L'Avare - CNDP

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7 janv. 2007 ... revivre la langue de Molière sans le décalage théâtral ... L'Avare. Un film de Christian de Chalonge. (2006) d'après la pièce de Molière,.
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2006 2007

L’Avare Dans l’adaptation qu’il fait ici de la célèbre comédie Un film de Christian de Chalonge (2006) d’après la pièce de Molière,

et en la filmant dans le labyrinthe réaliste d’un vieux

avec Michel Serrault (Harpagon),

château, le réalisateur Christian de Chalonge fait

Jackie Berroyer (Maître Jacques),

revivre la langue de Molière sans le décalage théâtral

Nada Strancar (Frosine),

et souligne, à travers la folie du vieil Harpagon

Nicolas Vaude (La Flèche),

magnifiquement joué par Michel Serrault, le versant

Cyrille Thouvenin (Cléante), Micha Lescot (Valère),

tragicomique de la pièce.

Fanny Vallette (Élise). 2 h 20 min

FRANCE 3 DIMANCHE 7 JANVIER, 20 h 55

À l’école du mensonge Français, quatrième et troisième Harpagon, un père avare, s’oppose aux projets de mariage de ses enfants, Cléante et Élise. Il a choisi pour eux des partis plus lucratifs et se réserve, pour lui-même, l’amante de son fils, Mariane. Cléante et Élise s’ingénient alors à déjouer les plans du père avec l’aide de l’intendant, Valère, l’amant secret d’Élise, et de La Flèche, le valet de Cléante, qui vole la précieuse cassette d’Harpagon. Valère est accusé. La tension dans la maison est à son comble lorsque surgit Anselme, celui à qui est promise Élise et qui se révèle être le père de Mariane et de Valère, rescapés d’un naufrage. Anselme, gentilhomme napolitain, prend à sa charge les frais des mariages de ses enfants retrouvés avec Cléante et Élise. Il obtient ainsi le consentement d’Harpagon aux vœux de ses enfants. Cette version de la comédie de Molière est tournée dans le cloître de Notre-Dame de Paris et au château de Lésigny.

Un peu de vocabulaire

> Comparer le téléfilm avec une mise en scène de théâtre pour déterminer ce qui change dans la version filmée et quelles sont les possibilités qu’offre ce type d’adaptation. • La démultiplication des lieux de l’action. On relèvera les différentes pièces dans lesquelles se déroule l’histoire et on essaiera de reconstituer le cheminement de l’une à l’autre. Si le réalisateur respecte bien l’indication de lieu de Molière, c’est-à-dire une maison bourgeoise près de Paris, il exploite les possibilités que donne une caméra: la maison apparaît comme un labyrinthe aux recoins sombres, aux longs couloirs donnant sur de multiples pièces. Les personnages se rendent à tous les niveaux: des caves aux combles secrets. Le film représente spatialement l’intrigue, les cachotteries, cachettes et complots qui naissent dans les méandres de cette grande maison. • Les références picturales. Le réalisateur a fait un travail sur les décors, les costumes et la lumière pour recréer l’atmosphère d’une grande maison bourgeoise du XVIIe siècle. On comparera les images du film à des tableaux français du XVIIe siècle, comme ceux de Georges de la Tour, ou aux tableaux flamands du XVIe et XVIIe siècle. On en relèvera les points communs: les carrelages noir et blanc, les fenêtres à croisillon, les meubles en bois sombre, etc. On pourra surtout observer le travail sur la lumière: les éclairages latéraux venant des fenêtres et la clarté des bougies créent des effets de clair-obscur très recherchés dans la peinture de l’époque. • Les couleurs. On distinguera les couleurs utilisées dans le film. On pourra ainsi remarquer une dominante de couleurs ternes qui caractérise la décoration de la maison: murs grisâtres, mobilier sombre; ainsi que la plupart des costumes: gris, beiges, bruns, tous usés et passés. Tout dans cette maison exprime l’avarice du maître et la tristesse qui y règne. En revanche, quelques personnages tranchent par des couleurs plus vives: Cléante, en jeune blondin emperruqué au costume orangé et surtout Frosine, l’entremetteuse, qui brille par sa vivacité et sa gaieté.

Un éloge du théâtre

Rédaction Laurence Jung, professeur de lettres modernes Crédits photos Pamela Duhesme / Jourd’hui Mitchell Productions Édition Anne Peeters et Émilie Nicot Maquette Annik Guéry Ce dossier est en ligne sur le site de Télédoc. www..cndp.fr/tice/teledoc/

> Rechercher les références au monde du théâtre. Mettre en évidence le fait que les personnages sont à la fois comédiens et spectateurs. • Le mensonge. L’Avare apparaît comme un éloge du métier de comédien. Tous les personnages mentent et jouent la comédie. On pourra établir un tableau comparatif en trois colonnes: dans la première, on inscrira le nom du personnage, dans la deuxième, sa véritable identité et le but qu’il poursuit, et dans la troisième

son identité d’emprunt, s’il y a lieu, et ce qu’il fait semblant de vouloir. Ainsi, Valère, gentilhomme napolitain, amoureux d’Élise, se fait passer pour un domestique et fait semblant de s’accorder aux vues d’Harpagon sur le mariage de sa fille. Certains personnages, comme Harpagon, ne cachent leurs intentions que par intermittence, pour que les autres révèlent leurs véritables sentiments: le barbon fait croire à son fils qu’il est prêt à lui accorder Mariane pour lui refuser ensuite avec violence. On mettra ainsi au jour la duplicité des personnages de la pièce avant de la confronter aux représentations visuelles du double jeu. Dès la première scène, Valère revêt un manteau, son «costume de scène», avant de jouer son rôle d’intendant flatteur auprès d’Harpagon. Les combles, surtout, sont la cachette d’Harpagon, dans laquelle il entasse tout un bric-à-brac hétéroclite d’usurier et où il range au début sa fameuse cassette. Cette pièce, qui semble inconnue des autres, est la face cachée et honteuse d’Harpagon, la révélation de son activité de prêteur quelque peu escroc comme a pu l’éprouver son fils. C’est à ce lieu que renvoie la liste comique et poétique de meubles et objets inutiles qu’il compte revendre à Cléante en lui prêtant de l’argent. Le respectable bourgeois n’est pas seulement avare, il exerce également une activité répréhensible. Cette grande maison recèle suffisamment de recoins et d’ombres pour cacher tous les secrets. • Les spectateurs. Puisque les personnages jouent la comédie, il est naturel que certains personnages s’amusent au spectacle des autres et représentent le spectateur dans le film. Le film commence par le gros plan d’un trou de serrure, puis par une fenêtre et enfin une lucarne. On relèvera l’ensemble des ouvertures, fenêtres et glaces filmées dans L’Avare. Comme ce n’est pas une mise en scène de théâtre, on peut se demander quelle est la place du spectateur dans ce film. Où se situe-t-il dans cette maison labyrinthique? La question du point de vue est donc d’emblée posée. Le spectateur n’a pas une place fixe comme au théâtre, assistant à une représentation donnée pour lui, en sa direction, mais il occupe ici une position d’intrus qui observe les personnages et leurs conversations secrètes. À de nombreuses reprises, des personnages assistent incidemment à la scène: la servante assiste du balcon aux échanges d’Élise et Valère, Harpagon regarde ses enfants dans le reflet d’un miroir, La Flèche rit des manigances de Frosine et de son désappointement derrière une glace sans tain. Le spectateur adopte donc leur position de témoin curieux et se trouve plongé au cœur de l’intrigue. • Le théâtre. La scène 5 de l’acte V est filmée comme une représentation théâtrale. Alors que la plupart des

personnages sont rassemblés pour les besoins de l’enquête, les trois coups du début de la représentation retentissent et Anselme surgit d’une petite porte cachée dans un décor peint, à la façon des papiers peints rococo. Tous les éléments de la représentation sont présents: la scène, tout d’abord, surélevée de quelques marches; le décor, évoquant une pastorale; les deux chandeliers encadrant le personnage. Enfin, petit détail signifiant, Anselme porte une cage contenant un petit singe, animal de foire, symbole parodique du comédien. Les autres personnages se tournent alors vers lui. Anselme entre et c’est le coup de théâtre, au sens propre, il dévoile sa véritable identité. À sa suite, Valère et Mariane le rejoignent et, dans une scène de reconnaissance invraisemblable, se révèlent être les enfants d’Anselme. Ainsi, la scène de théâtre est paradoxalement le lieu de la vérité, là où les masques tombent.

Le mélange des registres

> Comparer le début du téléfilm de Christian de Chalonge avec L'Avare de Jean Girault, interprété par Louis de Funès, mais aussi avec la façon de jouer de Molière et de sa troupe dans le film d'Ariane Mnouchkine, Molière (1978). • La place relative du comique. Cette confrontation permet de mettre en évidence la place mineure du comique dans la version de Christian de Chalonge: pas de jeu outré, le comique de geste est presque inexistant. Le comique de farce est présent presque en clin d’œil au début du film dans la tape que donne le valet La Flèche sur les fesses de la servante. Seuls les domestiques demeurent dans cette tradition grivoise du comique populaire. Harpagon quant à lui apparaît souvent plus odieux, voire malheureux, que ridicule. Le film se donne comme objectif de faire ressortir la profondeur psychologique de l’avare. Plutôt que d’accentuer le comique et d’interpréter les personnages à la façon de la commedia dell’arte et donc probablement comme le jouait Molière lui-même, Christian de Chalonge exploite les différents registres de la pièce pour en faire ressortir le lyrisme, voire le pathétique et le tragique. • Le lyrisme. On repérera les caractéristiques de l’amour précieux dans la première scène de la pièce. Molière reprend le vocabulaire des précieuses dans ce dialogue amoureux entre Valère et Élise. La mise en scène souligne leur sentiment par des gestes tendres et un cadre bucolique. La scène se déroule en effet dans un lieu-frontière entre la maison et le jardin par une belle soirée d’été ou de printemps. On étudiera le rôle de la bande-son qui fait alterner le chant des cigales et la musique douce des violons avec les coups

de tonnerre dans le lointain et les aboiements des chiens. Ce début de pièce respecte les codes des romans d’amour de l’époque: idylle bucolique entre jeunes gens de qualité, origine romanesque de cet amour (Valère a sauvé Élise d’un naufrage), menaces sur leur liaison. La fenêtre ouverte d’Harpagon que l’on entend tousser rappelle que le père n’est pas loin, qui peut s’opposer à leur amour. On pourra comparer cette situation initiale avec la scène du balcon de Roméo et Juliette qui s’inscrit dans les mêmes registres: lyrique et tragique. • Le tragique. On comparera la scène 7 de l’acte IV avec la folie d’Ajax (Sophocle, Ajax, premier épisode) ou avec les hallucinations de Macbeth (Shakespeare, Macbeth). On en fera ressortir les points communs: perte du sentiment de réalité, univers qui s’effondre pour le personnage, délire obsessionnel, effet pathétique. Comme le héros tragique, Harpagon n’est «ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocent»: il souffre d’une soif de possession qui le conduit à la tyrannie. Il apparaît monstrueux lorsqu’il veut forcer sa fille à épouser un vieillard parce que ce dernier l’accepte sans dot. Il se montre violent quand il tente d’étrangler son fils parce qu’il est son rival. Mais il n’a pas la grandeur des héros tragiques. L’avarice et la tyrannie domestique sont des vices typiquement bourgeois à l’époque de Molière et donc ridicules. Le personnage d’Harpagon oscille en permanence entre le tragique et le comique et c’est cette tension qui donne sa profondeur à la pièce. ■

Pour en savoir plus • L’Avare, film de Jean Girault (1979), Studio Canal, 2002. DVD.

• Molière ou la vie d’un honnête homme, film d’Ariane Mnouchkine (1978), Bel Air Classiques, CNDP, 2004. Double DVD vidéo. http://www.cndp.fr/Produits/DetailSimp.asp?ID=68555 • Complétant la soirée, un documentaire de Frédéric Andréi, L’Avare et moi (2006, 52min, à 0h05), suit le tournage à huis clos du film de Christian de Chalonge et offre le point de vue de Michel Serrault, tour à tour amusé et râleur, concentré et blagueur, sur le personnage qu’il interprète.

« Un lieu d’intrigues, de peur et de conspirations » Pour résister à ce vieillard tyrannique qui veut s’approprier leur jeunesse et leur vitalité, tous les moyens sont bons et nul n’est innocent : Valère trompe son monde avec cynisme en faux intendant, Cléante emprunte des biens sous clause que son père soit mort dans les six mois, Élise ne cesse de mentir, La Flèche est un voyou fureteur qui vole l’avare à plaisir, Frosine est une entremetteuse sournoise qui met de l’huile sur le feu… Cela nécessite un décor d’exception : une espèce de vaste « demeurelabyrinthe » aux multiples ramifications, une maisonpiège qui brouille les cartes en multipliant les lieux d’observation (galeries, jeux de miroirs, glaces sans tain, recoins obscurs, etc.). L’antre d’Harpagon est donc un lieu d’intrigues, de peur et de conspirations où chacun complote contre l’autre, où chacun épie l’autre. Christian de Chalonge, extrait du dossier de presse.

La folie d’Harpagon Plans rapprochés

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[2]

[3]

[4]

Comment représenter la folie du personnage à travers des procédés propres au cinéma ? La scène 7 de l’acte IV est particulièrement intéressante dans le cadre de l’étude de l’adaptation filmique d’une pièce de théâtre. Christian de Chalonge joue ici de la multiplicité des points de vue et des destinataires pour créer à partir d’un monologue de théâtre une scène de film fantastique. Ce monologue commence dans la bande-son de la scène précédente. La Flèche vient d’informer Cléante qu’il a volé la cassette de son père. Tous deux s’enfuient en entendant les cris d’Harpagon qui appelle au voleur. Le début du monologue est présenté du point de vue des comploteurs, et apparaît donc dans un premier temps comme une scène de farce : le personnage ridicule est puni, les jeunes gens se sont vengés du vieux barbon. Mais le plan suivant donne une représentation radicalement différente de l’affaire. Cette fois, l’image est centrée sur Harpagon et son malheur. Il apparaît dans un plan fixe, à l’autre extrémité du couloir. Il avance lentement en direction de la caméra et s’arrête à plusieurs reprises [1]. Ce couloir est composé d’une succession de fenêtres sur la gauche qui créent une impression de profondeur grâce à l’alternance d’ombre et de lumière. Sur la droite, on devine l’entrée de pièces mystérieuses. Harpagon chemine ainsi, ne sachant où aller, perdu dans le labyrinthe de la folie. Il s’arrête dans la lumière, se saisit la main, croyant que c’est celle de son voleur, et comprend ensuite que c’est la sienne. Il avance enfin jusqu’à la caméra et s’adresse à elle pour lui faire part de son désarroi et de sa souffrance. Tout au long de ce plan-séquence, le personnage s’est rapproché du spectateur et lui a permis peu à peu d’entrer dans sa conscience. À partir de «Je me meurs», le spectateur perçoit un brouhaha de voix, qui n’existe que dans la tête d’Harpagon, ce qui nous permet de passer d’un point de vue extérieur à un point de vue subjectif, et crée un effet de sympathie pour ce personnage habituellement représenté comme odieux. Le plan suivant est une vue en contre-plongée de l’escalier [2]. Harpagon monte les marches et s’adresse à une servante dont il prend le bras, au moment où il appelle à l’aide: « N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter (…)?», puis il se tourne vers le visage d’un valet derrière une lucarne, mais conclut « ce n’est personne ». La servante s’est enfuie, Harpagon ne perçoit plus la réalité des personnes qui se trouvent autour de lui et est à nouveau seul dans son malheur. Il monte ensuite par un escalier de côté et accède, au plan suivant, à une vaste pièce, remplie de meubles recouverts de draps blancs fantomatiques. Il regarde par la fenêtre puis dans une glace [3]. Face à son reflet, il remarque « que de gens assemblés », avant de passer devant une autre vitre. Comme dans le plan précédent, Harpagon semble avoir perdu la conscience de soi, il ne reconnaît plus son image, voit une foule à travers lui. Et n’est-ce pas la glace sans tain utilisée par La Flèche précédemment pour l’observer ? Le regarde-t-on à travers le miroir ou n’y a-t-il que lui ? Les voix dans la bande-son montent en volume dans un effet de gradation et l’on perçoit des rires au moment où son monologue est marqué par la paranoïa. Il croit voir toute la maisonnée autour de lui et y reconnaître partout son voleur. Il s’adresse aux meubles, les prenant pour des personnes et arrache les draps. Un homme apparaît derrière la fenêtre, puis un second [4]. Christian de Chalonge utilise les procédés des films fantastiques pour rendre compte de la folie d’Harpagon : est-il seul et a-t-il des visions hallucinatoires que la caméra nous fait partager ? Ou bien les domestiques observent-ils leur maître comme c’est le cas à de nombreuses reprises dans le film ? L’ambiguïté demeure sur la réalité des personnages qui l’entourent alors que dans la pièce de Molière, il est clairement seul sur scène. Le statut du monologue est transformé. Les destinataires changent et sont d’une réalité douteuse : Harpagon se parle à lui-même dans le couloir, puis s’adresse au spectateur à travers la caméra, il s’agit bien dans ce premier plan de la double énonciation propre au théâtre. Mais ensuite, des personnages muets apparaissent, que Molière n’avait pas imaginés et qui semblent de plus en plus irréels : la servante est bien en chair, elle se trouve dans l’escalier, Harpagon la touche. Mais les visages qui apparaissent et disparaissent derrière les vitres, ne sont que des images et partant, seulement des visions. Le film utilise donc tous les effets de déréalisation pour rendre cette scène ambiguë et l’inscrire dans le registre fantastique. Soudain, le tyran domestique, qui était si attaché à posséder tout ce qui l’entoure, argent, enfants, domestiques, n’est plus maître chez lui. Il se dédouble, entend des voix, ne se reconnaît plus, ne se distingue plus des autres et devient, le temps d’un monologue, un personnage tragique.