tu aimeras le seigneur ton dieu - Institut Jean-Marie Lustiger

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2 oct. 1985 ... "TU AIMERAS LE SEIGNEUR TON DIEU" (1): TU LE REPETERAS A TES FILS. Les commandements de Dieu: Dieu nous confie sa vie et nous ...
PARIS ~ NOTREDAME~

"TU AIMERAS

LE SEIGNEUR

TON DIEU" (1):

TU LE REPETERAS A TES FILS

Les commandements de Dieu: Dieu nous confie sa vie et nous appelle à agir comme lui, divinement. "Imitez Dieu, écrit Paul aux ch-éti ens d'Ephèse

route, quand tu seras couché et quand tu seras debout"'(Dt 6, 4-5. 7).

puisque vous êtes des enfants qu'il aime". Loin d'être une contrainte abusive,

Quelles questions nous pose aujourd'hui ce premier commandement, dans notre société marquée par l'incroyance et l'athéisme?

~1)

arbitraire imposée aux hommes, les commandements de Dieu, parce qu'ils sont de Dieu, "la source de la vie", donnent à notre vie toute son ampleur et toute sa beauté de vie d'enfants de Dieu. In effet, "accomplir les commandements" par le don de l'Esprit Saint nous fait entrer dans la communion avec le Père, en son Fils (cf. 1 Co 1, 9).

"Tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique, rappelle Jésus à la fin du Sermon sur la montagne, peut être comparé à un homme lavisé qui a bâti sa maison sur le roc" (Mt 7, 24). "Mettre en pratique", signe de 'I'arnour, c'est vouloir ce que Dieu veut et l'accomplir avec la force de l'Esprit Saint en devenant un même être avec le Christ vainqueur du péché et de la mort.

*** Les "commandements", ramassés en "dix paroles", sont présentés en deux "tables": la première à l'égard de Dieu, la seconde à l'égard du prochain. Pendant quelques semaines, je vous propose de méditer les commandements à l'égard de Dieu (Ex 20, 1-6; cf. aussi Dt 5, 6-10). Et d'abord le premier commandement. Dieu se présente, lui, l'Unique qui livre son Nom: "C'est moi le Seigneur ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. lU n'auras pas d'autres dieux face à moi. lU ne te feras

pas d'idole" (Ex 20, 2-4). Le Deutéronome (6, 1-9) condense

les commandements de la première table en une phrase sans cesse répétée par Israël, par Jésus (Mc 12, 30); cf. aussi Mt 22, 27; Le 10, 27):

"Ecoute, Israé°l! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute sa force... Ces paroles des commandements, tu les répéteras à tes fils: tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la

***

. Comment recevoir comme un commandement de Dieu de devoir l'adorer, alors qu'on ne peut ni se forcer, ni forcer à croire en lui? . Comment transmettre ce commandement aux générations qui nous suivent, lorsqu'elles disent ne pas croire? C'est l'une des questions fondamentales de notre époque. Combien de parents, de grands-parents auront eu un pincement au coeur en entendant ces paroles de la Bible alors qu'ils constatent: "Mon Dieu, mes enfants, mes petits-enfants, que sont-ils devenus? Pourquoi celui-ci a-t-il perdu la foi...? Ce qui est en jeu est considérable: le bonheur, la vie, bien plus, le salut de l'homme. il importe de ne pas minimiser le fait que c'est un commandement de Dieu, comme de ne pas escamoter la difficulté que nous avons à l'observer. Les commandements envers le prochain peuvent nous sembler plus faciles à mettre en pratique. Mais en vérité, l'originalité, la fine pointe de la conduite chrétienne des hommes les uns à l'égard des autres est orientée, commandée, fondée par cette relation de chaque homme et de tous les hommes à l'égard de Dieu. Tout se tient. Le drame du monde, le drame des hommes entre eux, c'est aussi le drame de l'homme, le drame des hommes face à Dieu. A la question: "Quel est le premier de tous les commandements?", (Mc 12, 28), Jésus répond en refusant de choisir "le premier", "le principal" commandement. il nous dit qu'ils se tiennent tous et que tous sont à accomplir (Mt 5,"17-20). Et que tous ensemble ils nous placent dans l'amour. Et qu'il n'est pas possible d'être vraiment fidèle à l'un sans être fidèle à l'autre. Est-ce facile? Est-ce possible? C'est toute la question de l'Evangile. Paradoxe et espérance.

(Extraits de l'entretien du Cardinal LUSTIGERsur Radio Notre-Dame le mercredi 4' septembre 1985)

PARIS

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"TU AIMERAS LE SEIGNEUR TON DIEU" (2)

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UN APPEL A CROIRE: SUIVRE JESUS •

L'ENTRETIEN Pour comprendre le premier commandement de Dieu, écoutons Jésus dans l'évangile de Marc (10, 17 sq). Au riche qui lui demande: "Bon maître, que dOis-je faire pour recevoir la vie étemelle en partage t", il répond: "Pourquoi m'appelles-tu bon? Seul l'Unique est bon", citation implicite de la profession de foi d'Israël (Dt 6, 4): "Le Seigneur notre Dieu est l'Unique". Jésus poursuit: "Tu connais les commandements". Et sont énumérés les commindements à l'égard du prochain: "Toutcelq, dit l'homme, je l'ai observé dès ma jèt:*-sse". Jésus ajoute alors: "L'Unique te" manque", ce qui veut dire: observer les commandements qui concernent l'amour et le service de Dieu, les premiers commandements. "Ce que tu as, donne-le aux

pauvres ... Puis, viens, suis-moi". Jésus aime cet homme. Le regardant, il l'invite à tout larguer pour que son trésor soit Dieu lui-même. Il l'appelle à marcher à sa suite, à faire ce qu'il fait, bref à' agir en enfant· de Dieu en le suivant, lui, le Fils de Dieu. Car seul le Fils unique adore, aime, sert parfaitement l'Unique père des cieux.

***

Suivre le Christ, marcher derrière lui vers sa Passion, vers la vie éternelle, c'est ainsi que Jésus enseigne à obsewer le premier commandement. \ Cet enseignement de Jésus vnous paraîtra moins surprenant si nous revenons au texte de l'Exode (20, 2): "C'est moi! ,le Seigneur

Mais aussi Dieu se dit dans l'action prodigieuse qui a sauvé son peuple opprimé en Egypte. et esclave du péché. Le commandement de Dieu commence par un engaE~~~! de Dieu à l'égard de ceux qu'il invite à communier il. sa volonté sainte. Dans un acte souverain de liberté, il fait "sortir" son peuple "de la maison de servitude". Il donne à l'homme sa liberté dont le premier commandement trace l'étroit sillon: liberté recouvrée, arrachée par la puissance de l'amour de Dieu aux puissances d'esclavage et de mort.

***

"Il n 'y aura pas pour toi d'autres dieux. devant ma face" (Ex 20, 3). Ces autres dieux ne se nomment pas eux-mêmes. Et pour cause: ils ne "sont rien", des "néants" diront les prophètes. C'est l'homme qui se les donne comme dieux. Alors que le Seigneur fait exister l'homme à son image et le rend libre. Les hommes qui reçoivent ce commandement sont sous le regard de Dieu, "devant sa Face" •.· Dieu, en les appelant à ce face-à-face, a dévoilé quelque chose de lui-même. Et observer ce commandement de Dieu, c'est pour l'homme répondre à sa vocation. Deux conséquences

immédiates:

ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte,

. Présenter au baptême un enfant qui vient de naître, c'est reconnaître l'initiative de Dieu qui veut donner il. un petit homme la liberté d'enfant de Dieu. De quel droit le priver de cette grâce dont, vous parents, avez été providentiellement l'Objet?

de la maiSon de servitude". Avant de donner ses "dix Paroles", Dieu' se nomme de son nom propre et imprononçable: le "SEIGNEUR" (JHVH), ton Dieu". Il se fait nôtre dans la révélation qu'il livre de lui-même. Dieu, le premier, appelle l'homme pour que l'homme puisse lui répondre. Sa parole créatrice rend la créature responsable "devant sa Face". Non comme un tyran qui exigerait de la gratitude pour ses dons, mais comme un père sans lequel nous ne serions pas, Dieu commande l'amour parce que, lepremier, il a l'initiative de l'amour, amour qui éveille à l'existence.

. RéfléChir sur votre baptême reçu tout jeune, c'est - en posant librement aujourd'hui un acte de foi - reconnaître dans votre propre histoire un appel providentiel qui marque votre existence en tant qu'être humain. Loin d'être un numéro anonyme et interchangeable dans une série et malgré l'illusion des manipulations génétiques, chacun naît singulièrement, irremplaçable. Bien qu'il ne choisisse pas plus sa naissance que ses parents, sa langue, son pays, son époque, tout homme ,vient au monde providentiellement dans le dessein de Dieu.

(Extraits de l'entretien du Cardinal LUSTIGERsur Radio Notr~Dame le mercredi 11 septembre 1985)

PARIS ~.OO NOTREDAME~

"TU AlAfERAS LE SEIGNEUR, TON DIEU" (3) : UN APPEL A CROIRE:

Dieu peut-il faire obligation à l'homme de croire en lui? Cela nous semble contradictoire. Et pourtant n'est-ce pas ce que nous demande le premier commandement de Dieu? Raisonner ainsi c'est ne pas comprendre la manière dont Dieu nous invite à entrer en relation avec lui. Car alors nous nous interrogeons sur l'existence de Dieu comme des astro-physiciens sur celle d'un astre hypothétique. Une fois acquises les preuves de son existence, l'homme en précise les caractéristiques, les exploi te s'il le juge utile ou n'en fait plus cas. Ainsi en serait-il d'une découverte de Dieu au bout du raisonnement de l'homme v • "Que m'importe! Qu'il existe ou non ne change rien à ma vie" disent aujourd'hui certains, comme jadis l'insensé de la Bible (cf. Ps 14, 1; 53; 2): "Dans sa suffisance, l'impie ne cherche plus: 'Il n'y a pas de Dieu', voilà toute son astuce" (Ps 10,4). L'homme alors ne s'intéresse qu'à lui-même: "Moi, moi, moi" et le miroir où il contemple son image le renvoie à une totale solitude. "S'il n'y a que moi, alors personne ne m'aime. Alors à quoi bon vivre?" dit-il dans son aveuglement. Sa vie est une nuit où il se cache de Dieu.

DIEU NOUS DEVANCE

Dieu retourne notre coeur de sorte que nous ouvrions les yeux et que nous le découvrions, lui qui était déjà là sans que nous le sachions, qui s'était déjà nommé, qui nous avait d'avance appelés et pris par la main. L'intelligence a besoin de s'affermir pour que cette découverte trouve toute sa consistance et son sens. Il lui faut déblayer les voies d'accès vers Dieu dont nous avons entendu l'appel de façon plus ou moins implicite. La grâce de la foi est l'antériorité de l'appel de Dieu qui, en même temps, donne à notre raison la capacité pour comprendre les paroles de sagesse par lesquelles ; Dieu se révèle, et à notre liberté la force pour être dégagés de son péché et adhérer à l'amour de Dieu dans l'adoration et l'action de grâce. Dieu est au bout ..: car à l'origine - de nos mains et de notre esprit tendus vers lui.. ***

Découverte- de l'acte initial de Dieu à mon égard, l'adhésion de foi, commune pour tout adulte, est en même temps découverte que je fais partie de ceux qu'il a appelés et rassemblés. Demander le baptême, c'est prendre part à l'initiative d'amour de Dieu pour toute créature.

***

Or, le premier commandement ne demande pas à l'homme d'acquérir d'abord une conviction à l'égard de Dieu, mais d'accepter d'être situé face à une initiative de Dieu. Il ne commence ni par un ordre: "Tu feras ceci", ni par une défense: "Tu ne feras pas cela", mais par une révélation: "C'est moi le Seigneur ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude". Et l'acte de foi consiste à .reconnaître Celui qui, le premier, se révèle à nous, nous délivre et se donne à nous. La foi en Celui qui, seul, est Dieu est une grâce.' Cela ne signifie pas que Dieu donne un jour une illumination irrésistible qui réduirait la foi à une passion irraisonnée. Au contraire, la foi est grâce parce qu'elle est don de lumière, de sagesse. (Extraits de l'entretien

Pour un jeune enfant, ne pas le 'faire baptiser de crainte d'attenter à sa liberté, c'est s'opposer à la liberté de Dieu. En vous donnant cet enfant à vous, parents baptisés, Dieu veut lui donner la liberté des enfants de Dieu et lui ouvrir un chemin de vie. Loin de contraindre la liberté de l'homme, Dieu la libère, l'éveille et la tire de l'ombre où elle sommeille pour la mettre, par le baptême, au grand jour du Soleil de Dieu, en Jésus-Christ, "Soleil levant qui vient nous visiter (Lc 1, 78). Ce premier commandement adressé à. l'homme est la réciproque de l'initiative de Dieu. De même que Dieu dit son Nom à son peuple et le délivre, de même chacun est invité à lui répondre par un acte de foi, à mettre son coeur à nu devant lui, à ouvrir sa liberté pour aimer, son esprit pour adorer le seul et unique Seigneur.

du Cardinal LUSTIGER sur Radio Notre-Dame AM

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le mercredi

18 septembre

1985)

PARIS

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" TU AIMERAS LE SEIGNEUR TON DIEU" (4) : UN APPEL A AIMER:

"VOUS ME CHERCHEREZ"

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L'ENTAET'EN Observer le premier commandement, c'est non seulement répondre à Dieu par la foi, mais aussi par la foi, mais aussi par l'amour. S'il ne vous est pas possible de croire sereinement en Dieu, courage, frères, ne renoncez pas à le chercher ni à l'aimer. "Recherchez le Seigneur puisqu'il se laisse trouver" (Is 55, 6). En effet, le Seigneur a dit: "Vous me chercherez du {ond de vous-même et je me laisserai trouver par vous" (Jr 29, 13-14). Son amour est prévenant (cf'., 1 Jn 4, 19). Mais il est exigeant. Plus que les Apôtres ne peuvent le concevoir. Pierre s'indigne que le Messie doive souffrir ét mourir. Jésus le reprend: "TeS pensées ne sont pas celles' de Dieu mais celles des hommes" (t1c 8, 27 sq). Croire Dieu, aimer Dieu, c'est entrer dans les pensées, le dessein de Dieu. Il nous faut pour cela suivre Jésus, le Fils bien-aimé du Père. Il entre sans réserve dans les vues de Dieu, nous arrachant à la solitude mortelle du péché.

Croïre Dieu, aimer Dieu, c'est sortir du repliement sur soi-même pour reconnaitre Celui par lequel nous existons. La foi et la charité sont le rebondissement dans le coeur de l'homme de l'amour créateur et sauveur de Dieu. Voilà pourquoi il est vital d'observer ce premier commandement. ~'y dérober, c'est mourir. Remettre nos pensees dans les '"[i>ensées de Dieu, avec le Christ, grâce à I'Espri t-Saint, c'est vivre. ***

Il faut aimer Dieu; d'amour. Or, de nos jours, dans, notre ,..ci~ilisatio~, ~o~vent l'am~u: est dévalue. Tantot Il est réduit a la sexualité privée de toute signification spirituelle. Tantôt il est réduit à l'expérience affective, intense, précaire, fragile, jamais as?u~é: de sa durée. Et pourtant, il y a une reahte unique de l'amour qui appartient à la dignité humaine. Face au délabrement de l'espérance amoureuse - je dis bien espérance et non expérience -, pour que l'hom me croie à l'amour véritable, un seul remède: (Extraits i*Mtt

de l'entretien

découvrir que l'amour vient de Dieu; mieux que "Dieu est amour" (1 Jn 4, 8). Pour l'homme créé à la ressemblance de Dieu et appelé à la communion avec Dieu, l'amour est porteur du divin. Sachant que Dieu l'aime, il saura ce que c'est que d'aimer: aimer Dieu, aimer ses frères. Découvrir la beauté d'un amour conjugal et familial enraciné sur la fidélité de Dieu. Comprendre la splendeur de la chasteté pour le Royaume, signe de l'Amour sans mesure donné par le Christ. ***

Mais que veut dire aimer Dieu que je ne vois pas, ne touche pas.: n'entends pas, Dieu insaisissable et transcendant? Et comment savoir si j'aime Dieu?

A cet appel, le plus souvent déconcernant, à aimer Dieu, il faut pourtant répondre oui. Tel Jérémie: "Tu m'as saisi, Seigneur; hl as été le plus [ort"; tels Osée, Amos et les autres prophètes. Tel Pierre à qui Jésus ressuscité demande, dans un ultime dialogue après trois ans exceptionnels vécus ensemble dans l'enthousiasme et dans les larmes: "M'aimes-tu pius que ceux-ci?". Tel Paul, pris par Celui qu'il a persécuté au point de pouvoir dire: "Je vis dans la [oi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi" "(Ga 2, 20).

Tels les saints et les saintes innombrables qui ont mieux parlé de Dieu qu'un amoureux de celle qu'il aime. Ainsi Soeur Thérèse Couderc, fondatrice de la Congrégation Notre-Dame du Cénacle. Toute livrée à l'amour de Dieu, elle confiait au terme de sa vie - nous fêtons le centenaire de sa mort -: "Qu'importe si mes pieds nus et déchirés remplissent mes sabots de sang, je recommen: cerais volontiers ma route; j'ai si bien trouve Dieu". Oui, il est une expérience humaine ge l'amour de Dieu tangible chez les prophètes, les apôtres et les saints. Mais, nous?

du Cardinal LUSTIGER sur Radio Notre-Dame

mA.

le mercredi

25 septembre

1985)

PARIS M NOTRE DAME~ UN T

"TU AIMERAS

LE SEIGNEUR

TON DIEU" (5)

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Peut-on vraiment aimer Dieu comme un époux aime son épouse, un enfant son père? Oui et non. Car notre pauvre amour, fugace, vulnérable, instable, n'est qu'un reflet obscur, une image floue de l'amour qu'est Dieu. L'amour de Dieu dans sa vérité la plus pure mobilise tout l'être humain et le fait entrer dans la plénitude de la communion avec Dieu qui est Amour. Non plus la rencontre sans cesse menacée de l'homme avec-son Créateur et Rédempteur. Ce n'est pas en partant de nous, mais de Dieu que nous saurons vraiment aimer. Dieu seul nous apprend à aimer en nous aimant "jusqu'au bout" en son Fils. Alors que l'amour humain semblait un appui pour comprendre l'amour de Dieu, le croyant découvre dans la grâce de l'amour de Dieu la source et le fondement absolu de l'amour humain. Ce premier commandement d'aimer Dieu par-dessus toutes choses, de l'aimer comme il nous aime, est un trait de lumière qui éclaire, conforte la précarité, les déficiences, l'infidélité de notre amour et qui, en même temps, dégage l'horizon insoupçonné de la miséricorde de Dieu sans cesse offerte, de sa tendresse prodiguée sans mesure.

*** C'est l'expérience même du peuple d'Israël décrite si fortement par le prophète Osée. L'amour de Dieu pour son peuple est comparé à l'amour d'un époux pour son épouse. Cette épouse infidêle vend sa beauté qui lui vient pourtant de l'amour de Dieu (Cf. Os 2, 4 sq). Amour si grand et si puissant que Dieu rendra à l'épouse défigurée la beauté et la fidélité des commencements. Il est comparé aussi à l'amour d'un père pour son enfant. L'enfant échappe à celui qui lui donne la vie, le garde en vie: "Quand tsrae; était enfant, je l'ai aimé et d'Egypte

j'ai appelé mon fils (•••). C'est aux Baals qu'ils ont sacrifié! C'est pourtant moi qui avais appriS à marcher à Epnroim, Ils n'ont pas reconnu que je prenais soin d'eux. Je les menais avec des liens d'amour. J'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourisson contre leur joue" (Os 11, 1-4).

***

Ainsi, ce premier commandement à l'égard de Dieu révèle à l'homme qu'il n'aime pas, qu'il ne sait pas, ne peut pas aimer Dieu qui ne cesse de l'aimer. Est-ce pour l'enfermer dans son refus? Lui reprocher son manque d'amour? L'accabler par la nostalgie d'un idéal impossible à atteindre? Non. Dieu sort l'homme de l'égoisme où il s'étouffe, de son "autisme" spirituel, ce drame de l'homme pécheur fait pour aimer et qui demeure prisonnier de son "coeur de pierre" (Ez 11, 19).

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aimeras

le

Seigneur

ton

Dieu

qui

t'af fait sortir du pays d'Egypte": ce commandement de Dieu permet à l'homme de découvrir d'amour de Dieu qui le fait naître à la vie d'enfant de Dieu, dans le Fils unique et bien-aimé (cf. Jn 1, 12). Jésus ne dit-il pas: "Si vous ne devenez comme des enfants •.. " (Mc 9, 35)?

L'amour de Dieu s'exprime au plus haut point dans le don de son Fils: "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie étemelle" (Jn 3, 16). Et l'apôtre Paul explique aux chrétiens de Rome: "C'est à peine si quelqu'un voudrait mourir pour un juste; peut-être pour un homme de bien accepterait-on de mourir. Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous: Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs" (Rm 5, 7-8).

L'homme, par amour, peut se sacrifier jusqu'à se détruire, au moins à vue humaine. Dieu, lui, ne peut que vivre et faire vivre. Dans son amour, le don de son Fils jusqu'à la mort sur la croix n'est pas la destruction du Fils mais sa glorification et l'enfantement de tous les fils rachetés par le sang du Messie crucifié et ressuscité.

*** Dieu nous apprend que l'amour est surabondance de fécondité et fidélité absolue: "Je te fiancerai à moi pour toujours par la justice et le droit, l'amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur" (Os 2, 21-22).

(Extraits de l'entretien du Cardinal Lustiger sur Radio Notre-Dame le mercredi 2 octobre 1985)

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LE SEIGNEUR

TON DIEU" (6)

UN APPEL A ESPERER: "CONTRE TOUTE ESPERANCE"

Vivre le premier commandement à l'égard de Dieu, c'est croire en lui, l'aimer. Mais c'est aussi espérer en lui. A beaucoup cela semble encore plus difficile, plus éprouvant. Nous passons pour optimistes ou pessimistes - et c'est tout à la fois un reproche et un compliment - selon le regard que nous portons sur les événements de notre vie ou du monde. Comme si nous s'étions pas capables d'accepter le réel dans sa diversité souvent cruelle!

Espérer en Dieu n'est pas une question de tempérament, entreprenant et jamais dépressif. Certains portent en eux-mêmes une tristesse sans remède, vivent avec un psychisme blessé. Seraient-ils moins proches de Dieu et feraient-ils preuve de moins d'espérance que ceux qui jouissent d'un optimisme inaltérable? Dieu ne peut pas nous faire un devoir de ce qui ne dépend pas de nous: notre constitution ou les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.

L'espérance que Dieu nous donne et nous demande consiste-t-elle à être assurés que telle affaire va bien tourner parce que nous avons fait tout ce que nous avons pu et que nous nous fions à la Providence de Dieu? Certes, "votre père céleste sait ce dont vous avez besoin... " (Mt 6, 32). Et tout événement peut devenir "providentiel", source d'amour.

Espérer en Dieu, c'est laisser notre vie se dilater, prendre la mesure d'une vie qui S'appuie uniquement sur Dieu, tout Amour et source de la Vie. Il ne s'agit pas d'espérer ceci ou cela, mais de reconnaître que Dieu est le Seigneur qui nous a arrachés à la servitude. Dès lors, chaque jour, notre vie reçoit une splendeur inouie et irremplaçable qui apparaît même aux yeux embués de larmes.

Mais l'espérance ne consiste pas à s'imaginer que Dieu va nous accorder ceci ou cela, se couler dans notre désir, peut-être d'enfant gâté. Ce serait confondre l'espérance avec la satisfaction éphémère d'une convoitise, fût-ce pour remédier à une difficulté. Supposons que vous obteniez ce que vous désiriez, la vie continuera avec ses changements. A nouveau il vous faudra supporter de nouvelles déceptions. Ce n'est pas cela espérer en Dieu. A courir après votre désir, votre vie est en train de se recroqueviller comme une feuille morte, comme une fleur fânée. Alors que la mesure de votre vie, c'est Dieu lui-même. Dans les situations sans espoir à vues humaines (accident, maladie irréversible, mort, rupture ... ), encourager à l'espérance ce n'est pas dire de bonnes paroles. Ce n'est pas nier l'épreuve dans son caractère inéluctable, ni ne pas en avoir peur. C'est avoir une espérance plus forte que le désespoir et qui permet non de le supprimer mais de le supporter grâce à la foi en l'amour que Dieu nous porte.

***

Sans jamais être une compensation, car l'injustice humiliante, l'amour bafoué ne se compensent pas, cette espérance ne déçoit pas. Elle permet à l'homme d'affronter les épreuves les plus cruelles. Tel l'apôtre Paul qui ose écrire aux chrétiens de Corinthe: "Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés; dans des

impasses, mais nous arrivons à passer; pourchassés, mais non rejoints; terrassés, mais non achevés. Sans cesse nous portons dans notre corps l'agonie de Jésus afin que la vie de"Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps" (2 Co 4, 8-10). Le Christ nous dit le prix de l'espérance, lui qui sait le poids du mal et le prend au point de sécrier, sur la croix: "Mon

Dteu; mon Dieu, pourquoi m'as-tu donné?" (Mt 27, 46).

aban-

Mais de ce cri du désespoir le plus profond

œ«: 22, 2), jaillit la prière de l'espérance la plus forte: "Père, entre tes mains, je remets mon esprit" (Lc 23, 46 - Ps 31, 6).

(Extraits de l'entretien du Cardinal LUSTIGERsur Radio Notre-Dame le mercredi 9 octobre 1985)

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"TU AIMERAS

TON DIEU" (7)

UN APPEL A ESPERER: DŒU DES VIVANTS ET NON DES MORTS

L'espérance demandée par le premier commandement de Dieu est une espérance en Dieu et non en nous; alors, elle nous donne la force de ne pas désespérer de nous-mêmes. Redécouvrons-le avec les psaumes: . "Des profondeurs je erre \'er.~ toi, S('igneur ... Pres de toi se trouve le pardon... J'l'sprr'!' le Seigneur dl' toute mon âme... flfoname aUend 1(' Seigneur plus qu'un veilleur ne guelte! l'ouror(''' (r« 1:lO, 1. 4-!j).

Le premier ancrage de l'espérance c'est le pardon de Dieu, Soleil de justice qui se lèvera sur nos ténèbres. . "Pitié, mon Dieu, des homnlC!s s'acharnent contre moi et me harcèlent tout le jour. Mais là-haut une armée combat pour moi. Le jour où j'ai peur, je prends appui sur toi. Sur Dieu je prends appui; plus rien ne me fait peur. Que peuvent sur moi des êtres de chair? ••.. Ils surveillent mes pos comme s'ils voulaient ma mort. Toi, Dieu, tu as compté mes pas vagabonds. Recueille en tes outres mes larmes... f)ieu est pour moi. Sur Dieu dont j'exalte la parole, sur Dieu je prends appui. Plus rien ne me [ait peur ... Tu m'as délivré de la mort et tu préserves mes pieds de la chute pour que je marche à la face de Dieu dans la lumière des vivants (P« 56). ..;

Cette prière du psalmiste, nous pouvons la dire avec le Christ qui l'a vécue, lui seul en plénitude, dans la déréliction de sa Passion. La véritable espérance consiste à s'appuyer sur Dieu dans l'assurance qu'au croisement crucifiant de notre détresse Dieu lui-même veut nous donner la vie.

***

"La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s'est manifestée, nous enseignant à renoncer à l'impiété et aux convoitises de ce monde pour vivre en ce siècle présent dans la réserve, la justice et la piété, attendant la bienheureuse espérance et l'appa_ rition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur le Christ Jésus qui s'est livré pour nous" (Tite 2, )) -) 4).

La bienheureuse espérance et l'avènement de Jésus-Christ Notre Seigneur, c'est la venue du règne de Dieu, la vie éternelle promise avant tous les siècles. C'est la résurrection des morts et la communion avec Dieu. Espérance qui dépasse tout sentiment, toute imagination, mais qui arrache l'homme au désespoir le plus profond, la peur sans réponse du néant. . (Extraits

de l'entretien

Espérance chrétienne dans son fondement le plus solide, la promesse de Dieu: par la puissance du Père, en son Fils ressuscité, notre vie entière sera dans l'Esprit Saint arrachée à la perte de la mort et transfigurée dans la gloire de Dieu .

***

Si le Père des cieux nous demande d'espérer en lui, que fait-il pour nous qui corresponde à cette espérance? En effet, vous vous en souvenez, par ses commandements Dieu nous invite à agir comme il agit (cf. PND n" 61). ~ieu a ressuscité son Fils unique. Il nous' promet de particiger à cette résurrection et d'avoir part ainsi a la vie éternelle. . . La prophétie d'Isaie (25, 7-9) sera accomplie: "Le Seigneur, -le Tout-Puissant" va donner sur cette montagne W1 festin pour tOIlS les peuples... Il fera disparaître sur cette montagne le voile! tendu. Il fera aisparoltre la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous l(!s visaqes.«. On dira en ce jour-là: c'est lui notre Dieu. Nous avons espéré en lui et il nous délivre".

. Cette profession d'espérance par Jean le voyant de Patmos: "Dieu essuiera toutes larme.': son peuple et Dieu-avec-clLl'

est

reprise

leu.rs yeux ... li« seront. s('ra leur lJieu" (Ap 7,

de

17 ct 21, 4).

L'apôtre saint Paul dans son épître à Tite (2, 11-14) nous aide à comprendre davantage ce que le Seigneur attend de nous quand il nous demande d'espérer en lui, le reconnaissant ainsi comme notre Dieu:



LE SEIGNEUR

La joie de communier à la vie de Dieu, la "bienheureuse espérance" (cf. PND n? 86) est dès à présent en nos corps mortels une réalité dans laquelle les sacrements de l'Eglise nous font pénétrer. Le vin des Noces éternelles coule sur nos lèvres lors du festin eucharistique. Le chrême de la fête pour un peuple de rois et de prêtres nous revêt lors de notre baptême. Et l'huile sainte marque notre corps souffrant et mourant pour "passer" vers le Père, unis au Christ en sa Passion. L'amour nous porte à espérer en Dieu car nous cr~y.ons, comme le dit Jésus, que "Dieu est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. I! n'est pas un Dieu des morts mais des vivants (Mc 12, 26-27).

du Cardinal LUSTIGER sur Radio Notre-Dame

le mercredi 23 octobre 1985)