Le Village des damnés - Cndp

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froide, Le Village des damnés oscille entre peur des extraterrestres et alerte adressée aux Américains contre le péril rouge. Le Village des damnés.
teledoc le petit guide télé pour la classe

2007 2008

Le Village des damnés Un film britannique de Wolf Rilla (Village of the Damned, 1960, N&B),

Suite à un étrange phénomène d’endormissement,

scénario de Stirling Siliphant,

toutes les femmes en âge de procréer d’un paisible

George Barclay et Wolf Rilla, d’après

village d’Angleterre accouchent d’enfants blonds au

un roman de John Wyndham, avec George Sanders (Gordon Zellaby), Barbara Shelley (Anthea),

regard hypnotique et à l’intelligence supérieure. Tourné à l’époque de la conquête de l’espace et de la guerre

Martin Stephens (David),

froide, Le Village des damnés oscille entre peur des

diffusé dans le Cinéma de minuit.

extraterrestres et alerte adressée aux Américains contre

1 h 15 min

le péril rouge.

FRANCE 3 LA NUIT DU DIMANCHE 13 AU LUNDI 14 JANVIER, 0 h 40

Attention, les enfants regardent ! Éducation au cinéma, lettres et anglais, collège En Angleterre, l’ensemble de la population du village de Midwich est brutalement plongé pendant plusieurs heures dans un profond sommeil. Au réveil, tout semble normal. Mais quelques mois plus tard, toutes les femmes de la localité accouchent d’enfants blonds surdoués à la croissance fulgurante. Vivant en marge des habitants, ces êtres exercent bientôt un pouvoir surnaturel sur la totalité des habitants et suppriment tous ceux qui tentent de s’opposer à leur tyrannie. Un homme, Gordon Zellaby, père de l’un d’entre eux, va pourtant réussir à déjouer leur emprise et se sacrifier pour les éliminer avant que le monde ne tombe entre leurs mains.

La dramaturgie

> Analyser la structure narrative du film. Commenter sa sobriété esthétique. Le Village des damnés s’inscrit dans un contexte réaliste et dépouillé loin des effets spéciaux propres au genre fantastique. Malgré la courte durée de l’œuvre, le réalisateur prend soin de poser l’intrigue, étalée sur plusieurs années, pour ensuite faire lentement « monter » l’angoisse par une série d’indices de plus en plus troublants. C’est d’abord l’évanouissement général et le blackout total, fondateurs de la dramaturgie et du climat du film, qui ne trouvent aucune explication scientifique et qui créent d’emblée un sentiment d’insécurité et de paranoïa (rappelons la glaçante vision liminaire de la population du village jonchant le sol après que le tintement lugubre d’une cloche a martelé le générique). S’ensuit le phénomène étrange des femmes simultanément mises enceintes (une jeune vierge est même fécondée), puis la rapidité suspecte de la gestation, enfin le physique et le comportement menaçants des nouveaux enfants. L’épreuve du casse-tête chinois à laquelle trois d’entre eux sont soumis constitue, par ailleurs, une des scènes-climax du film. L’expérience faussement répétitive puisqu’elle s’adresse à des enfants de plus en plus jeunes (l’intensité dramatique va alors crescendo) repose sur un dispositif simple mais édifiant qui n’a d’autre but que de fournir au spectateur une preuve tangible de l’extraordinaire supériorité intellectuelle des jeunes « têtes blondes ». Dès lors, le spectateur ne peut plus douter de la menace que représentent les douze petits tyrans aux yeux perçants.

Une invasion sournoise

Rédaction Philippe Leclercq, professeur de lettres modernes Crédits photos Warner Bros Édition Émilie Nicot et Anne Peeters Maquette Annik Guéry Ce dossier est en ligne sur le site de Télédoc. www..cndp.fr/tice/teledoc/

> Décrire les jeunes protagonistes et décrypter leurs intentions. Analyser le film à l’aune du contexte historique de sa conception. • La menace blonde. Leur blondeur, leur absence d’expression, leur maturité, leur intelligence supérieure et la fixité de leur regard qui devient d’une intensité hypnotique quand un être tente de leur résister sont les indices physiques de leur anormalité. Quasi identiques physiquement et étrangers dans leurs propres familles, ils ne se mêlent jamais aux autres. En réalité, ces esprits froidement calculateurs ne forment qu’un (groupe), qui communique par la pensée, au service de leur projet maléfique. Forts d’une pensée qu’ils partagent, ils s’unissent et entrent littéralement en guerre pour régner en maîtres absolus sur le

village. Leur immense pouvoir, qu’ils veulent étendre à la planète entière (rappelons que des phénomènes similaires se sont produits un peu partout dans le monde) à l’aide d’une arme vraisemblablement nucléaire, les amène à tuer sans état d’âme. À l’instar de la banalité du cadre dans lequel prend place l’histoire du film (à l’opposé du caractère surnaturel qui perturbe l’ordre des choses), le pouvoir démoniaque des enfants semble proportionnel à leur grande sagesse apparente. • Qui sont-ils ? Datant de 1960, ce film fort suggestif s’inscrit dans le contexte de la conquête de l’espace, période aussi fascinante qu’inquiétante. Plusieurs films ont d’ailleurs montré durant les années 1950 que la question de l’extraterrestre perturbe fortement les esprits. On remarquera encore que ces êtres qui effraient ne ressemblent pas à leurs parents. Leur type physique et leur formidable intelligence rappellent à l’évidence la théorie sur la supériorité de la race aryenne dont le souvenir est encore vif en 1960. D’autre part, le sujet de l’infiltration « de l’intérieur » où la procréation devient signe de danger et de mort, et où l’enfant maléfique devient également la métaphore de l’espion évoque la période de la guerre froide. On notera que la conquête du monde entamée par les enfants terribles trouve dans un premier temps une aide précieuse en la personne de l’intellectuel Zellaby, lequel se retournera contre les créatures qu’il a formées en les exterminant purement et simplement. Le film indique clairement que le mal le plus terrible (le communisme ?) contre lequel il ne faut pas hésiter à se sacrifier pour préserver le monde libre peut s’immiscer dans les foyers les plus anodins et prendre les traits de la candeur la plus «désarmante». Chambre d’écho de l’époque trouble de la guerre froide où les savantes tactiques ne cessent de s’adapter au gré des positions de l’adversaire, le film nous montre que la froide détermination (raison) l’emporte ici sur les passions. Aussi, pour s’opposer à leur menace impérialiste, c’est à un mur de briques que pense le savant Gordon, mur évocateur du rideau de fer devenu partiellement concret une année après la réalisation du film (le mur de Berlin est érigé en 1961). „

Pour en savoir plus • WYNDHAM John, Les Coucous de Midwich, Denoël, coll. « Présence du futur », 1977.

La confrontation Fiche de travail La séquence au cours de laquelle Bernard, dans la classe, tente de sermonner les enfants qui viennent de commettre le meurtre d’un villageois en colère (62e min) rend expressive l’opposition de l’humanité du premier et de l’inhumanité des seconds par des procédés visuels et sonores que les élèves, par l’observation de la séquence, tenteront d’identifier. Mais, préalablement, ils prendront connaissance de l’extrait des Coucous de Midwich, le roman de John Wyndham dont Le Village des damnés est l’adaptation, afin d’élaborer leur propre construction de la scène et d’imaginer la manière dont elle pourrait être filmée.

Document Le policier prend la parole : « Mais cela vous est égal d’être responsables, comme vous l’affirmez, de la mort d’autres gens ? – Pourquoi tergiverser plus longtemps ? demanda le garçon. J’ai répondu à vos questions, parce que nous avons cru qu’il serait préférable que vous connaissiez la situation. Comme apparemment vous ne l’avez pas saisie, je m’expliquerai plus clairement. À la moindre tentative de quiconque de se mettre en travers de notre chemin et de nous molester, nous nous défendrons. Nous avons démontré notre capacité de le faire, et nous espérons que cet avertissement suffira pour empêcher d’autres incidents. Sir John resta bouche bée devant le garçon, ses poings se serrèrent, et sa face s’empourpra. Il se leva presque de son fauteuil comme s’il allait se lancer sur l’enfant, puis, se ravisant, se laissa retomber. […] – Sacré petit chenapan ! Sale petit foutriquet ! Comment oses-tu me parler sur ce ton ? Je représente la police de ce pays, tu comprends ? Si tu ne comprends pas, il est grand temps que tu l’apprennes, et parbleu, je m’en charge. […] Il s’interrompit soudain, et fixa le garçon en écarquillant les yeux. […] La bouche du chef de police se relâcha, sa mâchoire tomba un peu, ses yeux s’agrandirent et s’écarquillèrent de plus en plus. Ses cheveux se dressèrent légèrement. La sueur jaillit de son front, de ses tempes, et ruissela le long de son visage. Un gargouillis inarticulé sortit de sa gorge. Des larmes lui coulèrent sur le nez. Il se mit à trembler mais apparemment il ne pouvait pas bouger. Puis après de longues secondes d’immobilité, il bougea. Il leva des mains agitées, et maladroitement s’en cacha le visage. Puis il se mit à pousser des petits cris étranges. Il glissa hors de son fauteuil, à genoux par terre, puis tomba en avant. Il resta là, vautré et tremblant, en poussant des hennissements perçants tandis qu’il griffait le tapis, comme s’il voulait s’y enfoncer. Tout à coup, il vomit. Le garçon leva la tête. Comme s’il répondait à une question, il dit au docteur Torrance : – Ce n’est rien. Il a voulu nous effrayer, et alors nous lui avons montré ce que c’est que la peur. Il comprendra mieux maintenant. Il se remettra dès que ses glandes fonctionneront normalement. Puis il se tourna et quitta la pièce, laissant les deux hommes s’interroger du regard. » John WYNDHAM, Les Coucous de Midwich, Denoël, coll. « Présence du futur », 1995, p. 198-200.

Questions 1. Après voir lu l’extrait du roman, imaginez la manière dont vous auriez à filmer cette scène. Vous pourrez notamment effectuer un découpage, voire dessiner un storyboard. 2. Après avoir vu l’extrait du Village des damnés correspondant, dégagez les différences entre le roman et le film, et repérez les effets présents dans le roman qui ont été adaptés. 3. Identifiez les effets visuels (cadrages, angles de caméra, éclairages) et sonores (bruits et musiques) qui contribuent à faire monter l’angoisse chez le spectateur.

L’enfant dans le récit fantastique au XXe siècle Si l’enfant n’occupe qu’une place marginale dans la littérature fantastique classique, de nombreux récits, au XXe siècle, en font leur figure centrale. Le premier d’entre eux est Le Tour d’écrou, de Henry James, en 1898, au moment même où est inventé le cinéma (1895) et où Freud découvre le rôle fondamental de l’inconscient (1893-1898). Car «le cinéma, la psychanalyse et la littérature fantastique ont en commun de travailler sur l’image, le temps et la mort» (Lydie Malizia, L’Enfant dans la littérature et le cinéma fantastiques, thèse disponible sur son site personnel). L’inconscient est en effet souvent mis en scène à travers le personnage de l’enfant qui, être innocent, recèle aussi la part sombre de soi qui reste dans l’ombre. Les enfants, à la frontière du monde réel et du monde surnaturel, peuvent ainsi accéder autant au monde angélique qu’au monde démoniaque et inquiètent de ce fait les adultes angoissés par leur altérité: aliens maléfiques (Les Coucous de Midwich, de John Wyndham, dont ce film est l’adaptation) et dotés de pouvoirs (Shining, de Stephen King), êtres pervers (Le Tour d’écrou) ou possédés (L’Exorciste, de William Peter Blatty), voire enfants du diable (Rosemary’s Baby, d’Ira Levin).

Un mur de briques Plans rapprochés

« J’appelle métaphore la juxtaposition par le moyen du montage de deux images dont la confrontation doit produire dans l’esprit du spectateur un choc psychologique dont le but est de faciliter la perception et l’assimilation d’une idée que le réalisateur veut exprimer par le film.» (Marcel Martin, Le Langage cinématographique, Éditions du Cerf, 1992.) Exemple avec la séquence finale du Village des damnés. [1]

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Avant que de signifier un état d’âme ou d’exprimer la dominante psychologique de l’action, la première fonction de la surimpression est de matérialiser un contenu visuel. Ici, le scientifique Gordon Zellaby pense à un mur de briques qu’il oppose au pouvoir maléfique des « têtes blondes » qu’il avait dans un premier temps, et ce contre le reste de la population du village, décidé d’éduquer. Se concentrer sur l’idée d’un mur, c’est contraindre sa pensée à se fixer sur un objet destiné à cacher sa funeste intention d’éliminer ses douze élèves en faisant exploser la bombe à retardement contenue dans son cartable. On rappellera que les immenses pouvoirs des enfants leur permettent de lire dans les pensées d’autrui. Le mur est donc un leurre destiné à tromper leur vigilance et ainsi à gagner du temps sur le moment de l’explosion. Métaphoriquement, le mur est représentatif de la protection nécessaire à la réussite de son entreprise. Hissé au niveau de la planète, il symbolise le paravent derrière lequel le monde doit se blottir pour éviter de tomber dans les mains de ces extraterrestres froids et vindicatifs. Vu la mise en garde – adressée aux Américains contre le grand Satan communiste – que constitue ce film tourné en pleine guerre froide, le mur évoque encore le bouclier psychologique et militaire dont le pays doit se doter pour contrer les velléités armées et les idées pernicieuses de l’ennemi soviétique… L’affrontement final prend la forme classique d’une alternance champ/contrechamp entre le groupe d’enfants et son infortuné mentor. Aux regards des enfants dont l’un des rares effets spéciaux du film souligne le pouvoir hypnotique répond celui égaré de Zellaby. Les jeunes êtres unissent ici leurs forces et fixent leur proie pour lui voler le secret qu’il leur cache. Zellaby, dont les yeux se ferment, est alors à demi-conscient. Pendant ce temps, le mur s’effondre, la résistance du savant faiblit comme le suggère la surimpression qui permet d’en visualiser simultanément et dramatiquement l’évolution [1]. Les yeux de Zellaby disparaissent pour laisser apparaître la minuterie de la bombe en surimpression du mur de briques. L’homme qui sent ses forces le quitter commence à penser au temps, à l’urgence du moment, à la nécessité de l’explosion finale. Il se déconcentre et baisse par conséquent sa garde face aux enfants qui poursuivent leur travail de sape [2]. Le mélange visuel « mur-paire d’yeux fermés-horloge » [3] rend particulièrement sensible le tumulte de la pensée du professeur et celui du suspense qui atteint son paroxysme avec le regard enfin épouvanté de David, le meneur de la bande d’enfants [4]. Car, au moment où il réussit à percer le mur du secret de son maître (c’est-à-dire qu’il parvient à voir ce que le plan des pensées de Zellaby nous donne à regarder), il détourne rapidement son regard sur le cartable et comprend que c’est la fin pour lui et ses compagnons.