faut
ils le
ils
battent,
tirent ils le
le
grand
déchirent.
que ces gens-là soient animés d'ufit le jeune homme du mê-
ne bien violente indignation,
me
ton impassible qu'il avait conservé jusqu'alors.
— Et voici Corneille qu'ils tirent
à son tour du carrosse.
Corneille déjà tout brisé, tout mutilé par la
voyez donc, voyez donc.
— Oui, en
effet, c'est
bien Corneille.
torture.
On
i
LA TULIPE NOIRE.
i'i
un
L'olûcior poussa
laiblo orl cl détourna
C'est (juc, sur je dernier
même
barre de ter qui
(^.e
50 releva cependant, mais
Puis
dans
hommes
dos
iric
.
avniii
eût touctiéla terre, le Ruart venait d( rece-
qu'il
voir un coup Il
In
degré du niarchepicd,
la foule,
ge sanglant
le
avait brisé la tôle.
lui
pour retomber aussitôt.
prenant par
les pieds, le tirèrent
au milieu de laquelle on put suivre
le silla-
y traçait et qui se rclermait derrière
qu'il
lui
avec de grandes huées pleines do joies.
homme
Le jeune
devint plus pâle encore, ce qu'on eût
cru impossible, et son œil se voila un instant sous sa paupière.
mouvement de pitié, le premier que son compagnon eût laissé échapper, et voulant pro-
L'ofQcier vit ce
sévère fiter
de cet amollissement de son âme,
— Venez,
monseigneur,
venez,
va assassiner aussi
le
— Mais jeune — En vérité le
!
pas bon de
homme
dit-il.
dit
il,
car voilà qu'on
grand pensionnaire. déjà ouvert les yeux.
avait
Ce peuple est implacable.
Il
ne
fait
le trahir.
— Monseigneur,
dit l'officier, est-ce
pas sauver ce pauvre
homme,
qu'on ne pourrait
qui a élevé Votre AltesseT
y a un moyen, dites-le, et dussé-je y perdre la vie... Guillaume d'Orange, car c'était lui, plissa son front
S'il
d'une façon sinistre, éteignit étincelait sous sa
— Colonel
l'éclair
de sombre fureur qui
paupière et répondit
van Deken,
allez, je
:
vous prie, trouver mes
troupes, afin qu'elles prennent les
armes à tout événe-
ment.
— Mais laisserai-je de ces assassins?
donc monseigneur seul
ici,
en face
LA TULIPE NOIRE.
— Ne vous
moi plus qug^e ne m'en
inquiétez pas de
quiète, dii Drusquement
le
prince.
in-
— (nez.
parut avec une rapidité qui témoignait bien
L'oiticier
moins de son obéissance que de la au niaeux assassinat du second des Il
45
fermé
n'avait joint
de
la porte
joie
de n'assister point
frères.
ckambre que Jean,
la
qui par un effort suprême avait gagné le perron d'une
maison située presqu'en face de
où
celle
était
caché son
élève, chancela sous les secousses qu'on lui imprimait de
dix côtés à la fois en disant
— Mon frère, où Un de
est
mou
:
frère î
ces furieux lui jeta bas son chapeau d'un coup
de poing.
Un
autre lui montra le sang qui teignait ses mains, cevenait d'évenlrer Corneille, et
lui-là
il
accourait pour ne
point perdre l'occasion d'en faire autant au grand pensionnaire, tandis
que
l'on traînait
au gibet
le
cadavre de ce-
qui était déjà mort.
lui
Jean poussa un gémissement lamentable et mit une de mains sur ses yeux.
ses
— Ah
I
tu fermes les
garde bourgeoise, Et
il
poussa dans
lui
lequel le sang
yeux,
le
!
— Va
soldats de la
visage
moi un coup de pique sous I
de Witt essayant de voir ce qu'était
cria
devenu Corneille, à travers frère
un des
jaillit.
— Mon frère mon
dit
et bien je vais te les crever,
le flot
de sang qui l'aveuglait
le rejoindre
pliquant son
I
hurla
mousquet sur
un autre la
tempe
et
en
lui
ap-
en lâchaùt
la
dé-
assassin
tente.
Mais
le
:
I
coup ne
partit point. 3.
LA TULIPE NOIUE.
4e Alors
meurtrier retourna son armo, et
le
deux niams par
le
canon,
la
preuant h
assomma Jean de Wilt d'un
il
coup do crosse. Jean do Wilt chancela et tomba à ses pieds.
Mais aussitôt, se relevant par un suprômo eiiori
— Mon frère que
le
cria-t-il
homme
jeune
D'ailleurs
me
i
tira le
contrevent sur
peu de chose à
restait
il
assassin lui lâcha
qui partit cote lois el
,
d'une voix tellement lamentable
à bout portant lui fil
lui.
un
troisiè-
un coup de
pistolet
voir, car
sauter le crâne.
Jean de Will tomba pour ne plus se relever. Alors chacun de ces misérables, enhardi par celle chute,
lut
arme sur le cadavre. Chacun voudonner un coup de masse, d'épée ou do couteau, cha-
voulut décharger son
tirer sa
cun voulut
goutte de sang, arracher sou lambeau
d'habits.
Puis
quand
ils
furent tous deux bien meurtris, bien dé'
chirés, bien dépouillés, la populace les traîna
nusetsan-
glans à un gibet improvisé, où des bourreaux amateurs les suspendirent par les pieds.
Alors arrivèrent les plus lâches,
frapper
la
qui n'ayant
chair vivante, taillèrent en lambeaux
morte, puis s'en allèrent vendre par
la ville
pas osé la
chair
des petits
mor-
ceaixx de Jean et de Corneille à dix sous la pièce.
Nous ne pourrions
dire
Imperceptible du volet terrible scèie
,
la
si
à travers l'Ouverture presque
jeune
mais au moment
deux martyrs au occupée de
le
gibet,
il
homme vit la fin de celte môme où l'o» pendait les
traversait la foule qui était trop
joyeuse besogne qu'elle accomplissait pour
s'inquiéter de lui, et gagnait leTol-Hek toujours fermé.
— m
LA TULIPE NOIRE.
— Ahl monsieur, s'écria
me
le portier,
rapportez- vous
a clef?
— Oui, mon ami, voilà, répondit jeune homme. — Oh un bien grand malheur que vous n© m'ayez la
I
le
c'est
pas rapporté cette clef seulement une demi-heure plus tôt, dit le
portier en soupirant.
—Et pourquoi cela? demanda le jeune homme.
— Parce que j'eusse pu
ouvrir aux messieurs de Witt.
ayant trouvé
Tandis que,
porte fermée,
la
obligés de rebrousser chemin.
de ceux qui
— Lh celle
1
la porte
homme
sorti
s'écria
1
une voix qui semblait
et
reconnut
C'est vous, colonel? dit-il.
de
la
ont été
être
pressé.
Le prince se retourna
—
ils
sont tombés au milieu
les poursuivaient.
porte
d'un
Ils
colonel van Deken.
le
Vous
pas encore
n'êtes
Haye? C'est accomplir tardivement mon ordre.
— Monseigneur, répondit porte à laquelle je
me
le colonel, voilà
présente,
j'ai
la troisième
trouvé les deux au'
très fermées.
— Eh bien Ouvre,
mon
ébahi à ce
1
ce brave
ami,
titre
dit le
homme
de parler
celle-ci.
de monseigneur que venait de donner
colonel van Deken à ce jeune nait
va nous ouvrir
prince au portier qui était resté tout
si
homme
pâle auquel
il
18
ve-
familièrement.
Aussi, pour réparer sa laute, se hâta-t-il û'ouvrir le Tol-
Hek, qui roula en criant sur ses gonds.
— Monseigneur veut
-il
mon chçval ? demanda le colonel
à Guillaume.
™- Merci, colonel, tend à que!(}ues pas Et prenant un
je
dois avoir
une monture qui m'at-
d'ici.
sifflet
d'or dans sa poche,
il
tira Je cet
LA TULIPE NOIRE.
48
instrumont, qui à celto époque serrait à appeler les doet prolongé,
mestiques, un son aigu
au retentissement
un second
accourut un écuyer à cheval et tenant
duquel
cheval en main.
Guillaume sauta sur
deux
et piquant dos
Quand
il
fut là,
il
il
cheval sans se servir de
le
gagna
l'eirier,
route de Leyde.
la
se retourna.
Le colonel le suivait à une longueur de cheval. Le prince
lui
ûl signe de preadro rang à côté de
— Savez-vous,
dit-il
lui.
sans s'arrêter, que ces coquins-là
comme
ont tué aussi M. Jean de Wilt
ils
venaient de tuer
Corneille?
— Ahl rais
monseigneur,
dit tristement le colonel, j'aime-
mieux pour vous que restassent encore ces deux diffifranchir pour être de
cultés à
le
fait
stathouder de Hol-
lande.
— Certes,
il
eût mieux
que ce qui vient est lait est fait, vite, colonel,
prit à
dit
,
jeune homme,
le
nous n'en sommes pas
la
cause.
pour arriver à Alphen avant
que certainement
Le colonel
valu
d'arriver n'arrivât pas. Mais enfin ce qui
les états
Piquons
message vont m'envoyer au camp.
s'inc'iina, laissa
le
passer devant son prince, et
sa suite la place qu'il tenait avant qu'il lui adressât
la parole.
— Ahl
je
voudrais bien,
murmura méchamment
laume d'Orange en fronçant et je
le sourcil, serrant ses
enfonçant ses éperons dans voudrais bien voir
quand
il
ia flgure
ventre de son cheval,
que
fera
Louis
apprendra de quelle façon on vient de
bons amis MM. de Witl Oh
nomme
le
Guillaume
le
!
Guillèvres
soleil, soleil,
le Soleil,
traiter ses
comme
je
me
Taciturne; soleil, gare à tes rayons!
LA TULIPE NOIRE.
49
Et il courut vite sur son bon cheval, ce jeune prince,
charné veille
rival
du grand
roi, ce
stathouder
si
l'a-
peu solide
la
encore dans sa puissance nouvelle, mais auquel les
bourgeois de la Haye venaient de faire un marchepied
avec les cadavres de Jean et de Corneille, deux nobles princes aussi devant les
hommes
et
devant Dieu.
BO
IJ^
TULIPE NOIKE,
V L
AMATEUR DE TULIPES ET SON
Cependant, tandis que taient
en
pièce=; les
les
bourgeois de
queGuillaumH li'Orange, après
s'être assuré
Haye met-
lui
que
morts, galopait sur
Leyde suivi du colonel van Deken, vait
la
cadavres de Jean et de Corneille, tandis
antagonistes étaient bien
compatissant pour
VOISIN.
continuer
qu'il trouvait la
honoré jusque-là, Craeke,
deux
ses
route de
la
un peu trop il Sa-
confiance dont
le fidèle serviteur,
monté
de son côté sur un bon cheval, et bien loin de se douter des terribles
événemens qui
son départ, courait sur
les
s'étaient accomplis depuis
chaussées bordées d'arbres
jus-
qu'à ce qu'il fût hors de la ville et des villages voisins.
Une laissa
fois
en sûreté, pour ne pas éveiller
son cheval dans une écurie
ment son voyage sur des bateaux qui par rent à Dordrecht en passant
les
soupçons,
il
et continua tranquille-
relais le
avec adresse par
menè-
les
plus
courts chemins de ces bras sinueux du fleuve, lesquels
étreignent sous îeurs caresses humides ces lies charmantes
bordées do saules, de joncs et d'herbes fleuries daas
lesquelles broutent
nonchalamment
les
gras troupeaux
reluisans au soleil.
Craeke reconnut de loin Dordrecht, bas do sa colline semée de moulins.
Il
le.
ville riante,
vit les belles
au
mai-
sons rouges aux lignes blanches, baignant dans l'eau leur
LA TULIPE NOIRE.
51
pied de briques, et faisant flotter par les balcons ouverts
sur ie fleuve leurs tapis de soie diaprés de fleurs d'or, merveilles
de l'Inde et de
la
ChiHe, et près de ces tapis, ces
grandes lignes, pièges permaneas pour prendre les anguilvoraces qu'attire autour des habitations la sportule
les
quotidienne que
dans l'eau par leurs
les cuisines jettent
fenêtres.
Craeke, du pont de
aux
la
ailes tournantes,
maison blanche
barque, à travers tous ces moulins
apercevait au déclin du coteau la
et rose but
de sa mission. Elle perdait
les
crêtes do sou toit dans le feuillage jaunâtre d'un rideau le fond sombre que lui faiun bois d'ormes gigantesques. Elle était située de telle façon que le soleil, tombant sur elle comme dans un en-
de peupliers et se détachait sur sait
tonnoir, y venait sécher,
derniers brouillards
empêcher
vait tin et
chaque
Débarqué
le
que
féconder
même
les
de verdure ne pou-
vent du fleuve d'y porter chaque ma-
soir.
a.u
milieu du tumulte ordinaire de
Craeko se dirigea aussitôt vers offrir à
et
tiédir
la barrière
la
la
ville,
maison dont nous allons
nos lecteurs une indispensable description.
Blanche, nette, reluisante, plus proprement lavée, plus
soigneusement cirée aux endroits cachés qu'elle ne l'était aux endroits aperçus, cette maison renfermait un mortel
heureux.
Ce mortel était le la
heureux,
rara
docteur van Baerle,
avis,
filleul
comme
Juvénal,
dit
de Corneille.
Il
habitait
maison que nous venons de décrire depuis son enfance
car c'était
la
maison natale de son père
père, anciens
drecht.
marchands nobles de
la
et
;
de son grand-
noble
ville
de Dor-
LA TULIPE NOIHE.
la
Monsieur van Daërio
merce
di^s
pèro avait amassé dans
le
com-
Indes trois à quatre cent mille florins que
mon-
sieur van B.ierlo
lo fils
lo
avait trouv«'s tous neufs, en 1668,
à la mort do ses bons elcliers parons,
I)i6n
quo ces
llorins
lussent frappés au millésime, les uns do 1640, les autres de
1610; co qui prouvait qu'il y avait
florins
Baerlo el florins du yrana-pèro van uaerlo
;
mille florins, hâtons-nous do le dire, n'étaient se, l'argent
du oère van
ces ijuaire cent
que
de pocho de Cornélius van Baerle, dans
celle histoire, ses propriétés
la
le
la
bour-
héros de
province donnant un
revenu de dix mille florins environ. Lorsque
digne citoyen père do Cornélius avait passé
lo
de vie à trépas, trois mois après les kinér.iiilps de sa fem-
me,
semblait être partie
ijui
chemin de
facile lo cile le
chemin de
sant pour
la
la
la vie,
il
dernière fois
la
première pour
comme
mort,
lui
elle lui avait
avait dit à son
fils
rendre
rendu
fa-
en l'embras-
:
— Bois, mange et dépense,
si
lu
veux vivre en
ce n'est pas vivre que do travailler
réalité, car
tout lo jour sur une
chaise de bois ou sur un fauteuil de cuir, dans un laboratoire
ou dans un magasin. Tu mourras à ton tour, et pas le bonheur d'avoir un fils, tu laisseras étein-
si lu B'as
dre notre nom, et mes florins étonnés se trouveront avoir
un maître inconnu, ces florins neufs que nul n'a jamais peque mon père, moi el le fondeur. N'imite pas suito ut
sés
ton parrain, Corneille de Witl, qui s'est jeté dans la p olitique, la plus ingrate
ment
finira
Puis
il
des carrières, et qui bien certaine-
mal.
était
mort, ce digne monsieur van Baerle, lais-
sant tout désolé son les florins et
fils
Cornélius, lequel aimait
beaucoup son père.
lort peu
LA TULIPE NOIRE. Cornélius resta donc seul dans
En vain son parrain dans
grande maison.
la
Corneille lui
les services publics
;
33
de l'emploi
offrit-il
en vain voulut-il
lui faire
goûter
quand Cornélius, pour obéir à son parrain, se lut embarqué avec de Ruyter sur le vaisseau les Sept Prortnce», qui commandait aux cent trente- neuf bâtimens de
la gloire,
avec lesquels
delà France par
le pilote
amiral
l'illustre
et
allait
balancer seul la fortune
de l'Angleterre réunies. Lorsque, conduit
Léger,
quet du vaisseau
le
fut arrivé à
il
une portée de mous-
Prince^ sur lequel se trouvait le duc
d'York, frère du roi d'Angleterre,
Ruyter, son patron,
eut été faite
lorsque si
de
l'attaque
brusque
et si habile
que, sentant son bâtiment près d'être emporté,
le
duc
d'York n'eut que le temps de se retirer à bord du SaintMichel
lorsqu'il eut
;
vu
le
Saint-Michel, brisé, broyé sous
les boulets hollandais, sortir
sauter flots
un
vaisseau,
le
de
la ligne
ou dans le feu quatre cents matelots
qu'à la
fin
;
Comte de Sanwick,
lorsqu'il eut
vu
dans
les
lorsqu'il eut
vu
et périr
;
de tout cela, après vingt bâtimens mis en mor-
ceaux, après trois mille tués, après cinq mille blessés, rien n'était décidé ni la victoire,
un
nom
que
de plus,
pour ni contre, que chacun c'était
la
à recommencer,
bataille
s'attribuait
que seulement de Soutwood-Bay, était ajouet
au catalogue des batailles; quand il eut calculé ce que perd de temps à se boucher les yeux et les oreilles un
té
homme
qui veut réfléchir
même lorsque
nonnent entre eux, Cornélius de Pulten
dit
et à la gloire, baisa les
sionnaire, qu'il avait
ses pareils se ca-
adieu à Ruyter, au Ruart
genoux du grand pen-
en vénération profonde
,
et rentra
dans sa maison de Dordrecht, riche de son repos acquis, de ses vingt-huit ans, d'une santé de
fer,
d'une vue per-
LA TUi>n>E NOIRE.
h»
quo do srs quatre cenl mille
ç.uilo, et plus pitai et
de SCS dix
viction
qu'ur.
homme
a toujours reçu du
être heureux, assez pour
En conséquence
ne
pour se
et
florins
déca-
do revenus, de cette con-
uiillo florins
pour
ciel trop
l'être pas.
faire
un bonheur
h sa iaçon,
Cornélius se mit h étudier les végétaux et les insectes, cueillit et classa
tomologie de
toute la flore des
la province,
piqua toute
îies,
sur laquelle
il
composa un
l'en-»
traité
manuscrit avec planches dessinées de sa main, et enfin, ne sachant plusque (aire de son temps et de son argent surtout, qui allait
s'augmentant d'une leçon effrayante,
il
se
mit à choisir parmi toutes les folies de son pays et de son
époque une dos plus élégantes Il
aima
et des plus coûteuses.
les tulipes.
comme on
temps,
C'était le
sait,
où
les
Flamands
et les
Portugais, exploitant à l'envi ce genre d'horticulture, en étaient arrivés à diviniser la tulipe et à faire de cette fleur
venue de de
faire
la
ce que jamais
l'Orient
naturaliste n'avait osé
race humaine, de pour de donner de la jalousie
à Dieu.
Mons il ne fut plus question que mynher van Baërie, et ses planches, ses fos-
Bientôt de Dordrecht h
des tulipes de ses,
ses
chambres de séchage,
rent visités
comme
ses cahiers de
cayeux fu-
jadis les galeries et les bibliothèques
d'Alexandrie par les
voyageurs romains.
illustres
Van Baerle commença par dépenser son revenu de née à
établir sa collection, puis
à la perfectionner
;
nom
nomma
la
:
il
nom
la Corneille,
récompensé d'un
cinq espèces différentes
trouva
Jeanne, du
de son père,
l'an-
ébrécha ses florins neufs
aussi son travail fut-il
magnifique résultat qu'il
il
de sa mère,
du
nom
du
la Baerle,
de son parrain
;
—
LA TULIPE NOIRE. les
55
noms nous échappent, mais
autre-
les
amateurs pour-
ront bien certainement les retrouver dans les catalogues
du temps. En 1672, au commencement de l'année, Corneille de Witt vint à Dordrecht pour y habiter trois mois dans son ancienne maison de famille
ment Corneille
était
;
car on sait que non-seule-
né à Dordrecht, mais que
des de Wilt était originaire de cette Corneille
commençait dès
d'Orange, à jouir de
lors,
la famille
ville.
comme
la plus parfaite
disait
Guillaume
impopularité. Cepen-
dant, pour ses concitoyens, les bonshabitans de Dordrecht, )1
encore un scélérat à pendre,
et ceux-ci,
peu
de son républicanisme un peu trop pur, mais
flers
n'était pas
satisfaits
de sa valeur personnelle, voulurent bien
de
la ville
quand
il
lui offrir le vin
entra.
Après avoir remercié ses coacitoyens, Corneille sa vieille
maison paternelle,
tions avant tulîcr
et
alla voir
ordonna quelques répara-
que madame de Witt,
sa
femme,
vînt s'y ins-
avec sesentans.
Puis le Ruart se dirigea vers la maison de son
qui seul peut-être à Dordrecht ignorait encore
du Ruart dans
la
filleul,
présence
sa ville natale.
Autant Corneille de Witt avait soulevé de haines en maniant ces graines malfaisantes qu'on appelle les passions politiques,autant
van Baerle avait amassé de sympathies
en négligeant complètement sorbé qu'il était dans Aussi van Baerle ses ouvriers,
au monde un
la
était-il
aussi
homme
la culture
de
la politique,
ab-
culture de ses tulipes. chéri de ses domestiques et de
ne pouvait -il supposer
qu'il existât
qui Toulût du mal à un autre
El cependant, disons- le à la
homme.
honte de l'humanité, Cor-
LA TULII'E NOIRE.
àO
van
n(Mius
Baerlo avait, sans
lo s.ivoir,
un onncmi
aulronienliérocc, bien aulremenlacharné, irréconciliable, et son frère
bit-
que jusque-là n'en avaient complé
parmi
les orangisles
bi(>n
n auln-nienl !e
Kuart
les plus hostiles à cette
admirable Iraternilé qui, sans nuage pendant la vi*;, venait dévouement au-delà de la mort.
se prolonger par le
Au moment où
Cornélius
commença de s'adonner aux
y jeta ses revenus de l'année et les llorius du son père. Il y avait à Dordrecht et demeurant porte à porte avec lui, un bourgeois nommé Isaac Boxtel, qui, depuis tulipes,
il
où
le jour
il
avait atteint l'âge do connaissance,
suivait le
penchant et se pâmait au seul énoncé du mol tulhan,
même
que
qui, ainsi
l'assure le floriste français, c'est-à-dire l'his-
premier mot
torien le plus savant de cette fleur, est le qui, dans la
langue du Chingulais,
chef-d'œuvre de
Il
bonheur
le
d'être riche
comme van
donc 5 grand'peinc, h force do soins et do dans sa maison do Dordrecht un jardin com-
s'était
patieuce, fait
mode à
désigner ce
création qu'on appelle la tulipe.
pas
n'avait
Boxtel Baerle.
la
ait servi à
la culture,
il
avait
aménagé
le terrain selon les
prescriptions voulues, et donné à ses couches précisément
autant de chaleur et de fraîcheur que le codex des jardi-
en autorise.
niers
A
la
vingtième partie d'un degré près, Isaac savait
température de ses châssis.
11
savait le poids
du vent
la
et le
tamisait de façon qu'il l'accommodait au balancement des
tigesdesesfleurs. Aussi ses produits commençaient-ils à plaire.
Us étaient beaux, recherchés même. Plusieurs ama-
teurs étaient venus visiter
Boxtel avait lancé dans le nelort
une
tulipe
les
monde
tulipes de Boxtel. Enfin,
des Linné-
et des
de son nom. Oette tulipe avait
Tour-
fait
son
LA TULIPE NOIRE. Chemin, avait traversé
57
France, était entrée en Espagne,
la
avait pénétré jusqu'en Portugal, et le roi
de Lisbonne,
qui, chassé
où
ceire,
i'.
s'amusait,
non
s'était retiré
comme
pas,
don Alphonse VI,
dans le
de Ter-
l'île
grand Condé, à
arroser des œillets, mais à cultiver des tulipes, avait dit
PAS
il
MAL en regardant
la susdite Boxtel.
Tout à coup, à
la suite
s'était livré, la
passion de
de toutes la
les
études auxquelles
tulipe ayant envahi Cor-
nélius van Baerle, celui-ci modifia sa maison de Dordrecht,
que nous l'avons
qui, ainsi
Bûxtel et lequel,
était voisine
dit,
de celle de
élever d'un étage certain bâtiment de sa cour,
fit
en s'élevant, ôta environ un demi-degré de cha-
leur et,
en échange rendit un demi- degré de froid au jar-
din de Boitel, sans compter qu'il
gea tous
les calculs et
coupa
le
vent et déran-
toute l'économie horticole de son
voisin.
Après tout, ce
du voisin à-dire le
en
n'était rien
Boxtei.
Van Baerle
une espèce de fou qui
que ce malheur aux yeux n'était
les défigurant les merveilles
faisait
qu'un peintre,
c'est-
essaie de reproduire sur la toi-
de
la nature.
Le peintre
élever son atelier d'un étage pour avoir meilleur
jour, c'était son
îomme monsieur
droit.
Monsieur van Baerle
était peintre
Boxtei était fleuriste-tulipier;
il
voulait
du soleil pour ses tableaux, il en prenait un demi-degré aux tulipes de mînsieur Boxtei. ,
La
loi était
pour mons eur van Baerle. Bene sit.
D'ailleurs, Boxtei avait
à
la tulipe, et
que
découvert que trop de
rée avec le tiède soleil brûlant soleil de midi.
soleil nuit
mieux et plus colodu matin ou du soir qu'avec le
cette fleur poussait
LA TULIPE NOIRE.
58 Il
sut
donc presque tivé à Cornélius van Baerle de lui avoir
bâli ^.Tûtis
un
parasoleil.
Peut-être nVtait-co point tout à lat vrai, etce que disait Boxtcl
h l'endroit
de son roisin van Baerl»
pas ^oxpres^ion entière de sa
âmes trouvent dans
la
n'était-ii
pensée. Mais les grandes
philosophie d'étonnantes ressour-
au milieu des grandes catastrophes. Mais hélas? que devint-il, cet infortuné
ces
vil les vitres
Boxtel,
quand
de l'étage nouvellement bâti se garnir
il
d'oi-
gnons, de o^yeux, de tulipes en pleine terre, do tulipes en pot, enfin
nomane
de tout ce qui concerne
tulipier
prote^sioa d'un
la
mo-
1
Il y avait les paquets d'étiquettes, il y avait les casiers, y avait les boîtes à compartimens et les grillages de 1er destinés à fermer c^s casiers pour y renouveler l'air sans donner accès aux sDuris, aux charançons, aux loirs, aux il
mulots et aux
rats,
curieux amateurs de tulipes à deux
mille francs l'oignon.
Boxtel tut fort ébahi lorsqu'il vit tout ce matériel, mais
no comprenait p«s encore l'étendue desonmaiheun avait van Baerle ami de tout ce qui réjouit la vue.
il
On Il
étudidit à fond la nature pour ses tableaux, finis
ceux de Gérard Dow, son maître,
et
comme
de Miéris, sen ami.
N'était-il
pas possible qu'ayant à peindre l'intérieur d'un
tulipier,
il
eût amassé dans son nouvel atelier tous les ac-
cesïOires de la décoration
1
Cepeadant, quoique bercé par cette décevante idée, Boj.tel
ne putrési^trr à l'ardente curiosité qui
soir venu,
il
et regardant 'a
terre
appliqua une échelle contre
chez
le voisin Baerle,
d'un énorme carré
il
le dévorait.
le
mur
Le
mitoyen,
se convainquit que/
peuplé naguère de plantes
LA TULIPE NOIRE.
59
différentes, avait été remuée, disposée
terreau
mêlé de boue de
rivière,
en plates-bandes de combinaison essentielle-
ment sympathique aux tulipes, le tout contreforté de bordures de gazon pour empêcher les éboulemens. En outre, soleil levant,
miser
soleil
soleil
le
de
ombre ménagée pour tade l'eau en abondance et à por-
couchant,
raidi;
au sud sud-ouest, enfîu conditions complènon-seulement de réussite, mais de progrès. Plus de
tée, exposition tes,
doute, van Baëri© était devenu tulipier. Boxtel se représenta sur-le-champ ce savant homme
400.000 florins de
capital,
aux 10,000
employant ses ressource^ morales des tulipes en grand.
douleur
et coriçut,
un vague
par avance, une telle
de succès, que ses mains se relâchant,
noux s'affaissèrent,
il
aux
de rente,
et physiques à la culture
entrevit son succès dans
Il
mais prochain avenir,
florins
les
ge-
roula désespéré en bas de son échelle.
Ainsi, ce n'était pas
pour des tulipes en peinture, mais
pour des tulipes réelles que van Baërle lui prenait un demi-degré de chaleur. Ainsi, vnn Baërle allait avoir la plus admirable des expositions solaires, et eu outre une vaste chambre où conserver ses oignons et ses caïeux chambre éclairée, aérée, ventilée, richesse interdite à Boxtel, qui avait été forcé de consacrer à cet usage sa cham:
bre à coucher, et qui, pour ne pas nuire par l'influence
des esprits animaux à ses caïeux et à ses tubercules, se résignait à coucher
au grenier.
mur à mur, Boxtel un émule, un vainqueur peut-être,
Ainsi porte ù porte, rival,
lieu d'être filleul
hritél
quelque
jardinier
allait
avoir
et ce rival,
un au
obscur, inconnu^ c'était le
de maître Corneille de Witt, c'est-à-dire une celé-
LA TULIPE NOIRE.
00
Boïlel,
on
le voit, avait l'esprit
moins bien
fait
que Po-
rus, qui se consolait d'avoir iHé vaincu par Alexandre, jus-
tement à cause do
la céh^brité
do son vainqueur.
En elfot, qu'arriverait-il si jamais van Baerle trouvait une tulipo nouvelle et la nommait la Jean de Witt, après en avoir nommé une la Corneille! Ce serait à en étouder de rage. Aiiisi,
dans son envieuse prévoyance, Boxtel, prophète
de malheur pour lui-môme, devinait ce qui
allait arriver.
Aussi Boïtel, cette découverte faite, passa-t-il crable nuit qui se puisse imaginer.
la
plus exé-
LA TULIPE NOIRE.
fft
VI
LA HAINE d'un tulipier.
A
de ce moment, au lieu d'une préoccupation,
oartir
Boxtei eut une crainte. Ce qui donne de la vigueur et de la
noblesse aux etforts du corps et de
d'une idée favorite, Boxtel
dommage Van il
du
qu'allait lui causer l'idée
Baerle,
comme on
l'esprit, la culture
en ruminant tout
le perdit
le
voisin.
peut le penser, du
moment
eut appliqué à ce point la parfaite intelligence aont
nature l'avait (Joué, van Baerle réussit à élever
oii Ja,
les plus
belles tulipes.
Mieux que qw que ce soit
à
Harlem
et à
Leyde, villes qui
offrent les meilleurs terroirs et les plus sains climats, Cor-
nélius réussit à varier les couleurs, à
à multiplier Il
était
de cette école .ingénieuse
devise dès
modeler
les
formes
les espèces.
le
et
naïve qui prit pour
septième siècle cet aphorisme développé en
1653 par un de ses adeptes « C'est offenser Dieu
:
que mépriser
les fleurs.»
Prénaisse dont-l'école tulipière, la plus exclusive des écoles, fit
en 1653
le
syllogisme suivant
« C'est offenser Dieu
:
que mépriser les fleurs.
» Plus la fleur est belle, plus en la méprisant
Oieu.
çn
offense
LA TULIPE NOIRE.
(rj
plus belle de toutes lesRours.
D
La tulipo est
»
Donc qui méprise
la
offense
tulipe
la
démesurément
Dieu. »
Raisonnement à
l'aide
mauvaise volonté,
les
duquel, on
le voit,
avec delà
quatre ou cinq mille tulipiers de
Hollande, de France et de Portugal, nous ne parlons pas
de ceux de Ceylan, de l'Inde et de
la
Chine, eussent mis
l'univers hors la loi, et déclaré schismatiques, hérétisfues et dignes
mes Il
de mort plusieurs centaines de millions d'hom-
froids
ne
pour
la tulipe.
faut point
doutw que pour une
sous
le
même
drapeau que
lui.
Donc van Baerle obtint des succès nombreux ler
de
liste
rie
lui, si
fit
par-
la
Hollande, et qae
la
la tulipe-
de Dordrecht fut représentée par Cornélius van Baerle,
Ainsi
et inoffensif savant.
du plus humble rameau
la
rejetons les plus fiers, et l'églantier
colores les
et
bien que Boitel disparut à tout jamais de
des notables tulipiers de
modeste
le
Box-
pareille cause
quoique ennemi mortel de van Baerle, n'eût marché
tel,
commence
la
rose gigantefe(^ue
maisons royales ont
Baerle,
et
adonné tout
la
in-
parfumée. Ainsi
pris parfois naissance
mière d'un bûcheron ou dans
Van
greffe fait jaillir les
aux quatre pétales dans
la
chau-
cabane d'un pêcheur.
entier à ses travaux de semis,
de
plantation, de récolte, van Baerle, caressé par toute la tuliperie d'Europe,
ne soupçonna pas
y eût un malheureux détrôné dont
même il
qu'à ses côtés
il
était l'usurpateur.
Il
continua ses expériences, et par conséquent ses victoires, st
en deux années couvrit ses plates-bandes de
sujets telle-
LA TULIPE NOIRE.
63
ment merveilleux que jamais personne, excepté pput-être Shakespeare etRubens, n'avait tant créé après Dieu. Aussi,
pour prendre une idée d'un damné ou-
lallait-il,
par Dante,
blié
lallait-il
voir Boxtel
pendant ce temps.
Tandis que van Baerle sarclait, amendait, humectait ses tandis qu'agenouillé sur le talus de gazon,
plates-baades, il
analysait
ditait les
chaque veine de
la tulipe
en floraison
et
mé-
modifications qu'on y pouvait faire, les maria-
ges de couleurs qu'on y pouvait essayer, Boxtel, caché der-
un
rière et
dont
il
sycomore
petit
se faisait
un
qu'il avait planté le
éventail,
bouche écumaiite, chaque
long du mur,
suivait, l'œil gonflé,
U
chaque geste de son voi-
pas,
quand il croyait le voir joyeux, quand il surprenait un sourire sur ses lèvres, un éclair de bonheur dans ses
sin, et
yeux, alors
leur envoyait tant de malédictions, tant de
il
furieuses menaces, qu'on ne saurait concevoir
comment
ces souffles empestés d'envie et de colère n'allaient point s'infiltrant
dans
de décadence
Bientôt, tant
ne y
fait
il
ie
voir
était artiste
val lui tenait Il
acheta
van Baerle, aa tond, et
fleur,,
porter des principes
Il
voulut voir aussi ses
le
chef-d'œuvre d'un ri-
au cœur.
un
télescope, à l'aide duquel, aussi bien
propriétaire lui-même, la
des fleurs y
germes de mort. mal une fois maître d'une âme humai-
de rapides progrès, bientôt Boxtel no se con-
testa plus de fleurs,
les tiges
et des
depuis
le
il
que
le
put suivre chaque révolution de
moment où
elle
pousse, la première
année, son pâle bourgeon hors de terre, jusqu'à celui où, après avoir accompli sa période de cinq années, elle arrondit son noble et gracieux cylindre sur lequel apparaît l'incertaine
nuance de sa couleur
et
se développent les
LA TULIPE NOIBE.
61
pétales de la fleur, qui seulement alors révèle les trésors secrets de son calico.
OU
I
que do
lois
lo
malheureux jaloux, perché sur son van Baerlo
échelle, ap
subissait la fièvre et qui
change
lo
suffo-
1
le
do
(^u'il
no pouvait
mal qui ronge
l'onvio, ce
cœur en une myriade do pe-
serpons qui se dévorent l'un l'autre, source infAme
tits
d'horribles douleurs.
Que de fois, au milieu de ses tortures, dont aucune desne saurait donner l'idée, Boxtel iut-il tenté de
cription
sauter la nuit dans le jardin, d'y ravager les plantes, de
dévorer
les
oignons avec
Mais
tuer une tulipe
un
horticulteur,
les dents, et
lui-même
lère le propriétaire
si
s'il
c'est
de
sacrifier h sa co-
osait défendre ses tulipes.
aux yeux d'un
,
épouvantable crime
véritable
1
Tuer un homme, passe encore. Cependant, grâces aux progrès que
van Baerie dans tinct,
dita
la
faisait
tous les jours
science qu'il semblait deviner par ins-
Boxtel en vint à
un
tel
paroxysme do fureur
de lancer des pierres et des bâtons dans
les
qu'il
mé-
planches
de tulipes de son voisin. Mais gât,
comme
la
rue
du
ciel
lécites,
était
,
réfléc.hitquelelendemain
loin,
que pierres
et
,
à la
vue du dé-
l'on constaterait alors
que
bâtons ne tombaient plus
siècle comme au temps des Amaque l'auteur du crime, quoiqu'il eût opéré dans
au dix-septième
la nuit, serait loi
il
van Baerie informerai!, que
découvert et non seulement puni par
mais encore déshonoré
h
tout jamais
la
aux yeux de
LA TULIPE NOIRE.
63
i'Europe tulipière, Boxtel aiguisa la haine par la ruse et résolut d'employer Il
un moyen qui ne
chercha longtemps,
Un soir
derrière, avec
la
une
trouva.
il
de dix pieds de long, et la
les jeta,
plate-bande maîtresse,
plate-bande princière, de la plate-bande royale, qui
do Rotre, gris de
éclatant
lait,
lin
pourpre
et
rouge
mouvant, rouge
et la Merveille, de
;
de Witt, mais encore
la Corneille
Brabançonne, blanc de
Irée,
mais enfin
c'est vrai,
ficelle
non seulement contenait la
compromît pas.
attacha deux chats chacun par une patte de
il
du haut du mur, au milieu de de
le
Harlem
;
et
;
la
Mur-
incarnadic
la tulipe
Colombin
obscur et Colombin clair terni.
Les animaux ellarés, en tombant du haut en bas du mur, se ruèrent d'abord sur la plate-bande, essayant de fuir cha-
cun de son
côté, jusqu'à ce
l'autre lût teiadu
plus loin,
ils
;
mais
que le fil qui les retenait l'un à
alors, sentant l'impossibilité d'aller
vaguèrent çà et
là
avec d'atfreux miaulemens,
lauchant avec leur corde les fleurs au milieu desquelles
ils
un quart d'heure de lutte parvenus à rompre le fil qui les enchevê-
se débattaient; puis enfin, après
acharnée, étant trait, ils
disparurent.
Boxtel, caché derrière son sycomore,
ne voyait
rien,
>
cause de l'obscurité de la nuit; mais aux cris enragés de?
deux
chats,
fiel,
s'emplissait de joie.
il
supposait tout, et son cœur, dégonflant de
Le désir de s'assurer du dégât commis était
si
grand dans
cœur de Boxtel qu'il resta jusqu'au jour pour jouir par ses yeux de l'état où la lutte des deux matous avait mis
le
les plates-bandes
U
était glacé
de son voisin.
par
le
brouillard
du matin; mais
il
ne
M
LA TULIPE NOIRE.
sentait pas le froid
l'espoir
;
do
la
voDgeance
lui teRait
chaud.
La douleur de son rival
allait le
Aux premiers rayons du
payer de toutes ses peines.
soleil, la porte
de
la
maison
blanche s'ouvnt; van Baerle apparut, et s'approcha de ses plates-bandes, souriant la nuit
dans soh
Tout à coup
il
lit,
qui y a
comme un homme fait
aperçoit des sillons et des monticules sur ce
terrain plus uni la veille qu'un miroir; toute çoit
comme rait 11
rangs symétriques de
les
qui a passé
de bons rôves.
ses tulipes
coup
il
aper-
désordonnés
sont les piques d'un bataillon au milieu duquel au-
tombé une bombe. accourt tout pâlissant.
Boitel tressaillait de joie. Quinze ou vingt tulipes lacérées,
éventrées, gisaient les unes courbées, les autres brisées tout
à
fait et
la sève,
ter
déjà pâlissantes;
la
sève coulait de leurs blessures;
ce sang précieux que van Baerle eût voulu rache-
au prix du
sien.
Mais, ô surprise 1 ô joie de van Baerle ô douleur inexprimable deBoxtel! pas une des quatre tulipes menacées par i
l'attentat
de ce dernier n'avait été
atteinte. Elles levaient
fièrement leurs nobles têtes au-dessus des leurs
compagnes.
c'était assez
chait les
pour
C'était assez faire
cheveux à
la
cadavres de
pour consoler van Baerle,
crever d'ennui l'assassin, qui s'arra-
vae de son crime commis
et
com-
mis inutilement.
Van Baerle,
tout en déplorant le malheur qui venait de le malheur qui, du reste, par la grâce de Dieu, était moins grand qu'il n'aurait pu être, van Baerle ne put en
ffapper,
deviner la cause.
Il
s'informa seulement et
apprit
que
LA TUUPE NOIRE. toute la nuit avait été bles.
Au
reste,
il
reconnut
auquel
blaient
comme
fleur brisée, et
passage des chats à
poil resté sur le
de
le» gouttes indifférentes
elles faisaient
terri-
la trace
champ de ba-
la
rosée trem-
à côté sur les feuilles d'une
pour éviter qu'un pareil malheur se renou-
velât à l'avenir, rait
le
au
laissée par leurs griffes, taille et
67
troublée par des miaulemens
il
ordonna qu'un garçon jardin-er couche-
chaque Quit dans
le jardin,
sous une guérite, près des
plates-bandes. Boxtel entendit donner l'ordre.
dès
même
le
Il
vit se
dresser la guérite
jour, et trop heureux de n'avoir pas été
soupçonné, seulement plus animé que jamais contre l'heureux horticulteur,
Ce
il
fut vers cette
attendit de meilleures occasions.
époque que
la société tulipière
de Har-
lem proposa un prix pour la découverte, nous n'osons pas dire pour la fabrication de la grande tulipe noire et sans tache, problème non résolu et regardé comme insoluble, si l'on considère qu'à cette époque l'espèce n'existait
pas
même à l'état
Ce qui
faisait dire
de bistre dans
à chacun que
la nature.
les fondateurs
du
prix
eussent aussi hien pu mettre deux millions que cent mille livres, la
chose étant impossible.
Le monde
tulipier n'en fut
pas moins
ému
de
la
base A
sonfaîle.
Quelques amateurs prirent
l'idée,
mais sans croire à son
applicalion; mais telle est la puissance imaginaire des horticulteurs que, tout
manquée à cette
en regardant leur
l'avance,
ils
spécu''-ition
grande tulipe noire réputée chimérique
cygne noir d'Horace, et dition française.
comme
ne pensèrent plus d'abord qu'à
comme
le
comme
merle blanc de
le
la tra-
^
LA TULIPE NOIRE.
Van Baerlo dée
;
lut
du nombre des
Boxtel fut au
tulipiers qui prirent
l'i-
nombre do ceux qui pensèrenA à
la
Du moment où van Baerle eut incrusté Injustice,
une grandie gravité à
l'interrogation.
— Jo
le suis,
maître van Spennon, répondit Cornélius
en saluant giïicieusemont son juge, et vous
— Alors livrez-nous
les papiers séditieux
le
savez bien.
que vous cachez
chez vous.
—
Les papiers séditieux? répéta Cornélius tout aba-
sourdi de l'apostrophe.
— Oh no pas l'étonné. — Je vous jure, maître van Sponnen, faites
!
que
— Alors je juge
:
reprit Cornélius,
complètement ce que vous voulez
j'ignore
dire.
vais vous mettre sur la voie, docteur, dit le
livrez-nous les papiers que
le traître
Corneille de
Wilta déposés chez vous au mois de janvier dernier.
Un
éclair passa dans l'esprit de Cornélius.
— Ohl
oh
I
dit
van Spennen, voilà que vous commen-
cez à vous rappeler, n'est-ce pas?
— Sans doute; et je n'ai
mais vous parliez de papiers séditieux,
aucun papier de ce genre.
— Ah vous niez? — Cerlaineaient. !
Le magistrat se retourna pour embrasser d'un coup d'oeil
tout le cabinet.
— Quelle est
la
pièce de votre maison qu'on
nomme
le
séchoir? demanda-t-il.
—
C'est justement celle
où nous sommes, maître van
Spennen. Le magistrat
jeta
un coup
d'œil sur
fée aa premier rang de ses papiers.
une
petite
note pla*
.
\ \
LA TULIPE NOIRE.
— C'est bien,
83
comme un homme
dit-il
qui est
fixé.
Puis se retournant vers Cornélius
— Voulez-vous me remettre ces papiers — Mais je ne puis, maître van Spennen.Ces papiers ne ? dit-il.
sont point à moi
un dépôt
m'ont été remis à
ils
:
titre
de dépôt, et
est sacré.
— Docteur Cornélius,
dit le juge,
vous ordonne d'ouvrir ce
nom des états, je me remettre les pa-
au
de
tiroir et
piers qui y sont renfermés.
Et
du doigt
le
magistrat indiquait juste
troisième
le
ti-
roir d'un bahut placé près de la cheminée.
dans ce troisième
C'était
en
tiroir,
effet,
papiers remis par le Ruart de Pulten à son
que
preuve
parfaitement renseignée.
la police avait été
—
qu'étaient les
filleul,
Ah vous ne voulez pas î dit van Spennen voyant que Cornélius restait immobile de stupéfaction Je vais donc 1
.
l'ouvrir
moi-même.
Et ouvrant le tiroir dans toute sa longueur, le magistrat
mit d'abord à découvert une vingtaine d'oignons, rangés et étiquetés avec soin
dans
le
filleul
même
par
le
état
;
puis
le
paquet de papier demeuré
exactement où
il
avait été remis à son
malheureux Corneille de Witt.
Le magistrat rompit
un regard avide sur
les
les cires,
premiers
déchira l'enveloppe, jeta feuillets
668 regards, et s'écria d'une voix terrible
qui s'ofïrfrent à :
— Ah la justice n'avait donc pas reçu un laux avis — Comment Cornélius, qu'est-ce donc — Ah ne faites pas davantage l'ignorant, monsieur !
I
!
dit
?
I
van Baerle, répondit
— Comment que — Oui, car au nom l
le magistrat, et
je
vous suive
des états,
je
1
suivez-nous. s'écria le docteur.
vous arrête.
LA TULIPE NOIRE.
84
On Il
n'arrêtait pa«
encore au
nom
de Guillaume d'Orange.
n'y avait pas assez longtemps qu'il
(^tait
slathouder pour
tîela.
— M'arrôterl s'écria Cornélius; mais qu'ai-je donc — O'ia ne me regarde point, docteur, vous vous oh
fait?
ex-
pliquerez avec vos juges.
— Où cela? — A Haye. la
Cornélius, stupéfait, embrassa sa nourrice, qui perdait
connaissance, donna
la
main
daient en larmes, et suivit
une chaise
comme un
au grand galop à
la
le
;i
ses
serviteurs, qui fon-
magistrat, quiTcnferma dans
prisoonier d'Etat, et le
Haye.
ttt
conduire
LA TULIPE NOIRE.
vm ONE INVASION.
Ce qui venait d'arriver vre diabolique de
On
était,
mynheer
corame on
le
devine, l'œu-
Isaac Boitel.
se rappelle qu'à l'aide de son télescope,il n'avait pas
perdu un seul avec son
On
détail
de cette entrevue de Corneille de Witt
filleul.
se rappelle qu'il n'avait rien entendu,
mais
qu'il
avait tout vu.
On
se rappelle qu'il avait deviné l'importance des papiers
conflés par le Ruart de Pulten â son filleul, en voyant celuici
serrer soigneusement le paquet à lui remis dans le tiroir
où
il
Il
serrait les
oignons
les plus précieux.
en résulte que lorsque Boxtel, qui suivait la politique
avec beaucoup plus d'attention que son voisin Cornélius, sut
que Conseille de Witt
haute trahison envers
était arrêté
les états,
il
comme
coupable de
songea à part
lui qu'il
mot à dire pour faire arrêter le filleul en même temps que le parrain. Cependant, si heureux que fût le cœur de Boitsl, ilfrissonna d'abord à cette idée de dénoncer un homme que n'aurait sans doute qu'un
eette dénonciation pouvait conduire à l'échafaud.
Mais les
le terrible
mauvais
des mauvaises idées,
esprits se familiarisent
c'est
avec
que peu à peu
elles.
LA TULIPE NOIIŒ.
86
in/nheer Isaac Boxlcl s'encourageait avec c«
D'ailleurs
sophisme
:
Corneille de Will est
un mauvais citoyen,
puisqu'il est
accusé de haute trahison et arrêté. Je suis, moi, un
Or, est
si
hon citoyen, puisque je ne
monde
de rien au
que
et
je suis libre
Corneille de Wilt est
chose certaine, puisqu'il
l'air.
un mauvais citoyen, ce qui est accusé
de haute trahison
son complice Cornélius van Baerlo est un non
et arrêté,
moins mauvais citoyen que Donc,
suis accusé
comme
comme moi
je suis
lui.
un bon
citeyen, et qu'il est
du
devoir des bons citoyens de dénoncer les mauvais citoyens, il
est
de
mon
devoir à moi, Isaac Boxtel, de dénoncer Cor-
nélius van Baerle.
Mais ce raisonnement n'eût peut-être pas, qu'il
lût,
pris
si
un empire complet sur Boxtel,
spécieux
et peut-être
l'envieux n'eût-il pas cédé au simple désir de vengeance
qui lui mordait le cœur, n'eût surgi le
démon de
si
à l'unisson
Boxtel n'ignorait pas le peint
de sa recherche sur Si
modeste que
la
du démon de
l'envie
la cupidité.
où van Baerle
était arrivé
grande tulipe noire.
lût le docteur
Cornélius,
il
n'avait
pu
cachera ses plus intimes qu'il avait la presque certitude de gagner en l'an de grâce i673 le prix de cent raille florins proposé par
la société
d'horticulture de Harlem.
Or, cette presque certitude de Cornélius van Baerle, c'était la fièvre
Si
qui rongeait Isaac Boxtel.
Cornélius était arrêté, cela occasioHnerait certaine-
ment un grand l'arrestation,
pes du jardip-
trouble dans la maison. La nuit qui suivrait
personne ne songerait à veiller sur
les tuli-
LA TULIPE NOIRE.
87
Et, cette nuit-là, Boxtel enjamberait la muraille, et
me
savait
il
tulipe noire,
où il
était
enlèverait cet oignon
;
au lieu de fleurir chez
Cornélius, la tulipe noire fleurirait chez lui
com-
l'oignon qui devait donner la grande
lui,
et ce serait
qui aurait le prix de cent mille florins, au lieu que ce fût
Cornélius, sans compter cet honHeur la fleur
suprême d'appeler
nouvelle tulupa nigra Boxtellemtis.
^Résultat qui
satisfaisait
non-seuiemeni sa vengeance,
mais sa cupidité. Eveillé,
dormi,
il
il
ne pensait qu'à
ne rêvait que
la
grande tulipe noire; en-
d'elle.
deux heures de l'après-midi, la que nsynheer Isaac ne sut poiat y ré-
Enfln, le 19 août, vers tentation fut sister plus
s'
forte
longtemps.
En coRséquence,
il
dressa une dénonciation anonyme,
laquelle remplaçait l'authenticité par la précision, et jeta celte dénonciation à la poste.
Jamais papier vénéneux glissé dans
les
gueules de bron-
ze de Venise ne produisit un plus prompt et
un plus
terri-
ble effet.
Le
même soir, le principal magistrat reçut la dépêche; même il convoqua ses collègues pour le lende-
à l'instant
main matin. Le lendemain matin ils s'étaient décidé
réunis, avaient
l'arrestation et avaient remis Tordre, afin qu'il fût
exécuté, à maître van Spennen, qui s'était acquitté,
me nous avons
avait arrêté Cornélius
orangistes de la
com-
vu, de ce devoir en digne Hollandais, et
Haye
van Baerle
juste
faisaient rôtir les
au momeBt où les morceaux d^^s ca-
davres de Corneille et de Jean de Witt. Mais, soit honte, soit faiblesse dans le crime, Isaac Boxtel
n'avait pas eu le
courage do braquer ce jour-là son
,
LA TULIPE NOIRE.
88
télescope, ni surlejardin, ni sur
l'atelier, ni
sur
le sf^choif
dans
savait trop bien ro qui allait se pns'^er
Il
der.
Il
ne se leva
môme
maison
la
du pauvre docteur Cornélius pour avoir besoin
d'y regar-
point lorsque son unique
domesnon
tique, qui enviait le sort des domestii]ues do r,orn(^Iius,
moins amèrement que Boxtel enviait tra
dans sa chambre. Boxtel
lui dit
le sort
— Je ne me lèverai pas aujourd'hui Vers neuf heures,
il
;
je suis
malade.
entendit un ^rand bruit dans,
à ce bruit;
et fri^lanU pâle et haletant,
de
la place, le gibet
Gryphus
surmonté de
se mit à rire.
il
la
lui
montrait, au ionû
cynique inscription.
LA TULIPE NOIRE.
—
Ah
mon
ab
I
99
Eh
répondit-il. 0«i, vous avez lu...
1
bien
!
cher monsieur, voilà où l'on arrive quand on a des
intelligences avec les
ennemis de monsieur
le
prince d'O-
range.
—Messieurs de Witt ont été assassinés lit,
sueur au iront
la
lius,
les bras
murmura
1
Corné-
en se laissant tomber sur son
et
pendans, les yeux fermés.
— Messieurs de Witt ont subi la justice Gryphus ; appelez-vous cela
assassinés,
du peupie,
vous
?
moi, je
dit dis,
exécutés. Et,
voyant que
le
prisonnier était arriré non-seulement
au calme, mais h l'anéantissement, bre, tirant
la porte
avec violence
,
il
sortit
et
de
la
cham-
taisant rouler les
verrous avec touit.
En revenante lui, Cornélius se trouva seul et reconnut la chambre où il se trouvait, la chambre de tamille, ainsi que l'avait appelée Gryphus, comme le passage fatal
qui
Et
devait aboutir pour
comme
c'était
lui
à une triste mort.
comme
un philosophe,
c'était surtout
an chrétien, il commença par prier pour l'âme de son parrain, puis pour celle du grand pensionnaire, puis enfin il se résigna lui-même à tous les maux qu'il plairait à Dieu de
lui
envoyer.
Puis, après être descendu Iré
ce cachot
de
du
sur la terre, être ren
ciel
delà terre dans son cachot, s'être bien assuré quedan-< il
la tulipe
était seul,
on posait
la
cur de
prison.
la
il
tira
de sa poitrine les
trois caïeux
noire et les cacha derrière un grès sur lequel
cruche traditionnelle, dans
iBuiile labeur
ces espérances
1
de tant d'années
!
le
coin
le
plus obs-
destruction de
sa découverte allait
si
dou-
donc aboutir au néant
LA TULIPE NOIRE.
100
à la mort
— Pans
prison, pns un T)rln un rayon de soleil. à cette penstH", (^orniMius entra dans un sombre dt^sospoir dontU ne sortit que par une circonstance extraordinaire.
conimo
lui
d'tierbo, pas
1
un alomo do
cotlo
torre, pas
Quelle était cette circonstance ? C'est ce (jue piu-e suivant.
nous nous réservons de dire dans
le cliii-
LA TULIPE NOmE.
iOl
X.
LA FILLE DU GEOLIEB
même
Le
soir,
comme
humide
la dalle
et
main portant à
la
apportait la pitance du prison-
il
Gryphus, en ouvrant
nier,
la
porte de la prison, glissa sur
tomba en essayant de se faux,
il
retenir. Mais
se cassa le bras au-dessus du
poignet.
—
fit un mouvement vers le geôlier ; mais comne se doutait pas de La gravité de l'accident, Ce n'est rien, dit Gryphus, ne bougez pas.
Et
il
Cornélius
me
il
voulut se relever en s'appuyant sur son bras, mais
l'os plia
un
ta
Il
;
Gryphus seulement alors
sentit la
douleur et je-
cri.
comprit qu'il avait
le
bras cassé, et cet
homme
si
dur pour les autres retomba évanoui sur le seuil de la porte, où il demeura inerte et froid, semblable à un mort.
Pendant ce temps, ouverte,
Mais
l'idée
cet accident
au bruit qu'il
y
la
porte de la prison était demeurée
Cornélius se trouvait presque libre.
et
;
ne il
lui vint
même pas
qu'il avait fait
avait douleur
;
il
en pliant, qu'il y avait fracture, ne songea pas à autre chose qu'a
porter secours au blessé, lui
à l'esprit de profiter de
avait vu, ù la façon dont le bras avait plié,
si
mal intentionné que
eût paru à son endroit dans la seub entrevue
eue avec
Au
le blessé qu'il
eut
lui.
brui»
que Gryphus avait
fait
en tombant, à
la plaint© 6.
LA TULIPE NOIRE,
102
qu'il avait laissé c^chappcr,
uu pas
prt^cipité
so
ontPn-
fit
dre dans l'oscalier, et à l'apparition qui suivit iminédiateinent le bruit df ce pas, Cornélius poussa
auquel répondit
d'une jeune
lo cri
Celle qui avait réponilu au c'était la belle
re et
Gryphus, dont à
la
petit cri
poussé par Coinélius,
cri
Frisonne, qui, voyant sou père étendu
prisonnier courbé sur
lo
un
(ille.
elle connaissait
suite d'une lutte
avait cru
lui,
engagée entre
ter-
que tombé
brutalité, était
la
ti
d'abord
lui et le prisonnier.
Cornélius comprit ce qui se passait dans lo cœur de
jeune
tille
même où
au moment
le
la
soupçon entrait dans
son coeur. Mais ramenée par
le
premier coup d'œll à
honteuse de ce qu'elle avait pu penser, jeune
homme
yeux humides
ses beaux
la vérité, et
sur le
elle leva
et lui dit
— Pardon et merci, monsieur. Pardon
:
de ce que
j'avais
pensé, et merci de ce que vous laites.
Cornélius rougit.
— Je courant
ne lais que mon mon semblable.
— Oui,
et
en
le
injures qu'il vous
devoir de chrétien,
a dites ce matin. Monsieur, c'est plus
Cornélius leva ses yeux sur qu'il
était
il
les
c'est plus
que du christianisme. la belle
d'entendre sortir de
du peuple une parole à Mais
en se-
secourant ce soir, vous avez oublié
que de l'humanité,
né
dit-il,
la fois si
la
noble
entant, tout éton-
bouche d'une et
si
fille
compatissante.
n'eut pas le temps de lui témoigner sa surprise.
Gryphus, revenu de son évanouissement, ouvrit et sa brutalité
— Ahl voilà
accoutumée ce que
lui
revenant avec
c'est, dit-il,
la
yeux,
Uis
vie
:
on se presse d'apporter
TULIPE NOIRE.
iLA
103
souper du prisonnier, on tombe en se hâtant, en tom-
le
bant on se casse
le bras, et l'on
vous
laisse ià sur le car-
reau.
— Silence,
mon
père, dit Rosa, vous êtes injuste envers
ce jeune monsieur, que
— Lui?
fit
— Cela esl
j'ai
trouvé occupé à vous secourir.
Gryphus avec un si
vrai,
air
de doute.
moBsieur, que je suis tout prêt à vous
secourir encore.
— Vous? Gryphus êtes-vous donc médecin? — C'est mon premier prisonnier. — De sorte que vous pourriez me remettre le brasT — Parfaitement. — Et que vous faut-il pour cela, voyons? — Deux clavettes de bois ei des bandes de linge. — Tu entends, Rosa, Gryphus, le prisonnier va me dit
;
état, dit le
dit
remettre
me
le bras; c'est
lever, je suis
une économie; voyons, aide-moi à
de plomi).
Rosa présenta au blessé son épaule; col il
de
la
jeune
de son bras
se mit sur ses jambes,
épargner
le
Gryphus sa
fille
tandis
chemin, roulait vers s'assit
dans
le biessé
entoura
intact, et faisant
un
que Cornélius, pour lui
un
le
effort, lui
fauteuil.
le fauteuil, puis se
retournant vers
fille,
— Eh bien, n'as-tu pas entendu?
lui dit-il.
Va chercher
ce que l'on te demande.
Rosa descendit
et rentra
un instant après avec deux dou-
ves de baril et une grande bande de linge. Cornélius avait employé ce temps-là à ôter la veste geôlier et à retrousser ses
manches.
cm»
LA TULIPE NOIRE.
104
— Rst-cp bien cela que vous désirez, monsieur? demanda Uosa.
— Oui,
roadomoisollo, ût Corm'lius on jetant les yeux
les objets
sur
apportés; oui,
c'est bien cela.
Maintenant,
poussez celle table pendaat que je vais soutenir
le
bras de
votre père.
Rosa poussa
Cornélius posa
la table.
sus, afin qu'il se trouvât à plat, et avec te,
le
bras cassé des-
une habileté
parfai-
rajusta la Iraclure, adapta la clavette et serra les bandes.
A
la
dernière épingle,
le geôlier
s'évanouit une seconde
lois.
—Allez chercher du vinaigre, mademoiselle, lius,
BOUS lui en frotterons
Mais au lieu d'accomplir te,
les la
tempes,
et
il
dit
Corné-
reviendra.
prescription qui lui était fai-
Rosa, après s'être assurée que son père était bien sans
connaissance, s'avançant vers Cornélius,
— Monsieur, service pour service. — Qu'est-ce à dire, ma belle enfant? demanda Cornélius. — C'est-à-dire, monsieur, que juge qui vous indit-elle,
le
doi-t
terroger demain est venu s'informer aujourd'hui de
la
chambre où vous étiez qu'on lui a dit que vous occupiez la chambre de monsieur Corneille d(; Wilt, et qu a cette réponse, il a ri d'une façon sinistre qui me tait croire que rien de bon ne vous attend. ;
— Mais, demanda Cornélius, (jue peut-on me faire — Voyez ce gibet. — Mais ne suis point coupable, Cornélius. — L'étaient-ils, eux, qui sont là-bas, pendus, mutilés, ?
d'ici
dit
je
déchirés?
— C'est
vrai,
dit
Cornélius en s'assombrissant.
LA TULIPE NOIRE.
iQg
—D'ailleurs, cantinua Rosa, l'opinion publique veux qu«
vous
le
commencera demain condamné les choses vont
serez
coupable ou non,
soyez, coupable. Mais enfin,
procès
votre
:
;
après-demain,
vous
par le temps qui
vite
couri.
— Eh bien,
que concluez-vous de tout
ceci,
mademoi-
selle ?
— J'en conclus que je mon
suis seule,
père est évanoui, que
par conséquent ne vous
le
que
je suis faible,
que
chien est muselé, que riea
empêche de tous sauver. Sau-
vez-vous donc, voilà ce que je conclus.
— Que dites-vous — Je dis que
?
je n'ai
pu sauver monsieur Corneille ni et que je voudrais bien vous
monsieur Jean de Wilt, hélas
I
sauver, vous. Seulement, faites vite; qui revient à
mon
vrira les yeux, et
En mais
effet,
il
la
rou-
regardait sans l'entendre.
— Ne comprenez- vous pas? lait,
il
Cornélius demeurait immobile, regardant Rosa,
comme s'il
— Si
voilà la respiration
une minute peut-être sera trop tard. Vous hésitez?
père, dans
je comprends,
— Mais? — Je refuse. On
fit
fit la
jeune
Cornélius
fille
impatiente.
mais...
;
vous accuserait.
— Qu'importe ? dit
Rosa en rougissant.
— Merci, mon enfant, reprit Cornélius, mais reste. — Vous restez Mon Dieu mon Dieu N'a vez-vous donc je
1
I
!
pas compris que vous serez condamné...
condamné à mort^
exécuté sur un écha^aud et peut-être assassiné, mis en
morceaux comme on a assassiné et mis en riiorceaux monsieur Jean et monsieur Corneille! Au nom du ciftl, ne voas
.
LA TULIPE NOIRE.
lOtS
occupez
pas de moi et luycz
Prenez-y garde,
flûtes.
— Heinl
s'écria
cctto chanihro
elle porte itialheur
nui de
où vous VVilt.
geôlier en se réveillant. Qui
le
par'e
de ces coquins, do ces misérables, de ces scélérats do de
Witt?
— Ne vous emportez
pas,
mon
doux sourire
nélius avec son
;
brave
sang.
les fractures, c'est (ie s'échauffer le
Puis, tout bas à
— Mon enfant,
homme, dit Cor-
ce qu'il y a de pis pour
Rosa suis innocent, j'attendrai
dit-il, je
mes
ju-
ges avec la tranquillité et le c^lrae d'un innocent.
— Silence Rosa. — Silence, et pourquoi — ne faut pas que mon 1
dit
T
Il
père soupçonne que nous
avons causé ensemble.
— Où serait — Où serait
K")
le
mais revenir ici,
mal
mal
?
dit la
?
—
C'est qu'il
jeune
m'empêcherait de ja-
fille.
Cornélius reçut cette naïve confidence avec il
lui
un sourire;
semblait qu'un peu de bonheur luisait sur son infor-
tune.
— Eh
bien! que marmottez- vous
Gryphus en se levant
et
là
tous
deux?
dit
en soutenant son bras droit avec
son bras gauche.
— Rien, répondit Rosa; monsieur me que vous avez à
— Le régime que je dois suivre suivre
1
Vous
prescrit le
régime
régime qub
je dois
suivre.
aussi,
I
le
vous en avez un à suivre,
— Et lequel, mon père? — C'est de ne pas venir dans
la
chambre des
la belle
1
prisonniers,
1^7
LA TULIPE NOIRE. OU, quand vous y venez, d'en sortir
marchez donc devant moi, Rosa
el r.orn«^lius
le
plus vite possible;
et lestement!
échangèrent un regard.
Celui de Rosa voulait dire
:
— Vous voyez bien! Celui de Cornélius signifiait
— Ou'il soit
tait ainsi qu'il
3
plaira
au Seigneur i
LA TULIPE NOIRE.
ÏOS
XI
LE TESTAMENT DE CORNELIUS VAN BACULii.
Rosa DB s'était point trompée. Les lugos vinrent le lendemain au Buytonhof et interrogèrent Cornélius van Baerle.
Au
reste, Tmlerrogatoire
ne
pas long;
lut
il
fut
avéré que Cornélius avait gardé chez lui cette correspondance (atale des de Witt avec la France. Il
ne
le
nia point.
seulement douteux «ux yeux des juges que cette correspondance lui eût été remise par son parrain, CorneilIl
le
était
de Witt.
Mais comme, depuis la mort des deux martyrs, Cornélius van Baerle n'avait plus non à ménager, non-seulement il ne nia point que le dépôt lui eût été confié par Corneille en personne , mais encore il raconta comment, de quelle laçon et dans quelle circonstance le dépôt
lui
avait
été confié.
Cette confidence impliquait le filleul dans le crime
du par-
rain. Il
y avait complicité patente entre Corneille
et
Corné-
lius.
Cornélius ne se borna point h cet aveu:
il
dit toute la vé-
de ses sympathies, de ses habitudes, de ses familiarités. II dit son inditlérence en politique, son amour pour l'étude, poer les arts, pour les sciences et rité à
l'endroit
LA TUUPE NOIRE. pour les
109
Il raconta que jamais, depuis le jour où Corvenu à Dordrecht, et lui avait confié co dépôt,
fleurs.
neille était
ce dépôt n'avait été touché ni
même aperçu
par le déposi-
taire.
On
objecta qu'à cet égard
lui
dît la vérité,
il
était
impossible qu'il
puisque les papier* étaient justement enfer-
més dans une armoire où chaque
jour
plongeait la main
il
et les yeux.
Cornélius répondit que cela était vrai, mais qu'il ne mettait la
main dans
le tiroir
que pour s'assurer que ses
oignons étaient bien secs, rsais
yeux que pour s'assurer
si
qu'il
n'y plongeait les
ses oignons
commençaient à
germer.
On
lui objecta
que sa prétendue
indifférencié à l'égard
de ce dépôt ne pouvait se soutenir raisonnablement, parce qu'il était impossible qu'ayant reça un paieil dépôt de la
main de son
parrain,
il
Ce
répondit
:
à
quoi
il
n'en connût pas l'importance.
Que son parrain Coraeille l'aimait trop et surtout était un homme trop sage pour lui avoir rien dit de la teneur de ces papiers, puisque tourmenter
On
lui
le
cette confidence n'eût servi qu'à
dépositaire.
objecta
que
si
M. de Witt avait agi de
eût joint au paquet, en cas d'accident, tant
que son
filleul
était
un
la sorte,
certificat
complètement étranger à
correspondance, ou bien, pendant son procès,
lui
ii
constacette
eût écrit
ijueique lettre qui pût servir à sa justification.
Cornélius répondit que sans doute sou parrain n'avait point pensé
eommei
mb
auïSj
•'
que son dépôt courût aucun uinger, caché dans une armoire qui était regaidée comSticrée que l'arche pour toute la maison van «'était
LA TULIPE NOIRE.
110
Baerlo; le
que par conséquent
que, quant h une
;
moment avant son dans
la
it'ttrasque
d'or
aux
oreillettes de
h l'oreille
remit ses lourdes
lui tendait, et,
clefs
n'en-
il
du guichetier; mais
dans
la
ce-
main blanche qu'on
descendant quelques marches,
milieu de l'escalier, gardé ainsi en haut par par
rem-
porte do Cornéliiss»
la
dentelles blanches, coiffure des belles Frisonnes;
lui-ci
le
plaira.
sortità reculoHs, et le geôlier
il
fit
vous pouvez deman-
et
il
s'assit
lui,
au
en bas
le chien.
Le casque d'or
fit
volte-face, et Cornélius
reconnut
le vi-
sage sillonné de pleurs et les grands yeux bleus tout noyés la belle
Rosa.
La jeune
fille
de
s'avança vers Cornélius en appuyant ses
deux mains sur sa poitrine brisée.
— Oh Et
elle
— Ma
!
monsieur
I
monsieur
1
dit-elle.
n'acheva point. belle enfant, répliqua Cornélius
ému, que
désirez-
vons de moi ? Je n'ai pas grand pouvoir désormais sur rien ie vous en avertis.
LA TUUPE NOIRE.
— Monsieui,
115
je viens réclamer de vous une grâce,
dit
Rosa tendant ses mains moitié vers Cornélius, moitié vers le ciel.
—
Ne pleurez pas ainsi, Rosa, dit le prisonnier; car vos hrmes m*attendrissent bien plus que ma mort prochaine. Et,
vous
le savez, plus le
mourir avec calme
doit
et
prisonnier est innocent,
même
avec
plus
joie, puisqu'il
il
meurt
martyr. Voyons, ne pleurez plus et dites-moi votre désir,
ma
belle Rosa.
La jeune
fille
se laissa glisser à genoux.
— Pardonnez à mon père, — A votre père Cornélius étonné. — Oui, a été dur pour vous mais dit-elle.
fit
I
si
il
nature,
il
est ainsi
pour tous,
1
il
est ainsi
et ce n'est pas
de sa
vous particu-
lièrement qu'il a brutalisé.
—
Il
est puni,
dent qui
chère Rosa, plus que puni
lui est arrivé, et je lui
— Merci
I
dit
même
par
l'acci-
pardonne.
Rosa. Et maintenant, dites, puis-je, moi, à
mon tour, quelque chose pour vous ? —Vous pouvez sécher vos beaux yeux,
chère enfant, ré-
pondit Cornélius avec son doux sourire.
— Mais pour vous... pour vous... — Celui qui n'a plus à vivre qu'une heure est un sybarite
s'il
grand
a besoin de quelque chose, chère Rosa.
— Ce ministre qu'on vous avait offert? — adoré Dieu toute ma vie, Rosa. Je J'ai
ses œuvres, béni dans sa volonté. Dieu
l'ai adoré dans ne peut rien avoir
contre moi. Je ne vous demanderai donc pas
un
ministre.
La dernière pensée qui m'occupe, Rosa, se rapporte h glorification
de Dieu. Aidez-moi,
ma chère, je
vous en
dans l'accomplissement de cette dernière pensée.
la
prie,
LA TULIPE NOIRE.
«16
—
Ah
}eune
monsieur
I
— Donnoz-moi ne pas
—
mon
rire,
Rire
Corn(^lius, parlez, parlez
s't'cria
1
la
inondfV, de lormes.
fille
!
votre belle main, et promettoz-rnoi de enfant.
s'écria
Rosa au désespoir, rire en ce moment I
Mais vous no m'avez donc pas regardée, monsieur Cornélius ?
— Je vous
ai regardée, Rosa, et avec les yeux du corps et yeux de l'ôme. Jamais femme plus belle, jamais âme plus pure no s'était offerte h moi ; et si je ne vous
avec
les
regarde plus à partir de ce moment, pardonnez-moi, parce que, prêt à sortir de
vie, j'aime
la
c'est
mieux n'avoir
rien h y regwtter.
Rosa
tressaillit.
Comme
onze heures sonnaient au
le
prisonnier disait ces paroles,
du Buytenhoff.
beffroi
Cornélius comprit.
—
Oui, oui,
hâtons-nous,
dit-il,
vous avez
raison,
Rosa. Alors tirant de sa poitrine,
où
l'avait
il
caché de nouveau
depuis qu'il n'avait plus peur d'être fouillé, enveloppait les trois caïeux
— Ma belle C'était
dans
autre chose.
amie,
le
le
papier qui
:
beaucoup aimé
dit-il, j'ai
temps où j'ignorais que
Oh! ne rougissez
pas,
l'on
les fleurs.
pût aimer
ne vousdétournez
pas,
Rosa, dussé-je vous faire une déclaration d'amour. Cela,
pauvre enfant, ne bas sur tes
le
tirerait pas
fera /aison
de
ma
Rosa, et j'avais trouvé,
le
conséquence
témérité. je le crois
grande tulipe noire que vous
à
;
il
y a
là-
Buyten'joff certain acier qui dans soixante minu-
Donc j'aimais les fleurs, du moins, le secret de la
l'on croit
savez ou vous ce
le
impossible, et qui est,
savez pas,
l'objet
d'un prix
LA TULIPE NOIRE. de cent mille florins proposé par Harlem. Ces cent mille pas eux que ce papier;
florins, et
je regrette, ces
ils
117
la société horticole
Dieu
sait
de
que ce ne sont
cent mille florins je les ai là dans
sont gagnés arec les trois caïeux qu'il ren-
ferme, et que vous pouvez prendre, Rosa, car je vous les
donne.
— Monsieur Cornélius — Ohl vous pouvez
I
prendre, Rosa, vous ne faites
les
mon enfant. Je suis seul au monma mère sont morts je n'ai jamais eu
de tort à personne,
mon
de
;
ni
sœur
père et
ni Irère
d'amour, et
si
mais su. Vous
;
;
je n'ai
quelqu'un a pensé à m'aimer, le
voyez bien
abandonné, puisque à
mon
cachot,
jamais pensé à aimer personne
cette
me consolant
et
je
ne
l'ai
ja-
Rosa, que je suis
d'ailleurs,
heure vous seule êtes dans
me
secourant.
— Mais, monsieur, cent mille — Ah soyons sérieux, chère enfant,
florins...
dit Cornélius.
!
mille florins feront
une
belle dot à votre beauté;
Cent
vous
les
mes caïeux. ne vous demande
aurez, les cent mille florins, car je suis sûr de
Vous
les
aurez donc, chère Rosa, et je
en échange que
la
promesse d'épouser un brave garçon,
jeune, que vous aimerez, et qui vous aimera autant que
moi j'aimais les fleurs. Ne m'interrompez plus que quelques minutes... Le pauvre
fille
pas, Rosa, je n'ai
étouffait sous ses sanglots.
Cornélius lui prit la main.
— Ecoutez-i7iOi, continua-t-il; voici comment vous céderez. Vous prendrez de la terre dans
Dordrecht. Demandez à Butruysheim,
ma
mon
mon
pro-
jardin de
jardinier,
du
pîate-bande no 6 ;vous y planterez dans une caisse profonde ces trois càieux, ils fleuriront en mai pro-
terreau de
LA TULIPE NOmi".
118
phain, cVst-à-diro dans sopt mois, et
Deur sur sa jours à
les
tigo,
passez les nuits h
sauver du
la
soleil. Elle fleurira noir, j'en suis
sûr. Alors vous ferez prévenir
de Harlem.
Il
de
et l'on
la
fleur,
quand vous verrez la la garantir du vent,
rera constater
président de
le
par le congrès
vous comptera
la société
couleur
la
les cent mille florins.
Ro?a poussa un grand soupir.
— Maintenant, continua Cornélius en essuyant 'ano me
tremblante au bord do sa paupière et qui
née bien plus vait
pas voir
à cette
merveilleuse tulipe noire
était qu'il
q-u'à cette vie qu'il allait quitter,
lar-
don-
ne de-
no déai-
je
re plus rien, sinon que la tulipe s'appelle iÏ05a Bar/ÉB;ms, c'est-à-dire qu'elle rappelle en le
mien,
comme ne
et
même
sachant pas
temps votre
le latin,
nom
ei
biea certaine-
ment, vous pourriez oublier ce mot, tâchez de m'avoir un crayon
et
du papier, que
je
vous
Rosa éclata en sanglots et tendit qui portait les initiales de C.
l'écrive. ub. livre relié
en chagrin,
W.
— Qu'est-ce que cela? demanda prisonnier. — Hélas répondit Rosa, la Bible de votre pauvre le
c'est
I
parrain, Corneille de Wilt. la torture et
Il
y a puisé
trouvée dans cette chambre après l'ai
gardée
portais, car
la force
de subir
d'entendre sans pâlir son jugement. Je
comme une il
me
relique
;
la
mort du martyr,
aujourd'hui
je
l'ai
je
vous l'ap-
lui une Vous n'avez pas eu besoin de cette force mise en vous. Dieu soit louél Ecrivez des-
semblait que ce livre avait en
force toute divine.
que Dieu
avait
sus ce que vous avez à écrire, monsieur Cornélius, ej
quoique
j'aie le
malheur de ne pas savoir
lire,
ce que vottf
écrirez sera accompli.
Cornélius prit la Bible et la baisa respectueusement.
Ut
LA TULIPE NOIRE.
— Avec quoi écrirai-je? demanda— y a un crayon dans Bible, l'ai
Rosa.
Il
y
était,
Jt
conservé.
crayon que Jean de Witt avait prêté à son frère
C'était le
et qu'il n'avait
Ctmélius le
t-il.
dit
la
Il
pas songé à reprendre.
le prit, et
rappelle,
sur la seconde page
mourir à son tour
comme
main non moins ferme
«Ce 23 août
son parrain,
— car, on se — près de
il
écrivit
d'une
:
1672, sur le point de rendre, quoique in-
mon âme
nocent,
,
première avait été déchirée,
la
à Dieu sur
un échafaud,
Rosa
je lègue à
Gryphus le seul bien qui me soit resté de tous mes biens dans ce monde, les autres ayant été confisqués; je lègue, dis-je, à
Rosa Gryphus
tion profonde, doivent la
trois caïeux qui,
ma convic-
dans
donner au mois de mai prochain
grande tulipe noire, objet du prix de cent mille
rins proposé par la société
mon lieu et
touche ces cent mille florins en
mon
unique héritière, à
jeune
homme
de
qu'elle aimera, et
mon
son
» Dieu
me
et le
nom
le
mien
Puis,
déjà dit, je
la Bible à
et
de Rosa Barlœnsis,
réunis.
trouve en grâce et elle en santé
donnant
un
grande tulipe noire qui
la
» Cornélius
— Lisez, — Hélas
comme
âge à peu près, qui l'aimera
de donner à
nom
place et
seule charge d'épouser
la
créera une nouvelle espèce c'est-à-dire
fli?-
de Harlem, désirant qu'elle
Rosa
1
van Baerle.
»
:
dit-il. I
répondit
ne
la
jeune
sais pas lire.
fille
à Cornélius, je vous Vsi
.
LA TULIPE NOIRE.
laO
Alors Cornélius lut h Rosa le testament qu'il venait de iaire.
Les sanglots do
la
pauvre enfant redoubleront.
— Acce[>tez-vous mes condilion.s? demanda en souriant avec mf^lancolio
en baisant
et
le
le
prisonnier
bout des doigts
Ireniblans do la belle Frisonne.
— Oh je ne saurais, monsieur, balbutia-t-ollo. — Vous no sauriez, mon enfant, et pounjuoi donc? — Parce qu'il y a une do ces conditions que je ne sauI
rais tonir.
— Laquelle?
croyais pourtant avoir
j©
dement par notre
fait
accommo-
traité d'alliance.
— Vous me donnez les cent mille florins à do dott — Oui. — Et pour épouser un homme que j'aimerai? — Sans doute — Eh bieni monsieur, cet argent ne peut être h moi. titre
me marierai
ne
Je n'aimerai jamais personne et
pas.
Et après ces mots péniblement prononcés, Rosa fléchit
sur ses genoux et
faillit
s'évanouir de douleur.
Cornélius, effrayé de la voir la
si
pâle et
si
mourante,
allait
prendre dans ses bras, lorsqu'un pas pesant, suivi d'au-
tres bruits sinistres, retentit
dans
les escaliers
accompa-
gné des aboiemens du chien.
— On vient vous chercher mains.
Mon
Dieu l
mon
encore quelque chose à Et elle
—
J'ai
me
tomba à genoux,
et toute suffoquée
1
s'écria
Rosa en se tordant
les
Dieu! monsieur, n'avez-vous pas dire?
la tête
de sanglots
et
enfoncée dans ses bras, de larmes.
à vous dire de cacher précieusement vos trois
LA TULIPE NOIRE. caïeux et
vous
de
— Oh
soigner selon les prescriptions que je
les
ai dites, et
pour l'amoarde moi. Adieu, Rosa.
oui, dit-elle, sans lever la tête,
!
que vous avez
12J
dit,
je le ferai. Excepté de
ta-t-elle tout bas, car cela,
oh
I
oh
me
1
oui, tout ce
marier, ajou-
pour
cela, je le jure, c'est
moi chose impossible. Et elle enfonça dans son
de Cornélius.
Ce celui
palpitant le cheir ^résor
bruit qu'avaient entendu Cornélius et Rosa, c'était
que
damné, la
sein
\
faisait
le greffîer
qui revenait chercher
le
con-
suivi de l'exécuteur, des soldats destinés à fournir
garde de l'échafaud,
et des curieux familiers
de
la pri-
son.
comme
Cornélius, sans faiblesse
sans fanfaronnade, les
reçut en amis plutôt qu'en persécuteurs, et se laissa
poser
telles
conditions qu'il plut à ces
hommes pour
im-
l'exé-
cution de leur office.
coup d'œil
Puis, d'un
nêtre grillée, faud, le gibet,
il
jeté sur la place par sa petite fe-
aperçut l'échafaud, età vingt pas de l'écha-
du bas duquel avaient
été détachées, par or-
dre du stathouder, les reliques outragées des deux frères de Witt.
Quand
il
lui fallut
descendre pour suivre
les
gardes,
Cornélius chercha des yeux le regard angélique de Rosa,
mais
il
ne
vit derrière les
épées et
les hallebardes
qu'un
corps étendu près d'un banc de bois et un visage livide à demi voilé par de longs cheveux. Mais, en tombant
inanimée, Rosa, pour obéir encore
à son ami, avait appuyé sa main sur son corset de velours, et
même
dans
l'oubli
de toute
vie, continuait
ins-
LA TULIPE NOIRE.
122
tinclivcmont à recueillir io dépôt précieux que lui avait conflf^
Cornélius.
El en quittant le cachot, le jouno
dans
les
doigts crispés do Rosa
honamo
la
feuille
pnl entrevoir
jaunAlre de
cette Bihlo sur laquelle Cornélius rie Witl avait
ment
et
SI
douloureusement éciil
eussent infailliblement,
HE
homme
et
une
si
lulipc.
les
si
pénible-
quelques lignes qui
Cornéliuis les avait lues, sauvé
lA TULIPE NOIRE.
133
XII
LEXECUTION.
Cornélius n'avait pas trois cents pas à faire hors de
la
prison pour arriver au pied de son échafaud.
Au bas de
l'escalier le
lement; Cornélius crut
chien
même
le
regarda passer tranquil-
remarquer dans
les yeux du molosse une certaine expression de douceur qui tou-
chait à
compassion.
la
Peut-être le chi n connaissait-il les
condamnés et ne que ceux qui sortaient libres. On comprend que plus le trajet était court de la porte de la prison au pied de l'échafaud, plus il était encombré de mordait- il
curieux. C'étaient ces
sang
mêmes
curieux qui, mal désaltérés par
qu'ils avaient déjà
bu
trois jours
le
auparavant, atten-
daient une nouvelle victime.
Aussi
à peine Cornélius apparut-il qu'un hurlement
,
immense
se prolongea dans la rue, s'éiendit sur toute la
surface de la place, s'éloignant dans les directions différentes des rues qui aboutissaient à l'échafaud, et qu'en-
combrait
la
loule.
Aussi l'échafaud ressemblait à battre le flot de quatre
Au
ou cinq
une
île
que
serait
venu
rivières.
milieu de ces menaces, de ces hurlemens et de ces
vociférations, lius s'était
pour ne pas
les
entendre sans doute, Corné-
absorbé en lui-même.
tu
LA TULIPE NOIRE.
A quoi Ce
pensait co juste qui allait mourir?
n'était ni h ses
ennemis, ni à ses juges, ni à ses bour.
reaux.
aux
C'était
tulipes
Ik^IIos
avec tous
les
iunocensà
de Dieu,
la droite
pourrait regar*
il
où on avait égorgé MM. Jean
pitié cette terre
neille
de Witt pour avoir trop pensé à
allait
ciel,
soiî ailleurs, alors qu'assis
der en
on
du haut du
verrait
(ju'il
soit à Coyl in, soit nu Bengale,
la
et
Cor-
politique, et
où
égorger M. Cornélius vau Baerlé pour avoir trop
pensé aux tulipes. L'affaire d'un
coup d'épée,
mon
disait le philosophe, et
beau rAve commencera.
Seulement restait à savoir
me
à M. do
Thou,
et autres
si
comme
a
M. aoChalais, com-
gens mal tués,
le
bourreau ne
réservait pas plus d'un coup, c'est-à-dire plus d'un marty-
au pauvre
re,
Van
tulipier.
Baerle n'en
monta pas moins résolument
les
degrés
de son échalaud.
y monta orgueilleux, quoiqu'il en eût, d'être i'ami rilustro Jean et le filleul de ce noble Corneille que
Il
de cet
marauds amassés pour
les
le voir
avaient déchiquetés et
brûlés trois j ours a u par avan t. Il
s'agenouilla,
fit
sa prière
,
et
remarqua non sans
éprouver une vive joie qu'en posant sa et
en gardant ses yeux ouverts,
moment
la
il
fenêtre grillée du Buytenhol.
Enfin l'heure de faire ce terrible nélius posa son
à ce
menton sur
moment malgré
tenir plus
tête sur le billot
verrait jusqu'au deraier
résolument
lui ses
le
mouvement arriva
bloc
yeux
l'horrible
humide
et froid
se fermèrent
avalanche qui
ber sur sa tête et engloutir sa vie.
;
,
Cor-
Mais
pour souallait
tom-
LA TULIPE NOIRE.
Un
éclair vint luire sur )e plancher
bourreau
levait
Van Baerle
125
de l'écnataud
dit
adieu à
d'une autre lumière il
le
son épée. la
grande tulipe noire, certain de
se réveiller en disant bonjour à Dieu dans
Trois fois
:
et
un monde
fait
d'une autre couleur.
de l'épée passer sur son
sentit le vent froid
col frissonnant. Mais, ô surprise
ne
Il
sentit ni
ne
Il
vit
I
douleur ni secousse.
aucun changement de nuances.
Puis tout à coup, sans qu'il sût par qui, van Baerle se sentit relever par des
mains assez douces et se retrouva peu chancelant.
bientôt sur ses pieds quelque
rouvrit les yeux.
Il
Quelqu'un Usait quelque chose près de
parchemin Et le
un
scellé
même
soleil,
soleil hollandais,
grillée le regardait
jaune luisait
et pâle
au
comme
ciel, et
la
du haut du Buytenholt,
il
convient à
même
fenêtre
et les
mêmes
le
regardaient du
force d'ouvrir les yeux, de regarder,
d'écouter, van
marauds, non plushurlans mais ébahis, bas de
A
sur un grand
lui,
d'un grand sceau de cire rouge.
Baerle C'est
la
place.
commença de comprendre
ceci.
que monseigneur Guillaume prince d'Orange, crailes dix-sept livres de sang que van
gnant sans doute que
Baerle, à quelques onces près, avait dans le corps ne
fls-
sent déborder la coupe de la justice céleste, avait pris en
son caractère et les sembians de son innocence. En conséquence, Son Altesse lui avait fait grâce de
pitié
vie.
— Voilà
flet sinistre,
pourquoi l'épée, qui
s'était
la
levée avec ce re-
avait voltigé trois fois autour de sa tête
com-
LA TULIPE NOIRE.
128
me
l'oiseau funèbre autour de celle
de Turnus, mais ne
s'était point abattue sur sa tête et avait laissé intacts les
ertèbres. \o\\h pourquoi
il
n'y avait eu ni douleur ni secousse.
Voilà pourquoi encore
zur médiocre,
il
le soleil
mais
est vrai,
continuait * rire dans très rupportable des
l'a-
voû-
tes célestes.
Cornélius, rui avait espéré Dieu et
le
panorama
tulipi-
un peu désappomté, mais il se consola en faisant jouer avec un certain bien-être les ressorts intelligeiis do cotte partie du corps que les Grecs appelaient trachelos et que nous autres Français nous nomque de
l'univers, fut bien
mons modestement le
col.
Et puis Cornélius espéra
bien
que
ta
grâce était com-
plète et qu'on allait le rendre à la liberté et h ses plates-
bandes de Dordrecht. Mais Cornélius se trompait,
me
temps
lettre,
dans
Mme
et le
comme
le disait
vers
le
mê-
y avait un poRt scriptum h la plus important de cette lettre était renfermé de Sévigné,
il
\e post-scriptum.
Parce post-scriptum, Guillaume, stathouder do Hollancondamnait Cornélius van Baerle à une prison perpé-
de,
tuelle. Il
était trop
peu coupable pour
coupable pour
la
mort, mais
il
était trop
la liberté.
Corneille écouta donc
le post scriptum, puis,
après
première contrariété soulevée parla déception que
la
le post-
icriptum apportait,
— Bahl pensa-t-il, tout n'est perpétuelle a du bon.
Il
y
a
pas perdu. La réclusion
Rosa dans
la réclusion
perp»^-
LA TULIPE NOIRE. tuelle.
y a encore aussi mes
Il
127
caïeux de la tulipe
trois
noire.
Mais Cornélius oubliait que
les
Sept Provinces peuvent
avoir sept prisons, une par province, et que le pain du pri-
sonnier est moins cher ailleurs qu'à
Haye, qui
la
est
une
capitale.
Son Altesse Guillaume, qui n'avait point, moyens de nourrir van Baerle à
raît, les
à ce qu'il pala
Haye,
l'en-
voyait faire sa prison perpétuelle dans la forteresse de Loewesteln, bien près de Dordrecht, hélas
l
mais pourtant bien
loin.
Car Loewestein, disent te
de
les
que forment, en
l'Ile
géographes, est situé à
face
de Gorcum,
le
la poin-
Wahal
et la
Meuse.
Van Baerle savait assez l'histoire de son pays pour ne pas ignorer que le célèbre Grotius avait été renfermé dans ce
château après
la
mort de Barneveldt,
et
que
les états,
dans
leur générosité envers le célèbre publiciste, jurisconsulte, historien, poète, théologien, lui avaient accordé
me
une som-
de viagt-quatre sous de Hollande par jour pour sa
nourriture.
— Moi qui on
Baerle,
suis bien loin
me
vivrai fort mal,
de valoir Grotius, se
geux
1
s'écria Cornélius,
!
et
que
van et je
mais enfin je vivrai.
Puis tout à coup frappé d'un souvenir terrible
— Ah
dit
donnera douze sous à grand'peine,
le terrain est
:
que ce pays est humide
mauvais pour
les tulipes
et
nua-
1
Et puis Rosa, Rosa qui na sera pas à Loewestein, mur-
mura-t-il en laissant tomber sur avait bien
manqué de
laisser
la
poitrine sa tête qu'ii
tomber plus bas.
LA TULIPE NOIRE.
128
XIII
CE QUI SE PASSAIT PENDANT CE TEMPS-LA DANS L'AMR d'un SPECTATEUR.
Tandis que Cornélius réfléchissait do s'était
Ce carrosse ter
il
;
la sorte,
un carrosse
approché de l'échafaud. était
pour
prisonnier.
le
On
l'invita
à y
mon-
obéit.
Son dernier regard
fut
pour
le
Buytenhof.
espérait
Il
voir à la lenélre le visaf?e consolé de Rosa, mais le carrosse était attelé de bons chevaux qui emportèrent tôt
te
van Baerle du sein des acclamations que multitude en
un
der, avec
de Witt
Ce qui
—
Il
et
de leur
est bien
magnanime
très
mélange d'invectives
filleul
faisait dire
faire justice
du
l'honneur
certain
sauvé de
la
aux spectateurs
stalhou-
à l'adresse des
mort. :
heureux que nous nous soyons pressés de
de ce grand scélérat de Jean
quin de Corneille, sans quoi
la
ci
et
de ce
petit
co-
clémence de son Altesse nous
les eût bien certainement enlevés
enlever celui
bien-
vocilérait cet-
comme
elle vient
de nous
t
Parmi tous ces spectateurs que l'exécution de van Baêrsur le Buytenhof , et que la façon dont la
le avait attirés
chose avait tourné désappointait quelque peu,
le plus
dé-
sappointé certainement était certain bourgeois vêtu pro-
prement
et qui
depuis le malin avait
si
bien joué des
pieds et des mains qu'il en était arrivé à n'être séparé de
'Hh
LA TULIPE NOIRE.
129
l'échalaud que par la rangée de soldats qui entouraient l'instrument
Beaucoup
du
supplice.
montrés avides de voir couler le ; mais nul n'avait mis
s'étaient
sang perfide du coupable Cornélius
dans l'expression de ce funeste désir l'acharnemeni qu'y avait mis le bourgeois
en question.
Les plus enragés étaient venus au point du jour sur le Buytenhofi pour se garder une meilleure place
devançant
la prison, et
de
comme nous uns .
prison
avons
était arrivé
il
unguibus
dit,
quand
lui,
au premier rang,
et ro$tro, caressant
les
bourreau avait amené son condamné sur
le
monté sur une borne de la fonmieux vu, avait fait au bour-
l'échafaud, le bourgeois, taine
mais
frappant les autres.
et
Et
la
;
enragés, avait passé la nuit au seuil de
les plus
pour mieux voir
reau un geste qui
et être
signifiait
:
— C'est convenu, n'est ce pas? Geste auquel
le
bourreau avait répondu par un autre
geste qui voulait dire
—
:
Soyez donc tranquille.
Qu'était
bourreau
donc ce bourgeois qui paraissait et
que voulait
Rien de plus naturel ; ce bourgeois Boxtel, qui depuis l'arrestation
nous l'avons vu, venu à prier les trois caïeux
de
si
Dieu avec fe
dire cet éciiange de gestes?
la
était
de Cornélius
mynher était,
Isaac
comme
Haye pour essayer de s'appro-
la tulipe noire.
Grypbus dans ses du boule dogue pour la fidécoups de crocs. Il avait en consé-
Boxtel avait d'abord essayé de mettre intérêts, lité, la
quence iivait
mais
celui-ci tenait
défiance et les pris
évincé
à
rebrousse-poil la haine de
comme un
fervent
Boxtel, qu'il
ami s'enquérant de cho-
LA TULIPE NOIRE.
130
moyen
ménager ccrtainemeDl
pour
indiflén-ntes
ses
queltjue
d'évasion au prisonnier.
Aussi,
aux prttmères propositions que Boxlei avait
(ailes
Gryphus, de soustraire les caieuique devait cacher, sinon dans sa poitrine, du moins dans quelque coin de son
â
cachot, Cornélius van
Baerle,
Gryphus
répondu
n'avait
que par une expulsion accompagnée des caresses du chien de
l'esr^lier.
un lond de culotte aux dents du molosse. Il était revenu à la charge ; mais cette lois, Gryphus était dans t^on lit, fiévreux et le Boxtel ne s'était pas découragé pour
resté
bras cassé. qui
n'avait
11
en échange des quoi
la
même admis
donc pas
retourné vers Rosa
s'était
trois caïeui,,
noble jeune
fille,
,
une
vol qu'on lui proposait de taire,
bien payer, avait renvoyé le
jeune
quoique ignorant encore
du
ritier
la
coitfure d'or pur.
si
non-seulement
le pétitionnaire,
ollrant à
le
la
fille,
Ce
de
et (ju'on lui offrait
tentateur au
à
valeur
bourreau,
dernier juge, mais encore le dernier hé-
du condamné.
Ce renvoi
fit
naître
Sur ces entrefaites
jugement expéditif,
une idée dans ,
le
que
lui
de Boxtel.
jugement avait été prononcé
comme on
temps de corrompre personne. ce à l'idée
l'esprit
donc
voit. Isaac n'avait Il
s'arrêta
avait suggérée Rosa;
il
;
le
en conséquenalla
trouver
le
bourreau. Isaac ne doutait pas tulipes sur le
En
effet,
que Cornélius ne mourût avec
cœur.
Boxtel ne pouvait deviner deux choses
Rosa, c'est-à-dire l'amour;
Guillaume, c'est-à-dire
la
clémence.
:
ses
LA TULIPE NOIRE. Moins Rosa
et
moins Guillaume,
131
les calculs
de l'envieux
étaient exacts.
Moins Guillaume, Cornélius mourait. Moins Rosa, Cornélius mourait, ses caïeux sur son cœur.
Mynher à cet les
Buxtel alla
donc trouver
et
moins
bijoux d'or et d'argent qu'il laissait à l'exécuteur,
acheta toute la défroque du futur
un peu exorbitante de cent Mais qu'était-ce qu'une
homme de
bourreau, se donna
le
homme comme un grand ami du condamné,
à
de
la
il
somme
florins.
somme
de cent florins pour un
peu près sûr d'acheter pour
la société
C'était
mort pour
celte
somme le
prix
de Harlem? mille pour un, ce qui est,
l'arjîent prêté à
on conviendra, un assez
joli
on
placement.
Le bourreau, de son côté, n'avait rien ou presque rien a faire
pour gagner ses cent
l'exécution finie, laisser
florins.
mynher
Il
devait seulement,
Boxtel monter sur l'écha-
faud avec ses valets pour recueiUir les restes inanimés de
son ami.
La chose au reste était en usage parmi les fidèles quand un de leurs maîtres mourait publiquement sur le Buytenhoff.
On fanatique comme l'était
Cornélius pouvait bien avoir
ua autre fanatique qui donnât cent florins de
ses reliques.
Aussi le bourreau acquiesça -t-il à la proposition. avait
mis qu'une seule condition,
c'est qu'il serait
Il
n'y
payé d'a-
vance. Boxtel, faire
,
comme les gens qui
entrent dans les baraques de
pouvait n'être pas content et par ronséqnen4 ne
pas vouloir payer en sortant. Boxtel paya d'avance et attendit.
LA TULIPE NOIIŒ.
2
lit
Qu'on juge après cola la,!
si
Boxlol élait
gardes, grolfior, exécuteur,
Bdorle,
inriuiétaieul:
1
comment
si
comment
le
surveil-
s'il
se placerait-il sur le billot,
;
eu soin au moins
avait-il
eulercmer dans une boîte d'or, par
les
étant
ému,
inouvemons do van
tomborait-il; en tombant n'écraserail-il pas dans
sa chute les inestimables caieui
de
les
exemple,
l'or
plus dur do tous les métaux.
Nous n'enlreproadrons pas do
décrire
produilsur
l'effet
ce digne mortel par i'empôchement apporté à l'exécution
de
A
sentence.
la
reau à
faire
de Cornélius au
tirant
;
la
Boxtel ne (ut plus un
homme. La rage du
du serpent
et
son geste ; sur
s'il
lai et l'eût
grâce accordée par
éclata
stathouder,
le
tigre,
eût été à portée de van Baerle,
il
la
hyè-
cri,
dans
de
dans ses yeux, dans son
se fût jeté
assassiné.
Loewes-
Ainsi donc, Cornélius vivrait, Cornélius irait à tein
là,
;
bourla tôle
la
kcture publique de
ne
le
cette tête njais quand i' main du condamné, le relever tout de sa poche un parchemin ; quand il entendit la lieu d'abattre
grelûer prendre
vit le
en
quoi perdait donc son temps
flamboyer son épéo ainsi au-dessus do
dans sa prison,
être se trouverait
il
il
emporterait les caieux, et peut
un jardin où
il
arriverait à faire fleu-
tjr latulipe noire. Il
est certaines
catastrophes que la
vre écrivain ne peut décrire,
plume d'un pau-
et qu'il est obligé
de livrer
à l'imagination de ses lecteurs dans toute la simplicité du fait.
Boxtel, gistes
pâmé, tomba de sa borne sur quelques orancomme lui de la tournure que venait
mécontens
de prendre sés par
l'affaire.
mynher
Isaac
Lesquels, pensant que
li\s
étaient des cris de joie,
cris le
pous-
bourré-
LA TULIPE NOIRE.
133
rent de coups de poing, qui certes n'eussent pas été
donnés de
l'autre côté
du
mieuT
détroit.
Mais que pouvaient ajouter quelques coups d^ poing à
que ressentait Boxtel
la ri.ouleur Il
voulut alors
I
courir après le carrosse qui emportait
Cornélius avec ses caïeux. Mais dans son empressement, ih? vit
il
pas un pavé, trébucha, perdit son centre de gravité, h dix pas et
roula
que toute
la
ne se releva que
fangeuse populace de
foulé, meurtri, et lorsla
Haye
lui
eut passé
sur le dos.
Dans cette circonstance encore, Boxtel, qui
était
enveiae
de malheur, en fut donc pour ses habits déchirés, son dos meurtri et ses mains égratignées.
On
aurait
pu croire que
c'était assez
comme
cela pour
Boxtel.
On
se serait trompé.
Boxtel , remis sur ses pieds, s'arracha le plus de cheveux qu'il put, et les jeta
che Ce
et
en holocauste à cette divinité farou-
insensible qu'on appelle l'Envie.
fut
une offrande sans doute agréable à
qui n'a, dit la mythologie, lure.
cette déesse
que desserpens en guise de
coif-
LA TULIPE NOllŒ.
|;i.l
XIV
LES PIGEONS DE DORDBBCHT.
C'était déjà certes
van Baerle que
d'être
un grand honnear pour Cornélius enfermé j ustement dans celte même
prison qui avait reçu le savant M. Grotias.
Mais une
grand
fois arrivé
l'attendait.
l'illustre
quand
la
Il
à
la
prison un, honneur bien plus
se trouva
que
la
chambre habitée par
ami de Barnoveldt était vacante à Loewostein, clémence du prince d'Orange y envoya le tulipier
van Baorle.
chambre avait bien mauvaise réputation dans le châà l'imagination de sa femme, M. Grotius s'en était enfui dans le fameux coffre à livres qu'on Cette
teau depuis que, grâce
avait oublié de visiter.
D'un autre côté, cela parut de bien bon augure à van Baerle,
que
cette
chambre
enfin, jamais,
lui fût
donnée pour logement
selon ses idées
à
lui,
faire habiter
ô un second pigeon
mier
facilement envolé.
s'était si
La chambre
est historique.
notre temps à en consigner
côve
i^ui
être
vue.
;
comme
car
Nous ne perdrons donc pas les détails, sauf une al-
ici
avait été pratiquée pour
une chambre de prison
la
;
un geôlier n'eût dû cage d'où un pre-
madame
Grotius. C'éTâlt
les autres, plus élevée peut-
aussi, Dar la fenêtre grillée,avait-on
une charmante
LA TULIPE NOraE. L'intérêt
de notre histoire d'ailleurs
un certain nombre de descriptions
135 n*?
consiste pas dans
d'intérieur.
Pour van
Baerle, la vie était autre chose qu'un appareil respiratoi-
Le pauvre prisonnier aimait au delà de sa machin© pneumatique deut choses dont la pensée seulement, cette libre voyageuse, pouvait désormais lui fournir la posre.
session factice.
Une
et l'autre à
jamais per-
lui.
trompait par bonheur,
se
Il
une femme, l'une
et
fleur
dues pour
le
bon van Baerle Dieuy I
moment où il marchait à l'échalaud, regardé sourire d'un père, Dieu lui réservait au sein mê-
qui l'avait, au
avec
me
le
de sa prison, dans
la
tence la plus aventureuse
chambre de M. Grotius, l'exisque jamais tulipier ait eue en
partage.
Un
matin, à sa fenêtre, tandis qu'il humait
montait du
une
re
patrie,
Wahal
forêt il
vit
et qu'il admirait
de cheminées»
les
dans
l'air frais
moulins de Dordrecht sa
pigeons accourir en foule de ce point
des
de l'horizon et se percher tout frissonnant au les
qui
le lointain, derriè-
soleil
sur
pignons aigus de Loewestein.
Ces pigeons, se
dit
van Baerle, viennent de Dordrecht et
y peuvent retourner. Quelqu'un qui attacherait un mot à l'aile de ces pigeons courrait la chance par conséquent
ils
de faire passer de ses nouvelles à Dordrecht,
où on
le
pleare. Puis, après
un moment de
rêverie,
Ce quelqu'un-là, ajouta van Baerle, ce sera moi.
On
est patient
condamné à une
quand on a vingt-huit ans
et
qu'on est
prison perpétuelle, c'est-à-dire à quelque
LA TULIPE NOIRE.
136
comme TiDgt- deux ou
chose
vingt-trois mille jours
iie
pii-
SOD.
Van Baerlo, pensée bat
le
tout
battait
en pensante ses trois caioux, car cottf au fond do sa mémoire conimo
toujours
cœur au fond do
îout en pensant à ses Il
la poitrine,
van
trois caieux, su
Baerle, disons-aous,
lit
un piégo à pigeons.
tenta ces volatiles par toutes les ressources de sa cui-
sine, dix-huitsous de Hollande par ce,
— et au
jour,— 12 sous de Fran-
bout d'un mois de tentations iulruclueuses,
il
une femelle. Il mit doux autres mois à prendre un mâle; puis il les enterma ensemble, et vers le commencement de l'année prit
1673, ayant obtenu desœuls, fiaate
dans
le niâle
il
lâcha
la
femelle, qui, con-
qui les couvait à sa place, s'en alla
toute joyeuse à Dordrecht avec son billet sous son aile. Elle revifit le soir.
Elle avait conservé le billet. Elle
le
garda ainsi quinze jours, au grand désappoin-
tement d'abord, puis ensuite au grand désespoir de van Baerle.
Le seizième jour eoûn elle revint à vide. Or, van Baerle adressait ce bilJet à sa nourrice, Frisonne, et suppliait les
âmes
charitables qui
la vieille le
trou-
veraieni de le lui faire remettre le plus sûrement et le plus
promptoment possible. Dans cette lettre, adressée à sa nourrice, tit billet
il
y avait un pe-
adressé à Rosa.
Dieu, qui porte avec son souffle les grains de ravenilles
sur les murailles des vieux châteaux et qui les
dans UD peu de
pluie.
fait fleurir
Dieu permit que la nourrice de V4n
Baerie reçût celte lettre.
LA TULIPE NOIRE. Et voici
comment
137
;
En quittant Dordrecht pour la Haye et 1& Haye pour Gorcum, mynhor Isaac Boxtel avait abandonné non seulement sa maison, non seulement son dome^Uque, aon seulement son observatoire, non seulement ses télescopes, mais en* core ses pigeons.
Le domestique, qu'on avait laissé sans gages, commença manger le peu d'économies qu'il avait, puis ensuite il
par
se mit à
manger
Ce que voyant
les pigeons.
les pigeons, ils
émigrèrent du
toit d'Isaac
Boxtel sur le toit de Cornélius van Baerle.
La nourrice
était
un bon cœur qui
quelque chose. Elle se
prit
avait besoin d'aimer
de bonne amitié pour les pi-
geons qui étaient venus lui demander l'hospitalité, et quand le domestique d'Isaac réclama pour les manger les deuze
ou quinze derniers comme quinze premiers, six
avait
mangé
douze ou moyennant
les
les lui racheter,
sous de Hollande la pièce.
C'était le
il
de
elle ofirit
le
double de ce que valaient
les pigeons; aussi
domestique accepta-t-il avec une grande
joie.
La nourrice se trouva donc légitime propriétaire des pigeons de l'envieux. C'étaient ces pigeons mêlés à d'autres qui, dans leur pérégrination, visitaient
la
Haye, Loewenstein, Rotterdam,
allant chercher sans doute
du
blé d'une autre nature
,
du
chènevis d'un autre goût.
Le hasard, ou -plutôt Dieu, Dieu que nous voyons, nous, au fond de toute chose , Dieu avait lait que Coraélius van Baërle avait pris justement
H en
résulte
que
si
un de
ces pigeons-là.
l'envieux n'eût pas quitté Dordrecht
pour suivre son rival à
la
Haye d'abord, puis ensuite à S.
LA TULIPE NOIRE.
138
Gorcum ou
n'étant séparées
calités
de
kl
de
la
à Looweslein,
comme on
que par
la
voudra,
les
doux
Wahal
jonction du
lo-
et
Meuse, c'eût été entre ses mains et non entre celles nourrice que lût tombé
de sorte qur
le
par van Baerle»
le billet écrit
pauvre prisonnier,
comme
corbeau du
le
son temps et ses peines, et
savetier romain, eût perdu
qu'au lieu d'avoir à raconter les événemens variés qui, pareils à
un
tapis
aux mille couleurs, vont se dérouler
sous uolro plume, nous n'eussions eu
gue série de jours, manteau de la nuit. Le
tomba donc dans
billet
les
qu'une lon-
h décrire
pâles, tristes et
comme
sombres
mains de
la
le
nourrice
de van Baerle. Aussi vers les premiers jours de février,
mières heures du soir descendaient du
comme
pre-
les
der-
ciel laissant
rière elles les étoiles naissantes, Cornélius entendit dans l'escalier Il
de
porta la
C'était la
une voix qui le fit main à son cœur et écouta.
la tourelle
voix douce et harmonieuse de Rosa.
Avouons-le, Cornélius ne fut pas si
l'espoir sous
lui
avait
étourdi de surprise,
son aile vide,
en échange de sa et
connaissait Rosa, à avoir,
des nouvelles de son Il
la
si
extravagant de joie qu'il l'eût été sans l'histoire du
geon. Le pigeon
il
tressaillir.
amour
il
s'attendait
si le billet lui
et
lettre
pi-
rapporté
chaque jour, car avait é\A remis,
de ses caïeux.
se leva, prêtant l'oreille, inclinant le corps
du côté de
porte.
Oui,
c'étaient bien les accens qui l'avaient
ému
si
dou-
cement à La Haye. Mais maintenant Rosa, qui avait
à Loewestein
;
fait le
voyage de La Haye
Rosa aui avait réussi, Cornélius ne savait
LA TULIPE NOIRE. comment, à pénétrer dans elle aussi
prison
la
13»
Rosa parviendrait-
;
heureusement à pénétrer jusqu'au prisonnier.
Tandis que Cornélius, à ce propos, échafaudait pensée sur pensée, désirs sur inquiétudes, le guichet placé à la porte de sa cellule s'ouvrit, et Rosa brillante de joie, de
parure, belle surtout du chagrin qui avait pâli ses joues
depuis cinq mois, Rosa colla sa figure au grillage de Cor-
en
nélius
lui disant
— Oh monsieur
1
:
me
monsieur,
voici.
Cornélius étendit les bras, regarda le ciel et poussa un cri
de joie.
— Oh Rosa, Rosa — Silence parlons — Votre père ? — Oui, est dans
I
I
1
cria-t-îi.
bas,
mon
père
me
jeune
suit, dit la
fille.
la cour au bas de l'escalier, du gouverneur, il va monter. tes, instructions du gouverneur ?... il
là
reçoit
il
les instructions
— — mots
Ecoutez, :
je vais
tâcher de tout vous dire en deux
Le stathouder a une maison de campagne à une de Leyde, une grande
lieue
ma tante,
laiterie
pas autre chose
sa nourrice, qui a la direction de tous les
qui sont renfermés dans cette métairie. Dès que votre lettre, votre lettre que je n'ai pas pu
mais que votre nourrice m'a
quand
il
y
vint,
je
lui
demandai que
troquât ses fonctions de premier perte -clefs de
de
la
Haye contre
de Loewestein.
Il
les fonctions
sorte
de geôlier à
ne se doutait pas de
connu, peut-être eût-il refusé
— De
que vous
j'ai
lire,
couru chez
^'est
reçu
hélas
I
ma tante,
ce que le prince vînt à la laite-
là je suis restée jusqu'à rie, et
lue, j'ai
:
animaux
voilà
;
mon
au contraire,
la
père
prison
la forteresse
but il
mon
;
s'il
l'eût
accorda.
La TUUPE NOIRE.
140
— Comme vous voyez. — Do sorto quo vous verrai tous — Le plus souvent quo jo pourrai. — Rosa ma belle madone Rosa jo
t
les jours T
1
dit Cornélius,
vous
m'aimez donc un peu?
— Un peu... dit-elle,
oh-l
vous n'ôlos pas assez exigeant,
monsieur Cornélius. Cornélius
lui tendit
passionnément
les
mains, mais leurs
doigts seuls purent se toucher à travers le grillage.
—Voici mon père
I
dit la
jeune
fille.
Et Rosa quitta virement la porte et s'élança vers le vieux
Gryphus qui
apparaissait au liaut de l'escalier.
LA TULIPE NOIRE.
141
XV LE GUICHET.
Gryphus Il
nût
était suivi
lui laisait faire sa
du molosse. ronde pour qu'à l'occasion
il
recon-
les prisonniers.
— Mon
père, dit Rosa, c'est
ici
la
fameuse chambre
d'où M. Grotius s'est évadé; vous savez, M. Grotius?
— Oui, oui, ce coquin de Grotius; un ami de co scélérat deBaroeveldt, quej'ai vu exécuter quaad Grotius
Eh
I
ah ah I
I
c'est
bien, je réponds
de cette chambre
que personne ne
j'étais
qu'il s'est
enfant.
évadé.
s'en évadera après
lui.
Et,
en ouvrant
la porte,
il
commença dans
l'obscurité
son discours au prisonnier.
Qaant au chien, il alla en grognant flairer les mollets du prisonnier, comme pour lui demander do quel droit il n'était pas mort, lui qu'il avait vu sortir entre le greffier et le bourreau.
Mais la belle fiosa l'appela, et
— Monsieur,
le
molosse vmt à
elle.
Gryphus en levant sa lanterne pour tâcher de projeter un peu de lumière autour de lui, vous voyez en moi votre nouveau geôlier. Je suis chef des porte-clefs et j'ai les chambres sous ma surveillance. Je ne
suis pas
dit
méchant, mais je suis inflexible pour tout ce
qui concerne la disciplme.
LA TULIPE NOIRE.
192
—
Mais je vous connais parfaitement,
mon
cher
mon-
sieur Gryphus, dit le prisonnit
promis de v(Miir causer avec, Le lendemain,
tait
hcuros Rosa avait
nf>ul
monta comme
mômes
aveu
la veille,
prtVautions.
(!t
(l
— Ali par cxi'm[)lo cola pourrait bion — Voulez-vous vous on assurer? — Bt de quelle façon? — Oh chose bien — — Allez demain au jardin; lAchez, comme
tulipe
être, s'écria
1
!
!
ma
amoureux.
qu'il était
c'est
Rosa.
facile.
Dites.
fois,
que Jacob sache (luevousy
première
lois, qu'il
laites
vous verrez ce
(}u'il
première
comme
la
semblant d'enterrer
le
du jardin, mais regardez à travers
caïeu, sortez et
vous suive;
la
allez; tdrhez,
porto,
la
fora.
— Bien! mais après? — Après comme agira, nous agirons. — Ah dit Rosa en poussant un soupir, vous aimez bie» il
1
I
vos oignons, M. Cornélius.
— Le
fait est,
dit le
prisonnier avec
un
soupir, que de-
puis que votre père a écrasé ce malheureux caïeu
semble qu'une portion de
— Voyons
I
dit
Rosa
ma
,
il
me
vie s'est paralysée.
voulez- vous essayer autre chosb
,
encore?
— Quoi? — Voulez-vous accepter proposition de mon père? — Quelle proposition — vous a offert des oignons de tulipes par centaines — C'est vrai. — Acceptez-en deux ou et au milieu de ces deux la
I
Il
trois,
ou
trois oignons,
vous pourrez élever
-^ Oui, co serait bien,
dit
Cornélius
le
troisième caieu.
le sourcil froncé, si
LA TULIPE NOIRE.
175
Vôtre père était seul; mais cet autre, ce
Jacob, qui nous
épie...
— Ahl privez
c'est
vrai; cependant, réfléchissez! vous vous
d'une grande distraction.
\h, je le vois,
prononça ces paroles avec un sourire qui
Et elle
n'était
pas entièrement exempt d'ironie.
un instant, il était facile un grand désir. —Eh bien, non s'écria-t-il avec un stoïcisme tout antique, non ce serait une faibless j, ce serait une folie, ce seEn
effet, Cornélius
de voir
réfléchit
qu'il luttait contre 1
1
rait
une lâcheté!
chances de
la
si je livrais
à toutes les mauvaises
ainsi
rolère et de l'envie
qui nous reste, je serais
la
ressource
dernière
unhommo indigne de pardon. Non
I
Rosa, nonl demain nous prendrons une résolution à l'en-
vous
droit de votre tulipe; tions; et quant
profondément,
la
cuh'verez selon mes instruc-
au troisième caïcu
—
,
—
Cornélius soupira
quant au troisième, gardez-le dans votre
armoirel gardez-le
comme l'avare garde sa première ou sa comme la mère garde son Gis, com-
dernière pièce d'or,
me
le blessé
garde sa suprême goutte de sang de ses vei-
nes; gardez-le, Rosa tre salut,
du
que
là
quelque chose
1
est notre richesse
me
que là
dit
gardez-loi et
est
no-
si le
feu
tombait sur Loevestein, jurez-moi, Rosa, qu'au lieu
ciel
bijoux, qu'au lieu de ce
de vos bagues, qu'au lieu de vos
beau casque d'or qui encadre moi,
1
Rosa, que vous
renferme
ma
emporterez ce dernier
cla
:
— Oh
vînt point ce soir-l?ï
au fur
puis, se rappelant
ce
un sou-
oui, disent-ils avec
1
Le cela do Cornélius,
lit
1
deman-
Ircssaillont, so
tressailli,
et
la
c'était
comme
à mesure (^uo
crainto que Rosa
ne
d'habitude.
la
nuit s'avançait, la préoccu-
pation devenait plu? vivo et plus présente, jusqu'à ce qu'en-
préoccupation s'emparAt de tout
fin cette
nélius, et qu'il n'y
eût plus
le
corps do Cor-
qui vécût en
(qu'elle
lui.
Aussi fut-ce avec un long battement do cœur qu'il salua l'obscurité; à
mesure quo
qu'il avait dites la veille la il
pauvre se
fille,
l'obscurité croissait, les paroles
à Rosa, et
(]ui
avaient tant a filigé
revenaient plus présentes h son esprit, et
demandait comment
il
avait
pu dire à sa consolatrice
de le sacrifier à sa tulipe, c'est-à-dire de renoncer à si
besoin
était,
quand chez
nue une nécessité de sa
De
la
lui la
vue de Rosa
était
de
deve-
vie.
chambre do Cornélius on entendait sonner
res à l'horloge
le voir
la forteresse.
les
heu-
Sept heures, huit heures,
puis neuf heures sonnèrent. Jamais timbre de bronze ne vibra plus profondément le
marteau frappant
lo
au iond d'un cœur que ne neuvième coup marquant
le
fit
cette
neuvième heure. Puis tout rentra dans lo silence. Cornélius
appuya
la
main sur son cœur pour en étouffer les bâttemens, et écouta. Le bruit du pas de Rosa, lo Iroissement de sa robe aux de
mârclios
l'escalier, lui
premier degré monté par
— Ah Ce
!
étaient elle,
il
si
familiers que, dès le
disait
:
voilà Rosa qui vient.
soir-là
aucun
bruit
ne troubla
le silence
du corridor ;
LA TULIPE NOIRE. i'horloge
marqua neuf heures un
dilférens
neuf heures
ISl
deux sons demie; puis neuf heures trois quarts; puis enfin desa voix grave annonça non-seulement aux hôtes do
quart. Puis sur
et
mais encore aux habitans de
la forteresse,
Loevestein, qu'il était dix heures.
à laquelle Rosa quittait d'habitude Corné-
C'était l'heure
L'heure était sonnée et Rosa n'était pas encore venue.
/ius.
donc, ses pressentimens ne l'avaient pas trompé;
Ainsi
Rosa irritée se tenait dans sa chambre
et l'abandonnait,
— Oh
!
j'ai
bien mérité ce qui m'arrive,
Oh
1
elle
ne viendra
lius.
venir;
Corné-
disait
pas, et elle fera bien
de ne pas
à sa place, certes, j'en ferais autant.
Et malgré cela, Cornélius écoutait, attendait et espérait toujours.
écouta et attendit ainsi jusco'à minuit, mais à mi-
li
nuit
il
cessa d'espérer et, tout habillé, alla se jeter sur son
lit.
La nuit
fut
longue
et triste, puis le jour vint;
mais
le
jour n'apportait aucune espérance au prisonnier.
A
du matin, sa porte
huit heures
nélius ne
détourna
même
pas
pas pesant de Gryphus dans
la
s'ouvrit
tête,
le corridor,
il
:
mais Cor-
avait entendu le
mais
il
avait par-
faitement senti que ce pas s'approchait seul. Il
ne regarda
£t cependant
môme il
pas du côté du geôlier.
eût bien voulu l'interroger pour
a^anderdes nouvellesde Rosa.
Il
fut
sur le point,
si
ge qu'eût dû paraître cette demande à son père, de cette
drait
demande. que sa
II
espérait, l'égoïste,
fille était
la
de_
étran-
lui faire
que Gryphus lui répon-
malade.
A moins d'événement jamais dans
lui
extraordinaire, Rosa n«
venait
journée. Cornélius, tant que dura le 11
jk>ur,
LA TULIPE NOIRE,
iSi
donc
n'allendit
raens
.subits, à
en
f)oint
réalité.
regard ra{)ide interrogeant sonnier avail tion à
A
la
la
de sa voiï
la
porte, à son le pri-
do Gryphus, Cornélius, contre tous
visite
la
demandé au vieux
plus douce, des nouv(!lles de
comme un
Gryphus, laconique
A
ia
guichet, on voyait que
sourde espérance que Rosafi Tait une Infrac-
ses antécédens, avait
— Ça
le
habitudes.
.SCS
seconde
répondre
Copondant, à ses trossailUv
son oreille tendue du coté do
geôlier, et cela
sa sanlé
;
mais
Spartiate, s'était borné à
:
va bien.
troisième visite, Cornéliu= varia
la
terme de
l'inter-
rogation.
— Personne n'est malade h Loevestein? demanda-t-il. — Personne! répondit plus laconiquement encore que première
la
fois
Gryphus, en fermant
la
porto au nez de
son prisonnier.
Gryphus, mal habitué à de pareilles gracieusetés de la part de Cornélius, y avait vu de la part de son prisonnier
un commencement do tentative de corruption. Cornélius se retrouva seul;
les
était sept
heures du soir; la veille
angoisses que nous avons essayé de décrire.
Mais,
ner
il
un degré plus intense que
alors se renouvelèrent à
la
comme
la veille,
douce vision qui
les
heures s'écouleront sans ame-
éclairait, à travers le guichet, le ca-
chot du pauvre Cornélius, et qui, en se retirant, y laissait
de
la
lumière
pour tout
Van Baerle passa
la
le
temps de son absence.
nuit dans
un
Le lendemain, Gryphus lui parut plus désespérant encore que d'habitude
véritable désespoir.
laid, plus brutal, plus
: il
lui était
passé par
LA TULIPE NOIRE. ou plutôt par
l'esprit, ^,ui
183
cœur, cette espérance que
le
c'était
qui enapêchait Rosa de venir.
Il lui prit des envies féroces d'étrangler Gryphus; mais Gryphus étranglé par Cornélius, toutes les lois divines et humaines défeadaient à Rosa de jamais revoir Cornélius.
Le geôlier échappa donc, sans grands dangers
plus
Le
s'en
douter,
un des
à
eût jamais courus de sa vie.
qu'il
soir vint et le désespoir tourna
en mélancolie
;
cette
mélancolie était dautant plus sombre que, malgré
van
Baërle, les souvenirs de sa pauvre tulipe la
On en
douleur qu'il éprouvait.
époque du mois indiquent lipes
;
que
d'avril
comme
le
:
vous devez mettre
le caïeu
lendemain,
à
le fixer
Je vous indiquerai
en
terre.
si
Rosa
tard
allait laisser
de voir avorter ,
ou
même
si
doux, malgré leur pâ-
passer le temps de
le
caïeu,
Ce
le
la
fille
pour avoir
plantation
il
;
se joignait
été planté troj.
pour n'avoir pas été planté du tout
De ces deux douleurs léunies, perdre
devait, le
un peu humide, commençait du soleil d'avril,
à la douleur de ne pas voir la jeuRe
celle
jour où
le il
ces pâles rayons
qui venant les premiers semblent leur. Si
Ce jour,
soirée suivante. Le temps était bon,
la
l'atmosphère, quoique encore
à être tempérée par
était arrivé juste à cette
les jardiniers les plus experts
point précis de la plantation des tu-
avait dit à Rosa
il
mêlaient à
se
l
y avait certes de quoi
boire et le manger.
fut ce qui arriva le
C'était pitié
quatrième jour.
que de voir Cornélius, muet de douleur
et
pâle d'ipanition, se pencher en dehors de la lenôtre grillée,
au risque de ne pouvoir
retirer sa tête d'entre les barreaux,
pour tâcher d'apercevoir à gauche
le
petit jardin
dont
lui
avait parlé Rosa, et dont le parapet confinait, lui avait-elle
LA
Igi ait,
à la rivière,
c»
cola
ces premiers rayons lulipe, ses
Le
soir,
TUI-IPF.
du
deux amours
Gryphus
dans
l'rsix^raiice
soleil
d'avril, la
la
flllo
avait-il
n'y toucha pas
du
le
dîner de
touché.
Gryphus des-
tout, rt
deux repas
parfaite-
mtacts.
Cornélius ne
— Bon, visite
h
ou
jeune
déjeuner et
les comeslibles destinés à ces
cendit
ment
il
de découvrir,
brisées.
nH)orla le
Cornélius; à peine celui-ci y
Le lendemain,
NOIUE.
;
s'était
pas levé de
journée.
la
Gryphus en descendant après la dernière bon, je crois que nous allons être débarrassé du dit
savant.
Rosa
tressaillit.
— Bah — ne I
Il
dit
boit plus,
Gryphus.
co'^fre,
Jacob, et
fit
Comme
il
comment cela? ne mange plus,
M. Grotius,
il
il
ne se lève
plus,
sortira d'ici dans
un
seulement ce coffre sera une bière.
Rosa devint pâle
— Ohl
comme
la
mort.
murmura-t-elle, je comprends
:
il
est inquio4 de
sa tulipe. Et se levant tout oppressée, elle rentra dans sa bre,
où
elle prit
une plume
la nuit s'exerça
à
et
du papier,
et
cham-
pendant toute
tracer des lettres.
Le lendemain, en se levant pour se traîner jusqu'à fenêtre, Cornélius aperçut
sous Il
un papier qu'on
la
avait glissé
la porte.
s'élança sur ce papier, l'ouvrit, et lut, d'une écntare
qu'il eut peine s'était améliorée
à reconnaître pour celle de Rosa, tant elle
pendant cette absence de sept jours
:
— Soyez tranquille, votre tulipe se porte bien. Quoique ce
petit
mot de Rosa calmât une
partie des dou-
LA TULIPE NOIRE. (eurs de Cornélius
,
185
n'en fut pas moins
il
nie. Ainsi, c'était bien cela,
Rosa
était blessée; ce n'était point
sensible à l'iro-
n'était point
malade, Rosa
par force que Rosa ne venait
plus, c'était volontairement qu'elle restait éloignée
de Cor-
nélius.
Ainsi
Rosa
libre,
Rosa trouvait dans sa volonté
la for-
ce de ne pas venir voir celui qui mourait du chagrin
d'^
ne pas l'avoir vue. Cornélius avait du papier et un crayon que lui avait apportés Rosa.
comprit que
Il
la
jeune
fille
réponse, mais que cette réponse elle ne
cher que
la nuit.
En conséquence
pareil à celui qu'il avait reçu
Ce
me
n'est point l'inquiétude
rend malade
;
c'est le
il
la
attendait un\i
viendrait cher-
écrivit sur
un papier
ma
tulipe qui
:
que
me
cause
chagrin que j'éprouve de ne pas
vous voir. » Puis
Gryphus
sorti,
puis le soir venu,
il
glissa le
papier
sous la porte et écouta. Mais, avec quelque soin qu'il prêtât l'oreille, ni le pas ni Il
n'entendit qu'une voix faible
douce
comme unecarresse, qui
deux mots
n'entendit
il
froissement de sa robe.
le
comme un
lui jetait
par
le
souffle,
et
guichet ces
:
— A demain. Demain,
—
c'était le
huitième jour.
— Pendant
jours ^^ornélius et Rosa ne s'étaient point vus.
huit
LA TULIPE NOIRE.
186
XX CB QUI s'Était passé pendant ces huit jours.
Le lendemain en
à l'heure habituelle, van Baerle
«ffet,
entendit gratter à son guichet faire
Rosa dans
les
comme avait
On devine que Cornélius
n'était pas loin
de laquelle
à travers le grillage
charmante figure disparue
allait
il
de cette porte
revoir enfin
la
de['uis trop longtemps.
Kosa, qui l'attendait sa lampe à
un mouvement quand si
l'habitude do le
bons jours de leur amitié.
elle
vit
le
là
main,
tie
prisonnier
put retenir triste et
si
pâle.
—
Vous
êtes souffrant,
monsieur Cornélius? demandâ-
t-elle.
—
Oui, mademoiselle, répondit Cornélius, souffrant
d'esprit et de corps.
—
J"ai
je
vu, monsieur, que vous ne mangiez plus, dit
mon
Rosa;
vous
père m'a
ai écrit
dit
que vous ne vous
leviez plus; alors
pour vous tranquilliser sur
le sort
du pré-
cieux objet de vos inquiétudes.
— Et moi,
ciit
Cornélius, je vous ai répondu. Je croyais,
vous voyant revenir, chère Rosa, que vous aviez reçu m^i lettre.
— reçue. vrai, je — Vous ne donnerez pas C'est
vous ne savez pas
l'ai
lire.
pour excuse,
cette fois,
Non-seulement vous
lisez
que
couram-
LA TULIPE NOIRE.
187
ment, mais encore vous avez énormément profité sous
de
rapport
— En
non-seulement reçu, mais
effet, j'ai
lu votrs billet.
pour cela que je suis venue pour voir
C'est
moyen de vous
pas quelque
— Me
le
l'écriture.
rendre à
la santé
rendre à
s'il
s'écria Cornélius,
!
n'y aurait
la santé.
mais vous
avez donc quelque bonne nouvelle à m'apprendre î Et en parlant ainsi,
le
jeune
homme
Rosa
attachait sur
des yeux brillans d'espoir. Soit qu'elle
voulût pas
ment
le
ne comprît pas ce regard, comprendre,
la
jeune
fille
soit qu'elle
ne
répondit grave-
:
—
seulement à vous parler de votre tulipe, qui
J'ai
je le sais, la plus
est,
grave préoccupation que vous ayez.
Rosa prononça ce peu de mots avec un accent glacé qui fît
tressaillir Cornélius.
Le zélé sous
le
aux
—
Ah
ne comprenait pas tout ce que cachait,
l'indifférence, la
avec sa
prises
vous
que
tulipier
voile de
murmura
!
Cornélius, encore, encore
Rosa, ne que je ne songeais qu'à vous, vous seule que je regrettais, vous seule qui me
ai-je pas dit,
c'était
pauvre enfant toujours
rivale, la tulipe noire.
mon
manquiez, vous seule qui, par votre absence, l'air, le
1
Dieu!
me
retiriez
jour, la chaleur, la lumière, la vie.
Rosa sourit mélancoliquement.
— Ah
!
dit-elle, c'est
que votre
tulipe
a couru un
si
grand
danger. Cornélius piège
— Dieu
si
Un I
tressaillit
malgré
luîi,
et se laissa
prendre au
c'en était un. si
grand dangerl
et lequel ?
s'écria-t-il tout
tremblant,
mon
LA TULIPE NOIUE.
188
Rosa
que ce
me,
regarda avec uno douce compassiou,
le
tîu'cll(>
cl (lu'il fallait
— Oui,
dit-elle,
l'amoureux,
elle sentait
voulait était au dessus dos forces de cet
le
hom-
accoplor celui-là avec sa linhlcsse.
vous aviez deviné
juste, le prétendant,
Jacob ne venait point pojr nioi.
>— Et pour qui venait-il donc?
demanda Cornélius avec
anxiété.
— venait pour — Oh ûl Cornélius la
Il
tulipe.
!
pfllissant à cotte
se trompant,
n'avait pâli lorsque Uosa,
nouvelle plus qu'il avait
hii
quinze jours auparavant que Jacob venait pour
Rosa
annoncé
elle.
et Cornélius s'aperçut à rexpres*
vit cette terreur,
sion de son visage qu'elle pensait ce que nous venons de dire.
— Oh sais la
pardonnez-moi, Rosa,
l
bonté
et
vous a donné
dit-il,
je
vous connais, je
l'honnêteté de votre cœur. Vous,
jugement,
Dieu
force et le
mou-
vement pour vous défendre, mais à ma pauvre
tulipe
la
pensée,
le
la
menacée. Dieu n'a rien donné do tout cela. Rosa ne répondit point 5 ccUc excuse du prisonnier continua
et
:
— Du
moment où cet homme, qui m'avait suivie au que j'avais reconnu pour Jacob, vous inquiétait, il m'inquiétail bien plus encore. Je fis donc ce que vous jardin et
aviez
dit, le
nière fois et
lendemain du jour où je vous
où vous m'aviez
vu pour
ai
la der-
dit...
Cornélius l'interrompit.
— Pardon, encore une vous
ai dit, j'ai
eu
tort
mandé mon pardon de encore.
fois,
Rosa,
de vous
s'écria-t-il. C^i
le dire.
— J'en
cette fatale parole.
ai
Je le
Sera-ce donc toujours vainement?
que
je
déjà de-
demande
LA TULIPE NOIRE.
— Le lendemain de lant ce
ce jour-là, reprit Rosa,
que vous m'aviez
m'assurer
si c'était
189
de
dit...
moi ou
me
rappe-
ruse à employer pour
la
que cet odieux
la tulipe
homme
suivait...
— Oui, odieux... cet
N'est-ce pas,
— Oui,
je le hais, dit
Rosa, car
souffert depuis huit jours
— Ah cette i
dit-il,
vous
1
est
il
cause que
bien
parole, Rosa.
donc au
jardin, et
continua Rosa,
m'avançai vers
plale-ban-
la
je devais planter là tulipe, tout en regardant derriè-
où moi si, cette fois comme l'autre, j'étais suivie. Eh bien ? demanda Cornélius. Eh bien la même ombre se glissa entre la porte
— — la
j'ai
vous aussi, vous avez donc souffert? Merci de
bonne
je descendis
re
haïssez bien
1
— Lelendemain de ce malheureux jour,
fde
le
homme?
!
et
muraille, et disparut encore derrière les sureaux.
— Vous manda seil
fîtes
semblant de ne pas
qu'il
avait
avec une bêche
comme si
lui.... lui...
la
la
un
creusai
comme
ceux d'un
dit Cornélius. ,
jo
me
retirai.
porte du jardin seulement, n'est-ce les fentes
porte vous pûtes voir ce qu'il attendit
je
branches des arbres.
pas? De sorte qu'à travers
Il
con-
?
ce semblant d'opération achevé
— Mais derrière —
plate-bande que
pendant ce temps
— Voyez- vous? voyez-vous? Pi:\is,
le
je plantais le caïeu.
voyais briller ses yeux ardens
tigre à travers les
-^
pas? de-
donné à Rosa.
— Oui, et je m'inclinai sur — Et — Je
la voir, n'est-ce
Cornélius se rappelant dans tous ses détails
fit,
ou
la
serrure de cette
vous une
instant sans doute
fois pC"^tie.
pour s'assurer que
n.
LA TULIPE NOIRE.
190
no
je
reviendrais pas, imis
rhcllp. s'approoha de
puis
où
arrivt^ ciiliH à
pas de loup do sa ra-
sortit h
il
plato-baïuic
la
fraîchement remuée,
la terre était
un
[lar
son but, c'esl-à-dirn en il
ddlour,
lonj;
l'aco
do r'cndroit
s'arrêta d'un air in-
dotons côtés, interrogea cha(iue angle interrogea chaque fonéln^des maisons voisines,
diflérciU, regarda
ju jardin,
interrogea seul,
Uen
la terre, le ciel, l'air,
isolé, bien
hors de
la
croyant
et
vue de tout
molle, en enleva une portion
la terre
brisa
([u'il
caieu s'y
si le
même manège, et
trois fois le
action
plus ardente, jusqu'à ce qu'enfin,
rie,
qu'il
calma
il
me
où
état
il
pour
le
fois
recom-
avec une
rommençant à
misérable,
prit
râteau,
le
à son départ dans
le laisser
ne
se trouvait avant qu'il
honteux, tout penaud,
1
se
pouvait être dupe de (juelque superche-
reprit le chemin de la porte promeneur ordinaire.
murmura
mê-
le
l'eût fouillé, et tout
affec-
il
tant lair innocent d'un
— Oh
chaque
l'agitation qui le dévorait,
égalisa le terrain
bien il
doucement
trouvait,
mença
comprendre
monde,
deux mains dans
préeipita sur la plate-bande, enfonça ses
entre ses mains pour voir
qu'il était
le
Cornélius
essuyant les
gouttes de sueur qui ruisselaient sur son front.
Oh
le
!
mi-
sérable, je l'avais deviné. Mais le caieu, Rosa, qu'en avez-
vous
fait? Hélas
!
il
est déjà
un peu
tard
pour
le planter.
— Le caïeu, est depuis six jours en terre. — Où cela? comment cela? s'écria Cornélius. il
Dieu, quelle imprudence il
î Est-
bien
il
!
Où
est-il ?
ou mal exposé ? Ne
être volé par cet affreux Jacob
—
Il
Oh
I
mon
Dans quelle terre
risquc~t-il pas
est-
de nous
?
ne risque pas de nous être volé, à moins que Jacob
ne force
— Ah
la I
porte de il
est
ma
chambre.
chez vous,
il
est
dans votre chambre.
IM
LA TULIPE NOIRE. Rosa, dit Cornélius an peu tranquillisé. Mais
dans
terre,
comme
dans l'eau
Vous ne
quel récipient? les
dans quelle pe~ germer
le faites
bonnes femmes de Harlem ciaeDor-
drecht, qui s'entêtent à croire que l'eau peut remplacer la
comme
terre,
l'eau, qui
si
parties d'oxigène
composée de
est
trente-trois
de soixante-six parties d'hydrogène,
et
pouvait remplacer... Mais qu'est-ce que je vous dis là moi,
Rosa
i
— Oui, c'est un jeune
riant, la
dre,
fille.
pourvous
peu savant pour moi, répondit en souJe me contenterai donc de vous répon-
tranquilliser,
que votre caïeu
n'est pas
dans
l'eau.
— Ah je respire. — est dans un bon 1
11
pot de grès, juste de la largeur
cruche où vous aviez enterré
la
composé de
terrain
trois quarts
le vôtre.
Il
est
de
t-à-direcinq ans auparavant,
commis un
acte de rébellion bien autrement aiiodin
avait
que
faite
et certains articles
parfaitement entrés dans
raconliient en outre
Ils lui
(^tt'
que vena't de
celui
11
se permettre Cornélius.
avait trouvé sa soupe trop chaude et l'avait jetée h
la tê'e
du chef des gardiens,
tion, avait
eu
le
une
s'enlever
qui, à la suite
de celte ablu-
désagrément en s'essuyant
le
visage de
partie de la peau.
Mathias, dans les douze heures, avait été extrait de sa
chambre
;
Puis conduit à la geôle, tant de Loevestein
Puis
mené à
où
il
avait été inscrit
comme sor-
;
l'esplanade, dont la
vue
est fort belle et
em-
brasse onze lieues d'étendue.
Là on
mains
lui avait lié les
;
Puis bandé les yeux, récité trois prières Puis
on
des de Lœvestein, au
nombre de douze, lui avaient, sur un
par un «ergent, logé
signe
fait
balle
de naouiquet dans
Ce dont Mathias
;
à faire une génuflexion, et les gar-
l'avait invité
était
fort
habilement chacun une
le corps.
mort incontinent.
Cornélius écouta avec la plus graade attention cit
ce ré-
désagréable.
Puis, l'ayant écouté
:
— Ah ah dans douze heures, dites-vous? — Oui, douzième heure n'était pas môme encore son 1
1
dit-il,
les
la
née, à ce que je crois, dit
le
narrateur.
LA TULIPE NOIRE.
— Merci,
275
dit Cornélius.
le garde n'avait pas terminé le sourire gracieux qui serde ponctuation à son récit qu'un pas soaore retentit
vait
dans
l'escalier.
Des éperons sonnaient aux arêtes usées des marches. Les gardes s'écartèrent pour laisser passer un officier.
dans
Celui-ci entra
où le
la
chambre de Cornélius au moment
scribe de Loevestein verbalisait encore.
— C'est n« 11 demanda — Oui, capitaine, répondit un sous-olficier. — Alors c'est la chambre du prisonnier ici le
?
t-il.
ici
van Baërle
Cornélius
1
—Précisément, capitaine.
— Où est prisonnier — Me voici, monsieur, répondit Cornélius en pâlissant ub le
î
peu malgré tout son courage.
— Vous
êtes
M. Cornélius van Baerle? demanda-t-il, s'a-
dressant cette lois au prisonnier lui-même.
— Oui, monsieur. — Alors suivez-moi. — Oh oh dit Cornélius, dont !
1
le
cœur
se soulevait, pres-
sé par les premières angoisses de la mort, vite
en besogne à
la forteresse
m'avait parlé de douze heures
— HeinI
du
le
drôle qui
I
qu'est-ce que je tous ai dit?
torien à l'oreille
comme on va
de Loevestein, et
fit
iegarde
his-
patient.
— Un mensonge. — Comment cela — Vous m'aviez promis douze heures. T
— Ah!
oui. Mais l'on
vous envoie un aide de camp de
son Alte sse, un de ses plus intimes
même, M. van Deken
276
LA TULIPE NOIRE.
Peste
I
on n'a pas
fait
— Allons, allons, avec
res f?ons-là qu'un Ijourgcois,
trons à
de Witt, oeut, sans balles de il
Cornélius, en renflant sa poitrine
plus graïuio quantitiJ d'air possit)le
la
Et
unfiarcMl lionnourau pauvfliBMathias.
fit
faire la
mon-
de Corneille
grimace, contenir autant de
nommé
mousquet qu'un
allons,
;
filleul
Malliias.
passa fièrement devant le greffier qui, interrompu
dans ses fonctions, se hasarda de dire à
— Mais, capitaine van Deken.
l'officier
:
le j^roctis-verbal n'est
pas
encore terminé.
— Ce — Bon
n'est point la peine 1
répliqua
le
de
répondit
le finir,
l'officier.
scribe en serrant philosophiquemeni
ses papiers et sa ijlumc dans un porteleaille usé et cras-
seux. Il
était écrit,
nerais
pensa
mon nom en
fleur, ni à
un
le
ce
pauvre Cornélius, que je no don-
monde
une au moins, à ce que peu organisé priété d'une
Et
il
ni à
un enfant,
livre, ces trois nécessités
qu'il
l'on assure,
à
ni
homme un
tout
daigne laisser jouir sur terre de
âme et de l'usufruit
suivit l'officier le
cœur
à une
dont Dieu impose
la
pro-
d'un corps. résolu et la tête haute.
Cornélius compta les degrés
qui conduisaient à l'espla-
nade, regrettant de ne pas avoir demandé au garde combien
il
y en
avait; ce que,
dans son
ce, celui-ci n'eût certes pas
Tout ce que redoutait gardait
comme
officieuse
manqué de
le patient
dans ce
trajet, qu'il re-
celui qui devait définiiiveinent le conduire
au but du grand voyage,
c'était
de voir Gryphus
pas voir Rosa. Quelle satisfaction, en sur le visage du père fille!
complaisan-
lui dire.
1
Quelle douleur
effet,
et
de ne
devait briller
îiur le
visage de
la
LA TULIPE NOIRE.
Comme Gryphus supplice,
au moins
S'il allait
la
pauvre
la
mourir sans
tout
conscience d'avoir accompli
la
le
dernier adieu
grande tulipe noire,
reil
ne la voyait pas, s'il aldonné le dernier baiser ou
fille, s'il
avoir
lui
I
mourir enfin, sans avoir aucune nouvelle de
de quel côté
En
juste,
comme
!
Mais Rosa, lait
applaudir à ce supplice, à ce
allait
vengeance féroce d'un acte éminemment
que Cornélius avait
un devoir
277
vérité,
moment
il
et se réveiller là haut,
tourner
fallait
les
yeux pour
sans savoir
la
retrouverl
pour ne pas fondre en larmes dans un pa,
le
pauvre
tulipier avait plus d'œs triplex
autour du cœur qu'Horace n'en attribue au navigateur qu: le
premier
visita les
infâmes écueils acrocérauniens.
Cornélius eut beau legarder à droite, Cornélius eut beau
regarder à gauche,
il
arriva sur l'esplanade sans avoii
aperçu Rosa, sans avoir aperçu Gryphus. Il
y avait presque compensation.
Corné) iu'î,
arrivé
chercha bravement
sur l'esplanade,
des yeuï les gardes ses exécuteurs, et
vit
en
effet
une dou-
zaine de soldats rassemblés et causant. INluis fct
rassemblés et causant sans mousquets, rassemblés
caus.vit sans être alignés
Chuchotant
môme
;
entre eux plutôt qu'ils ne causaient,
r^onduile qui parut à Cornélius
indigne dn
la
gravité qui
préside d'ordinaire h de pareils événemens.
Tout h coup Gryphus clopinant, chancelant, s'appuyant sur une béquille, apparut hors de sa geôle.
pour un dernier regard de haine tout
yeux gris de chat. Alors
il
se mit à
Il
le feu
avait allumé
de ses vieux
vomir contre Cornélius
^^*
LA TULIl'E NOIRE.
un
toi
lorront d'abominables imprécations
s'adn^^sarit h l'olficier
— Monsieur, do
me
que Cornélius,
:
dit-il, je
ne
crois pas qu'il soit biert séant
homme,
laisser ainsi insulter par cet
et cela surtout
dans un pareil moment.
— Hcoutez donc, dit
l'officier
eu
riant,
homme vousen veuille,
que co brave
il
est bien naturel
il
paraît
que vous
l'a-
vez roué de coups?
—
Mais monsieur, c'était h mon corps défendant. - Bahl dit capitaine en imprimant h ses épaules un geste éminemment philosophique; bahl laissez-le dire. \t^
Que vous importe, Une sueur froide
à présent?
passa sur 1© front de Cornélius à cette
réponse, qu'il regardait
de
la
comme une
ironie
un peu brutale,
part surtout d'un officier qu'on lui avait dit être at-
taché à la personne du prince.
Le malheureux comprit
qu'il n'avait plus
de ressources,
qu'il n'avait plus d'amis, et se résigna.
— Soit, murmura
t-il
en baissant
bien d'autres au Christ, et puis
me comparer
son geôlier et ne
si
tête;
la
on en a
fait
innocent que je sois, je ne
à lui. Le Christ se lût laissé battre par
l'eôt point battu.
Puis, se retournant vers l'officier, qui paraissait complai-
samment
attendre qu'il eût
fini
ses réflciious,
— Allons, monsieur, demanda-t-il L'offlcier lui
qui
lui
montra un carrosse
rappela fort
le
,
de quatre chevaux,
carrosse qui dans une circonstance
pareille avait déj^ frappé ses regards
— Montez dedans, — Ah! murmura Cornélius, Ih
où vai5-je?
attelé
au Buytenhoff.
dit-il.
pas les honneurs do l'esplanade
il
,
paraît qu'on à
moi
l
ne
me
fera
LA TULIPE NOIRE. II
179
prononça ces mots assez haut pour que
l'historien
fui semblait être attaché à sa personne l'entendit.
Sans doute
que
crut-il
c'était
uq devoir pour
de don-
lui
ner de nouveaux renseignemens à Cornélius, car
procha de
la portière, et tandis
que
l'olficier, le
marchepied, donnait quelques ordres,
le
il
lui
il
s'ap-
pied sur tout
dit
bas;
— On a ville, et
vu des condamnés conduits dans pour que l'exemple
fût plus
leur propre
grand, y subir leur
supplice devant la porte de leur propre maison. Cela dé-
pend. Cornélius Puis à
fit
un signe de remercîment.
lui-même
— Eh bien
I
:
à
dit-il,
la
bonne heure,
voici
un garçon
ne manque jamais de placer une consolation quand casion s'en présente.
Ma
loi,
mon
ami,
je
qui
l'oc-
vous suis bien
obligé. Adieu.
La voiture roula.
—Ahl scélérat îe
1
ah! brigandl hurla
poing à sa victime qui
jans
me
rendre
ma
lui
fille.
— Si l'on me conduit à Dordrecht, rai
Gryphusen montrant
échappait. Et dire qu'il s'en va
en passant devant
ma
maison
bandes ont été bien ravagées
si
dit Cornélius, je
mes pauvres
ver-
plates-
ÎSO
LA TULIPE NOIRE.
XXX ou l'on commence de se douïer a quel supplice ÉTAIT RÉSERVÉ CORNÉLIUS VAN BAERLE.
La voilure roula tout le jour. Elle laissa Dordrecht à gauche, traversa Rotterdam, atteignit Delft. A cinq heures
du
on avait
soir,
au moins vingt
fait
lieues.
Cornélius adressa quelques questions à servait à
la
fois
conspectes que fussent ses demandes, les voir rester
l'officier
de garde et de compagnon; mais, il
complaisant qui parlait,
si
11
lui
lui
si cir-
eut le chagrin de
sans réponse.
Cornélius regretta de n'avoir plus à côté de
de
qui
lui,
lui
ce gar.
sans se faire prier.
eût sans doute offert sur cette étrangeté, qui sur-
venait dans sa troisième aventure, des détails aussi gracieux et des explications aussi précises que sur les deux
premières.
On
passa
la
nuit en voiture. Le lendemain, au poiat du
jour, Cornélius se trouva
du Nord à
sa
gauchs
et la
Trois heures après,
il
au delà de Leydo, ayant
mer de Harlem
la
mer
à sa droite.
entrait à Harlem.
Cornélius ne savait point ce qui s'était passé à Harlem,
nous
et
en
le
laisserons dans cette ignorance jusqa'à ce qu'il
soit tiré par les
Mais le droit
il
événemens.
ne peut pas en être de
môme du
u être mis au courant des choses,
notre héros.
lecteur, qui a
même
avant
LA TULIPE NOIRE.
281
Nous avons vu quo Rosa et la tulipe, comme deux soeurs et comme deux orphelines, avaient été laissées, par le prince Guillaume d'Orange, chez le président vanSystens.
Rosa ne reçut aucune nouvelle du stalhouder avant
du jour où
soir
Vers
de
nait
soir,
lo
la part
maison de
elle l'arait
vu en
le
lace.
un ofQcier entra chez vanSystens;
ve-
il
de Son Altesse inviter Rosa à se rendre à
la
ville.
Là, dans le grand cabinet des délibérations
où
elle fut
introduite, elle trouva le prince qui écrivait. Il
à ses pieds un grand lévrier de Frise
était seul et avait
qui le regardait fixement,
comme
si le
fidèle
animal eût
que nul homme ne pouvait lire dans la pensée du maître. faire Guillaume continua d'écrire un instant encore puis, levoulu essayer de
ce
faire,
—
;
vant les yeux et voyant Rosa debout près de la porte
— Venez, mademoiselle,
dit-il
:
sans quitter ce qu'il écri-
vait.
Rosa
fit
quelques pas vers
— Monseigneur, — C'est bien,
le prince.
Rosa obéit, car
lo
fit
dit-elle
la table.
en
s'arrôtant.
Asseyez-vous.
prince la regardait, Mais à peine le
prince eut-il remporté les yeux sur son papier qu'elle se retira toute
honteuse.
Le prince achevait sa
Pendant ce temps, et l'avait
— Ah
!
examinée ah
'
fit
lettre.
le lévrier était allé
au-devant de Rosa
et caressée.
Guillaume à son chien.
c*est une compatriote; tu
Puis, se retournant vers
scrutateur et voilé en
la
Rosa
même
On voit
bien que
reconnais. et fixant sur elle
temps
son regard
:
16.
2S2
LA TULIPE NOIRE.
— Voyons, ma Le
iiUo, dit-il
peine, Ros,i
en
eût mieux dit en disant
ma
vingt-trois
ou vingt;
arait dix-tiuit
mur. — Ma
flllo, dit-il.
avait
pririco
il
ans à
avec cet accent étrangement impo-
sant qui glanait tous ceux qui l'approchaient, nous ne
mes que nous deux, causons. Rosa commença do trembler de cependant
il
n'y avait rien
som-
tous ses membres, et
que de bienveillant dans la phy-
sionomie du prince.
— Monseigneur, balbutia-t-elle. — Vous avez un père à Loevestein T — Oui, monseigneur. — Vous ne l'aimez pasT — Je ne l'aime pas, du moins, monseigneur, comme une fille
devrait aimer.
— C'est mal mais
c'est
de ne pas aimer son
père,
mon
enfant,
bien de ne pas mentir à son prince.
Rosa baissa
les
yeux.
— Et pour quelle raison n'aimez-vous point votre père — Mon père méchant. — De quelle façon se manileste sa méchanceté? — Mon père maltraite prisonniers. — Tous? — Tous. — Mais ne reprochez- vous pas de maltraiter parti-
T
est
les
lui
culièrement quelqu'un
— Mon
?
père maltraite particulièrement M. van Baerle,
qui...
— Qui Rosa
fit
est votre
amant.
un pas en
arrière.
LA TULIPE NOIRE.
283
— Que j'aime, monseigneur, répondit-elle — Depuis longtemps? demanda prince. — Depuis jour où vu. — vous l'avez vu?
avec
fierté.
le
le
je l'ai
ift
— Le lendemain U.
où furent
si
grand pensionnaire Jean
le
terriblement mis h mort et
son frère Corneille.
Les lèvres du prince se serrèrent, son front se ses paupières se baissèrent de
Au bout d'un
ses yeux.
— Mais que
vous
instant de silence,
d'aimer un
sert-il
plissa,
manière à cacher un instant il
reprit
:
homme
destiné à
vit et
meurt en
vivre et à mourir en prison ?
— Cela
me
servira,
monseigneur,
s'il
prison, à l'aider à vivre et à mourir.
— Et vous accepteriez cette position d'être
la
femme d'un
prisonnier?
— Je serais res
la plus
humaines étant
Oère et la
la plus
heureuse des créatu-
femme de M. van
Baerle
— Mais quoi — Je n'ose dire, monseigneur. — y a un sentiment d'esDérance dans
;
mais...
?
Il
qu'espérez-vous Elle leva ses
\)re
la
si
pénétrant© qu'ils allèrent
clémence endormie au fond de ce cœur som-
d'un sommeil qui ressemblait à la mort.
—Ah
I
je
;
beaux yeux sur Guillaume, ses yeux lim-
pides et d'une intelligence
chercher
votre accent
?
comprends.
Rosa sourit en joignant
—Vous espérez en moi, — Oui, monseigneur. — Huml
les
mains.
dit le prince.
284
L\ TULIPE NOIRE.
Le prince cachota pela
un
la lo^iro (ju'il
venait d*écrire et ap-
SOS olflciers.
dti
— Morisioiir van Deken, sage que voici
;
dit-il,
portez h Loevestcin
le
mes-
vous prendrz lecture des ordres que
donne au gouverneur,
et
en ce qui vous regarde vous
je let
eit^cuterez. L'officier
sonore de
— Ma de
la
salua
,
maison
fille,
et l'on entendit retentir le
dimanche
c'est
que ce jour-là
—
soit
une grande
Comment Votre murmura Rosa. il
TOUS
le
voûte
que
fête
voici; car je
veux
pour vous.
Altesse veut-elle
que
je sois
costume des épousées frisonnes,
siéra tari bien.
la fête
après-demain. Faites-vous
belle avec les cinq cents florins
me,
la
poursuivit le prince, c'est dimanclio
la tulipe, et
— Prenez
sous
galoD d'un cheval.
vêtue?
dit Guillau-
LA TULIPE NOIRE.
28S
XXXI
HARLEM Harlem, où nous sommes entrés
il
ya
avec
trois jours
où bous yenqns de rentrer à la suite du prisonnier, est une joiie ville, qui s'enorgueillit à bon droit d'être une des plus ombragées de la Hollande. Tandis que d'autres mettaient leur amour-propre à brilRosa
ler
et
par les arsenaux et par
par les magasins
les chantiers,
Harlem mettait toute sa gloire à primer tontes les villes des Etats par ses beaux ormes touffus, par ses peupliers élancés, et surtout par ses promenades omet par les bazars,
breuses, audessus desquelles s'arrondissaient en voûte, le
chêne,
le tilleul et le
marronnier.
Harlem, voyant que Leyde sa voisine, et Amsterdam sa reine,
prenaient, l'une, le
de science,
et l'autre celui
chemin de devenir une
de devenir une
merce, Harlem avait voulu être une
ville
ville
ville
de coaa-
agricole
ou plu-
tôt horticole.
En elle
effet,
bien close, bien aérée, bien chauffée au soleil,
donnait aux jardiniers des garanties que toute autre
ville,
avec ses vents de mer ou ses
soleils
de plaine, n*eût
point su leur offrir.
Aussi
avait-on
vu
s'établir à
Harlem tous ces
tranquilles qui possédaient l'amour de
biens,
comme on avait vu
s'établir à
la
esprits
terre et de ses
Rotterdam
et à
Ams-
LA TULIPE NOJPE.
Î86
lerdarn tous les esprits inquiets ot remuans, qui possèden'' l'ainour des voyngos et s'étab
ir
à
Haye tous
la
Nouh avons
dit
du commerce,
comme on
les politique» et les
que Leydo avait été
avait
vu
monijains.
couquêle des sa-
la
vans.
Harlem
donc logoftt deschoses douces, de
prit
la
mugi-
que, delà peinture, des vergers, des promenades, des hois et des parterres.
Harlem devint
folle
des fleurs,
entre autres fleurs, dei.
et,
•
tulipes.
Harlem proposa des prix en l'honneur dos nous arrivons
ainsi, fort
parler de celui
l'honneur de
que
la
tulipos,
ot
naturellement comtHe on voit, à
15 mai 1673, en
la ville proposait, le
grande tulipe noire sans tache
et
sans
défaut, qui devait rapporter cent mille florins à son inventeur.
Harlem ayant mis en lumière sa affiché
son goût pour
li3s
fleurs
spécialité,
Harlem ayant
en général
en particulier, dans un temps où tout
et les tulipes
était à
la
guerre
ou aux séditions, Harlem ayant eu l'insigne joie de voir Qorir l'idéal de ses prétentions et l'insigne fleurir
l'idéal
des tulipes, -Harlem,
honneur de
la jolie ville
voir
pleine de
bois et de soleil, d'ombre et de lumière, Harlem avait voulu faire de cette fête qui durât
cérémonie de l'inauguration du prix une
éternellement dans
Et elle en avait d'autant plus le
le
souvenir des hommes.
le droit
que
la
Hollande est
pays des fêtes; jamais nature plus paresseuse
ploya celle
ne dé-
plus d'ardeur criante, chantante et dansante
que
des bons républicains des Sept ProvÏHces à l'occa-
sion des divertissernens.
Voyez
plutôt les tableaux des
deux Teniers.
LA TULIPE NOIRE. est certain
Il
que
les paresseux sont
es plus ardens à se fatiguer,
au
tent
travail,
Harlem
mais
une
découverte, puis
non pas
le
la tulipe
:
hommes met-
plaisir. joie, car elle
noire avait été
prince Guillaume d'Orange assistait à
cérémonie, en vrai Hollandais
la
au en
triplement
triple solennité
les
lorsqu'ils se
lorsqu'ils se meltont
donc mise
s'était
avait à fêter
287 de tous
qu'il était. Enfin
de l'houneur des Etats de montrer aux Français, à
il
était
la suite
d'une guerre aussi désastreuse que l'avait été celle de 1672,
que
le
plancher de
la
république batare
point qu'on y pût danser avec
était
solide à ce
accompagnement du canon
des flottes.
La société horticole de Harlem
en donnant cent mille
d'elle
La
ville n'avait
roté
une somme
s'était
florins d'un
montrée digne
oignon de
tulipe.
pas voulu rester en arrière, et elle avait pareille, qui avait été
de ses notables pour
remise aux mains
fêter ce prix national.
Aussi était-ce, au dimanche fixé pour cette cérémonie,
un
tel
empressement de
la foule,
un
tel
des citadins, que l'en n'eût pu s'empêcher,
enthousiasme
même
avec ce
sourire narquois des Français, qui rient de tout et partout,
d'admirer
le
caractère de ces bons Hollandais, prêts à dé-
penser leur argent aussi bien pour couslruire un vaisseau destiné à combattre l'ennemi, c'est-à-dire à soutenir l'hon-
neur de
la nation,
que pour récompenser l'invention d'ubriller un jour, et destinée h
ne ûeur nouvelle destinée à distraire
pendant ce jour
les
femmes,
les
savans et les ou»
rieux.
En
tête
des notables et du comité
horticole, brillait
M. van Systens, paré de ses plus riches habits. Le digne
homme
avait lait tous ses efforts
pour res-
-%S
LA TULIPE
NOIIIE.
sembler à sa fleur favorite par l'élégance sombre et sôvèrn de ses vêtomcns,
ol hiitons-nous
de dire à sa gloire
qu'il
y avait parfailcmtnil réussi. Noir do
jiis,
velours scabieuse, soie pensée, tel
avec du Unyo d'une blancheur éblouissante,
monialo du président, lequel marchait en
était,
la
tenue céré-
lôte
do son co-
un énorme bouquet pareil à celui que porcent vingt et un ans plus tard, M. de Robespierre,
mité, avec tait,
à
de l'Êlre-Suprême.
la fiMe
Seulement,
lo
brave président, à
place de ce
la
cœur
gonflé de haine et do ressentimens ambitieux du tribun français, avait
nocente que
dans
poitrine
une
innocente
d'e
la
la plus
fleur
non moins in-
celles qu'il tenait h la
main.
On se,
voyait derrière ce comité, diapré
parfumé
ville, les
comme un
printemps,
comme une
les
pelou-
corps savans de
la
magistrats, les militaires, les nobles et les rus-
tres.
Le peuple,
même
chez MM.
les républicains
des Sept
Provinces, n'avait point son rang dans cet ordre de mar-
che;
il
faisait la haie.
C'est,
au
voir... et
reste,
la
meilleure de toutes les places pour
pour avoir.
C'estla place des multitudes, qui attendent, philosophip
des états, que les triomphes aient défilé, pour savoir ce qu'il
en faut dire,
Mais celte lUis, pée, ci
et quelquefois ce qu'il
il
n'étaitquestion, ni
du triomphe de
la défaite
en faut
faire
du triomphe de Pom-
César. Cetiembl«^e. qui tir les
battit
des mains el
fit
reten
éckos de Harlem d'un immense applaudissement.
LA TULIPE NOIHE.
xxxn imE DERNIERS nilKRK
Enco moment
solennel et
se faisaient entendre,
borde
le
comme
un carrosse
ces applaudissemens
passait sur la route qui
bois, et iuivait lentement son
chemin
enfans refoulés hors de l'avenue d'arbres
hommes et
sement des
à
cause des
par l'empres-
des femmes.
Ce carrosse, poudreux, fatigué, criant sur ses essieux, renfermait
le
malheureux vanBaërle, à
re ouverte, commençait de
s'offrir
le
qui, par la portiè-
spectacle
que nous
avons essayé, bien imparfaitement sans doute, de mettre sous
les
yeux de nos
lecteurs.
Cette foule, ce bruit, ce miroitement de toutes les splen-
deurs humaines et naturelles, éblouirent
comme un Malgré
gnon
éclair qui serait entré
le
prisonnier
dans son cachot.
peu d'empressement qu'avait mis son compa-
le
à lui répondre lorsqu'il l'avait interrogé sur son pro-
pre sort,
il
se hasarda à l'mterroger
une dernière
sur tout ce remue-ménage, qu'au premier abord
il
fois
devait
et pouvait croire lui ôire totalement étranger.
— Qu'est-ce cela, demanda-t-il à
— Comme lui cl, c'est
— Ahl
je
vous
l'officier
vous pouvez
use
une
prie,
monsieur
chargé de le voir,
le
lieutenant
f
l'escorter.
monsieur, répliqua ce^
fête.
tête
I
dit
Cornélius de ce ton lugubrement
m "
LA TULIPE NOIRE. indilférent d'un
homme à qui
205
nulle joie de ce
monde
n'ap-
partient plus depuis longtemps. Puis, après
un instant de silence
et
comme
la voiture
avait roulé quelques pas,
— La
tête
patronale de Harlem ? demanda-t-il, car
je
vois bien des fleurs.
— C'est en
effet
une
fête
où
les
leurs jouent
le princi-
pal rôle, monsieur.
— Gh
1
les
doux parfums oh 1
!
les belles couleurs
f
s'é-
cria Cornélius.
— Arrêtez,
que monsieur voie, dit, avec un de ces moupitié qu'on ne trouve que chez les mi-
vemens de douce litaires, l'olflcier
— Oh
1
au soldat chargé du
de
rôle
postillon.
merci, monsieur, de votre obligeance, repartit
mélancoliquement van Baërle; mais ce m'est une bien douloureuse joie que celle des autres je
vous
:
épargnez-la-moi donc,
prie.
— A votre
aise
marchons,
;
alors.
J'avais
commandé
qu'on arrêtât, parce que vous me l'aviez demandé, et ensuite parce que vous passiez pour aimer les fleurs, celles surtout dont
on célèbre
la fête
aujourd'hui.
— Et de quelles fleurs célèbre-t-on la monsieur
— Celle des tulipes. — Celle des tulipes s'écria van Baërle I
tulipes,
fête aujourd'hui,
?
;
c'est la fête des
aujourd'hui?
— Oui, monsieur
;
mais puisque ce spectacle vous
est dé-
sagréable, marchons. Et l'officier s'apprêta à donner route.
l'ordre
de continuer
la
LA TULIPE NOIUE.
296
Mais Corn(^lius l'nrrêla, un doulo douloureux venait de travorser sa pensf^p.
— Mnn>;iour,dpman(ia-t-il d'une voix tromblanlo, seraitce donc. nijourd'hui (]uo l'on donno
— Lo
lo [)rix?
prix do la tulipo noiro, oui.
Les joues do Cornélius s'empourpreront, un frisson courut par tout son corps, la sueur perla son Iront.
que,
Pii^, réflf'chissant
lui
avorterait sans doute laute
couronner
— Hélas
et sa tulipe alisens, la iôle
d'un
homme et
d'une flcar à
:
1
tous ces braves ^ens seront aussi mal.
dit-il,
heureux que moi, car lennité à laquelle
ils
ne verront pas
celte
grande so-
sont conviés, ou du moins
ils
ils la
ver-
ront incomplète.
— Que voulez-vous dire? monsieur. — Je veux dire que jamais, Cornélius en se rejetant dit
au fond delà voiture, excepté par quelqu'un que je conne sera trouvée.
nais, la tulipe noire
— Alors, monsieur, connaissez pie en ce
l'a
ce quelqu'un que vous
dit l'offlcier,
trouvée; car ce que tout Harlem contera-
moment,
c'est la fleur
que vous regardez comme
introuvable.
— La tulipe noire de son corps oar
s'écria van^Baërle
en jetant
la portière. Oîi cela ?
où cela?
î
— Là-bas, sur trône, voyez- vous? — Je vois! — Allons, monsieur, maintenant
la moitié
le
dit l'officier,
il
faut par-
tir.
— Oh! par
pitié,
par grâce, monsieur,
ohl ne m'emmenez pas!
Comment,
dit
van Baële,
laissez-moi regarder encore!
ce que je vois là -bas
est la tulipe noire, bien
-
LA TULIPE NOIRE. noire... est-ce possible? oii
I
monsieur
l'avez
peut-être teinte en noir seulement; oh! rais bien
laissez-moi
la
elle
si j'étais là, je
sau-
moi, monsieur; laissez-moi descendre»
dire,
le
vous vue ?
être imparfaite, elle est
elle doit
doit avoir des taches,
*-i97
voir de près, je vous prie.
— Etes-vous fou, monsieur, puis-jeî — Je vous en supplie. — Mais vous oubliez que vous êtes prisonnifir? — Je suis prisonnier, est vrai, mais je suis un homme le
il
mon
et sur
d'honneur;
honneur, monsieur,
verai pas; je ne tenterai pas de fuir
regarder
la fleur
fit
je
me
ne
sau-
laissez-moi seulement
1
— Mais mes ordres, Et l'officier
;
monsieur
î
un nouveau mouvement pour ordonner
au soldat de se remettre en route. Cornélius l'arrêta encore.
— Oh
soyez patient, soyez généreux, toute
I
pose sur un sieur, elle
Ak
ma
vie re-
mouvement de votre pitié. Hélas ma vie, mon!
ne sera probablement pas longue maintenaat.
vous ne savez pas, monsieur, ce que je souffre;
!
vous ne savez pas, monsieur, tout ce qui se combat dans ma tête et dans mon cœur ; car enfin, continua Cornélius
avec désespoir,
celle
que
l'on a volée
vous bien ce que
si
c'était
à Rosa.
c'est
ma
Oh
I
tulipe à moi,
que d'avoir trouvé
la
tulipe noire,
de l'avoir vue un instant, d'avoir reconnu qu'elle faite,
que
c'était
à
la fois
si c'était
monsieur, comprenez
un chef-d'œuvre de
était par-
l'art
et
nature, et de la perdre, de la perdre à tout jamais. faut
que
je sorte,
me tuerez
monsieur,
il
faut
que
j'aille la
de
Oh
voir,
f
la il
vous
après si vous voulez, mais je la verrai, je la ver-
rai.
17*
298
LA TULIPE NOIRE.
— Taisez-Yous,
malheureux,
et rentrez vile
Son
carrosse, car voici l'escorte de
qui croise
vAlre, et
la
si
le
prince remarquait un scandale,
entendait un bruit, ce serait
Van
B;iërl(>,
dans vôtrp
Altesse le statliouder
encore plus
do vous
(ait
effrayt^
et
de moi.
pour son compagnon
que pour lui-même, se rejeta dans lo carrosse, mais il ne put y tenir une demi-minute, et les vingt premiers cavaliers étaient à peinra
passés qu'il se remit à
la portière,
gesticulant et on suppliant le staliiouder juste au
où
celui-ci passait.
Guillaumn, impassible et simple rendait à Il
en
moment
la
comme
d'ordinaire, se
place pour accomplir son devoir de président.
avait à ia
cette journée
main son rouleau de vélin, qui était, dans do fête, devenu son bAton de commande-
ment.
Voyant cet homme qui
gesticulait et qui suppliait, recon-
naissant aussi peut-être
l'olflcior
qui accompagnait cet
homme, le prince stathouder donna l'ordre d'arrêter. A l'instant même, ses chevaux frémissant sur leurs jarrets d'acier
firent halte à six pas
de van Baërle encagé dans
son carrosse.
— Qu'est-ce cela?
demanda
le prince à l'ofQcier,
qui,
au premier ordre du stathouder, avait sauté en bas de voiture, et qui s'approchait respectueusement de lui.
— Monseigneur, votre ordre,
j'ai
dit-il, c'est lo
la
prisonnier d'Etat que, par
été chercher à Loevestein, et
que
je
vous
amène à Harlem, comme Votre Altesse l'a désiré. Que veut-il ? Il demande avec instance qu'on lui permette d'arrêter un instant ici.
— —
— Pour
voir
la tulipe noire,
monseigneur, cria van
LA TOLIPE NOIRE.
299
Baërle, en joignant les mains, et après,
quand
vue, quand j'aurai su ce que je dois savoir le faut,
s'il
,
je l'aurai
je mourï'ai,
mais en mourant je bénirai Votre Altesse miséintermédiaire entre
ricordieuse,
que
Altesse, qui permettra
la divinité et
mon œuvre ait
eu
moi; Votre sa fin et sa
glorification. C'était, en effet, un curieux spectacle que celui de ces deux hommes, chacun à la portière de son carrosse, en-
touré de leurs gardes ble
l'un près
;
;
l'un tout-puissant, l'autre miséra-
de monter sur son trône, l'autre se croyant
près de monter sur son érhafaud.
Guillaume avait regardé froidement Cornélius
du
sa
véhémente
et enten-
prière.
Alors, s'adressant à l'officier,
— Cet homme,
dit-il, est le
tuer son geôlier à LoGvestein
prisonnier rebelle qui a voulu ?
Cornélius poussa un soupir et baissa et
honnête figure rougit et pâlit à
omnipotent, omniscient, cette
quelque messager secret
infaillibilité
et invisible
au
savait déjà son crime, lui présageaient
punition plus certaine, mais encore n'essaya point de lutter,
Il
dre
:
il
il
la tête.
un
Sa douce
Ces mots du prince
la fois.
divine qui, par
hommes, non seulement une reste des
refus.
n'essaya
pomtde
se défen-
au prince ce spectacle touchant d'un désesbien intelligible et bien émouvant pour un si
offrit
poir naïf,
grand cœur
et
un
si
grand
esprit
que
celui qui le
contem-
plait.
— Permettez au prisonnier de descendre,
dit le stathou-
der, et qu'il aille voir la tulipe noire, bien digne d'être vue
au moins une
— Oh
1
fit
fois.
Cornélius près de s'évanouir de joie et chance-
ÏOO
LA TULIPE NOIRE. marcho-piod du
lant sur le El
il
siiHoqua; el sans
fnrross(>,
lo liras
oh
!
monsoi{:!:nour
de l'olûrier qui
lui
!
prôla
son appui,
c'«v4 h ^n