Les grands sages de l'egypte ancienne - Numilog

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2002, « La Sagesse aujourd'hui » : « Se présenter comme un sage ne serait aujourd'hui qu'une ... le mot manquant4 », cette parole perdue sans laquelle le.
INTRODUCTION

UNE AUTRE HISTOIRE DE L’ÉGYPTE ANCIENNE

Depuis le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion, en 1822, les chercheurs ont eu accès à un immense trésor : les textes égyptiens gravés dans la pierre, préservés sur papyrus et d’autres supports. À partir de cette abondante documentation, il fut possible d’écrire une histoire de l’Égypte ancienne, axée sur la chronologie et des événements plus ou moins avérés. Cette vision n’était pas celle des anciens Égyptiens qui fondaient leur civilisation sur une valeur fondamentale : la sagesse. Même si ce terme ne signifie plus rien aux yeux de la plupart des philosophes contemporains1, il apparaît 1. Comme le montre un hors-série du Nouvel Observateur, n° 47, 2002, « La Sagesse aujourd’hui » : « Se présenter comme un sage ne serait aujourd’hui qu’une pose, ou une illusion narcissique et élitiste » (A. Boyer, 70) ; « Détestable sagesse » (E. Roudinesco, 88) ; « Nous n’avons plus besoin de ce mot qui sent le renfermé, la tradition » (J. Gayon, 95) ; « Toutes nos modes intellectuelles ont répudié délibérément, patiemment, consciencieusement, la sagesse » (R. Girard, 22). De telles constatations ne rendaient que plus nécessaire une histoire des sages d’Égypte.

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Les grands sages de l’Égypte ancienne

comme une clé majeure pour apprécier l’épopée des bâtisseurs de pyramides, de temples et de demeures d’éternité dont la beauté fascine encore le monde entier. Pendant plus de trois millénaires, l’idéal de sagesse des anciens Égyptiens n’a pas varié. D’Imhotep, le créateur de la pyramide à degrés de Saqqara, à Hermès Trismégiste, l’ultime maître de la pensée ésotérique, les sages succédèrent aux sages et transmirent leur enseignement de génération en génération2. Certains étaient des pharaons, d’autres non ; tous possédaient la qualité de « faucons3 », à savoir une vision profonde du réel, une perception intuitive des secrets de la création et la capacité d’accéder à la connaissance. Le sage n’est-il pas « celui qui trouve le mot manquant4 », cette parole perdue sans laquelle le monde devient incompréhensible et la destinée de l’homme absurde ? En compagnie du pharaon, symbole du grand temple5, des conseils de sages dirigeaient les affaires 2. Voir H. Brunner, Die Weisheitsbücher der Ägypter. Lehren für das Leben, Munich, 1991 ; C. Jacq, La Sagesse vivante de l’Égypte ancienne, Paris, 1998 ; P. Vernus, Sagesses de l’Égypte pharaonique, Paris, 2001 ; J. Quagebeur, « Les “Saints” égyptiens préchrétiens », Orientalia Lovaniensia Periodica, Louvain 8, 1977, 129-143. 3. Djaisou. 4. Voir M. Lichtheim, Maat in Egyptian Autobiographies and Related Studies, Fribourg, 1992, 95. 5. Le mot « pharaon » dérive de l’égyptien per âa, « le grand temple ».

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du royaume6 ; et le pharaon lui-même, loin de se restreindre à une simple activité d’homme de pouvoir ou de personnage politique, devait s’affirmer comme un sage, exerçant une intelligence liée à l’harmonie du cosmos. Serviteur des dieux et de son peuple, il en était aussi le guide spirituel. L’âme des rois déclarés « justes de voix » résidait au ciel en compagnie des étoiles, traçant un chemin vers l’éternité. La sagesse est indissociable du respect et de la pratique de Maât, la Règle créée par la lumière divine. Maât7 est la rectitude, la vérité, la justice et l’harmonie hors desquelles l’existence terrestre devient un enfer. Et Maât est liée à la fonction royale qui, en transmettant la lumière de l’origine, permet aux dieux de résider en ce monde. La Règle de Maât exclut le fanatisme, le dogme et les livres dits « sacrés » imposant une vérité absolue et définitive. Sans cesse, les sages d’Égypte remodèlent et reformulent pensée et rituels afin de maintenir un lien vivant avec les puissances créatrices. Pierre Nora constatait que la mémoire, donc l’Histoire, avait remplacé le sacré. Or, l’Égypte pharaonique avait aboli l’Histoire, l’événementiel et l’anecdotique, pour vivre le mythe et le sacré. « La vie de tous 6. Voir J.C. Moreno Garcia, Études sur l’administration, le pouvoir et l’idéologie en Égypte, de l’Ancien au Moyen Empire, Liège, 1997, 95. 7. Voir J. Assmann, Maât, l’Égypte pharaonique et l’idée de justice sociale, Fuveau, 1999 ; M. Karenga, Maat, the Moral Ideal in Ancient Egypt, New York et Londres, 2004 ; B. Menu, Maât, l’ordre juste du monde, Paris, 2005.

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les jours, même la plus humble et la plus nécessaire, écrivait François Daumas, revêt un sens profond, cosmique que nos civilisations modernes, urbaines, et devenues fortement artificielles, ne peuvent même plus soupçonner8. » Grâce à une vision rituelle s’étendant de l’intérieur du temple jusqu’aux activités économiques, le temps profane était remplacé par la vénération des ancêtres, le respect de Maât et la célébration des fêtes. « Nous nous trouvons en présence d’une conception de la création cherchant à retrouver le Premier jour dans chaque lever du soleil, dans chaque nouvel an, dans chaque avènement royal et même dans toute apparition du roi sur le trône ou sur le champ de bataille9. » Lorsqu’un pharaon est couronné, c’est de nouveau l’an 1 de la création. Il n’existe pas de référence à une donnée historique, du type « avant ou après J.-C. », car seul compte le mythe de création donnant un sens à l’ensemble des réalités, de la plus spirituelle à la plus matérielle. Il n’existe pas de texte égyptien strictement historique, car la dimension mythique est toujours présente. Ainsi, des pharaons de l’époque tardive recopient le récit de batailles composé plusieurs siècles auparavant. Ce qui compte est le modèle symbolique, la victoire de la lumière sur les ténèbres. « Voyez les paroles divines, et vous serez sages suivant les plans des dieux10 », est-il recommandé. La documentation nous offre le témoignage de nombreux 8. F. Daumas, La Vie dans l’Égypte ancienne, Paris, 1968, 11. 9. H. Frankfort, La Royauté et les dieux, Paris, 1951, 7. 10. J. Vandier, Le Papyrus Jumilhac, Paris, s.d., 130.

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sages, depuis les origines de la civilisation pharaonique jusqu’à ses ultimes feux, et il nous a paru utile de relire son histoire en évoquant de puissantes personnalités et en relatant leurs enseignements majeurs. Peutêtre, ainsi, nous approcherons-nous de la conscience qu’avaient les anciens Égyptiens de leur prodigieuse trajectoire spirituelle.