Pourquoi les cyclistes ne respectent pas le code de la route

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La France est sans doute le pays européen qui a le ... France : les feux ne sont utilisés que pour des car- ... sés par le code de la route à rouler sur les trot- toirs.


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n°3 • octobre 2006 Cahier central de Vélocité 87

Pourquoi les cyclistes ne respectent pas le code de la route ?

Expliquer n’est pas excuser. Si le lecteur veut bien en convenir, alors voici quelques explications simples des comportements délictueux les plus courants .

Pourquoi les cyclistes brûlent-ils les feux ? Le cycliste avance… en appuyant lui-même sur les pédales. Or, redémarrer après un arrêt nécessite beaucoup d’énergie. Passer de 0 à 20 km/h consomme autant d’énergie que parcourir 80 mètres . Ce n’est plus du tout négligeable quand les carrefours à feux se multiplient. La France est sans doute le pays européen qui a le plus développé les carrefours à feux : on en trouve même au croisement de petites rues, à la sortie des carrefours ou en section courante. Dans une ville comme Paris, un cycliste rencontre en moyenne un feu tous les 150 m, soit un feu rouge et donc un redémarrage tous les 300 m, ce qui revient à augmenter de 20 % la dépense d’énergie ou encore à allonger le trajet d’environ 20 % .  Voir J.-R. Carré, RESBI. Recherche et expérimentation sur les stratégies des cyclistes au cours de leurs déplacements, rapport INRETS, 1999.  F. Papon, « La marche et le vélo : quels bilans économiques pour l’individu et la collectivité ? », revue Transports, 3 parties, n° 412, 413 et 414, 2002.  F. Héran, 2005, « De la ville adaptée à l’automobile à la ville pour tous. L’exemple parisien », in A. Grillet-Aubert et S. Guth (dir.), Déplacements. Architectures du transport, territoires en mutation, Ed. Recher-ches/Ipraus, pp. 173-186.

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Dans certains pays ou certaines villes, les véhicules peuvent tourner à droite au rouge en laissant la priorité aux piétons. C’est le cas aux Etats-Unis de longue date ou depuis quelques temps au Québec sauf sur l’île de Montréal, car les piétons très nombreux s’y sont opposés. En Allemagne, à Münster - ville de 200 000 habitants avec 30 % des déplacements à vélo -, les tourne-à-droite aux feux rouges sont systématiquement autorisés. Quand les feux ne concernent que les grands carrefours et quand les tourne-à-droite sont autorisés au rouge, les cyclistes n’ont plus de raison de brûler les feux et les respectent tout naturellement.

Pourquoi les cyclistes prennent-ils les sens interdits ? Les sens interdits obligent les cyclistes à des détours non négligeables : pour aller quelque part ou en partir, ils doivent contourner les îlots ou marcher en poussant leur vélo. Avec des courses ou un enfant sur le porte-bagages, ce n’est vraiment pas commode. Pire, les sens interdits obligent souvent les cyclistes à emprunter des voies au trafic dense et rapide, bien plus dangereuses que les petites rues.

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DES COMPORTEMENTS QUI S’EXPLIQUENT

A l’étranger, dans les pays les plus cyclistes (PaysBas, Danemark, Allemagne…), l’usage des feux de circulation est beaucoup moins répandu qu’en France : les feux ne sont utilisés que pour des carrefours importants où il est logique pour un cycliste de s’arrêter. Hors des grandes artères, les zones 30 sont la règle et les carrefours à feux bannis, comme le recommande d’ailleurs le CERTU, anciennement CETUR, dans son guide des zones 30 .

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ils brûlent les feux, prennent les sens interdits, roulent sur les trottoirs… Qui n’a pas entendu de telles critiques ? Il faut bien l’avouer, en France, les cyclistes urbains n’ont pas bonne réputation. Certes, le vélo c’est écolo, mais cela ne suffit pas à excuser les cyclistes ! Comment expliquer de tels comportements ? Et sont-ils dangereux ?

Dans les grandes villes de province, la fréquence des feux est un peu moindre : plutôt tous les 250 m. A Nantes, où de nombreux carrefours à feux ont été remplacés par des mini giratoires (200 disséminés dans la ville) ou des plateaux, les cyclistes buttent nettement moins souvent contre des feux rouges. Mais les villes françaises dans ce cas sont encore bien rares.

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« Les cyclistes font n’importe quoi » :

 CETUR, 1992, Guide « zone 30 », 64 p.

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La France est sans doute, là encore, le pays européen qui a le plus développé les rues à sens unique. A Paris, plus des trois quarts des rues sont concernées. A Lyon, la proportion est semblable. Or quand 80 % des rues sont en sens unique, cela revient à interdire 40 % des rues aux cyclistes et à allonger en moyenne leurs trajets de 20 % .

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Certaines villes l’ont compris et multiplient les contresens cyclables. Aux Pays-Bas ou au Danemark, ils sont carrément généralisés. Depuis janvier 2004, la Belgique a rendu les SUL (sens uniques limités aux cyclistes) obligatoires en inversant la règle. A Bruxelles, environ 80 % des 700 km de rues à sens unique sont en cours d’aménagement. En France, à Strasbourg, 42 % des rues à sens uniques sont déjà dotées de contresens. A Illkirch-Grafenstaden (ville de 25 000 habitants au sud de Strasbourg), depuis janvier 2006, 90 % des rues concernées sont traitées. A Bordeaux, toutes les ruelles de quatre quartiers de l’hypercentre sont désormais à double sens pour les cyclistes. Dans une ville aux contresens généralisés, il devient tout simplement impossible aux cyclistes de prendre les rues en sens interdit…

Pourquoi les cyclistes roulentils sur les trottoirs ?

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Plusieurs raisons l’expliquent. 1/ Sur les artères sans aménagements cyclables, les cyclistes trouvent très désagréable d’être frôlés par un trafic dense et rapide. 2/ Même quand des bandes cyclables existent, elles sont trop souvent occupées par des voitures en stationnement illicite que les cyclistes doivent alors contourner dangereusement. Le trottoir apparaît bien plus sûr. 3/ Les sens interdits, dont on a vu les conséquences, poussent aussi fortement les cyclistes à emprunter les trottoirs. 4/ Il arrive enfin que les embouteillages bloquent le passage et contraignent les cyclistes à les contourner par les trottoirs. Ce n’est donc pas par plaisir que les cyclistes roulent sur les trottoirs, mais d’abord pour leur sécurité et parfois par nécessité. Rappelons que les enfants de moins de 8 ans sont autori sés par le code de la route à rouler sur les trottoirs. Dans les villes qui disposent d’un bon réseau cyclable respecté par les automobilistes, les cyclistes n’ont pas besoin d’emprunter les trottoirs.  S. Asencio, Y. Giess, et F. Héran, 2002, Les contresens cyclables. Avec présentation de 73 cas français, FUBicy, ADEME, DSCR. 200 p. A commander à la FUBicy.

II

Des villes inadaptées aux cyclistes Bref, les principales infractions des cyclistes au code de la route s’expliquent d’abord par l’inadaptation des villes françaises aux cyclistes, car elles comportent de nombreux feux et sens interdits et bien peu d’aménagements cyclables. Cette situation résulte des plans de circulation mis en place avec l’aide de l’Etat au début des années 70 dans plus de 200 villes afin de les adapter à l’automobile . Dans la plupart des villes, on continue encore aujourd’hui à installer des feux avec gestion centralisée et à mettre en sens unique de nouvelles rues pour augmenter la fluidité du trafic et les espaces de stationnement. Quelques rares villes font exception, comme Nantes ou dans une moindre mesure Strasbourg, Grenoble ou Lorient. Dans ces conditions, difficile pour les cyclistes français d’adopter un comportement civique et de respecter à la lettre le code. A l’inverse, dans des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark ou dans certaines villes d’Allemagne ou de Suisse, les cyclistes sont naturellement civiques : peu de feux à griller, aucun sens interdit à prendre, pas de trottoir à emprunter quand existe à côté un aménagement cyclable. Ainsi, le comportement des cyclistes n’a pas grand chose de culturel. En réalité, ce sont avant tout les aménagements qui structurent les comportements. Quand ils sont inadaptés ou font défaut, les cyclistes n’ont pas d’autre choix que de chercher à se protéger.

Un code de la route adapté… à la route La rue n’est pas une route. Au contraire de la route, la rue accueille non seulement la circulation d’usagers très différents, mais aussi la vie locale et de nombreux usages . Les règles en vigueur en ville ne peuvent pas être les mêmes qu’en rase campagne. La Belgique en a tiré les conséquences et a élaboré un nouveau « code de la rue » qui est entré en vigueur en janvier 2004.

 J.-M. Offner, 1979, « Les plans de circulation français et américains. Une évolution convergente de la planification des transports urbains », Métropolis, n° 37-38, pp. 18-19.  Voir l’excellent rapport du Conseil national des transports, Une voirie pour tous. Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage, 2005, 2 tomes.

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Le premier principe est l’obligation de prudence du plus fort vis-à-vis du plus faible. Ainsi, les conducteurs de véhicules sont obligés de laisser la priorité aux piétons utilisant un trottoir traversant ou aux cyclistes empruntant une piste cyclable traversante… En France, un groupe de travail a commencé à s’atteler à une « réflexion » du même type (on hésite encore à parler de réforme en préparation…).

Pourquoi, dans la plupart des villes, les cyclistes respectent-ils désormais les couloirs bus ? Dès la création des premiers couloirs bus dans les années 70-80, les cyclistes français avaient

Lorsque les règles auront été écrites au service des usagers les plus faibles et non plus seulement des plus forts, elles seront davantage respectables et respectées.

pris la mauvaise habitude de les emprunter.

Bien sûr, toutes ces observations n’excusent en rien les cyclistes, qui comme tout le monde doivent respecter le code de la route, mais on comprend mieux pourquoi ils ont tant de mal à s’y conformer…

Certains qui ne l’avaient pas compris et ont

Il est vrai qu’ils s’y sentaient bien plus en sécurité que coincés entre les voitures à gauche et les bus qui les dépassaient par la droite. tenu à respecter à tout prix le code de la route l’ont payé de leur vie. Devant cette évidence, et à la suite d’exemples

quer le code de la route. Selon ce code, les automobilistes sont sensés : •

respecter les priorités à droite, même quand il s’agit de cyclistes,



s’arrêter au feu dès qu’il passe à l’orange et ne pas empiéter sur le sas vélo,



ralentir lors du croisement ou du dépassement d’un cycliste,



mettre son clignotant pour doubler un cycliste,



ne pas dépasser un cycliste en laissant moins d’1 m d’espace libre en agglomération et moins d’1,50 m hors agglomération,



ne pas stationner sur les bandes et pistes cyclables…

Le non respect de ces règles, pour des véhicules d’une à deux tonnes, peut être lourd de conséquences.

vélos en 1987 . Les résultats se révélant très positifs pour la sécurité des cyclistes et sans grandes conséquences pour l’exploitation des bus, d’autres villes ont commencé à en réaliser. Rennes est la première ville à avoir ouvert pratiquement tous ses couloirs aux vélos au début des années 90. Bien d’autres villes ont

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Les cyclistes ne sont pas les seuls à avoir du mal à appli-

ont expérimenté les premiers couloirs bus -

suivi depuis. Aujourd’hui, il en reste encore quelques unes qui n’ont toujours pas compris, mais elles sont de plus en plus rares. Et c’est ainsi que les cyclistes français respec-

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par les plus dangereux

étrangers, les villes de Grenoble et d’Annecy

tent désormais la plupart des couloirs bus…  CETE de Lyon, CETUR, 1988, La circulation mixte bus/deux-roues à Grenoble & Annecy : document de synthèse, Lyon, 12 p.

LE COMPORTEMENT DES CYCLISTES EST-IL DANGEREUX ? Quelles qu’en soient les causes, ces écarts au code de la route apparaissent malgré tout comme peu responsables et devraient logiquement entraîner de nombreux accidents au péril des cyclistes et des autres usagers. Qu’en est-il vraiment ?

Les responsabilités en cas d’accident

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Un code de la route peu appliqué

En fait, les cyclistes causent moins d’accidents que les autres usagers - automobilistes, deux-roues motorisés - à l’exception des piétons et des transports en commun. Selon une étude de l’ONISR (observatoire national d’information et de sécurité routière)

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réalisée sur les données de 2004 et publiée dans leur dernier rapport, les cyclistes français impliqués dans un accident corporel ne sont jugés responsables par la police ou la gendarmerie que dans 36 % des cas, nettement moins que les automobilistes (48 % des cas). Toutefois, en cas d’accident avec un piéton, les cyclistes sont jugés responsables dans 62 % des cas contre 27 % pour les piétons. Mais ils ne se différencient guère des automobilistes sur ce plan (respectivement 58 % / 22 %). Cependant pour un piéton, le risque majeur et de loin est d’être percuté… par une voiture.

Le risque pour les autres

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L’énergie cinétique des véhicules est en effet le principal facteur d’accident : une voiture d’une tonne roulant à 30 km/h a déjà une énergie cinétique 50 fois plus grande qu’un cycliste à 15 km/h . Et de fait, on n’a jamais vu un cycliste renverser une voiture ! Pour les piétons, les voitures sont beaucoup plus dangereuses que les cyclistes : elles peuvent les écraser quand les cyclistes ne font au pire que les renverser.

En outre, ce sont surtout les enfants et les personnes âgées qui sont victimes d’accidents à vélo. Les causes d’accidents de bicyclette sont connues. Les véhicules motorisés en sont souvent à l’origine : heurts du vélo par l’arrière, dépassements rasants, ouvertures intempestives des portières, refus de priorité… Et trop de poids lourds manœuvrent (avec remorque) sans voir les cyclistes à cause d’angles morts… Mais les cyclistes ont aussi leurs responsabilités : changements de direction non signalés, priorité ou feux non respectés, manœuvres dangereuses, absence d’éclairage et chutes… Et surtout, ils oublient qu’ils sont bien peu visibles dans le trafic : voyant très bien les autres, ils croient être vus pareillement. L’application de quelques règles simples limite beaucoup les accidents à vélo : préparer l’itinéraire avant de partir, ne pas raser les véhicules en stationnement pour éviter le risque d’ouverture d’une portière, occuper toute sa place sur la chaussée pour être vu, anticiper les mouvements tournants, porter des vêtements clairs… Plus d’actions de communication en ce sens seraient bienvenues. Finalement, les cyclistes provoquent plutôt moins d’accidents que les autres usagers et ne sont pas non plus particulièrement victimes d’accidents. Plusieurs raisons expliquent cette performance remarquable : une vitesse modérée, une excellente visibilité (pas d’angles morts et vision au-dessus des voitures), grande maniabilité du vélo, et prudence naturelle : le cycliste sait qu’il n’a pas de carrosserie et qu’il est vulnérable. C’est tout le paradoxe : le sentiment d’insécurité est générateur de sécurité.

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Certains pays l’ont compris et ne verbalisent pas de la même façon automobilistes et cyclistes. En France, le franchissement d’un feu rouge est passible d’une amende de 90 € quel que soit le mode de déplacement utilisé. En Allemagne, le cycliste (comme le piéton) ne paie que 25 € en l’absence de danger et 60 euros s’il y a danger pour les autres. En Grande Bretagne, le policier peut lui-même évaluer la gravité de l’infraction et moduler l’amende en conséquence, alors qu’en France, seul un juge FUBicy peut le faire. Dans notre pays, le policier a cepenIllustration : ville de Münster • Allemagne dant souvent le choix de la qualification de l’infraction. Ainsi, en cas de stationnement d’une voiture sur un aménagement Les conflits piétons - cyclistes cyclable, il le qualifiera rarement de « dangereux », car cela implique la mise Il y a deux ou trois générations, le piéton traversait la rue où bon à la fourrière… lui semblait. Puis la voiture et quelques règlements l’ont peu à peu chassé de la chaussée et confiné au trottoir. Des trottoirs ensuite Et le risque pour soi rognés par l’élargissement des chaussées et le stationnement. On comprend que le piéton défende aujourd’hui chèrement le En agglomération, en ramenant le nommaigre territoire qu’il lui reste. Qu’un cycliste survienne sans bruit bre de tués ou blessés graves au temps dans cet espace et c’est le conflit assuré. d’exposition au risque, on constate que, par rapport à la voiture, la marche est un Mais les accidents entre piétons et cyclistes sont-ils nombreux et peu plus dangereuse, le vélo environ 2 à dangereux ? Ils sont loin d’être rares. Un exemple, en 2004 en Ile 3 fois plus (seulement malgré les trop rares de France, 8 % des accidents ont concerné des conflits piétons / aménagements), et le deux-roues motocyclistes et ce chiffre est sûrement sous-estimé, car tous les conflits risé… 10 à 50 fois plus ! Le vélo n’apparaît de ce type ne sont pas recensés. En revanche, et c’est là l’esdonc pas comme un mode particulièresentiel, aucun piéton n’a été tué, alors que 80 l’ont été par des ment risqué (au contraire du 2RM). véhicules motorisés…

 Cette énergie dépend de la masse et du carré de la vitesse (e = ½ m v2).

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