MILIEU DES SITUATIONS MATHEMATIQUES DANS L ...

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La notion de milieu est définie dans la théorie des situations didactiques ( Brousseau,. 1998) comme le système antagoniste du système enseigné. Rechercher.
MILIEU DES SITUATIONS MATHEMATIQUES DANS L'ENSEIGNEMENT SPECIALISE Thierry Dias, Chantal Tieche Christinat

Abstract Si l'on peut raisonnablement parler d'une didactique spécifique de l'enseignement spécialisé en référence aux processus d'enseignement apprentissage qui s'y déroulent, la question reste ouverte en ce qui concerne la spécificité du milieu et de ses contraintes environnementales. Nous souhaitons poser la question de l'existence d'une caractérisation objective des éléments d'un tel milieu. Est-elle donnée a priori ? Faut-il plutôt considérer le milieu comme un processus en constante évolution du fait des apports ininterrompus des protagonistes en son sein : signes, actions, interactions, jeux de langage ? L'une des spécificités de l'enseignement spécialisé nous semble être que si le milieu comporte des éléments de déstabilisation cognitive, cela doit également être accompagné par l'apport de ressources pour l'étayage nécessaire au processus d'apprentissage par adaptation. Pour compléter et enrichir nos études didactiques du milieu, nos différentes observations et analyses des interactions en situation de classe nous amènent à proposer une réflexion plus axée sur le langage et plus précisément sur les actes de langage. Nous proposons pour cela d’utiliser les trois registres syntaxique, sémantique et pragmatique.

1 . Spécificité du milieu de l'EnsEignement spécialisé La notion de milieu est définie dans la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998) comme le système antagoniste du système enseigné. Rechercher l'antagonisme renvoie à un modèle d'apprentissage de type adaptatif de type piagétien : le sujet apprend en s'adaptant à un milieu volontairement porteur de déséquilibres. Cette notion est reprise en didactique des mathématiques par Brousseau dans la théorie des situations didactiques : "L’élève apprend en s’adaptant à un milieu facteur de contradictions, de difficultés, de déséquilibres" (Brousseau, 1988, p 325). Dans ce modèle les rétroactions que sont susceptibles d'apporter les éléments du milieu sont donc au centre des préoccupations didactiques. Pour atteindre les critères d'une situation de type a-didactique l'enseignant doit anticiper ce qui permettra l'autonomie des élèves dans leurs apprentissages. L'une des spécificités de l'enseignement spécialisé nous semble être que si le milieu comporte des éléments de déstabilisation cognitive, il doit également être compensé par des alliances ou des ressources. Il est en effet nécessaire d'anticiper la diversité des réactions des élèves dont une partie d'entre eux peut passer outre les rétroactions du milieu et ne pas entrer dans un véritable processus d'apprentissage. L'objectif du modèle de l'apprentissage par adaptation serait ainsi non atteint. Ces ressources complémentaires ou compensatoires sont de ce fait destinées à l'étayage du processus d'apprentissage de type adaptatif. L'enjeu en terme d'enseignement consiste à garder le contrôle de l'avancée du temps didactique et un certain équilibre à la fois pédagogique et relationnel crucial dans le contexte de l'enseignement spécialisé.

2 . Etayage et recherche de l'équilibre Notre recherche s’inscrit dans le cadre de référence de la didactique des mathématiques de l’école française et a pour objet, dans le contexte de l’enseignement spécialisé, l’étude des interactions de classe afin de distinguer : - ce qui relève de l'antagonisme : la démarche de résolution de problème (incertitude, masquage des objets de savoir, nécessité des échanges oraux, rupture du contrat didactique) ; - ce qui relève de la compensation : les formes de l'étayage (Bruner, 1983). Nous faisons l'hypothèse que la recherche d'un équilibre (ou d'un ré-équilibre) par le contrôle et la régulation des situations didactiques est possible notamment grâce au recours aux fonctions d'étayage définies par Bruner (1983). Bruner étudie puis classe ces fonctions de tutelle décrite dans un processus d'aide et de soutien par un tuteur dont la visée est délibérément didactique. Le processus de tutelle est à considérer selon cet auteur comme les moyens grâce auxquels un adulte ou un « spécialiste» vient en aide à quelqu'un qui est moins adulte ou spécialiste que lui. (Bruner, 1983, p.10) A l'issue d'observations réalisées en contexte de résolution de problème, cet auteur propose de catégoriser les aides apportées par le tuteur en six fonctions : 1. 2. 3. 4. 5. 6.

l'enrôlement la réduction des degrés de libertés le maintien de l'orientation la signalisation des caractéristiques dominantes le contrôle de la frustration la démonstration ou la présentation

Nous supposons que ces fonctions dites "de tutelle" peuvent être corrélées à des processus d'adaptations dans le cadre des situations didactiques en mathématiques, et que leur pertinence est valide dans les différents contextes de l'enseignement spécialisé. Nous les présentons ici de façon synthétique.

fonctions de tutorat de Bruner

1. Enrôlement : "engager l'intérêt et l'adhésion du chercheur envers les exigences de la tâche .

adaptations en résolution de problème mathématique Dévolution : faire en sorte que le problème proposé devienne celui des élèves, de leur responsabilité ; qu'ils soient autonomes dans sa résolution. Contextualisation = habillage de la situation d'apprentissage Contexte, consigne du problème, matériel ou support associé.

2. Réduction des degrés de liberté : simplification de la tâche par réduction du nombre

- aide à la stabilisation des données (► ce que l'on sait) et à leur différenciation avec les variables (► ce que l'on cherche)

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des actes constitutifs requis pour atteindre la solution.

3

- aide au rappel, à la récupération des connaissances (le déjà là) étayage langagier , oral et écrit :

3. Signalisation des caractéristiques déterminantes : signaler les caractéristiques qui sont pertinentes pour l'exécution de la tâche, faire prendre conscience des écarts.

• • • • • •

4. Maintien de l'orientation : maintenir la poursuite d'un objectif, mais aussi déployer entrain et sympathie pour maintenir la motivation du chercheur.

5. Contrôle de la frustration : contrôler le risque d'une trop grande dépendance à l'égard du tuteur.

6. La démonstration : présentation de modèles de solution pour une tâche, le tuteur "imite" sous une forme stylisée un essai de solution tenté par l'élève dans l'espoir que le débutant va alors "l'imiter" en retour sous une forme appropriée.

un langage qui fait sens et qui relie lectures plurielles niveaux de questionnements différents empathie, valorisation une sémiotique adaptée (explicite, illustrée, redondante) favorisant la validation sur le jugement

étayage qui consiste à accompagner par le développement de l’empathie et l’alliance présence du tuteur pour assurer la relance, le questionnement, l'orientation des échanges sur les objets scientifiques en jeu, la qualité des débats entre élèves. gestion du débat : questions, arguments, preuves réfutations doivent être pris peu à peu en charge par les élèves -> prise de distance progressive mais calculée de l'enseignant. adaptations/étayage : gestion du débat par l'enseignant, appui sur un protocole écrit collectif, enregistrement vidéo

aide à la modélisation : inciter à utiliser (ou proposer) des outils et/ou des supports de recherche qui permettent aux élèves de faire de nombreux allers et retours entre réel sensible et abstractions de ce réel (formalisation)

Nous formulons donc trois hypothèses et questions de recherche qui sont en cours d'étude actuellement et qui feront l'objet ultérieurement d'autres publications. - Les enseignants ont-ils recours aux 6 fonctions de tutelle ? En privilégient-ils certaines ? Pourquoi ? - Comment faire prendre conscience aux enseignants spécialisés en formation que ces 6 fonctions de tutelle sont des leviers pour l'adaptation ? - Une analyse de type pragmatique peut-elle illustrer et caractériser la dimension évolutive du milieu (à la lumière d'un processus de signification) ?

3 . L'analyse linguistique Même si l'approche didactique du milieu (Brousseau, 1990 ; Margolinas, 1995 ; Bloch, 2002) ne nous semble ni close ni complète, nous souhaitons ici investiguer selon une autre approche les éléments caractéristiques de l'environnement des situations d'apprentissage dans le contexte de l'enseignement spécialisé. Pour compléter et enrichir nos études didactiques du milieu, nos différentes observations et analyses des interactions en situation de classe nous amènent à proposer une réflexion plus axée sur le langage et plus précisément sur les actes de langage (Kerbrat-Orecchioni, 2001). Nous proposons pour cela d’utiliser les trois registres syntaxique, sémantique et pragmatique. Ces trois domaines peuvent être définis à la manière de Morris (C. W. Morris, 1938) qui dans son texte fondateur distingue la syntaxe (« étude des règles de combinaison des signes »), la sémantique (« étude des règles d’attribution de signification aux signes ») et la pragmatique (« étude des règles d’utilisation des signes par les sujets »). S'ils correspondent à des dimensions mises en évidence en sciences du langage (linguistique, sémiotique et communication) par de nombreux auteurs, nous utiliserons ici Morris (C. Morris, 1974) comme référence principale. Pour réaliser l'analyse du milieu sur le versant langagier des interactions en situation nous utilisons donc les trois références suivantes : - Le registre pragmatique (Morris, 1938) : ce versant linguistique nous amène à aborder les énoncés selon leur valeur pragmatique, à savoir l'étude des effets qu'un énoncé a sur les différents allocutaires de la situation d'énonciation. - Les actes de langage (Austin, 1970) : Austin et Searle se sont distanciés des études syntaxiques faites alors par les structuralistes, les études sémantiques, et qui postulent que tout énoncé suppose un effet de celui-ci, effet volontaire ou non, entendu ou non. - La pragmatique interactionniste (Kerbrat Orecchioni, 2001) qui étudie les effets des actes de langage dans les situations de conversation et qui montre que les effets de certains types de discours ne correspondent pas à la forme de l'énonciation. L'analyse interactionniste des actes de langage pointe des déficits de compréhension entre enseignant et élèves susceptibles de renforcer le déséquilibre du milieu. Ce type d'analyse nous semble prometteur quant à l'analyse du milieu. Il devrait permettre de saisir un certain nombre de facteurs essentiels qui se jouent et se coordonnent dans les interactions et la relation didactique maître élève.

4 . Des exemples d'analyse de corpus en cours L'exemple de corpus qui suit provient d'un enregistrement effectué dans une classe de l'enseignement spécialisé au printemps 2011. Il s'agit d'un moment collectif de résolution de problème de type ouvert (Arsac & Mante, 2007). Ce problème propose une recherche arithmétique sous forme de tâche complexe nécessitant la mobilisation de plusieurs connaissances par les élèves.

Milieu des situations didactiques dans l'enseignement spécialisé

4.1

5

Caractérisation des étayages selon le modèle des fonctions de tutelle (Bruner)

Nous utilisons une méthodologie d'analyse en deux temps afin de distinguer les travaux exhaustifs des interprétations linguistiques (et didactiques). 4.1.1 Temps 1 : travail d'analyse des interventions de l'enseignant. Il s'agit d'effectuer un repérage systématique des interventions orales de l'enseignant en situation de communication dans sa classe. On essaye ensuite d'associer chacun de ses actes langagiers à une fonction de tutelle selon le modèle de Bruner (1983) augmenté de notre corrélation didactique présenté dans le chapitre II. On utilise un codage numérotage qui correspond à celui utilisé par Bruner (ibid). L'extrait du corpus suivant montre quelques certitudes et hésitations relatives au phénomène d'interprétation des énoncés de l'enseignant. Méthodologiquement nous utilisons un enregistrement audio des conversations pour étayer notre lecture de la transcription à chaque fois que nécessaire. Nous ne pouvons ainsi pas avoir recours aux actes non verbaux explicites (gestes et regards) du fait de l'absence d'une référence vidéo.

2

durée

locuteur

transcription

0.35-0.36

SU :

ben, moi j'ai fait 3000 et 3000 bananes divisé par mille

1

3

0.37-0.38

AL :

ouais

4

0.38-0.41

SU :

et ça m'a donné 3 bananes.

5

0.42-0.43

AL :

3 bananes ?

6

0.43-0.43

SU :

ouais

7

0.44-0.45

AL :

et pourquoi t'as fait comme ça ?

8

0.45-0.48

SU :

ben je voulais voir un divisé, peut-être que c'était ... ça.

9

0.48-0.52

AL :

3 3 4

c'est pas ça.

2

Quelqu'un d'autre ? J'aimerai vous entendre. Sébastien qu'est ce que t'as fait ?

1

10

0.53-1.04

Séb :

Moi j'ai fait 3000 divisé par 100

11

1.05-1.06

AL :

par 100, ouais

12

1.06-1.08

13

1.08-1.09

Séb :

ben ça fait 30

14

1.09-1.12

AL :

ouais, et pourquoi 100 ?

15

1.13-1.20

Séb :

parce que 100 bananes ont été mangées pour 100 km

16

1.21-1.24

AL :

non, c'est un exemple, 100 km parcourus égal 100 bananes

1

fonction de tutelle associé e

3

blanc

Pour l'ensemble des extraits présentés, AL signifie que c'est l'enseignante qui s'exprime.

3, 4 2

mangées 17

1.24-1.24

Séb :

aaah d'accord

18

1.25-1.30

AL :

c'est juste l'exemple, c'est pour vous expliquer que si vous faites 2 km avec votre chameau, il faut lui donner 2 bananes

19

1.30-1.30

Séb :

ah ouais

2 (4)

4.1.2 Temps 2 : Mise en séquences des étayages Nous procédons ensuite au découpage de la transcription en épisodes courts qui correspondent à des séquences de communication. Ceci permet de repérer des enchainements d'étayages privilégiés et d'envisager une sorte de profil de l'enseignant dans son contrôle de l'avancée du temps didactique. Un exemple avec les lignes 2 à 76 du corpus étudié. Episode 1: lignes 1 à 9 : 2-3-3-4-2 Episode 2: lignes 9 à 19 : 1-3-3-4-2-2-(4) Episode 3: lignes 20 à 37 : 1-3-3-5-3-3-5-2-2 Episode 4: lignes 38 à : 1-3-3-2-(4) Episode 5: lignes 47 à 52 : 1-3-4-2 Episode 6: lignes 55 à 63 : 1-4-(2)-6-5 Episode 7: lignes 63 à 76 : 1-5-4-4-2-4-3-(4)-2 Nos premières analyses montrent une importante utilisation de la fonction 3 (maintien de l'orientation) dans les premiers épisodes de la situation. L'enseignante poursuit selon deux objectifs principaux à travers ce type d'étayage. Elle compense pour partie l'antagonisme du milieu créé par la difficulté du problème proposé. La solution n'étant pas à disposition des élèves, ces derniers sont confrontés à des rétroactions mathématiques synonymes d'échecs provisoires : aucune banane n'est sauvegardée après la traversée du désert. Afin de ne pas risquer le découragement ou l'abandon il est donc tout à fait normal que l'enseignante maintienne l'orientation des chercheurs. Ce faisant elle poursuit également l'objectif du contrôle didactique dans la conduite de la résolution du problème. On peut également apercevoir à travers ces épisodes que le recours à la réduction des degrés de liberté à un impact conclusif sur l’épisode de communication en cours. Nous pensons qu'il s'agit là d'un phénomène tout à fait spécifique à la didactique des mathématiques de l’enseignement spécialisé dans le contexte de la démarche de résolution de problèmes. Ce type d'étayage n'est en effet pas attendu dans une situation d'apprentissage privilégiant la recherche et donc la production d'énoncés dont la validité est repoussée ultérieurement. En situation de formulation (Brousseau,1990) seules les rétroactions du milieu peuvent intervenir pour permettre la mise en mots des connaissances. L'intervention de l'enseignant selon la fonction 2 de Bruner en produisant un arrêt des échanges entre les élèves joue un rôle opposé et contreproductif à celui généré par le milieu.

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Au cours de cet extrait, on observe une évolution dans les types d'étayage utilisées par l'enseignante en fonction de l'avancée de la résolution du problème et du temps didactique. La fonction 4 (signalisation des caractéristiques déterminantes) fait peu à peu son apparition comme pour témoigner de la volonté d'aider les élèves à stabiliser les hypothèses et les découvertes. Ceci nous paraît significatif de la spécificité du contexte de l'enseignement spécialisé dans lequel les professeurs témoignent souvent de la difficulté des élèves à percevoir les éléments importants en terme de connaissances et de savoirs à l'issue d'un moment d'investigation. La profusion des informations et l'absence de détermination de leur domaine de validité est en effet une source de difficulté pour les élèves. La fonction de tutelle ayant pour finalité le contrôle de la frustration (fonction 5) est repérée relativement tardivement dans la succession des épisodes. Cet usage tardif rend compte de la volonté de l'enseignante de relâcher progressivement le contrôle de l'avancée de la résolution du problème et nous semble relever d'une certaine habileté professionnelle tout à fait intéressante à faire remarquer dans un contexte de formation d'enseignants par exemple.

4.2

Implicites des actes énonciatifs et déséquilibre du milieu

Ce deuxième type d'analyse concerne notre hypothèse selon laquelle un certain nombre d'interventions de l'enseignant en situation de résolution de problème sont intentionnellement étayantes mais non percues comme telles par les élèves. Par ce phénomène d'incompréhension le milieu s'enrichi d'éléments déséquilibrants et antagonistes qui ne sont pas favorables à l’apprentissage visé et qui dans le contexte de l'enseignement spécialisé jouent des rôles distracteurs et non souhaitables. Extrait 2 timing

locuteu r

transcription

2 0

1.311.35

AL

c'est pas ... quelqu'un d'autre ? Quentin ?

2 1

1.361.45

QM

moi j'ai fait pour une banane il marche un km, donc j'ai fait 1000 x 1, ça fait 1000

2 2

1.451.46

AL

ouais

2 3

1.461.53

QM

puis après j'ai fait 3000 divisé par 1000 ça fait 3 chameaux.

2 4

1.531.53

AL

ouais

2 5

1.542.05

QM

puis vu qu'on sait que 1 chameau mange 1000 bananes, j'ai fait pour 1 chameau, 1000 bananes, puis après 3000 – 1000 est égal à 2000

2 6

2.052.06

AL

ouais

2 7

2.062.11

QM

puis vu qu'il en restait 2000 j'ai encore fait partir un deuxième chameau avec aussi mille bananes

2 8

2.112.12

AL

combien ?

2 9

2.122.13

QM

1000 bananes

3 0

2.132.14

AL

ah ouais, 1000 bananes

3 1

2.142.20

QM

puis après j'ai fait 2000 – 1000 est égal à 1000 bananes

3 2

2.202.23

AL

mais elles sont restées en début du désert tes 1000 bananes ?

3 3

2.232.23

QM

.....

3 4

2.242.25

AL

elles sont restées en début de désert tes bananes.

3 5

2.252.26

QM

comment en début de désert ?

3 6

2.262.30

AL

enfin, j'ai pas compris comment t'as fait déplacer tes bananes.

3 7

2.302.30

QM

Aaaah

Analyse des actes de langages repérés comme déséquilibrants dans l'extrait : ligne 22 : "ouais" Ce 1er "ouais" est une assertion (énoncé présenté comme vrai). La valeur illocutoire est une affirmation, mais l'effet perlocutoire revient à signaler à l'élève que son attention est réelle et lui signale en même temps un accord avec le contenu, et surtout enjoint l'élève à poursuivre le raisonnement. ligne 24 : "ouais" Par ce 2ème "ouais" l'enseignante asserte le calcul de fait, mais sème également la confusion car son acte illocutoire a pour effet de valider l'entier de la proposition. De plus, une assertion de la réponse "3 chameaux" sème le doute , car de fait ceci n'est pas possible (c'est une contrainte donnée dans la consigne). En utilisant cette forme de "oui" sous sa forme "ouais", l'ensemble de la proposition est assertée et les élèves vont poursuivre le raisonnement pendant plusieurs tours de parole. Il faudra beaucoup de temps avant que l'enseignante ne se rende compte de la confusion et qu'elle renseigne sur l'utilisation d'un seul et unique chameau. ligne 30 : "ouais" C'est la troisième fois que l'enseignant utilise un "ouais". Il possède la valeur d'une assertion : il engage la responsabilité d'un locuteur sur l'existence d'un état de chose, sur la vérité de la proposition exprimée. Le déséquilibre provoqué est cependant réel car cette troisième utilisation du même mot intervient après deux autres n'ayant pas

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les mêmes valeurs sur le plan linguistique. Il est donc peu probable que les élèves puissent décoder cette intervention correctement. ligne 32 : "mais elles sont restées en début du désert tes 1000 bananes ? " Cette intervention de l'enseignante témoigne de son incompréhension du raisonnement proposé par l'élève avec lequel elle échange. Il y a ici création d'un vrai déséquilibre dans le milieu qui se conclut par un temps de latence montrant toute l'ambiguïté de la situation de communication.

4.3

Conclusion

L’étude de ce premier corpus est révélateur du poids des interactions sur le milieu didactique, et en particulier sur les caractéristiques d’antagonicité de celui-ci. Le jeu des interactions liées à la fonction de tutelle contribue à modifier le milieu didactique, à l’enrichir, à le complexifier et parallèlement à le rendre soit plus accessible soit plus opaque pour les élèves. Afin de répondre aux trois hypothèses que nous avons formulées ci-dessus, nous constatons que le recours ou non aux six fonctions de tutelle semble dépendre à la fois de la spécificité du milieu didactique et de l’avancée du temps didactique. Les différentes fonctions d'étayage citées par Bruner nous semblent être situées dans la chronologie des interactions et constituer des séquences formées d’une succession d’étayage clairement repérables et que l’enseignant va mettre en œuvre dans un format relativement stable. Certaines fonctions sont plus rarement utilisées par crainte de la modification des caractéristiques du milieu, notamment la peur de le rendre allié (Margolinas, 1998). Dans notre corpus, les étayages sont corrélés à l’avancée du temps didactique et leur fonction réelle est dépendante de l’effet perlocutoire de l’acte langagier commis. Ainsi l'analyse pragmatique que nous avons privilégée contribue à identifier de manière pertinente l’effet réel des actes de tutelle.

Références Arsac, G., & Mante, M. (2007). Les pratiques du problème ouvert. Lyon: SCEREN-CRDP Académie de Lyon. Austin, J. L. (1970). Quand dire, c'est faire (1962). Paris: Seuil. Bloch, I. (2002). Différents niveaux de modèles de milieu dans la théorie des situations. Actes de la XIème école d'été de didactique des mathématiques, La pensée sauvage Éditions, 125-139. Brousseau, G. (1990). Le contrat didactique : le milieu. Recherches en didactique des mathématiques, 9(3), 309-336.

Brousseau, G. (1998). Le contrat didactique, l'enseignant, l'élève, le milieu. In G. Brousseau & N. Balacheff (Eds.), Théorie des situations didactiques : didactique des mathématiques 1970-1990. Grenoble: La pensée sauvage. Bruner, J. S. (1983). Le développement de l'enfant : savoir faire, savoir dire. Paris: Presses universitaires de France. Kerbrat-Orecchioni, C. (2001). Les actes de langage dans le discours: théorie et fonctionnement. Paris: Nathan. Margolinas, C. (1995). La structuration du milieu et ses apports dans l'analyse a posteriori des situations. In C. Margolinas (Ed.), Les débats de didactique des mathématiques : actes du Séminaire national 1993-1994. Grenoble: La Pensée sauvage. Margolinas, C. (1998). Le milieu et le contrat, concepts pour la construction et l’analyse de situations d’enseignement,. Paper presented at the Université d’été de La Rochelle. Morris, C. (1974). Fondements de la théorie des signes. Langages, 8(35), 15-21. Morris, C. W. (1938). Foundations of the Theory of Signs (Vol. 1): University of Chicago Press.