Les Dossiers noirs du Vatican - Numilog

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ce roman sont faux et mensongers, le livre et le film qui s'en inspire ont contribué à .... raison » de lire un livre interdit peut obtenir la permission de son évêque.
Introduction

Les clés du royaume

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ès l’instant où Jésus dit à Simon le pêcheur qu’il s’appellera désormais Pierre, dès l’instant où il lui confie les clés du royaume des cieux, la religion qui se développe autour du nom du Christ se voit contrainte de cultiver le secret. Jugés dangereux par les empereurs romains, les chrétiens se réunissent clandestinement pour vouer leur culte à Dieu dans les catacombes et les grottes. Ils inventent des signaux secrets (signes de la main), des symboles et d’autres moyens de reconnaissance et de communication pour éviter de se faire repérer et d’être persécutés. Au commencement déjà, le christianisme est une religion de secrets. Après trois siècles de persécution, le statut de hors-laloi des fidèles du Christ prend fin lorsque Constantin se convertit à la suite d’une apparition. Selon la tradition, l’empereur, qui s’apprête à combattre son plus redoutable adversaire, Maxence, au Pont Milvius en l’an 312, a une vision du Christ lui montrant un chrisme flamboyant et

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lui disant : « In hoc signo vinces » (Par ce signe tu vaincras). Constantin ordonne à ses légionnaires d’apposer sur leurs boucliers le chrisme et remporte la bataille. L’année suivante, il rencontre l’empereur Licinius, qui règne sur les provinces orientales de l’Empire romain, pour signer l’édit de Milan. Cet édit octroie les mêmes droits à tous les groupes religieux au sein de l’Empire. Constantin rend aux chrétiens les biens qui leur ont été confisqués, soutient la construction de nombreux édifices religieux et fait don de terres à l’Église. Il envoie sa mère à Jérusalem à la recherche de l’emplacement où le Christ a été crucifié et fait ériger une église à cet endroit. Il convoque un concile œcuménique à Nicée en l’an 325 pour condamner l’Arianisme. Au cours de ce concile, les Pères établissent un socle commun de croyances (le credo ou symbole de Nicée) et discutent des textes qui entreront dans la Sainte Bible. Lors de la constitution du « Canon » biblique par lequel les textes rejetés sont jugés hérétiques, les évêques, qui se sont réunis à Nicée, revendiquent le droit absolu de décider ce qui peut être enseigné et ce qui devra rester secret. Quand Constantin fait construire la basilique Saint-Pierre sur la colline du Vatican au cœur de Rome, elle devient le siège des successeurs de saint Pierre, le Saint-Siège.

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L’emplacement de la basilique actuelle se trouve, comme à l’origine, sur le site du cirque de Caligula et de Néron datant du premier siècle. Après avoir reconnu officiellement le christianisme comme religion, Constantin commence, en 324, la construction d’une grande basilique à l’emplacement où saint Pierre aurait été crucifié puis enseveli. Au milieu du quinzième siècle, on décide de reconstruire la basilique. Le pape Nicolas  V demande à l’architecte Bernardo Rossellino de dessiner les plans d’un nouvel édifice. Finalement, c’est sous le pontificat de Jules  ii que commence, en 1596, la construction de la nouvelle basilique. Elle prendra fin en 1615 sous le pontificat de Paul V. Parmi les bâtiments qui entourent la basilique et qui constituent la Cité du Vatican, certains abritent les Archives Secrètes Vaticanes. « Défenseur de la foi » pendant plus de seize siècles et dépositaire d’un savoir réprimé pendant des années, le Vatican attise la curiosité des amateurs de légendes, de mythes et de contes qui imaginent des activités mystérieuses, des secrets sinistres, des complots criminels ourdis en son sein. L’aura de mystère qui a entouré pendant des siècles l’Église catholique romaine, comme l’utilisation du latin pendant les offices, le secret qui entoure l’élection du pape, l’utilisation de vêtements, de calottes et de tiares symboliques, les rituels du culte, la croyance aux miracles et en l’apparition des saints, l’infaillibilité proclamée du pape en matière de foi, tous ces éléments ont alimenté les soupçons qui pèsent sur le Vatican. Ainsi les non catholiques ont-ils toujours pensé que l’Église avait la culture du secret. 9

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Rien n’est plus fascinant – pour ceux qui croient que le Vatican cache des informations et des faits – que les Archives Secrètes Vaticanes. Depuis l’époque apostolique, les papes ont pris soin de conserver les manuscrits dans le scrinium Sanctae Romanae Ecclesiae. Aujourd’hui, les documents concernant 264 papes et des hauts dignitaires du Vatican remplissent 85  km de rayonnage. Ces documents sont abrités dans des édifices Renaissance pas très loin de la chapelle Sixtine dans la Cité du Vatican  : ils ne portent pas uniquement sur l’histoire du christianisme mais aussi sur celle de toute la civilisation occidentale. Personne, pas même le pape, ne peut affirmer avec certitude connaître le nombre de secrets et de scandales qui se trouvent dans ces archives. Les Archives Secrètes Vaticanes sont essentiellement utilisées par le pape et la curie, c’est-à-dire le Saint-Siège. C’est en 1881, à l’initiative du pape Léon  xiii, que les archives sont ouvertes à la consultation des universitaires et deviennent ainsi le plus grand centre de recherche historique du monde.

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Certains documents issus de ces archives sont désormais consultables sur Internet. Il est possible d’accéder à plus de six cents sources d’archives couvrant plus de huit cents ans d’histoire sur le site web du Vatican (www. vatican.va). Le plus ancien document date du viie siècle, alors que l’archivage des documents a été conduit de manière ininterrompue depuis 1198. Il est possible de voir la lettre autographe de Michel-Ange (Michelangelo Buonaroti) à l’évêque de Cesena (juin 1550), les minutes du procès de Galilée (1616-1633), des lettres concernant Henri viii et son désir d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon afin de pouvoir épouser Ann Boleyn et le Parchemin de Chinon dans lequel le pape Clément  v concède l’absolution aux chefs de l’Ordre du Temple (17-20 août 1308) avant qu’ils ne soient conduits au bûcher quelques années plus tard. L’idée fort répandue selon laquelle les archives du Vatican regorgent de secrets inavouables s’est trouvée confortée en 2003 avec la publication du roman de Dan Brown, le Da Vinci Code puis, plus tard, avec la sortie du film inspiré de l’ouvrage. La fiction évoque un complot ourdi par l’Église et les chevaliers de l’Ordre du Temple pour détruire toutes les preuves du mariage de Jésus à Marie Madeleine et les traces de leur descendance (une fille) qui serait en fait le Saint Graal et qui aurait été emmenée en France. De cette fille serait née une descendance prestigieuse qui ne serait toujours pas éteinte à l’heure actuelle. Même s’il a été établi depuis que les faits relatés dans ce roman sont faux et mensongers, le livre et le film qui s’en inspire ont contribué à faire croire que le Vatican ne recule devant rien pour empêcher que ses secrets ne soient révélés. 11

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Si le Da Vinci Code parle d’une conspiration imaginaire, l’histoire du Vatican regorge bel et bien d’événements réels que le Saint-Siège voudrait à tout prix garder secrets et d’incidents que certains aimeraient tout autant transformer en théories fantaisistes concernant des meurtres, des papes empoisonnés, des relations sexuelles non autorisées, une connivence avec les nazis, des conspirations communistes, le vol d’œuvres d’art et d’or et d’autres soupçons qui n’ont parfois aucun fondement. Cet ouvrage, classé à la fois chronologiquement et thématiquement, explore la saga fascinante des secrets du Vatican et tente de séparer le vrai du faux et de faire la lumière sur ce que contiennent réellement les archives et ce qu’elles nous révèlent (avec d’autres sources) sur les escapades sexuelles de papes et de prêtres, les meurtres dans les ordres religieux, les scandales financiers, les intrigues internationales sans oublier les histoires d’OVNIS et de prophéties concernant la fin du monde.

Chapitre 1

Tu ne liras point

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orsque le cinéaste, Ron Howard, demande en 2008 l’autorisation de tourner des scènes d’Anges et Démons, le film tiré du roman éponyme de Dan Brown, qui se déroule au Vatican et dans les églises de Rome, l’archevêque Velasio de Paolis, président de la Préfecture pour les Affaires économiques du Saint-Siège, interdit l’utilisation de toute propriété de l’Église à Rome. Selon lui, l’auteur du Da Vinci Code a « détourné les Écritures pour empoisonner la foi ». Après avoir qualifié l’idée selon laquelle Jésus et Marie Madeleine auraient été mariés et auraient eu un enfant « d’offense contre Dieu », Mgr Velasio de Paolis a affirmé : « Il est inacceptable de transformer les églises en plateaux de cinéma pour que ses romans blasphématoires soient adaptés en films mensongers au nom du business. » Il a ajouté que le travail de Brown « heurte les sentiments religieux ».

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Le père Marco Fibbi, porte-parole du diocèse de Rome a déclaré de son côté : « Normalement, nous lisons les scripts qui nous sont soumis mais là, ça n’a pas été nécessaire. Le nom de Dan Brown a suffi. » Quand l’adaptation du Da Vinci Code est sortie au cinéma, un haut dignitaire du Vatican a appelé tous les catholiques à boycotter le film. Qualifiant le livre de «  farouchement antichrétien  », l’archevêque Angelo Amato, proche collaborateur du pape Benoît xvi, affirme qu’il est «  truffé de calomnies, d’attaques et d’erreurs historiques et théologiques concernant Jésus, la Bible et l’Église… Si de telles calomnies, insultes et erreurs avaient concerné le Coran ou la Shoah, cela aurait provoqué légitimement un soulèvement mondial. Mais quand elles concernent l’Église et les Chrétiens, elles restent impunies. » En tant que numéro deux de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Amato appelle à un boycott similaire à celui de 1988 contre La Dernière Tentation du Christ réalisé par Martin Scorsese. Lorsque le Da Vinci Code a été publié en 2003, les hauts dignitaires de l’Église et d’autres chrétiens se sont exprimés franchement contre le roman. Dans les semaines qui ont précédé la sortie du film, l’Opus Dei, cette association de laïques catholiques, dont certains membres sont décrits comme des criminels dans le roman, a sponsorisé des forums et d’autres manifestations publiques pour réfuter les thèses du livre et contester l’idée selon laquelle l’Opus Dei serait une organisation mystérieuse et opaque. En interdisant à Howard de filmer Anges et Démons dans les églises romaines et au Vatican et en protestant contre les livres de Dan Brown et leurs adaptations au 14

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cinéma, les prélats du Vatican nous ramènent à une époque où le Saint-Siège exerçait un pouvoir indiscutable sur le contrôle de la diffusion du savoir par les livres. Inventée par Jean Gutenberg en 1454, l’imprimerie typographique a révolutionné le monde religieux en rendant la Bible accessible au plus grand nombre et en permettant l’impression de nombreux ouvrages. La diffusion de livres s’est traduite par la volonté du Vatican de dicter aux fidèles ce qu’ils pouvaient lire. C’est ainsi que sera établi l’Index Librorum Prohibitorum (index des livres interdits). De  1559 à  1966, l’Index recensa les livres que les catholiques n’avaient ni le droit de lire ni le droit de posséder sous peine d’excommunication.

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« Pendant la longue vie de l’Index, peut-on lire dans un article de la revue America, the National Catholic Weekly, les catholiques furent instruits des dernières interdictions sans jamais être informés des raisons qui les justifiaient. Derrière les portes closes, pourtant, les prélats du Vatican eurent de longs débats, parfois houleux, concernant les livres de l’époque. » Après avoir étudié l’Index pendant plus d’une décennie, le révérend Hubert Wolf, prêtre diocésain et professeur d’histoire à l’université de Münster en Allemagne, affirme  : «  Aucune autre institution dans le monde n’a tenté de contrôler le média des temps modernes, le livre, pendant plus de quatre cents ans. » Les archives relatives aux débats de l’Église sur des milliers de livres fournissent un éclairage unique sur les réflexions du Vatican concernant la théologie, la philosophie, la politique, la science et la littérature mondiale. Entreposés dans un sous-sol de ce qui était autrefois appelé le Saint-Office, remplacé aujourd’hui par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, les fichiers ont été inaccessibles aux chercheurs extérieurs pendant des siècles. L’établissement de ces archives commence véritablement avec la mise en place de l’Inquisition pour combattre la Réforme protestante lancée par Martin Luther qui défie l’autorité pontificale en affichant ses « 95 thèses » sur les portes de l’église du château de Wittenberg en 1515. Ces thèses sont imprimées à Leipzig, Nuremberg et Bâle et largement diffusées. Le Saint-Office ne tarde pas à être débordé par le développement de la presse typographique et les écrits d’auteurs protestants prolifiques qui utilisent ce nouvel outil pour diffuser leurs idées. Cette avalanche de publications a eu en son temps autant d’influence que l’Internet aujourd’hui. Le Vatican crée en 1571, un bureau 16

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séparé, la Congrégation de l’Index, chargé de traiter uniquement les livres. Le premier Index, publié en 1559, interdit tous les livres de Luther, de Jean Calvin et d’autres réformateurs protestants. Comme la traduction de la Bible en langue vernaculaire est une spécialité protestante, toutes les Bibles autres que la Vulgate seront interdites. Le Coran et le Talmud sont aussi proscrits. L’Index recense également les « livres dont les passages en conflit avec l’enseignement de l’Église » doivent être supprimés. Les auteurs latins et grecs tels que Platon, Aristote, Cicéron, Virgile, Homère, Euclide, Hippocrate, Thucydide et d’autres sont inscrits dans la liste expurgiato, car ils reflètent les croyances païennes. Dans les livres traduits par les protestants, les passages incriminés doivent être supprimés. Parfois, il suffit qu’un ouvrage soit imprimé dans une ville « protestante » pour qu’il figure sur la liste des livres répréhensibles…  La Congrégation de l’Index se réunit trois ou quatre fois par an à Rome. Deux « consulteurs » sont nommés pour chaque livre à examiner. On discute de leurs découvertes lors d’une réunion de cardinaux au sein de la Congrégation. La décision de la Congrégation est ensuite présentée au pape qui peut ou non l’approuver. L’examen des ouvrages et les réunions de la Congrégation ont généré un grand nombre de documents, écrits en latin ou en italien  : les Diarii, qui regroupent les décrets mentionnant la liste des livres condamnés par la Congrégation et les Protocolli, qui rassemblent les rapports des consulteurs et d’autres documents. La Congrégation de l’Inquisition se réunissait toutes les semaines, mais ne traitait que deux à trois pour cent des cas de censure, en général des livres de théologie. 17

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Au cours des siècles, l’Index a condamné un grand nombre d’écrits qui sont devenus des classiques de la culture européenne. Il a interdit des ouvrages philosophiques dont les œuvres de Descartes, Spinoza, Locke, Hume, Rousseau, Voltaire, Pascal, Kant et Mill. Parmi les romanciers censurés figurent Balzac, Flaubert, Hugo, Zola, D’Annunzio et Moravia. Les livres des romanciers Daniel Defoe et Jonathan Swift ont également été mis à l’index. Le zèle des censeurs a varié au cours du temps et a fini par s’essouffler au xxe siècle. L’une de leur dernière cible sera Jean-Paul Sartre, dont les ouvrages ont été interdits dès 1948.  C’est avec la constitution du «  Canon  » biblique en l’an 393 que l’Église dresse une première liste des livres interdits. Les anciens de l’Église décident alors des vingt-sept livres qui constituent le Nouveau Testament : les évangiles reconnus de Marc, Mathieu, Luc et Jean ; l’Apocalypse ; les lettres de Pierre et Paul et le livre des Actes des Apôtres. En bannissant tous les autres textes, l’Église a initié un processus qui allait se poursuivre pendant seize siècles  : l’interdiction aux catholiques de posséder et de lire des ouvrages rejetés par le Vatican et la création d’une bibliothèque contenant tous les livres interdits aux fidèles. «  Depuis que les nouveaux convertis de saint Paul à Éphèse ont brûlé leurs vieux livres d’art magique, l’Église a mené une guerre contre les livres qui risquaient de compromettre la foi ou la morale de ses fidèles. » L’index recense les livres que les catholiques n’ont pas le droit de lire. Parmi ces ouvrages, on trouve des versions non catholiques de la Bible, des livres qui attaquent le dogme catholique, ceux qui défendent l’hérésie 18

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ou les schismes et ceux qui « décrivent ou enseignent des pratiques impures ou obscènes », tels que L’Amant de Lady Chatterley. Toutefois, tout catholique qui a une « bonne raison » de lire un livre interdit peut obtenir la permission de son évêque. Même si aujourd’hui le Vatican n’édite plus d’Index, l’Église continue à condamner des livres, des films qui sont contraires à la doctrine chrétienne, qui offensent l’Église ou qui sont jugés immoraux. Certains auteurs souhaitent à tout prix être interdits par le Vatican dans l’espoir que la désapprobation officielle de l’Église catholique entraînera une explosion des ventes. La condamnation du Da Vinci Code et la controverse qu’il a soulevée ont contribué à l’immense succès commercial du livre. Après avoir passé des siècles à passer au crible les livres pour déterminer s’ils étaient moralement acceptables et conformes aux préceptes de l’Église, le Vatican a constitué la collection la plus importante du monde de livres et de manuscrits condamnables d’un point de vue moral et religieux. Toutefois, la bibliothèque du Vatican rassemble aussi des volumes sur la science, l’histoire et la philosophie datant du Moyen Âge et des époques antérieures. La bibliothèque actuelle a été fondée en 1451 par le pape Nicolas v (pape de 1447 à 1455). Eugène iv lègue 340  manuscrits et Nicolas  v ajoute sa propre collection pour fonder la bibliothèque. Un siècle avant l’invention de l’imprimerie, il augmente les fonds en employant des moines pour copier des manuscrits qu’il était impossible d’acheter à leur propriétaire. Il rassemble également des ouvrages qui appartenaient à la Bibliothèque Impériale à Constantinople avant que la ville ne tombe entre les mains des Byzantins. À la mort de Nicolas v, la bibliothèque compte 1 200 manuscrits. Le pape Sixte iv (147119

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1484) transfère les fonds dans le palais du Vatican et la bibliothèque prend le nom de bibliothèque palatine. Aujourd’hui, elle est ouverte aux universitaires et aux étudiants qui présentent une lettre de recommandation d’une université ou d’un institut de recherche. Elle contient 1,6 million de volumes dont 75 000 manuscrits et 8 300 incunables (livres édités de la deuxième moitié du xve siècle au début du xvie siècle). Les Archives Secrètes Vaticanes couvrent près de 85 km de rayonnage et il y a 35 000 volumes dans le seul catalogue sélectif. La publication des index en partie ou en totalité est interdite d’après le règlement en vigueur en 2005.  Selon le site web du Vatican, le document le plus ancien encore conservé remonte à la fin du huitième siècle. Toutefois, en raison des déménagements et des vicissitudes politiques presque toutes les archives antérieures à Innocent iii ont disparu. À partir de 1198, il existe des archives plus complètes même si la documentation reste rare avant le xiiie siècle.  Les documents relatifs à l’Inquisition sont d’un très grand intérêt pour les historiens. L’Inquisition a été mise en place par le pape Grégoire ix en 1233. Il s’agit d’une juridiction spécialisée destinée à contenir l’influence de l’hérésie. Les prélats de l’Église vont peu à peu s’appuyer sur les autorités civiles pour condamner, emprisonner et même torturer les hérétiques. L’Inquisition atteint son apogée au xvie siècle pour lutter contre la propagation de la Réforme. L’institution sera plus tard remplacée par le Saint-Office, puis par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui contrôle encore l’orthodoxie de l’enseignement catholique romain. L’ancien numéro un de la congrégation, le cardinal Joseph Ratzinger, aujourd’hui le pape Benoît  xvi, a annoncé 20

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l’ouverture des archives lors d’une conférence spéciale au cours de laquelle il a rappelé ce qui avait motivé cette décision : une lettre écrite au pape Jean-Paul ii… par Carlo Ginzburg, un professeur juif athée de Los Angeles. Le pape écrit : « Je suis sûr que l’ouverture de nos archives ne répondra pas uniquement aux aspirations légitimes des universitaires, elle traduit aussi la ferme intention de l’Église de servir son prochain en l’aidant à acquérir une meilleure compréhension de ce qu’il est grâce à la lecture sans préjugés de sa propre histoire. » Le procès le plus tristement célèbre de l’Inquisition est sans doute celui de l’astronome Galilée (Galileo Galilei). Né en 1574 à Pise, il étudie d’abord la médecine. Il s’inscrit à l’Université de Pise en 1581 mais ne tarde pas à s’orienter vers les mathématiques et la physique. On dit qu’il se serait amusé à prendre son pouls pour chronométrer les oscillations d’un chandelier de la cathédrale de Pise.

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Il entreprend ainsi des recherches sur le mouvement du pendule. Il mesure le temps de chute de poids qu’il lance de la tour de Pise et découvre qu’ils tombent à une vitesse équivalente et avec une accélération uniforme. La vitesse de la chute d’un corps n’est donc pas proportionnelle à son poids. Contraint pour des raisons financières de quitter l’université sans diplôme, il retourne à Florence mais finit par obtenir une chaire de mathématique à Pise. Il participe activement aux disputes et aux controverses qui agitent le campus. Les professeurs et les étudiants de la faculté ne tardent pas à se rendre compte que Galilée est un rebelle lorsqu’il se moque de la coutume de porter des toges universitaires en déclarant qu’ils feraient bien d’abandonner toute forme de vêtements. Après la mort de son père en 1591, il doit aider financièrement sa famille et accepte un poste plus rémunérateur à l’Université de Padoue. Il y reste dix-huit ans et continue à travailler sur le mouvement tout en s’intéressant à l’astronomie. Il modifie un simple télescope qui lui permet d’étudier les cratères lunaires, les phases de Vénus, mais aussi de découvrir quatre satellites de Jupiter, des taches à la surface du Soleil et les étoiles qui constituent la Voie lactée. Il publie le résultat de ses recherches dans Le Messager des étoiles. Ses observations l’amènent à s’intéresser aux théories de Copernic proposées en 1543 et selon lesquelles le soleil se trouve au centre de l’univers et la terre n’est qu’une planète qui tourne autour de lui. En adhérant à la théorie copernicienne, Galilée se trouve en conflit avec l’Église et sa doctrine de la Création fondée sur le récit biblique de la Genèse. Connue sous le nom de géocentrisme, elle place la terre au centre de l’uni22

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vers, le soleil et les étoiles tournant autour d’elle. L’Église déclare, en 1616, que la théorie copernicienne est dangereuse pour la foi et fait venir Galilée à Rome. Le cardinal Robert Bellarmine lui demande de ne pas « défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit par oral ou par écrit ». C’est un avertissement qui aurait dû pousser Galilée à réfléchir. Pourtant, quatre ans plus tard, Galilée apprend que le pape Urbain viii a déclaré que « l’Église n’a jamais qualifié et ne qualifiera jamais la théorie copernicienne d’hérétique mais uniquement de téméraire, bien qu’il n’y ait aucun danger que quelqu’un puisse démontrer qu’elle soit forcément vraie ». Galilée interprète cette déclaration comme une permission indirecte de continuer son exploration de la pensée copernicienne qu’il étudiera pendant six ans. C’est ainsi qu’il écrit le Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde (ptolémaïque et copernicien). En publiant ce livre, Galilée s’attire de nouveau les foudres de Rome où il sera jugé pour ne pas avoir respecté les instructions du cardinal Bellarmine qui lui avait interdit de défendre ou d’enseigner la théorie de Copernic. Son procès devant un jury constitué de cardinaux commence en 1632. Lorsque l’enquête se termine un an plus tard, l’Église juge Galilée « suspect d’hérésie » pour avoir soutenu et enseigné une « fausse doctrine » selon laquelle la terre n’est pas le centre de l’univers. Les cardinaux informent Galilée, désormais âgé de soixante-dix ans, que le SaintOffice est prêt à lui accorder l’absolution à condition qu’il «  abjure et maudisse lesdites erreurs et hérésies avec la plus grande sincérité ». Son livre sur les systèmes ptolémaïque et copernicien est interdit et Galilée est condamné par les juges à la prison à vie. Toutefois, les juges se réservent le droit « d’atténuer, de commuer ou 23

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de supprimer  » la peine. Ce qu’ils feraient peut-être si Galilée s’agenouillait devant eux pour abjurer ses idées. Galilée reconnaît le 21 juin 1633 qu’il a bravé l’interdiction de s’exprimer oralement ou à l’écrit en faveur de la théorie de Copernic. Il dit : « Moi, Galileo… jure que j’ai toujours tenu pour vrai et tiens encore pour vrai et avec l’aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne… » Après une période d’emprisonnement, Galilée est autorisé à retourner dans sa maison à Florence où il est placé en résidence surveillée, malade et presque aveugle, jusqu’à sa mort le 8 janvier 1642. Les récits de son abjuration publiés plus d’un siècle plus tard rapportent une phrase que Galilée aurait prononcée après s’être agenouillé devant les juges. On dit qu’il se serait relevé et qu’il aurait dit en italien «  Eppur si muove » (et pourtant elle tourne). En novembre  1992, lors d’une cérémonie à Rome devant l’Académie pontificale des Sciences, le pape JeanPaul  ii a reconnu officiellement que Galilée avait raison. La réhabilitation officielle s’appuie sur les conclusions d’une commission qu’il a chargée en 1979 (peu après son élection) d’étudier la réhabilitation de Galilée. La commission a déclaré que l’Inquisition avait agi en toute bonne foi mais qu’elle s’était trompée. Aujourd’hui, le Vatican possède son propre observatoire « céleste ». Le Vatican reconnaît que les archives de l’Inquisition et l’Index n’ont pas bien survécu au temps. L’Église «  avait en effet pour habitude de brûler les documents les plus délicats concernant l’hérésie » et les archives de l’Inquisition ont presque été entièrement détruites à la mort de Paul iv en 1559. Beaucoup de documents se sont 24

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perdus. Certains ont été transférés à Paris sur ordre de Napoléon en 1810 et plus de 2 000 volumes ont été brûlés. Quelques-uns sont tombés dans des fleuves pendant leur transport, d’autres ont été vendus au poids du papier, d’autres encore ont été mélangés avec des documents de nature différente. Aujourd’hui, le Vatican possède environ 4 500 volumes parmi lesquels seule une petite partie fait référence aux procès en hérésie. Le reste traite des controverses théologiques et de questions spirituelles. L’Église, en revanche, n’a jamais condamné l’ouvrage de Charles Darwin, L’Origine des Espèces, qui est à la base de la théorie de l’évolution. Contrairement à certaines églises protestantes fondamentalistes qui prennent la Bible, et plus particulièrement la Genèse au pied de la lettre, le Vatican a récemment reconnu qu’il était possible que certaines espèces, aidées de la puissance divine, aient pu évoluer vers les espèces qui existent aujourd’hui. En 2008, dix ans après l’ouverture officielle des archives de l’Inquisition (22 janvier 1998), une exposition au musée Vitoriano dans le centre de Rome permet de découvrir « l’ambiance religieuse, culturelle, artistique et littéraire qui présida à l’existence du Saint-Office ». Les documents les plus évocateurs sont le fameux Index, qui dresse la liste des textes censurés ou encore les premiers plans de quartiers juifs transformés en ghettos. Dans un article consacré à cette exposition, le magazine Newsweek note qu’on peut y trouver des documents sur « les restrictions de l’Église concernant le déplacement des Juifs, des instructions pour persécuter les protestants… des plans du xviiie siècle traçant le contour des ghettos de Rome, d’Ancône et de Ferrare, sur lesquels sont délimités en 25

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rose ou en jaune les endroits où les juifs peuvent vivre et en bleu les lieux où ils peuvent tenir un commerce. « Figurent également dans ces archives des règlements manuscrits déterminant à quels moments les femmes juives sont autorisées à sortir de l’enceinte du ghetto et ce qu’elles doivent porter. Des décrets écrits, dont l’un date de 1611, définissent comment les inquisiteurs doivent se comporter dans le cadre de leur mission et en dehors et une illustration montre ce que leurs enfants doivent revêtir pour aller à l’école ou à la plage. On déterminait même le genre de pyjama que les investigateurs étaient autorisés à porter. «  D’autres documents ciblent des chasseurs de gros gibiers et des pêcheurs soupçonnés de braconner sur les terres du Vatican. Il y a même un bâton de berger incrusté d’une pierre précieuse confisqué à un homme condamné à mort pour avoir prétendu qu’il était un saint. Les Inquisiteurs étaient compétents dans les domaines allant de l’iconographie à la façon dont les saints et les prélats pouvaient être représentés ». Ce n’est pas la première fois que l’Église tente de montrer que les juges de l’Inquisition n’étaient pas aussi brutaux qu’on le croyait. En 2004, le Vatican a publié un rapport de 800 pages affirmant que parmi les personnes jugées hérétiques par la célèbre Inquisition espagnole, qui était indépendante de Rome au quinzième siècle, seules 1,8  % d’entre elles ont été effectivement exécutées. Le pape Jean-Paul  ii a qualifié cette campagne de sept cents ans contre l’hérésie de « période tourmentée » parlant même de la « plus grande erreur dans l’histoire de l’Église ». La Case de l’Oncle Tom d’Harriet Beecher Stowe, classique de la littérature américaine du xixe  siècle n’a 26

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pas été interdit mais a quand même soulevé quelques débats. Lorsque le roman a été examiné par les inquisiteurs de Rome, regroupés dans un département appelé Congrégation de l’Index, l’un des lecteurs du Vatican a considéré que l’histoire de l’esclavage aux États-Unis était un appel codé à la révolution. On demande alors un deuxième avis à d’autres inquisiteurs, ils considèrent que le roman ne présente aucun danger et il n’est pas interdit. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’ouvrage Mein Kampf d’un certain Adolf Hitler ne figure pas dans l’Index… Les censeurs ont certes réfléchi à la conduite à adopter par rapport au dictateur et les discussions se sont poursuivies pendant des années. Au bout du compte, on met un terme à l’examen de Mein Kampf sans décider son interdiction. Plus récemment, le cardinal Joseph Ratzinger a envoyé plusieurs lettres à une critique littéraire allemande dans lesquelles il évoque le cas des romans d’Harry Potter. «  En mars  2003, un an après que la presse anglaise a proclamé à tort dans le monde entier que le pape JeanPaul ii approuvait l’œuvre de J.K. Rowling, l’homme qui sera son successeur envoie une lettre à Gabriele Kuby dans laquelle il soutient la position de la critique littéraire contre les romans de J.K. Rowling décrits « comme des lectures malsaines » pour les enfants. À la sortie d’Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé, le cardinal Joseph Ratzinger remercie, dans une lettre du 7 mars 2003, Gabriele Kuby pour son « livre instructif » (intitulé Harry Potter : Ange ou Démon ?) dans lequel la journaliste allemande affirme que les livres d’Harry Potter corrompent le cœur des plus jeunes, en les empêchant de développer un sens du bien et du mal, ce qui est néfaste pour leur relation avec Dieu alors que cette relation n’en est justement qu’à ses débuts. 27

Les dossiers noirs du Vatican

Le cardinal Joseph Ratzinger écrit : « Il est bon que vous nous éclairiez sur Harry Potter car il y a dans ce livre des faussetés subtiles qui, parce qu’elles sont à peine discernables, agissent en profondeur et peuvent corrompre la foi dans les âmes avant qu’elle ne puisse s’enraciner. » La lettre encourage également Gabriele Kuby à envoyer son livre sur Harry Potter au prélat Peter Fleetwood qui, au cours d’une conférence de presse sur le New Age en avril 2003, a fait un commentaire positif sur les romans de J.K.  Rowling en réponse à la question d’un reporter. Le lendemain, la presse en a fait ses gros titres. LE PAPE APPROUVE HARRY POTTER (Toronto Star), LE PAPE PREND LA DEFENSE D’HARRY POTTER (BBC newsround) et LE PAPE NE TROUVE RIEN À REDIRE À HARRY POTTER (Chicago Sun Times). Comme le Da Vinci Code de Dan Brown évoque un complot ourdi par l’Église et les croisés, les célèbres Chevaliers du Temple, pour garder à tout prix un secret à propos de Jésus qui, s’il était révélé, menacerait les fondements même du christianisme, rien dans les Archives Secrètes Vaticanes ne semble désormais plus fascinant pour des millions de personnes que les documents qui concernent ces fameux chevaliers.