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3.7 Le principe de l'analogie ou la substitution des proportions tracées au ... II-3 Les archétypes proportionnels de la famille du violon (006). 3.1 Le carré et la ...
Sommaire Introduction I PARTIE LA NOTION DE MESURE DANS LA FABRICATION DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE AVANT LE XVIII° SIECLE I-1.

Préliminaire : Le rôle des ressources dans la création

I-2.

Concepts rattachés à la notion de mesure 2.1 Unité et Nombre (001) 2.2 Quantité continue et discontinue 2.3 Qu’est-ce que le rapport par différence et la mesure d’une grandeur ? 2.4 La proportionnalité Les médiétés La proportion arithmétique La proportion géométrique La proportion harmonique Les sections proportionnelles Les propriétés symétriques des sections proportionnelles

I-3.

La mesure des grandeurs dans les recettes anciennes (002) 3.1 Vitruve 3.2 Henry Arnault de Zwolle 3.3 Mathias Roriczer 3.4 Le Mythe du nombre d’or 3.5 Les tracés géométriques proportionnels et leurs approximations par les nombres 3.6 Approximations et Construction des suites de rapports convergents la suite géométrique la suite harmonique la section sous-harmonique 3.7 Le principe de l’analogie ou la substitution des proportions tracées au compas par les rapports des séries convergentes

I-4.

L’analyse des mesures dans un un dessin technique du XVe siècle : le luth d’Henry Arnault de Zwolle (002) 4.1 Le dessin de la forme : premières relations proportionnelles 4.2 Comment la proportion engendre les mesures 4.3 La position de la rose

4.4

Une autre idée du plan

II° PARTIE CONCEPTION ET DESSIN DES FORMES DE LA FAMILLE DU VIOLON II-1. Préliminaire : Les difficultés de l’analyse des mesures (005) II-2. Les moules de violon d’Antonio Stradivari 2.1 Approche des relations entre les principales dimensions 2.2 Les dimensions des formes 2.3 Les relations dans la longueur 2.4 Les relations de largeur 2.5 Les relations dans la hauteur 2.6 La longueur du manche, la place du chevalet, la longueur de corde 2.7 Les relations entre les trois dimensions (005) II-3

Les archétypes proportionnels de la famille du violon (006) 3.1 Le carré et la conception organique de la forme 3.2 Définition et organisation de la surface 3.3 Mesures analogiques et archétype de partition chez Vitruve 3.4 Quelques exemples d’ordonnances

II-4

Éléments sur les techniques du tracé aux compas 4.1 Principes généraux sur le tracé des courbes par les sections 4.2 Premier cas de figure : la scotie 4.3 Deuxième cas de figure : la contre-courbe 4.4 Les caractéristiques des courbes du violon

II-5

Sept modèles 5.1 Forme d’après Andrea Amati 5.2 Forme de violon d’après les frères Amati 5.3 Forme d’alto d’après Giacomo Gennaro 5.4 Forme d’alto d’après Andrea Guarneri 5.5 Forme de tenor d’après Andrea Guarneri 5.6 Forme de violoncelle d’après Joseph filius Andrea Guarneri 5.7 Forme de violoncelle d’après Dominico Montagnana

III° PARTIE PRATIQUES TARDIVES DE LA PROPORTIONNALITE III-1 Préliminaire :

Des bras et des pieds… III-2 Héritages et spécificités de Stradivari 2.1 Drôles de têtes… 2.2 Les bases proportionnelles du placement de « f » chez Stradivari 2.3 Comment tracer les formes de Stradivari : LE MOULE MS1 « MB » LE MOULE MS 2 « S » LE MOULE MS 28 « SL » LE MOULE MS 21 « PG » LE MOULE MS 49 « G » IV

CONCLUSION

Introduction À l’aube de son cinq-centième anniversaire, le violon est encore un instrument de premier plan. Les plus anciens exemplaires ayant subsisté datent des dernières décennies du XVI° siècle et proviennent d’Italie. Selon la tradition, ces violons mais aussi ces altos, ténors et violoncelles, ont été construits par Andrea Amati à la demande de la cour de Charles IX. Indépendamment du crédit accordé à l’authenticité de cette commande, c’est un fait que toutes les données techniques nécessaires à leur construction apparaissent durant cette période, et dès les années 1520 la peinture Italienne montre des instruments ayant tous les attributs du violon. Celui-ci fait indiscutablement partie des nombreuses inventions de la Renaissance. Cette période de notre histoire se caractérise par des mutations profondes : de nombreux aspects de la vie politique, sociale, culturelle et intellectuelle sont alors l’objet de transformations radicales. La musique, comme les instruments qui la servent, n'échappe pas à cet élan de renouveau. Ainsi remet-on en chantier l’instrumentarium du Moyen-Âge dont certains représentants perdurent sans changement depuis des siècles. Pendant quelques décennies spectaculaires, au tournant du XV° et du XVI° siècle, des artisans méconnus accomplissent un travail exemplaire, créant des sonorités et des formes nouvelles pour répondre aux évolutions de l’écriture musicale. Durant le XVI° siècle, la création de nouveaux instruments accompagne l’évolution de la musique. Cette créativité connaît cependant un ralentissement brutal au siècle suivant et, à l’aube du romantisme, les instruments baroques issus de la Renaissance tombent à leur tour en désuétude ou subissent des évolutions radicales. Mais le violon échappe à ces tourments révolutionnaires et devient l’instrument fétiche de tout le grand répertoire musical du XIX° siècle. Ses qualités de timbre et de puissance, son jeu mélodique et l’absence d’échelles musicales prédéfinies lui procurent des ressources expressives très diversifiées qui expliquent vraisemblablement ce succès et sa longévité. Il est notoire que les plus beaux exemplaires ont été fabriqués dès la fin du XVII° siècle par le célèbre luthier Antonio Stradivari et les instruments de cette période d’or ont acquis depuis un statut quasi mythique. Tout, y compris le caractère immuable et maintenant familier de ses formes, contribue à faire penser qu’une perfection esthétique et acoustique a été atteinte à cette époque. Mais un véritable mystère environne les pages les plus glorieuses de sa création car on ne sait plus aujourd'hui comment cette forme fascinante a été conçue. Cette ignorance pèse depuis des générations sur notre profession qui se trouve placée dans l'impossibilité de comprendre la pensée des maîtres du passé. Faute de détenir ces clefs, les fabricants tentent de discerner les contours d'un savoir oublié et se limitent le plus souvent à la copie des instruments anciens. Parfois aussi, ils interprètent les formes laissées par leurs lointains prédécesseurs en se référant à des répertoires de styles et de mesures qu’ils composent de façon empirique. La compréhension des fondements rationnels de notre pratique professionnelle comblerait assurément une part importante de ce handicap. Mais nombreux sont les sceptiques qui mettent en doute l’existence même de principes théoriques. Nous avons dit que le violon provenait d'un ensemble d’instruments créé durant une courte période de notre histoire sous l’impulsion pressante de nouveaux besoins musicaux. Imaginer que les artisans de l'époque ont répondu à cette demande sans utiliser de schéma(s) théorique(s) signifierait que leurs créations sont le résultat d'un processus empirique guidé seulement par l’intuition et l’expérience. C’est là une hypothèse imprégnée de la conception romantique où l’intuition constitue l’essentiel du processus de création. Mais cette idée ne correspond pas à la réalité de la culture néo-pythagoricienne de la Renaissance pour qui la création n’est pas concevable sans le soutien des règles mathématiques de l’harmonie. L’autre hypothèse, celle d'un savoir perdu (voire de l'existence de « secrets » à l’image de ceux des bâtisseurs du Moyen-Âge), pose la question centrale de cet ouvrage : celle de la nature de ces connaissances et des raisons de leur disparition.

C’est à ces questions sur les significations rationnelles d’une forme que tente de répondre ce traité de lutherie. Pour cela, nous commencerons par prendre en considération ce qu’ont été les ressources théoriques, pratiques et matérielles nécessaires à la création du violon. Un soin particulier sera apporté au chapitre consacré à la proportionnalité en tant que théorie génératrice des notions de mesure et de forme. Notre objectif étant d’expliquer en quoi cette théorie a été utile à des artisans par ailleurs peu instruits des développements scientifiques de la pensée d'Euclide ou de Pacioli1. Nous allons explorer les ressources inattendues d’une arithmétique rudimentaire n’ayant recours qu’à l’addition et à la soustraction des nombres entiers les plus simples. Cette recherche nous révèlera un mode de pensée situé aux antipodes de celui qui nous est familier et mettant en œuvre des notions dont les significations sont tombées en désuétude. Au-delà d’une arithmétique et d’une géométrie simples, des questions complexes afférentes à la nature de la représentation de l’objet seront posées. Les difficultés de l’interprétation des textes anciens contenant des "recettes" seront illustrées par trois exemples dont celui du dessin technique d’un luth datant du XV° siècle. Les informations théoriques extraites de ce dessin vont nous permettre d'analyser les résultats des mesures effectuées sur des formes (ou des moules) réalisés par Antonio Stradivari. Les principes de l’organisation proportionnelle générale des instruments, illustrés de nombreux exemples, seront décrits dans le chapitre suivant. Après avoir expliqué les techniques de tracé des courbes, nous décrirons en détail les dessins d’instruments de divers auteurs, dont ceux de la famille Amati. Enfin, en dernière partie, nous aborderons les spécificités du travail de Stradivari en expliquant en quoi le maître se distingue de ses prédécesseurs. Le luthier curieux de connaître les origines fascinantes de son art et désireux d’avoir une compréhension approfondie de ses principes trouvera dans ces pages des bases solides pour nourrir ses propres recherches et motiver ses choix à venir. Le regard qu’il porte sur les formes qui lui sont familières en sera radicalement transformé.

Toute production artisanale dépend des moyens dont elle dispose. La disponibilité de ces moyens a-t-elle interféré sur les processus de création et d'évolution de la forme du violon ?

Le rôle des ressources dans la création

Les êtres et les choses se créent et se reproduisent dans un environnement donné dont ils exploitent les ressources. La disponibilité de ces ressources conditionne nécessairement l’apparition des formes qui en dépendent. Par exemple, l’automobile utilise la roue mais c’est bien sûr à l’existence du moteur que l’on doit son invention. Dans ce cas, l’invention est directement liée à la disponibilité d’une nouvelle technologie. Il arrive aussi que la disponibilité des matériaux joue un rôle important dans un processus de création et d’invention. Ainsi l’imprimerie n’est pas en soit une idée exceptionnelle si on dispose 1

Euclide, Mathématicien grec (IIIe siècle av. J.-C.), Luca Pacioli (env. 1450-1514) Moine et mathématicien italien connu pour ses liens avec les artistes de son époque.

des caractères mobiles d’une écriture alphabétique. En fait, le succès de cette invention résulte surtout de l’introduction en Europe d’un nouveau matériau, le papier, beaucoup plus rapide à produire et donc plus économique que le parchemin. Enfin, une invention peut engendrer des mutations profondes. Par exemple, la transformation des supports d’information entraîne la modification de la nature des connaissances communiquées. Ce qui se vérifie aujourd'hui à travers le développement de nouveaux médias s’applique aussi à l'apparition du livre imprimé durant la Renaissance. En mettant à disposition une quantité d’informations sans commune mesure avec ce qui avait précédé, la multiplication des livres a suscité des changements profonds, non seulement dans l’organisation mais aussi dans le contenu des connaissances disponibles. Le rôle prépondérant des traditions orales dans la transmission de certains savoirs (comme dans l’éducation ou l'apprentissage) s’en est trouvé considérablement affaibli entraînant la perte des connaissances propres à ce mode de transmission : une invention s'accompagne souvent d'une perte de savoir(s). L’invention résulte souvent d’un changement dans la disponibilité des ressources. Un tel processus a-t-il pu jouer un rôle dans la création et l'évolution du violon ? Durant la Renaissance, seuls les progrès des mathématiques et la découverte de l’imprimerie peuvent avoir interféré avec la facture instrumentale. Le fait que les ouvrages du XVI° siècle ne s'intéressent pas à la fabrication des instruments de musique nous conduit à penser que l’invention de l’imprimerie n’a pas eu de conséquences directes sur celle du violon. Par contre, si l’on retient que la conception de cet instrument est tributaire d’un corpus de traditions orales, l’imprimerie devient alors la cause possible de la perte des savoirs que nous recherchons. Durant la même période, les capacités de calculs augmentent considérablement. Ces progrès ontils influés sur l’apparition du violon ? Il est vrai que durant cette période, certains artistes et artisans ont coopéré avec des savants. Le mathématicien Luca Pacioli fait illustrer son ouvrage « La Divine Proportion » par Léonard de Vinci, et c’est aux artisans que les scientifiques s’adressent le plus souvent pour faire construire des instruments de mesure de plus en plus perfectionnés. Le peintre Piero della Francesca est aussi le premier savant à avoir expliqué les règles mathématiques de la perspective. Mais il n'existe aucune trace de collaboration entre des savants et des luthiers. Aucun travail mathématique ou écrit théorique, ne traite à cette époque de l'art de la lutherie. Si les productions de la Renaissance ayant exploité les progrès scientifiques nous sont encore compréhensibles aujourd’hui, tel n'est pas le cas du violon. Nous ne pouvons donc pas corréler son invention aux progrès des mathématiques. De nos jours, l’arithmétique utile à la fabrication des instruments de musique se réduit à l’usage courant des nombres, des opérations et des mesures et vraisemblablement, il en a toujours été ainsi. Andréa Amati et ses pairs ont simplement utilisé le système de numération en usage à leur époque sans se référer aux travaux déjà très abstraits des mathématiciens. Par contre, il est un fait qu’en pénétrant définitivement dans l’artisanat à partir du XVII° siècle, les progrès de la numération, comme les avancées de la métrologie, ont affecté en profondeur les savoirs pratiques en relation avec la notion de mesure. Il convient donc de préciser dès maintenant les formes sous lesquelles l’arithmétique et la géométrie ont pris part à l’activité artisanale.

Avec la fin du XVI° siècle, les fondements des mathématiques héritées de la tradition grecque sont remis en question. Les conditions théoriques préalables au développement industriel sont alors réunies. Au cours du siècle suivant, de nouvelles pratiques commencent à se diffuser dans le monde de l’artisanat, et dès le XVIII° siècle, le chemin parcouru achève d’effacer les dernières traces d’un passé devenu trop lointain. Quand les violes et les violons apparaissent, ces changements ne se sont pas encore produits. Les artisans d’alors travaillent en suivant des principes qui n’ont pas été modifiés par le progrès des sciences…

Unité et Nombre Quantité Continue et Discontinue

Pour les théoriciens de l’Antiquité, le nombre est une collection d’unités. Cette définition se rattache à celle de la quantité dont Aristote dit qu’elle est « ce qui est divisible par deux ou par plus de parties aliquotes » (division en parties égales sans reste) [Métaphysique 1020a,5]. Les anciens ont distingué deux sortes de quantités suivant la manière dont on peut les diviser. Les quantités divisibles un nombre limité de fois ont été appelées discontinues. Ainsi, un panier de pommes est une quantité discontinue parce qu’il ne peut pas être divisé un nombre entier de fois au-delà de son principe unitaire naturel qui est la pomme. En effet, une pomme divisée en deux ne donne pas deux pommes. L'unité est ici une singularité indivisible et la quantité discontinue est une pluralité signifiable par un nombre qui ne peut être qu’entier. Reste les quantités dites continues qui se divisent indéfiniment sans jamais perdre leur qualité essentielle. Pour ces quantités aussi appelées grandeurs (distance, surface, volume..,) la notion d'unité naturelle n’existe pas. Ainsi, un bâton ne peut être considéré comme une unité naturelle car divisée en deux, il donne deux bâtons. Ces définitions conduisent à exclure l’unité de l’ensemble des nombres, car admettre qu’il existe des fractions d’unité revient à considérer cette unité comme une grandeur, c’est-à-dire une quantité devenue divisible à l’infinie. Par ailleurs, l’évaluation d’une grandeur est une opération toujours relative à une autre grandeur, et c’est de ce principe fondamental que les notions de rapports, de proportion et surtout de mesures découlent. La distinction entre quantités discontinues et continues est à l’origine des deux disciplines mathématiques bien séparées que sont l’arithmétique (nombres) et la géométrie (les grandeurs). Ces principes mathématiques fondés sur des arguments philosophiques portant sur le caractère essentiel et indivisible de l’unité naturelle vont rester opérationnels en occident jusqu'au XVI° siècle. Le mathématicien belge Simon Stévin (1548-1620) est le premier à remettre en question ces concepts de façon radicale. Il affirme que "l'unité est un nombre" et que le nombre inclut toutes les quantités, qu'elles soient continues ou discontinues. Ce faisant, il crée les bases de l’arithmétique moderne nécessaire au développement scientifique tout en ruinant une

représentation de l’être, de sa forme et de ses mesures restée sans grand changement depuis l’époque greco-latine. À l’époque où Stévin énonce ses théories, les artisans utilisent encore les outils mathématiques hérités de l’Antiquité. Les mesures d’un objet restent une affaire de grandeur c’est-à-dire de géométrie. Elles résultent d’une suite de relations établies à partir d’une grandeur de référence extraite de l'objet lui-même. Les dimensions d’une forme constituent un tout relationnel autonome et affranchi de toute référence à un étalon. Ce dernier est alors un élément accessoire ayant trait à une réalisation nécessairement approximative de l’objet et il est encore rarement mentionné avant le XVII° siècle.

Qu’est-ce que le rapport par différence et la mesure d’une grandeur ? Les implications pratiques des principes mathématiques hérités de l’Antiquité restent abstraites pour un opérateur actuel, habitué à réduire la dimension des objets aux indications d’un instrument de mesure étalonné. Nous n’utilisons plus aujourd’hui que des mesures métrologiques et des rapports dits « géométriques ». Pourtant, durant des siècles, les artisans se sont servis de mesures relatives déterminées par des rapports dits « par différence »… Le rapport est la comparaison de deux grandeurs de même genre2 permettant d’évaluer une de ces deux grandeurs en fonction de l’autre. Dans le rapport dit par différence, une grandeur B surpassant une autre A, on a considéré que B contient une quantité égale à A appelé Même ; plus une quantité différentielle appelée la raison3. Le rapport est dit rationnel quand le même ou une partie sous-multiple du même divise la raison exactement, et il est dit irrationnel si cette division exacte est impossible. Dans un rapport rationnel, les deux grandeurs (comme A et B) qui le composent sont dites commensurables c’est-à-dire qu’il existe une grandeur plus petite appelée la part, qui est un sous-multiple de ces deux grandeurs4. En tant que multiples de la part, les deux quantités continues du rapport rationnel « peuvent être conçues comme des nombres » [Aristote, Analytiques Postérieures, 75b,5].5 La part est alors assimilée à une unité commune aux deux grandeurs du rapport. 2 3

Le genre signifie qu’au moins une propriété partagée permet une comparaison.

Selon Euclide, « la raison est une certaine manière d’être de deux grandeurs homogène suivant la quantité » (Livre V déf.3). On distingue deux sortes de raisons; la raison dite directe telle que A+Raison=B avec Raison=B-A et la raison dite inverse telle AxRaison=B avec Raison=B/A (voir glossaire). 4 5

On considère que la part est la mesure commune des deux grandeurs du rapport rationnel.

Pour les anciens, les grandeurs commensurables se « comportent comme des nombres ». C’est-à-dire qu’en tant que multiple ou sous-multiple, elles se prêtent au dénombrement. Ceci étant, l’aspect relatif et multiple des valeurs unitaires dans le domaine des grandeurs (c’est-à-dire du continu) reste ambigu pour un esprit moderne. Bien que notre système numérique compte effectivement des « paquets » dizaine, vingtaine, centaine… ayant chacun une fonction unitaire, nous considérons que seule la part vaut l’unité.

Exemple d’un rapport dit par différence : le même vaut une des grandeurs (même=A), la raison est la différence entre A et B. S’il existe une part sous multiple du Même et de la raison, le rapport est dit rationnel et toutes les grandeurs du rapport sont alors dénombrables par une comptabilité de même et de part (dans cet exemple la raison vaut 1 même et 1 part). Si cette part sous-multiple n’existe pas, le rapport est dit irrationnel ou encore innommable dans le sens ou il est impossible de dénommer les valeurs unitaires du rapport.

En fait, la nomenclature des rapports rationnels montre que les deux dénominations, Même et part, ont été assimilées à des entités dénombrables c’est-à-dire à des valeurs unitaires. Ainsi, les rapports ont été classés en fonction de la valeur numérique d’un des termes exprimée par une comptabilité de mêmes et de parts c’est-à-dire dans notre exemple, la valeur numérique de B exprimée en fonction de A. On trouve le rapport du même (B=même), les rapports multiples (ex :B=2mêmes), les rapports du même et de la part (ex : B=1même+1part) , les rapports du même et de plusieurs parts (ex : B=1même + 2 parts) etc…6. Enfin, la comparaison de deux grandeurs A et B se fait au « moyen » de la raison suivant une structure symétrique de la forme A et (B=raison+même). Cette représentation du rapport a joué un rôle important dans la géométrie pratique.7

Structure symétrique du rapport de deux quantités A et B

En résumé, le même et la part d’un rapport rationnel par différence, doivent être considérés comme les unités relatives des quantités continues. De là, l’existence des unités (les parts) relatives à des grandeurs déterminées (les mêmes) est un préalable indispensable à la mesure. Ceci implique que, dans le domaine des grandeurs qui nous intéresse, les mesures n’existent pas indépendamment des rapports qui les conditionnent. Ce caractère à la fois indispensable et prioritaire du rapport tient une place prépondérante dans l’organisation et la logique des anciennes recettes et des mesures qui les composent.

6

La classification arabe des rapports est clairement fondée sur la distinction du même et de la part : nisbatu’l-mathal (rapport du même), nisbatu’l-amathãl (rapport multiple) nisbatu’l-mathal-waljaz (rapport du même et de la part) almatha wa ajza ( un même et plusieurs parts) amathãl wa juz (plusieurs mêmes et plusieurs parts). 7

Cet aspect particulier est développé au chapitre des symétries proportionnelles.

Exemple illustrant le principe des mesures. Les grandeurs M1 ; M2 ; M3 (à droite) sont mesurées par les dénominations d’un rapport (à gauche). Toutes les grandeurs exprimées en fonction des dénominations d’un même rapport rationnel sont comparables. On dit que ces grandeurs sont commensurables.

La recherche d’une mesure commune à deux rapports se fait par le rapport de leurs raisons respectives. De cette comparaison résulte une troisième raison dont on extrait la valeur d’une part. Cette part est une mesure commune aux termes des rapports 8.

La part qui mesure la raison R3 mesure aussi les termes A,B,C,D,R1,R2.

La proportionnalité L’esprit moderne conçoit mal que la relativité des unités et des mesures puisse s’accorder simplement aux pratiques des artisans. En fait, l’efficacité du système dépend de la proportionnalité et des rapports par différence. Nous avons vu que le rapport compare deux grandeurs. La proportion décrit les cas où cette relation de comparaison du rapport se répète de la même manière entre plusieurs grandeurs. Imaginons Pierre et Paul, deux travailleurs sur un chantier, préparant l'emplacement d'une fenêtre. Pierre donne ses mesures avec un bâton d’une grandeur G1 et Paul donne ses mesures avec un bâton d’une grandeur G2. Pierre mesure la largeur d’une fenêtre avec 2 G1 tandis que Paul mesure la hauteur de la fenêtre avec 2 G2. Pierre et Paul ont pris des mesures dites « identiques », mais la fenêtre est rectangulaire parce que G1 est différent de G2. Cette relation d’identité signifie que les dimensions de la fenêtre sont proportionnelles à celles des bâtons de Pierre et de Paul. Imaginons maintenant que Paul ait mesuré la hauteur de la fenêtre avec le bâton de Pierre, la fenêtre serait un carré et les mesures faites par Pierre et Paul auraient été dites « égales ». Enfin, dans le cas particulier où le bâton de Paul a la même grandeur que celui de Pierre ces deux mesures sont alors « identiques » et « égales ». La proportionnalité permet donc de différencier l’égalité de l’identité des mesures. Ces notions sont importantes à rappeler car, grâce à elles, on manie des grandeurs différentes avec des mesures identiques. C’est dans ce contexte que les unités relatives des rapports deviennent un principe intéressant et économique. La proportionnalité a été utilisée pour organiser les surfaces et les volumes et grâce à elle une grande partie de la géométrie pratique de la règle et du compas a pu se traiter par l’arithmétique, c’est-à-dire par des nombres entiers. Suivant Euclide, des grandeurs sont en proportion quand il existe entre elles, une identité de raisons9. Précisons que la formulation implique au moins deux raisons identiques, c’est-à-dire trois 8

Ce calcul revient à rechercher le plus petit dénominateur commun, autrement dit la plus petite valeur unitaire commune. 9 Euclide, Les éléments, Livre V définitions 4 et 7 , traduction de Peyrard,1809.

grandeurs. Cela signifie que ce n’est pas la relation qui importe, mais la manière dont elle se répète. Autrement dit, quand trois grandeurs G1, G2 et G3 sont telles que G1 est à G2 comme G2 est à G3, ces grandeurs sont une proportion. Par convention, la syntaxe du rapport étant [G1,est à G2], celle de la proportion est [G1,est à G2] comme [...est à...]. D’un point de vue général, une proportion est constituée d'une série de grandeurs G1, G2, G3, G4… que l'on peut regrouper deux à deux. Elle s'écrit selon une syntaxe qui est toujours de la forme générale [G1 est à G2] comme [G3 est à G4] comme [G5 est à G6], etc. Les proportions possèdent certaines propriétés telles que : -Si [G1 est à G2] comme [G3 est à G4] alors [G1 est à G3] comme [G2 est à G4] exemple : si [2 est à 4] comme [3 est à 6] alors [2 est à 3] comme [4 est à 6] (faire illustration) -[G1 est à G2] comme [G3 est à G4] comme [G1±G3 est à G2±G4] exemple : [2 est à 4] comme [3 est à 6] comme [1 est à 2] comme [5 est à 10] (faire illustration) -Si [G1 est à G2] comme [G3 est à G4] alors G1xG4=G2xG3 exemple : si [2 est à 4] comme [ 3 est à 6] alors 2x6=3x4=12 (faire illustration)

Les médiétés Les différentes proportions ont été étudiées en considérant une progression de trois grandeurs distinctes (par convention : Petite, Moyenne et Grande, soient P, M et G). Ces trois grandeurs et leurs différences respectives (ou raisons directes) constituent une médiété quand elles contiennent une proportion. Notons que les termes de la proportion ne se confondent pas nécessairement avec les termes P, M et G de la médiété. D’un point de vue général, la médiété n’est pas la proportion elle-même mais une manière d’étudier et de présenter les différentes sortes de proportions qu’elle contient. La figure ci-dessous illustre comment s’ordonnent les trois grandeurs P, M et G et où se situent les deux différences (appelées par convention D et D’ soit D=M-P et D’=G-M).

La syntaxe de la proportion d’une médiété est toujours de la forme [D est à P] comme [D’est à (P , M ou G)]. On rencontre donc trois possibilités basiques appelées arithmétique, géométrique et harmonique. [D est à P] comme [D’est à P] proportion dite arithmétique [D est à P] comme [D’est à M] proportion dite géométrique [D est à P] comme [D’est à G] proportion dite harmonique

La proportion arithmétique La proportion est dite arithmétique quand [D est à P] comme [D’est à P]. On démontre que la grandeur moyenne MA vaut la moitié de la somme de ses extrêmes, soit MA=(P+G):2 (10).

Exemple d’une proportion arithmétique La mesure de la raison de D à P est identique à celle de D’ à P. On vérifie également 3=(2+4)/2 Cette proportion est appelée arithmétique parce que les raisons se comportent comme des nombres relativement à P, M et G.

La proportion géométrique Une proportion est géométrique quand [D est à P] comme [D’est à M].

Exemple de proportion géométrique entre trois grandeurs commensurables. On vérifie que MG=√(PxG) soit 2=√1x4 La grandeur moyenne MG vaut la racine carrée du produit des extrêmes soit M=√(PxG) et les grandeurs P, M et G sont les termes d’une proportion continue, soit [P est à M] comme [M est à G]. Il s'ensuit que toute proportion continue est une médiété géométrique et réciproquement. Les grandeurs de cette médiété ont la propriété de construire un rectangle PxG dont la surface est égale à celle d'un carré MxM. C’est cette propriété qui donne son nom à cette médiété.

Relation d'équivalence des surfaces d’une médiété géométrique. Le rectangle de côté P et G a la même surface que le carré de côté MG .

La proportion harmonique Une proportion est harmonique quand [D est à P] comme [D’ est à G]. La valeur de la grandeur moyenne se calcule par la formule M=2(PxG):(P+G). Le nom de cette médiété se rapporte à l’harmonie musicale.11 10

Par convention, les moyennes arithmétique, géométrique et harmonique seront notées MA, MG, MH.

Exemple d’une proportion harmonique entre grandeurs commensurables. On vérifie que M=2(PxG)/P+G soit 36:9=4

Les sections proportionnelles La section proportionnelle est l’expression la plus simple d’une médiété proportionnelle. Cet aspect de la théorie de la proportionnalité a eu de nombreuses répercussions pratiques. Les sections proportionnelles sont le cas particulier des médiétés où le Grand terme vaut la somme du Petit et du Moyen, soit G=P+M.

Comme pour les médiétés, les raisons de la section proportionnelle sont les différences entre G , M et P.

soit : M-P=D et G-M=D’. Par ailleurs, G étant égal à P+M on en déduit que G-M=P= D’.

Il n’existe qu’une seule possibilité de section proportionnelle pour chaque sorte de proportion, soit :

Proportion d’une section arithmétique [D est à P] comme [P est à P] (exemple : pour G=1 on trouve M=2/3; P=1/3 et D=1/3)

11

(voir note n°pp)

Proportion d’une section géométrique [D est à P] comme [P est à M] comme [M est à G] (exemple : pour G=1 on trouve M= (√5/2)-(1/2 ) ; P=(3/2)-(√5/2) et D=√5-2

Proportion d’une section harmonique [D est à P] comme [P est à G] (exemple : pour G=1 on trouve M=2-√2; P=√2-1 et D=3-2√2)

Les sections se construisent à la règle et au compas. Ces constructions sont apparentées car elles utilisent l’intersection de la diagonale d’un carré (ou d’un double carré) avec une droite ou un arc. Le grand terme G de la section est le côté du carré (ou le grand côté du rectangle). Notons que seules les grandeurs de la section arithmétique sont commensurables.

La relation proportionnelle de la section est construite sur le côté du carré ou du rectangle double carré. On trouve ainsi la relation G=P+M qui caractérise toutes les sections (soit AD=AS+SD).

Par ailleurs, toutes les sections contiennent une proportion continue. C’est-à-dire qu’en considérant des longueurs, on trouve dans les sections proportionnelles une relation d’égalité entre la surface d’un quadrilatère et celle d’un carré.

PROPORTION CONTINUE DE LA SECTION ARITHMETIQUE

[D est à P] comme [P est à P] PROPORTION CONTINUE DE LA SECTION GEOMETRIQUE

[D est à P] comme [P est à M] PROPORTION CONTINUE DE LA SECTION HARMONIQUE

[D est à P] comme [P est à G]

Les propriétés symétriques des sections proportionnelles Dans une médiété P; M et G, les raisons directes sont deux différences D et D’ telles que D=M-P et D’=G-M. Les sections étant de la forme G=P+M, on en déduit que P=G-M donc P=D’. Il

s’ensuit que les sections proportionnelles ont toutes une structure symétrique de la forme : G=P+D+P.

Deux raisons extrêmes D’, encadrant une raison moyenne D, on parle alors de partage en moyenne et extrêmes raisons12. Comme les relations proportionnelles symétriques ont joué un rôle important dans l’établissement des mesures relativement à un axe (façades, fenêtres, ouies…), il est intéressant d’en comprendre le principe. On distingue trois sortes de symétries suivant la manière dont on décompose la section soit : P+M=P+D+P P+M=M/2+P+M/2 P+M=P/2+M+P/2 Ainsi, dans le cas le plus simple d’une section arithmétiques 3=1+2 on trouve : 1+2=1+1+1 pour P+M=P+D+P 1+2=1+1+1 pour P+M=M/2+P+M/2 1+2=1/2+2+1/2 pour P+M=P/2+M+P/2

Les symétries se recomposent aussi sous la forme de deux sections dont les termes se placent en miroir. Ainsi 1/2+2+1/2 s’écrit aussi (1/2+1)+(1+1/2) qui est de la forme (1+2)+(2+1) soit (P+M)+(M+P). Nous verrons que ces propriétés ont été à la base du « rythme» des compositions (spécialement en ce qui concerne la vue de face). Les symétries sont également le « secret » d’une représentation purement abstraite et mathématique de la forme qui a été utilisée comme un outil théorique. C’est grâce à la symétrie que les recettes anciennes pouvaient rendre compte simplement de compositions proportionnelles complexes.

Exemple de compositions symétriques faites à partir d’une section P+M.

12

Notons comme explication alternative ou complémentaire de cette appellation, que le terme P d’une section est la raison de G et M c’est-à-dire du moyen au grand (moyenne raison) et M est différence de G et P soit la raison des extrêmes (extrême raison).

En lutherie, ce procédé a été utilisé pour organiser les largeurs et les ouvertures d’un instrument de musique de manière proportionnelle.

À gauche : conception symétrique et proportionnelle d’une porte d’après Sebastiano Serlio, Libro d’architecttura À droite :sSymétries d’une façade de Francesco di Giorgio Martini, Trattati di architettura ingegneria e arte militari. folio 41 recto re-édition C. Maltese and L. Degrass, eds. (Milan: Edizioni il Polifilo, 1967).

Notons que dans le cas des sections arithmétique et harmonique, la symétrie M/2+P+M/2 est aussi une section proportionnelle de la forme P+D+P. Dans ce cas (M/2) et (P+M/2) sont les deux termes de la nouvelle section (dont la raison est P). Cette propriété n’est intéressante que dans le cas de la section harmonique. On parle alors de section sous-harmonique.

construction géométrique d’une section sous-harmonique.

proportion d’une section sous-harmonique : [D est à P] comme [G est à M] (exemple : pour G=1 on trouve M=√2/2; P=1√2/2 et D=√2-1)

La section sous–harmonique contient aussi une proportion continue : [P est à D] comme [D est à P+P]. Il se trouve que P+P correspond au moyen terme de la section harmonique. On obtient donc une symétrie complexe où la raison D de la section sous harmonique est aussi le petit terme de la section harmonique.

Les relations symétriques de la section harmonique sont figurées dans la rotation du carré. On trouve que le petit terme de la section sous-harmonique (en rouge) vaut la moitié du moyen terme de la section harmonique.

Les symétries ont été un véritable principe de la conception des constructions. On les rencontre à toutes les époques et dans toutes les corporations. Ainsi, durant des siècles, triangles et carrés sont à la base du dessin. On a gardé en mémoire l’expression médiévale d’une construction ad triangulum ou ad quadratum. Il est vrai que les propriétés des symétries permettent de simplifier des calculs proportionnels complexes, ce qui explique leur usage systématique. Les petits ouvrages techniques d’architecture édités en Allemagne entre le XV° siècle et le XVI° siècle 13 expliquent comment choisir les mesures à partir de ces bases carrées. La géométrie se limite ici à la construction de cette seule figure proportionnelle. Les valeurs irrationnelles font le plus souvent l’objet d’une approximation par des nombres entiers. Enfin, il est aussi remarquable que les éléments disparates de la définition de la symmetria, se rapportent aux multiples applications du concept proportionnel de symétrie. Ainsi, dans ses commentaires sur les concepts de Vitruve, Pierre Gros dit que la symmetria «… ne fait pas l’objet d’une définition directe". Elle est "progressivement circonscrite au moyen d’approximations [sémantiques] (…) qui paraissent s’emboîter les unes dans les autres… ». Elle est parfois l’équivalent de la commodulatio qui signifie selon le commentateur, « mesurable par une même partie entière ». Mais le terme renvoie aussi aux notions de proportion, de rapport, de calcul, de commensurabilité et évidemment de module… On sait qu’elle est aussi rattachée à une idée d’équilibre qui se rapproche du sens actuel.14 Alors que l’on cherche encore une définition de la symmetria capable d’expliquer ses significations distinctes, les applications multiples des propriétés symétriques des sections proportionnelles offrent une voie d’interprétation intéressante.

13

Les deux livrets écrit par Mathias Roriczer et Hans Schmuttermayer sur la rectitude des pinacles ont été traduits et commentés par L. Ron Shelby (SHELBY(Lon R),Gothic design techniques.the fifteenth-Century design Booklet of Mathes Roriczer and Hanns Schmuttermayer, Southern Illinois University Press, London-Amsterdam,1977). 14 Galien affirme que la symmetria participe aux équilibres qui garantissent une bonne santé : GROS (Pierre), Vitruve. De l’architecture, livres III, les Belles lettres, Paris,1990, intro p 57.

La rotation associée à la quadrature montre la migration symétrique des termes de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement. Les mesures de P et de M étant connues, toutes les dimensions extraites des figures de rotation et de quadrature, sont de simples additions de ces valeurs initiales.

Deux exemples de dessins réalisés à partir d’une symétrie harmonique, à gauche par Lorenz Leichler XVI° siècle et à droite par Mathias Roriczer XV° siècle.

À gauche : à la suite de Mathias Roriczer, Hans Schmuttermayer explique comment la quadrature génère les mesures de l’élévation. À droite : dessin d’une contre-courbe à partir d’une symétrie arithmétique (extrait du recueil dit de Wolfgang Rixener, fin du XV°siècle). Symétries et sections proportionnelles sont aussi la base théorique du tracé des arcs tangents.

Les mesures de nos plans sont des multiples ou sous-multiples d’un étalon (ex. : le mètre). La relation entre les mesures de ce plan et la grandeur réelle de ce qu’elles représentent est ce que nous appelons le rapport d’échelle, mais cette notion n’apparaît pas dans les recettes anciennes.

La Mesure des Grandeurs dans les Recettes Anciennes

Dans une recette « à l’ancienne », les unités ne sont pas relatives à des grandeurs étalons, mais sont trouvées dans l’objet lui-même. Elles sont définies par des rapports, c’est-à-dire par des comparaisons entre des éléments de la forme. Ceci oblige les textes à se conformer à un mode d’expression particulier. L’auteur commence par dénommer une grandeur de référence en correspondance avec un élément de la forme à construire. Ensuite cette grandeur est divisée en parts unitaires (demi, tiers, quart…) servant d’unité de mesure à d’autres éléments. La forme est ainsi entièrement décrite par une succession de « dénominations-mesures » qui chacune correspond à un rapport.

Au XVII° siècle, les personnages figurant sur les gravures de bâtiments indiquent que le rapport d’échelle est désormais un élément à part entière de la représentation des dimensions.

Les extraits des textes ci-dessous illustrent ce procédé. Le premier est emprunté à Vitruve (1° siècle avant JC). Cet auteur est connu pour son traité qui constitue la principale source d’information dans le domaine de l’architecture antique. Les auteurs des deux exemples suivants sont moins connus. Zwolle a laissé au milieu du XV°siècle des informations sur les instruments à clavier et sur le luth. Roriczer, issu d’une lignée d’architectes gothiques allemands et architecte lui-même, est aussi imprimeur. Il passe pour avoir été le premier à publier des informations sur l’architecture et la géométrie médiévales.

Vitruve Extrait du « De l’Architecture » vers –50 av JC 15

DÉNOMINATIONS DU 1° RAPPORT

« soit le diamètre de la colonne » (grandeur de référence) « diviser le diamètre en deux » (part unitaire) MESURES EXTRAITES DU 1° RAPPORT

«la largeur de l’architrave correspond au diamètre de la colonne » «la hauteur de l’architrave vaut son 1/2 diamètre» . « la largeur de la base vaut 1fois et 1 part 1/2 du diamètre de la colonne ». DÉNOMINATIONS DU 2° RAPPORT

« soit la hauteur de l’architrave » (grandeur de référence) « diviser la hauteur en 7 parties » (part unitaire)

MESURES EXTRAITES DU 2° RAPPORT

« le couronnement vaut une de ces parts » DÉNOMINATIONS DU 3° RAPPORT

« soit le reste de la hauteur déduction faite du couronnement » (grandeur de référence) « diviser en douze parties » (part unitaire) MESURES EXTRAITE DU 3° RAPPORT

« le bandeau inférieur vaut 3 de ces parties » « le bandeau intermédiaire vaut 4 de ces parties » « le bandeau du haut vaut 5 de ces parties »

Henry Arnault de Zwolle Extrait du manuscrit dit « Traité d’Henry Arnault Zwolle » (1° moitié du XV° siècle)16 15

Vitruve, De l’architecture,commenté par Pierre Gros, éd les belles lettres, Paris, 1990

DÉNOMINATIONS DU I° RAPPORT

« prenez la distance entre x (endroit de la plus grande largeur) et le haut du corps du luth » (grandeur de référence) « divisez cette ligne en 8 parties » (part unitaire) MESURE EXTRAITE DU I° RAPPORT

« Donnez une de ces parties au tasseau du haut » DÉNOMINATIONS DU 2° RAPPORT

« Soit la longueur du corps du luth » (grandeur de référence) « divise cette longueur en 6 parties »(part unitaire) MESURE EXTRAITE DU 2° RAPPORT

« le chevalet sera au sixième de la longueur du luth » DÉNOMINATIONS DU 3° RAPPORT

« soit la distance entre le bas du luth et le chevalet » (grandeur de référence) « divise cette longueur en 3 parties » (part unitaire) MESURE EXTRAITE DU 3° RAPPORT

« donne une de ces parties au tasseau du bas »

Mathias Roriczer Extrait du « Wimperbüchlein » édité par M. Roriczer (2° moitié du XV° siècle)17 16

Bibliothèque Nationale, Paris, Acc. No. : 7295. Ce dessin est l’objet d’une étude détaillée infra (pp) 17 RORICZER (Mathias) Büchlein von der Fialen Gerechtigkeit et Wimperbüchlein, Nürnberg, Stadtblibliothek, Math. 484

Si vous voulez faire un plan de base et en extraire l’appareillage pour tout un porche vous procéderez ainsi : . DÉNOMINATIONS DU I° RAPPORT

« Choisissez la largeur que vous souhaitez donner au gable (pignon). Ici j’ai choisi la largeur désignée avec les lettres « q, r » (grandeur de référence) « Ensuite diviser « q, r » en 6 parties » (valeur de la part) MESURE EXTRAITE DU I° RAPPORT

De ces mêmes parts, une est celle du pinacle (désignée avec les lettres « a, b ») DÉNOMINATIONS DU 2° RAPPORT

« Ensuite prenez la longueur du pinacle » (grandeur de référence) « diviser en 3 parts » (part unitaire) MESURE EXTRAITE DU 2° RAPPORT

« De ces mêmes parts, une est celle de la tige finale du portique. » Malgré leur décalage chronologique, ces textes respectent les mêmes principes d’énonciation. Seules les mesures des éléments se référant au même rapport sont comparables et des valeurs unitaires différentes sont utilisées. Enfin, ces dimensions relatives n’ont aucune valeur d’échelle, c’est-à-dire que le rapport entre l’objet décrit et l’objet réel est laissé au choix de l’exécutant. La formulation de ces recettes nous apparaît aujourd’hui compliquée, notons cependant qu’elles respectent les règles mathématiques de leur temps. Il est remarquable qu’en suivant ces règles, les nombres demeurent petits et peu nombreux, faciles à mémoriser et à mettre en œuvre. Au lieu d’interpréter cette économie de moyens comme une limite imposée par le niveau de la théorie, on peut émettre l’hypothèse qu’elle résulte du mode de transmission orale du savoir des métiers. Dans ce sens, l’approche ancienne de la mesure n’est plus une conception imparfaite au regard de la nôtre mais plutôt un outil adapté aux ressources des époques concernées. Ainsi, le concept de module dans l’architecture antique permet de simplifier la formulation des mesures relatives d’un ouvrage complexe. L’élément du bâtiment appelé module, est un sousmultiple des grandes dimensions de l’ouvrage que l’on calcule en divisant une grandeur de référence. Mais étant lui-même divisible, il est aussi une grandeur de référence pour des parties plus petites que lui. Il est donc impératif que la valeur modulaire soit une valeur moyenne de toutes les dimensions, choisie pour réduire au mieux la manipulation des nombres et faciliter la mise en œuvre. Ceci étant compris, l’existence du module ne change rien au fait que la commensurabilité reste limitée à chaque rapport. Une extension de la commensurabilité à tous les rapports ne se ferait qu’au prix d’une diminution de la valeur unitaire allant à l’encontre de l’intérêt même du système modulaire. S’il est incontestable que la forme prise par l’énoncé de ces recettes résulte conjointement de l’expérience et du contexte mathématique, la nature des procédés mis en œuvre dans la pratique reste néanmoins difficile à comprendre.

Considérant ces données, nous allons examiner comment une réflexion théorique, qui ne peut être que la proportionnalité elle-même, est intervenue dans l’élaboration de ces recettes. Mais au préalable, il convient d’évoquer une proportion exagérément mystifiée.

Le mythe du nombre d’or Lorsque l'on parle aujourd'hui des justes proportions d'une oeuvre ou d'un ouvrage, on évoque les sensations d'harmonie, d'équilibre, de justesse et de beauté et pour justifier ces notions esthétiques par un ordre mathématique, on cite souvent la section géométrique aussi appelée « section dorée » ou « nombre d’or ». Cette relation entre la section géométrique et le Beau voit le jour au XIX°siècle en même temps qu’un courant esthétique qui cherche à démontrer « scientifiquement » la supériorité de l’art occidental 18. Pour ce mouvement, la mathématique grecque est une preuve de cette supériorité. Le "nombre d'or" devient alors la formule miracle qui explique par la « science » les secrets de la beauté des grands chef-d’œuvres. En fait, les éléments historiques qui soutiennent cette thèse ne résistent pas à l’analyse critique.19 Ainsi, le sens de l’ouvrage du moine mathématicien Luca Pacioli a été détourné et les auteurs de la réédition de 1988 20 précisent : « en toute humilité, [nous n’avons] pas été assez perspicaces pour trouver dans les écrits de Pacioli (et pas davantage dans ceux de Vitruve, Piero della Francesca, Vinci ou Dürer) de véritable application de la Divina Proportione à des fins esthétiques" 21. Cette falsification historique est restée d’actualité parce qu’elle continue d’apporter une réponse toute faite à l’éternelle question de la justification du Beau. Mais dans les faits, la formulation moderne de la proportionnalité est incapable d’expliquer simplement la diversité des productions du passé. En fait plus que la section géométrique elle-même, c’est notre conception moderne de cette réalité mathématique qui est en question. Nous allons voir que la section géométrique a été employée en même temps que les deux autres (dont peu de spécialistes du « nombre d’or » connaissent l’existence) dans un contexte pratique et théorique tributaire de traditions vraisemblablement antérieures aux premiers énoncés théoriques de la mathématique Grecque.

Les vestiges historiques ont laissé très peu de tracés géométriques, de plus ces exceptions ne concernent jamais l’ensemble d’une construction, mais se limitent à des éléments isolés. Par contre, on observe fréquemment entre les parties d’un ouvrage des rapports qui présentent la particularité d’être proches de certaines constructions géométriques et proportionnelles. 18

« C’est la géométrie qui a donné à la race blanche sa suprématie technique et politique » GHYKA (Matila C.), Le nombre d’or, Gallimard, Paris, 1931-1976. (voir Nicolas Witowsky) 19 voir NEVEUX, M., HUNTLEY, H.E., Le nombre d’or. Radiographie d’un mythe suivi de La divine proportion, Édition du Seuil, Paris, 1995. 20

PACIOLI (luca), La divine proportion, trad. G Duchesne G. Giraud M, Librairie du compagnonnage, Paris, 1988 21 ibid. note 31 page 22.

Les tracés géométriques proportionnels et leurs approximations par les nombres

Bien que les informations sur le sujet soient rares, la communauté scientifique ne rejette pas l’idée que l’origine de certaines mesures ait été en relation avec la géométrie des sections proportionnelles . On sait depuis quelques décennies que des « carrés dynamiques », (c’est-à-dire les sections harmonique et sous-harmonique), ont bien été employés pour fixer des dimensions canoniques22. L’analyse approfondie des recettes dont nous venons de donner des exemples, montre qu’en effet, leurs mesures correspondent à des approximations des sections proportionnelles. Autrement dit, des rapports rationnels ont été employés en analogie avec des constructions au compas. Un exemple remarquable de la reconstitution d’une construction géométrique proportionnelle à partir des nombres d’une recette est donné par Louis Frey à propos des dimensions du chapiteau et de la volute ionique telles qu’elles sont indiquées par Vitruve23. Louis Frey établit que les mesures de l’architecte romain peuvent se recomposer en une série de rapports correspondant à des approximations de la section harmonique. Suivant cet auteur, les mesures de ce texte de référence ne font que reproduire des schémas fondés sur des constructions au compas. Ce constat nous rappelle que le calcul est pour Vitruve une alternative à la complexité des méthodes géométriques. Il stipule en effet que la maîtrise de l’arithmétique est nécessaire pour « … régler les mesures et les proportions qui se trouvent quelquefois mieux par le calcul, que par la Géométrie »24. On peut donc imaginer que ces approximations ont été employées pour simplifier certains aspects du travail.

22

À ce sujet lire: HAMBIDGE (Jay), Dynamique symmetry : the greek vase, Yale University press, New Haven CT,NK.4645.H25,1920 TOBIN, R, « The canon of Polykletos », in American Journal of Archaelogy, 79, 1975, p. 307 sq. GROS (Pierre), « Nombres irrationnels et nombres parfaits chez Vitruve », in Mélange de l’École Française de Rome, Antiquité FREY (Louis), « Données architecturales et hypothèse sur la mathématique pré-euclidienne », in Bulletin Antike Beschaving (BABesch), 1989, pp 90-99 FREY (Louis), « La transmission d’un canon : les temples ioniques », in Le projet de Vitruve, Ecole Française de Rome, Rome, 1994, p. 139-170. FREY (Louis), « Médiétés et approximations chez Vitruve », in Revue archéologique (RA), 1990, p. 285-330. FREY (Louis), « Données architecturales et hypothèse sur la mathématique pré-euclidienne », in Bulletin Antike Beschaving (BABesch), 1989, pp 90-99 23 FREY (Louis), « La transmission d’un canon : les temples ioniques», in Le projet de Vitruve, Ecole Française de Rome, Rome, 1994, pp 139-170. 24

VITRUVE, les dix livres sur l’architecture, corrigé et traduit en 1684 par Charles Perrault, Pierre Mardaga, Liège, Livre 1, p.3.

Exemple de la reconstitution d’un schéma géométrique (chapiteau et volute ionique). Les mesures du schéma de gauche sont tirées des indications de Vitruve, le schéma de droite est la construction au compas proposé par Louis Frey.

L‘analyse des données numériques beaucoup plus tardives laissées par Zwolle et Roriczer permet de reconnaître des procédés de calculs clairement apparentés à ceux de Vitruve. Zwolle se sert de trois divisions différentes de la largeur du luth. Roriczer choisi une mesure modulaire en divisant la largeur de l’édifice en 6 25. Comme dans l’Antiquité, une valeur modulaire est aussi une grandeur de référence pour les petites dimensions. Ces mesures sont sans ambiguïté les approximations des valeurs irrationnelles de la rotation du carré c’est-à-dire des sections harmonique et sous-harmonique. Les approximations numériques ont donc été intimement associées aux systèmes proportionnels et la pérennité de leur emploi nous rappelle que les fondements théoriques des méthodes artisanales ont peu évolué entre l’Antiquité et les premiers temps de l’imprimerie.

Modèle de mesures gothiques selon Hans Schmuttermayer : l’auteur reprend à son compte la méthode de Roriczer. Dans le texte, les valeurs irrationnelles de la série des carrés sont remplacées par des fractions entières. Par exemple, le côté « d» est dit valoir 1/3 du côté « a » soit une approximation assez grossière (Pour a=1 b=0,333 au lieu de 0,353, en fait, suivant un procédé de calcul caractéristique de l’époque, Schmuttermayer substitue l’approximation 7/20 par une plus simple soit 7/21=1/3)

Approximations et Construction des suites de rapports convergents

25

Hans Schmuttermayer, qui lui aussi écrit sur la rectitude des pinacles, divise la largeur en 9. voir SHELBY(Lon R),Gothic design techniques,Southern Illinois University Press,,London-Amsterdam,1977, pp134.

La place des approximations dans les processus de mesure s’explique par la manière dont elles ont été calculées. On entend par « approximation », l’expression d’une valeur irrationnelle par un rapport de nombres entiers. Autrement dit, on remplace une relation incommensurable (par exemple : de 1 à √2) par une relation commensurable qui lui est proche (dans l’exemple précédent : de 5 à 7). À une valeur irrationnelle, correspond une série d’approximations données par des rapports dont les termes ont des valeurs numériques de plus en plus élevées. Ainsi quand on écrit √2=1,414…on considère que 14 /10 ; 141/100 ; 1414 /1000 sont une suite de rapports commensurables dont les résultats convergent vers une relation exacte que nous écrivons aujourd’hui de manière symbolique √2. Des petites recettes numériques (déjà connues des anciens égyptiens) permettent de calculer une approximation de la racine carrée d’un nombre entier. Prenons un nombre entier « n » dont on cherche la racine et « a » et « b » deux valeurs numériques quelconques, les rapports commensurables de la série qui converge vers la racine carrée de « n » sont de la forme : (a+nb)/(a+b)=a1/b1 (26). Le rapport a1/b1 étant le premier de la série, il suffit de poser : (a1+nb1)/(a1+b1)= a2/b2 a2/b2 est le deuxième rapport d’une suite de rapports qui convergent d’autant plus rapidement vers √n que n est petit. Les propriétés symétriques des sections proportionnelles permettent aussi de faire ce genre de calculs. En effet on peut les présenter sous la forme d’une proportion continue (voir pp ou glossaire) ou chaque terme est la somme des termes qui précèdent. la suite géométrique La syntaxe de la proportion continue d’une section géométrique est : [D est à P] comme [P est à M] comme [M est à G]. On sait que G=P+M=P+D+P on en déduit que : [D est à P] comme [P est à M] comme [M est à G]. [P est à M] comme [M est à P+M] comme P=M27. Il se trouve que cette proportion permet de construire une suite de couples de nombre entier dont les quotients s’approchent rapidement de celui du rapport irrationnel. À partir de P et M égaux à 1 on obtient la série suivante : (1 ;1)(1 ; 2)(2 ; 3)(3 ; 5)(5 ; 8)(8 ; 13)(13 ; 21)(…)28 On constate en effet que le quotient du couple (3 ; 5) est 0,6 et celui de (8 ;13) est 0,615… valeur déjà très proche de 0,618…

26

Soit a2=nb2 ⇒ a2/b2=n ⇒ a/n=√n de même, a2/ab=nb2/ab ⇒ a/b=nb/a=(a+nb)/(a+b)=±√n On utilise ici une propriété des proportions : si a/b=c/d alors a/b=c/d=(a+c)/(b+d) voir supra 28 Cette série de rapports utilise une suite de nombres qui porte le nom de Fibonaci alias Leonardo de Pise, marchand et grand mathématicien du Moyen-Âge occidental. 27

La suite harmonique La syntaxe de la section harmonique est : [D est à P] comme [P est à G] On sait que G =M+P=P+D+P, on en déduit donc que : [D=M-P est à P] comme [P est à M+P] comme [M est à P+M+P] donc [P est à M] comme [M+P est à P+M+P ] Comme précédemment, en posant comme valeur initiale P et M égaux à 1 on obtient une suite de couples de nombres dont les quotients convergent vers celui du rapport irrationnel de la section soit : (2; 3)(5; 7)(12 ; 17)(17 ; 41)(…) Si on pose comme valeurs de départ P=1 et M=2 , on trouve la suite ci-dessous, avec le quotient des termes (5 ; 12) égale à 0,416. : (3 ; 4)(7; 10)(17 ; 24)(…) On vérifie en effet que les quotients des nombres de chaque couple convergent vers la valeur irrationnelle de P à G d’une section harmonique (soit 2/5= 0,4 ; 3/7=0,428 5/12=0,416 1/(2√2/1)=0,414…) Ces deux séries se combinent dans une suite dite harmonique.29 (1 ;1)(2 ;3)(3 ;4)(5 ;7)(7.10)(12 ;17)(17 :24)

29

Selon la tradition, le nom de médiété harmonique se rapporte à une moyenne harmonique contenant des rapports identiques à ceux des consonances en musique. Ainsi, 4 étant la moyenne harmonique de 3 et 6, ces nombres construisent les rapports (3 ; 3)(3 ; 6)(4 ; 6)(3 ; 4) de l’harmonie selon les Grecs (soit l’unisson, l’octave la quinte et la quarte). Mais la justification pose problème car cette propriété n’est pas propre à la médiété harmonique, En effet, une médiété arithmétique comme (2 ; 3 ; 4) offre exactement les mêmes possibilités. En fait, la série des rapports approchant la section harmonique contient les mesures des consonances musicales de façon bien plus significative. Cette propriété se retrouve dans le tempérament égal de la gamme moderne qui est une proportion dont la raison géométrique unique est 12√2. Ainsi, dans le tempérament égal, chaque note est la moyenne géométrique des notes qui l’encadrent symétriquement. Dans un intervalle où le fondamental vaut 1 et l’octave 1/2 , la quinte augmentée vaut √2/2. Dans ce sens, un tempérament inégal est une approche commensurable de l’irrationalité d’une proportionnalité complète ; 5/7 est le rapport commensurable du Fa# qui lui-même est une approximation de la moyenne géométrique de 1 et 1/2 (fondamental et octave) et de 3/4 et 2/3 (quinte et quarte). Dès le XVI° siècle, le théoricien de la musique Zarlino se sert de cette propriété pour proposer une partition géométrique et égale du manche du luth (cf. B. VAN WYMEERSCH, « La tradition arithmétique en musique, l’exemple de Gassendi », la pensée numérique, Peresq, 1999, Carlos Alvarez, Jean Dhombres, Jean-claude Pont (ed.), disponible sur