Le dernier mois de l'existence : les lieux de la fin de vie et de la mort ...

3 downloads 5163 Views 414KB Size Report
Durant ce dernier mois, la proportion de personnes ... Dans les prochaines décennies le nombre de morts et donc de mourants, notamment très âgés, qui.
Le dernier mois de l’existence : les lieux de la fin de vie et de la mort en France Pennec Sophie1, Monnier Alain2, Gaymu Joëlle2, Riou Françoise3, Aubry Régis4, Cases Chantal2, Pontone Silvia5 1- Institut National d’études démographiques (Paris, France) et Australian demographic and social research Institute (Australian National University, Canberra, Australie) 2- Institut National d’études démographiques (Paris, France) 3- CHU de Rennes et Université de Rennes I 4- CHU de Besançon et Observatoire national de la fin de vie 5- CHU Robert Debré et INED Correspondance à : Pennec Sophie INED, 133 boulevard Davout, 75980 Paris cedex 20, France e-mail : [email protected];

Si les lieux et causes de décès ont fait l’objet d’une abondante littérature, les circonstances de la fin de vie, phase ultime de l’existence, restent largement inexplorées en France. A ce stade de la vie, l’hospitalisation, le maintien à domicile ou en maison de retraite peut être conçu comme le résultat d’une sélection, découlant à la fois de choix et de contraintes pour les patients et leur entourage. L’enquête « Fin de vie en France », reposant sur un échantillon représentatif de décès de décembre 2009 et sur lesquels on a interrogé les médecins certificateurs, permet de connaitre le parcours des personnes durant le dernier mois de leur vie. Durant ce dernier mois, la proportion de personnes hospitalisées va doubler et conduire 2 patients sur 3 à finir ses jours à l’hôpital. L’hospitalisation en provenance du domicile est le changement le plus fréquemment observé, les personnes vivant en maison de retraite ou prises en charge à l’hôpital un mois avant leur décès, ayant une forte probabilité d’y finir leurs jours. L’âge, le sexe, la pathologie dont les personnes sont atteintes et l’objectif du traitement influencent fortement la probabilité de rester sans discontinuer dans le même lieu de vie.

Contexte Dans les prochaines décennies le nombre de morts et donc de mourants, notamment très âgés, qui avait peu évolué dans les pays industriels depuis une cinquantaine d’années, va très sensiblement augmenter en raison de l’arrivée des générations du baby-boom aux âges de fortes mortalité. Ainsi, en France on peut estimer que dans 20 ans il y aura 550000 décès annuels de personnes de plus de 60 ans (soit un peu plus que le nombre actuel observé à tous les âges) et ce chiffre pourrait atteindre 700000 en 2050. Quant au nombre de décès de personnes âgées de 80 ans et plus, égal aujourd’hui à 250000, il pourrait être de plus du double en 2040 (Monnier and Pennec, 2004). Cette plus grande présence de la mort dans la société imposera de nouvelles exigences en matière de politiques publiques, et on peut penser que les questions relatives à la nature des soins palliatifs, aux moyens en personnel, aux rôles des familles dans l’accompagnement et à la prise en charge de la fin de vie se poseront avec plus d’acuité. Dans les dernières décennies, les transformations de la fin de vie se sont accompagnées d’un changement radical du cadre dans lequel elle se déroule. Ainsi, il s’est progressivement déplacé de l’espace privé vers un espace public. Le domicile, lieu de décès largement dominant en 1950 est resté majoritaire jusque vers le milieu des années 1970 avant de céder la place aux institutions et notamment à l’hôpital (Aouba et al., 2008). En 2009, en France, 58% des décès se sont produits à l’hôpital, 26% à domicile et 12% en maison de retraite (Beaumel and Pla, 2012). La France se situe dans une position intermédiaire par rapport aux autres pays européens, 33.9% des décès ayant lieu à l’hôpital aux Pays-Bas contre 62.5% en Suède (Lalande and Veber, 2009; Observatoire national de la fin de vie, 2012). La part des décès à l’hôpital est restée relativement stable depuis 1990, la proportion de décès à domicile ayant très légèrement diminué au profit de ceux observés en maisons de retraite (Monnier and Pennec, 2004; Observatoire national de la fin de vie, 2012). Mais mourir à l’hôpital ne signifie pas que toute la fin de vie s’est déroulée à l’hôpital. Si les lieux et causes de décès ont fait l’objet d’une abondante littérature, les circonstances de la fin de vie, phase ultime de l’existence 1, restent largement inexplorées en France.

Données L’enquête « Fin de vie en France » permet pour la première fois en France de connaitre les circonstances de la fin de vie quel que soit le lieu de décès. Menée par l’Ined2, la méthode utilisée consiste à interroger des médecins ayant signé des certificats de décès sur les conditions dans lesquelles les personnes concernées ont fini leur vie. Un échantillon de 14999 décès de personnes âgées de 18 ans et plus a été constitué. Il est représentatif des 47872 décès survenus en décembre 2009, selon l’âge, le sexe, le lieu de décès et la région de résidence. Un questionnaire, adressé à chacun des médecins ayant certifié un de ces décès, comporte une centaine de questions relatives aux décisions prises en fin de vie, à la diffusion des soins palliatifs, à la mise en œuvre des dispositions relatives à la personne de confiance, aux directives anticipées. L’anonymat des réponses était garanti par le recours à des « tiers de confiance », qui ont assuré l’anonymisation de l’ensemble des données avant analyse. Participation à l’enquête 1

dont il est, d’ailleurs, difficile d’apprécier le début. Pour les économistes de la santé, c’est durant la dernière année de vie que la hausse du coût des soins est manifeste Polton Dominique, Sermet Catherine. 2006. Le vieillissement de la population va-t-il submerger les dépenses de santé ? Bulletin épidémiologique hebdomadaire, (5-6).. 2 Enquête financée par le ministère de la Santé, direction générale de la santé (bureau MC3) et l’INED, et réalisée par l’INED avec la participation de l’Observatoire national de la fin de vie, du centre d’épidémiologie des causes de décès de l’Inserm et du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Chaque médecin ayant été interrogé sur quatre décès au maximum, même s’il en avait certifié davantage, c’est en définitive 14080 questionnaires qui ont été envoyés à 11828 médecins certificateurs. Certains médecins n’ont matériellement pas pu répondre au questionnaire (changement de lieu d’exercice, patient non suivi par le médecin répondant, adresse erronée etc). Au total, 5217 questionnaires ont été reçus en retour, soit un taux global de participation de 40%. Ce taux est dans la moyenne de ceux obtenus par d’autres enquêtes nationales effectuées auprès de médecins. Ont été exclus de l’analyse 326 questionnaires n’appartenant pas à l’échantillon. Les résultats de cette étude reposent donc sur 4891 questionnaires ou personnes décédées. L’échantillon a été ajusté par pondération, en fonction de la distribution de l’échantillon initial pour les variables disponibles (âge, sexe, lieu de décès, région de résidence de la personne décédée). Une enquête téléphonique a été effectuée auprès d’un échantillon de 620 médecins non répondants afin de s’assurer de la représentativité des résultats. Elle a montré que les raisons de non-réponse invoquées par ces médecins sont peu liées au thème de l’enquête mais principalement au manque de temps. Les profils des médecins répondants et non-répondants ne montrent pas de distorsions importantes susceptibles d’affecter la représentativité des réponses.

Résultats A ce stade de la vie, l’hospitalisation, le maintien à domicile ou en maison de retraite peut être conçu comme le résultat d’une sélection, découlant à la fois de choix et de contraintes pour les patients et leur entourage. Les facteurs décisionnels sont multiples et l’enquête permet d’en observer un certain nombre. Ainsi on a pu montrer que conformément à ce qui a été observé dans d’autres pays européens (Abarshi et al., 2010; Higginson et al., 2010), l’hospitalisation en provenance du domicile est le changement le plus fréquemment observé. En revanche, la plupart des personnes vivant en maison de retraite ou prises en charge à l’hôpital un mois avant leur décès resteront dans ce même lieu jusqu’à leur décès. L’âge – les plus âgés sont plus souvent institutionnalisés et font moins l’objet d’hospitalisation– et le sexe –les femmes vivent plus souvent en maison de retraite - influencent fortement le parcours de fin de vie. En outre, pour une même maladie, si le patient est traité pour son seul confort, il quittera moins souvent son domicile ou sa maison de retraite pour une hospitalisation, qu’en cas de recherche de la guérison. On constate également que la pathologie modèle différemment, au fil des semaines, les trajectoires de fin de vie. Certains passeront plus souvent que les autres le dernier mois de leur existence dans le même lieu : à l’hôpital pour les victimes de cancer, à domicile pour celles souffrant de maladies cardio-vasculaires et en maison de retraite celles atteintes de troubles mentaux. Pour d’autres, le décès à l’hôpital surviendra après un séjour plus ou moins long. Contrairement aux personnes atteintes de cancer, celles souffrant de maladies cardio-vasculaires, de l’appareil respiratoire ou de l’appareil digestif entreront plus souvent à l’hôpital la dernière semaine de leur vie. Or au cours des dernières décennies, la structure des causes de décès a évolué. Le recul le plus marqué est celui des maladies cardiovasculaires. La mortalité par tumeur a également décliné mais de manière beaucoup moins marquée si bien que les cancers représentent aujourd’hui la première cause médicale de décès. Les maladies infectieuses, de l’appareil digestif et de l’appareil respiratoire, ont continué à diminuer et leur poids dans la mortalité totale est devenu très faible. En revanche, la mortalité par troubles mentaux et maladies du système nerveux, a augmenté rapidement au cours des dix dernières années, ces maladies sévissant tout particulièrement aux âges élevés (Mazuy et al., 2011). La poursuite de ces évolutions conduira à de nouveaux besoins de prise en charge des personnes en fin de vie. Aujourd’hui, la très large majorité des patients atteints par ces pathologies passent les dernières semaines de leur existence en institution. En l’absence d’évolutions notables des traitements de ces maladies et/ou des modalités de leur prise en charge, il faut s’attendre à l’avenir à un besoin croissant de places en maison de retraite et par là même à une progression des décès dans ce lieu.

Les effets de l’évolution des situations conjugales et des pratiques médicales sur la distribution future des lieux de fin de vie seront également abordés.

Références: Abarshi E., Echteld M., Van den Block L., Donker G., Deliens L., Onwuteaka-Philipsen B. 2010. Transitions between care settings at the end of life in The Netherlands: results from a nationwide study. Palliative Medicine, 24 (2), p. 166-174. Aouba Albertine, Pequignot François, Jougla Eric. 2008. Lieux de décès en France métropolitaine. JALMALV, 95. Beaumel Catherine, Pla Anne. 2012. La situation démographique en 2010 - Mouvement de la population. Insee. (Insee Résultats; 131). Higginson I. J., Hall S., Koffman J., Riley J., Gomes B. 2010. Time to get it right: are preferences for place of death more stable than we think? Palliative Medicine, 24 (3), p. 352-353. Lalande Françoise, Veber Olivier. 2009. Mort à l'hopital. vol. RM2009-124P. Mazuy Magali, Prioux France, Barbieri Magali. 2011. L'évolution démographique récente en France: Quelques différences entre les départements d'outre-mer et la France métropolitaine. Population, 66 (3-4), p. 503-535. Monnier Alain, Pennec Sophie. 2004. L'expérience de la mort : une approche démographique. In: Caselli Graziella, Vallin Jacques, Wunsch Guillaume (Eds), Démographie : analyse et synthèse. Paris, Ined, vol. 6, Les conséquences des changements démographiques, p. 283-306. Observatoire national de la fin de vie. 2012. Fin de vie: un premier état des lieux - rapport 2011. 268 pages p. Polton Dominique, Sermet Catherine. 2006. Le vieillissement de la population va-t-il submerger les dépenses de santé ? Bulletin épidémiologique hebdomadaire, (5-6).