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Résumé Les données rassemblées ont permis d'évaluer sur la période 1932-1995 les variations du niveau du lac Tanganyika, du débit à l'exutoire, ...
Hydrological Sciences-Journai-des Sciences Hydrologiques, 47(5) octobre 2002

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Variation interannuelle du bilan hydrique du lac Tanganyika (1932-1995): changement dans la relation précipitation-excédent lacustre

LAURENT BERGONZINI FRE-CNRS 2566 "ORSAYTERRE". [email protected]

Université Paris Sud, F-91405 Orsay, France

YVES RICHARD & PIERRE CAMBERLIN UMR-CNRS 5080 Centre de Recherche de Climatologie, Université de Bourdonne, F-21000 Dijon, France Résumé Les données rassemblées ont permis d'évaluer sur la période 1932-1995 les variations du niveau du lac Tanganyika, du débit à l'exutoire, de l'excédent du bilan lacustre (ou "niveau sans écoulement", AH*) et des précipitations sur le bassin. L'évolution du bilan lacustre annuel est reliée à la variabilité pluviométrique. Pourtant une augmentation brutale de l'excédent après 1961 est mise en évidence et correspond à un changement de la relation entre excédent et précipitation annuelle, associable à une plus grande "efficacité" des pluies. Ce changement brutal dans le bilan lacustre serait en partie induit par l'installation plus précoce de la saison des pluies. Mais l'anthropisation du milieu et la modification des conditions d'écoulement de surface apparaissent elles aussi pour partie responsables de la différence de sensibilité du système lacustre aux variations pluviométriques. Mots clefs Lac Tanganyika; bilan hydrique; variabilité interannuelle; tendance et ruptures Interannual variation of the water budget of Lake Tanganyika (1932-1995): changes in the precipitation-lake water excess relationship Abstract The data collected have allowed the evaluation of the variations in the water levels of Lake Tanganyika between 1932 and 1995, the discharge at the outlet, the excess of the lake budget (or "level without discharge", AH*), and the precipitation on the drainage area. The evolution of the annual lake budget is related to the precipitation variability. However a marked increase in the excess after 1961 is shown, which corresponds to a change in the relationship between annual excess and precipitation, which further corresponds to a higher effectiveness of rainfall. This marked change in the lake water budget could partly correspond to wetter conditions at the beginning of the rainy season, but the man-induced changes in land use and in the surface runoff conditions appear partly responsible for the difference in the lake sensitivity to precipitation. Key words Lake Tanganyika; water budget; interannual variability; trend and changes

INTRODUCTION Le lac Tanganyika (Afrique Centrale, Fig. 1) s'étend sur 650 km, avec une surface de 32 600 km", un volume de 18 880 km et une profondeur maximale de 1470 m. Sur la période 1932-1995, le bilan hydrologique annuel moyen est associé à des apports par précipitations directes de 1090 mm an"1 et à une evaporation en surface de 1695 mm an"1 (Bultot, 1993). Rapportés à la surface du lac, les apports du bassin versant représentent environ 955 mm an'1 et les pertes à l'exutoire, la Lukuga, 365 mm an'1. Sur la période 1932-1995 le niveau lacustre chute d'environ un mètre,

La discussion concernant cet article est ouverte jusqu 'au 1 avril 2003

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Fig. 1 Carte de localisation. La ligne en gras indique le contour du bassin versant et les carrés les stations pluviométriques utilisées. Les lignes pointillées déterminent les blocs utilisés pour le calcul de l'indice régional.

soit une moyenne de 15 mm an"1 (Bergonzini, 1998a). Les objectifs de l'étude sont de caractériser, à l'aide des enregistrements limnimétriques et des pertes à l'exutoire, la variabilité interannuelle du bilan du lac. On s'intéressera ensuite aux relations entre les fluctuations du bilan et les précipitations et on précisera dans quelle mesure elles sont à l'origine des fluctuations observées. Les fluctuations des niveaux lacustres sont utilisées pour caractériser la variabilité hydro-climatique (Street-Perrott & Harrison, 1985; Grove, 1996; Nicholson et al, 2000). En effet, les régimes hydrolimnologiques intègrent les effets des variations climatiques et des conditions de surface. La relation (1) donne l'expression du bilan hydrique d'un système lacustre: AH = P + E+Qi + Qo

(1)

où AH est la variation du niveau lacustre, P sont les précipitations à la surface du lac, E est P evaporation à la surface du lac, Qi sont les apports en provenance du bassin versant rapportés à la surface du lac, et Qo sont les pertes à l'exutoire rapportées à la surface du lac. Ainsi les niveaux lacustres (H) enregistrent la variabilité des apports (Qi et P) et des pertes par evaporation (E). Toutefois, cette relation n'est pas directe (Sutcliffe,

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1987), puisqu'elle dépend, pour les lacs ouverts, des pertes à l'exutoire (Qo). Ces dernières sont fonctions du niveau (H), mais aussi de la morphologie de l'exutoire, qui peut évoluer dans le temps. Ainsi, des modifications ont affecté l'exutoire du lac Tanganyika (Devroey, 1949; Charlier, 1955; Camus, 1965; Bergonzini, 1998b). Leurs origines ont pu être naturelles (formation de bouchons détritiques, auto-curage), et/ou anthropiques (construction de barrages, curage du lit). Sous l'effet de ces transformations, les niveaux lacustres ne peuvent pas êtres regardés comme un simple enregistrement de la variabilité hydro-climatique. Pour relier l'évolution du bilan lacustre et les fluctuations hydro-climatiques, nous utiliserons une variable (AH*) neutralisant l'effet de l'exutoire: AH*=AH~Qo^P

+ E + Qi

(2)

La reconstitution d'une chronique de AH* de 1932 à 1994 constitue la première partie de cette étude. La deuxième partie portera sur les conditions hydro-climatiques, et plus particulièrement sur les précipitations. Afin de déterminer l'influence et le rôle de la pluviométrie sur l'excédent lacustre, les relations entre précipitations et excédent seront particulièrement étudiées.

FLUCTUATIONS INTERANNUELLES DU NIVEAU LACUSTRE Les niveaux mensuels du lac Tanganyika sont disponibles depuis 1932 et ont été l'objet de nombreuses études (Devroey, 1949; Camus, 1965; Grove, 1996; Nicholson, 1999). Sur la période 1932-1995 (Fig. 2(a)) le niveau mensuel à Kalémie (exutoire) a été reconstitué à partir des enregistrements disponibles sur le pourtour du lac (Bergonzini, 1998b). Le niveau maximum a été observé en 1964 (-776.82 m) et le minimum en 1949 (=772.88 m). Ces extrêmes sont simultanément constatés sur le lac Victoria; les hautes eaux de 1964 constituent le maximum depuis le début du siècle, et les basses eaux de 1949 le minimum depuis 1932 (Sene & Plinston, 1994). Ajoutons que l'augmentation du niveau d'environ 3 m, de 1961 à 1964 correspond à la crue centenaire du Congo-Zaïre de 1962 (Olivry, 1993), aux forts débits de nombreux affluents du Nil (Conway & Hulme, 1993), et aux hauts niveaux des lacs Kivu, Turkana, et Victoria (Street-Perrot & Harrison, 1985). Depuis le début des années 1990, on assiste à une régression, avec un minimum (=773 m) lors des basses eaux de 1994. Cette chute limnimétrique est synchrone de celle du lac Malawi (Calder et ai, 1995) et coïncide avec les sécheresses de 1992 et 1994 (Camberlin et ai, 1994). Ainsi les variations extrêmes des cotes du lac Tanganyika peuvent être associées aux conditions hydro-climatiques d'une vaste région.

VARIABILITE DES PERTES A L'EXUTOIRE DU LAC Sur la période 1932-1995, 135 jaugeages de la Lukuga à l'exutoire ont permis de relier débits et niveaux du lac à Kalémie et d'établir dix courbes de tarage traduisant les relations successives entre niveaux et écoulements de la Lukuga. A partir de ces relations et de l'enregistrement des cotes du lac, les débits mensuels (Fig. 2(b)) de la Lukuga ont été reconstitués (Bergonzini, 1998b).

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(a)

i i i i i i i n 11111i11 M 11111111 i M M M 1111111 M n i M 11 m i n il M ii 1500 -,

35

45

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75

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95

1000 500 -

(b)

(c)

(d)

Fig. 2 (a) Niveaux mensuels moyens (m) du lac Tanganyika 1 à Kalémie; (b) débits mensuels de la Lukuga à l'exutoire du lac Tanganyika, en 1 s" ; (c) excédent hydrique annuel du Tanganyika (année novembre/novembre 1932/33 à 1993/94) et sa moyenne mobile (m) sur 3 ans; (d) cumul de l'excédent annuel, AH*, du lac Tanganyika, en m à la surface du plan d'eau; et (e) anomalies réduites des précipitations annuelles dans la région du lac Tanganyika et sa moyenne mobile sur 3 ans.

La Lukuga présente un régime pondéré avec un maximum en avril mai et un minimum en octobre-novembre. Durant les basses eaux de 1954, 1955 et 1959 l'écoulement a été très réduit. Le débit mensuel maximum, estimé à 1377 nr' s"', en mai 1970 se présente comme un indicateur contemporain de forts écoulements du Congo-Zaïre (Olivry et ai, 1993) et à l'exutoire du lac Victoria (Sene, 2000). Sur la période 1932-1995, le module annuel moyen est évalué à =380 m J s"1. Il est associé à une forte variabilité puisque l'écart type atteint 286 m J s"1. Le minimum et le maximum des modules annuels ont été estimés à 1115 m3 s"1 pour l'année 1971/72 et à 21 m J s"1 pour l'année 1955/56. A partir des années 1960 le module s'accroît, comportement qui se retrouve à l'exutoire des lacs Victoria, Kyoga et Albert (Piper et al, 1986; Sene & Plinston, 1994; Conway & Hulme, 1993; Sene, 2000).

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Les différences entre les fluctuations des niveaux et des débits sont induites par les aménagements et les évolutions naturelles de l'exutoire (Bergonzini, 1998b). Ainsi, par exemple, la diminution de la capacité d'évacuation de la Lukuga au début des années 1950 s'explique par la construction d'un batardeau destiné à préserver l'accès aux ports. Inversement les hauts niveaux lacustres du début des années 1960 ont induit à partir de 1964, un auto-curage du lit associé à l'augmentation de la capacité d'écoulement. Pourtant les modules des grands fleuves: Nil, Congo-Zaïre et Zambèze, encadrant la région, présentent des analogies, sans doute non fortuites, avec ceux de la Lukuga. Ces similarités traduisent le caractère pour partie régional de la variabilité du bilan lacustre.

VARIABILITE DES EXCEDENTS DU BILAN HYDRIQUE DU LAC TANGANYIKA L'introduction de AH*, associée aux excédents et/ou déficits du bilan (équation (2)), est justifiée par le besoin de neutraliser l'effet des pertes à l'exutoire et d'obtenir un indicateur facilitant l'interprétation du signal limnologique. Pour ce faire, au niveau mensuel, les pertes Qo sont réintroduites dans le lac et induisent des hausses du niveau qui s'ajoutent au signal initial. De façon abusive, on parlera parfois, pour AH*, de variations telles qu'elles auraient été observées si l'exutoire avait été obturé, et pour H* de "niveau sans exutoire". Ces variables sont alors exprimées en hauteurs d'eau rapportées à la surface du lac afin d'en faciliter la comparaison avec les autres variables. La variation annuelle nette du "niveau sans exutoire" est définie, quant à elle, comme la différence entre les "niveaux sans exutoire" obtenus entre deux mois de novembre consécutifs (mois les plus déficitaires). Cette variation représente l'excédent ou le déficit annuel des apports sur l'évaporation pour l'ensemble du bassin hydrographique (équation (2)). Dans la suite, on parlera d'excédent en donnant à ce terme un sens relatif correspondant à des AH* positives ou négatives. Au cours de l'année le "niveau mensuel sans exutoire", H*, est croissant d'octobre-novembre à mai et décroissant de mai à octobre-novembre, saison durant laquelle l'évaporation est supérieure aux apports. La Fig. 2(c) représente l'évolution de l'excédent annuel, ainsi que sa moyenne mobile sur trois ans. Si sur la période 1932— 1994 (62 années limnologiques complètes de 1932/33 à 1993/94, les niveaux mensuels du lac n'étant pas disponible après septembre 1995, l'année 1994/95 n'est pas considérée car incomplète; par la suite la désignation d'une année correspond à janvier, par exemple janvier 1933 pour l'année 1932/33), la valeur moyenne de AH* est de 350 mm an"1, on observe une différence de comportement entre 1933-1961, 19621991 et 1992-1994. Le test de Pertitt confirme, au seuil 99%, une rupture de stationnarité en 1962: (a) De 1933 à 1961, le bilan présente un excédent annuel, tantôt positif, tantôt négatif, de 110 mm an"1 en moyenne. Les années hydrologiques 1937, 1942 et 1952 sont particulièrement excédentaires, alors que 1949 et 1954 correspondent à de forts déficits. (b) De 1962 à 1991, le bilan présente une nette prédominance de valeurs excédentaires. L'excédent annuel moyen passe à «630 mm an"1, avec un maximum en 1962, et un minimum en 1984.

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(c) De 1991 à 1994, le bilan a un comportement déficitaire (moyenne: -160 mm an"1). Mais l'absence de données récentes ne permet pas de conclure à un changement durable. Ces modifications du bilan sont mises en évidence par la courbe du cumul de l'excédent (Fig. 2(d)), sur laquelle on distingue deux ruptures, en 1961/62 et en 1991/92. Une évolution quasi-linéaire de cette "fonction cumul" traduit un comportement dit "régulé" dans la mesure où il n'est soumis qu'à des variations aléatoires. A contrario, toute rupture de pente traduit des changements qui caractérisent la sensibilité des variables H* et AH* aux modifications de l'expression de l'environnement hydro-climatique. Nous constatons (Fig. 2(d)) des périodes "régulées" interrompues par des ruptures prononcées pouvant avoir des origines diverses: changements climatiques prolongés, évolutions des conditions d'écoulement ou transformations morphologiques conséquentes. Afin de déterminer les facteurs à l'origine de ces ruptures, l'enregistrement reconstitué de l'excédent lacustre est, dans la suite, relié aux conditions climatiques (P). L'étude des variations à plus courtes fréquences n'est pas abordée ici. On peut toutefois percevoir (Fig. 2(c)) l'existence de composantes cycliques dans la chronique de l'excédent du Tanganyika (Bergonzini, 1998a), composantes comparables à celles enregistrées par le niveau du lac Victoria, par ailleurs mises en relation avec les cycles solaires (Tomasino & Dalla Valle, 2000).

VARIABILITE DES PRECIPITATIONS ANNUELLES La variabilité des précipitations constitue le premier élément susceptible d'entraîner des variations des excédents lacustres. Il est donc essentiel d'étudier si la rupture constatée en 1961/62 a son parallèle dans la pluviométrie. De même que pour les conditions hydrologiques, les précipitations présentent une grande cohérence spatiale dans leurs variations interannuelles de la Tanzanie à l'Ouganda et à la Somalie (Ogallo, 1989; Beltrando, 1990; Nicholson, 1996; Bigot et al., 1997). Les pluies exceptionnellement abondantes de 1961, 1967, ou 1997/98, ont affecté tant les plaines riveraines de l'Océan Indien que les hautes-terres proches du lac Victoria. Ainsi, au regard de la variabilité pluviométrique interannuelle, l'Afrique de l'Est s'individualise, au sein du continent, comme une des régions présentant la plus forte variabilité et la plus forte cohérence spatiale. C'est en octobre-décembre, ou petite saison des pluies, que cette cohérence s'exprime le mieux (Richard et ai, 1998). Afin d'étudier la variabilité des précipitations sur le bassin durant la période 19321995, des séries provenant de la base de données du Centre de Recherches de Climatologie (CRC) de Dijon, tirées de rapports (NORAD, 1982, 1989; MAJI, 1991) ou communiquées par les services nationaux ont été compilées. Le bassin est très mal couvert par les réseaux pluviométriques (Fig. 1). L'Ouest de la Tanzanie ne dispose que de stations très espacées. Par ailleurs, les séries sont souvent courtes ou lacunaires. Pour la petite partie congolaise du bassin, les données sont quasiment absentes sur les années 1970-1980. On retiendra que, bien que le lac ne représente que 14% de la surface totale du bassin, les apports par précipitations directes à sa surface sont supérieurs à ceux en provenance des versants (Bergonzini, 1998a). Or les stations permettant d'estimer ces précipitations directes sont situées sur les rives du lac et sont peu nombreuses. Pour ces raisons, et compte tenu de la forte cohérence spatiale des

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précipitations est-africaines, il a été établi un indice pluviométrique régional débordant du strict cadre du bassin. Ce choix permet d'intégrer suffisamment de longues séries. Afin d'empêcher une sur-représentation des régions à forte densité et à séries complètes (Rwanda), une première moyenne par points de grille de 2°30' de côté (longitude x latitude) a été calculée sur les séries stationnelles standardisées (anomalies centrées réduites, sur la plus longue période disponible). La série pluviométrique de chacun des huit points de la grille (Fig. 1) a également été standardisée. L'indice final est la moyenne de ces points. Les valeurs de la période 1991-1994, calculées à partir d'un nombre de points inférieur à cinq, ne seront pas utilisées dans l'étude des relations avec l'excédent lacustre. Les cumuls annuels sont calculés d'octobre de l'année précédente à septembre de l'année considérée; dans ce qui suit, la désignation des années correspond à janvier (ï). L'indice pluviométrique calculé montre une forte variabilité interannuelle (Fig. 2(e)) et présente de nombreuses analogies avec la chronique obtenue pour le lac Victoria (Nicholson et al, 2000) mais laisse apparaître des tendances différentes de celles enregistrées en Afrique de l'Ouest (Mahé et al, 2001). En revanche, contrairement à l'excédent lacustre, les moyennes mobiles, le test de Student comparant les normales de 1932-1961 et de 1962-1990 (les années 1991-1994 étant exclues), ainsi que le test de Pettitt, traduisent l'absence de tendance ou de rupture de stationnarité. L'année 1962 est de loin la plus arrosée, avec 149% de la normale à Kigoma sur les rives du lac, et plus de 170% de la normale à Mpanda sur le plateau tanzanien. Suit une série de vingt années, non exceptionnellement arrosées, au cours de laquelle les déficits marqués sont rares. Dans les années 1980 et le début des années 1990 les déficits redeviennent plus fréquents, avec plusieurs années sèches de 1990 à 1994.

RELATIONS ENTRE EXCEDENTS LACUSTRES ANNUELS ET PRECIPITATIONS ANNUELLES Les chroniques de l'excédent annuel et des précipitations annuelles montrent une correspondance entre les années les plus an-osées (1962, 1942, 1952, 1968...) et l'occurrence de forts excédents (Fig. 3). Une relation linéaire satisfaisante s'établit entre ces variables (r = 0.76). Cependant, la séparation en deux sous-ensembles, avant et après 1961, identifiée comme charnière entre deux états "régulés" du bilan, se traduit (Fig. 3) par deux régressions significativement différentes (test sur les résidus de la relation générale) entre AH* et P: période: 1932-1961

AH* = 0.15 + 0.26P

r = 0.86

période: 1962-1991

AH* = 0.53 + 0.3 IP

r = 0.78

Ces régressions rendent compte que pour un même volume précipité correspond un excédent plus fort après 1961. En effet, après 1961 le coefficient directeur de la droite de régression est plus élevé, ainsi que l'ordonnée à l'origine. Cette différence est confirmée par l'étude d'années particulières. Si on observe une plus grande rareté des années sèches entre 1962 et 1990, à pluviométrie égale, AH* est presque systématiquement plus élevée après 1961 (1965, 1975, 1982, 1984, à comparer avec 1949, 1954). De même, pour les années à précipitations élevées (1937, 1942, 1947,

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-0.5

H

1

1

1

i

i

1

2 1 0 1 2 3 4 Fig. 3 Relations entre en ordonnées les précipitations (P anomalies réduites) et en abscisse les excédents hydrologiques annuels (AH* en mètres): cercles vides: 19321961 (équation de régression linéaire AH* = 0.26F + 0.15 ± SE; r = 0.86); cercles pleins: 1962-1990 (équation de régression linéaire AH* = 0. 31P + 0.53 ± SE; r = 0.78).

1952, 1963, 1968 et 1979), l'excédent est en moyenne double après 1961. Donc, si à l'échelle interannuelle la corrélation entre P et AH* est restée significative, le rapport des deux paramètres a augmenté et s'est modifié dans le sens d'une plus grande "efficacité" des pluies à partir de 1962.

LA RUPTURE HYDROLOGIQUE: HYPOTHESES CLIMATIQUES Déduction faite des pertes à l'exutoire, les relations entre les variations du stock lacustre et les précipitations, dépendent essentiellement de "l'efficacité" des pluies et de l'évaporation à la surface du lac (équation (1)). Il est nécessaire d'examiner les facteurs susceptibles d'influencer ces éléments. Nous ne disposons que de peu d'informations pour apprécier la variabilité interannuelle de l'évaporation. Remarquons toutefois l'absence de changement des conditions thermiques en Afrique de l'Est (Institute of Hydrology, 1984; Kinuthia et al., 1993; Hulme, 1996). De plus, pour rendre compte de la rupture observée, une diminution de l'évaporation à la surface du lac supérieure à 500 mm an" serait nécessaire, soit de plus de 30%, ce qui paraît improbable. Nous adopterons donc l'hypothèse, courante dans ce type d'étude (Piper et al, 1986; Sene & Plinston, 1994; Sene, 2000), d'une évolution négligeable de la demande évaporatoire sur la période 1932-1990. La compréhension de la relation entre précipitations et écoulements sur le bassin exige en outre de les considérer à des échelles plus fines. La modification de "l'efficacité" des pluies peut en effet résulter d'une modulation soit spatiale, soit saisonnière de ces dernières. Dans le cas du lac Tanganyika, où les données pluviométriques sont imparfaites, l'hypothèse d'un artefact relevant d'un problème d'échantillonnage doit aussi être considérée.

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La qualité de l'échantillonnage? Un indice pluviométrique limité aux stations du bassin du Tanganyika, et huit indices sous-régionaux décrivant les précipitations d'unités géographiques homogènes, dans et hors bassin, ont été constitués (Fig. 4(a)). Les relations entre AH* et les précipitations sont sensiblement identiques selon que l'on utilise un indice pluviométrique strictement restreint au bassin ou intégrant l'ensemble des stations de la Fig. 4. Sur la période 1932-1961, elles sont même mieux établies dans le second cas. Ceci justifie l'inclusion de stations hors-bassin pour obtenir une image plus conforme de la variabilité climatique et rend peu vraisemblable l'hypothèse d'un problème d'échantillonnage. Cependant, même si aucune rupture significative n'est décelable aux stations côtières (Bergonzini, 1998a), la difficulté d'estimer les variations interannuelles des précipitations directes laisse subsister une part d'incertitude quant au rôle de cette composante du bilan et peut pour partie expliquer la dispersion des points de la Fig. 3.

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Fig. 4 Précipitations comparées des périodes 1932-1961 et 1962-1990 pour huit régions climatiques au sein et autour du bassin du lac Tanganyika: (a) total annuel, et (b) précipitations d'octobre-décembre. Carrés: stations pluviométriques utilisées; x/y: précipitations moyennes (mm) 1932-1961/1962-1990, avec en blanc—différence non significatives, en gris clair—différence significative au seuil 90%, en gris moyen—différence significative au seuil 95%, et en gris foncé—différence significative au seuil 99%.

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Modulation spatiale des précipitations? Afin de vérifier si une augmentation significative des précipitations, après 1961, aurait pu n'affecter qu'une partie du bassin pour laquelle la contribution aux écoulements serait importante, les huit indices pluviométriques sous-régionaux et les séries des rares stations couvrant l'intégralité des deux périodes ont été utilisés. Les différences entre les totaux pluviométriques annuels moyens des deux périodes, 1932—1961 et 1962-1990 (Fig. 4(a)), ont été systématiquement testées (test en " f de Student). Les huit indices enregistrent une légère augmentation, en moyenne de 67 mm an" (soit =6%), entre les deux périodes, mais les écarts restent généralement faibles. Sur les huit sous-régions, quatre présentent une augmentation significative des précipitations annuelles: "Rwanda" et "Malagarasi" au seuil 90%, "Kivu" et "Victoria" au seuil 95% (Fig. 4(a)), mais cette augmentation ne dépasse 10% que dans les sous-régions "Victoria" et "Malagarasi". Ces quatre sous-régions sont au Nord et à l'Est du lac. Deux d'entre elles ne font pas partie du strict bassin versant du lac ("Rwanda" et "Victoria") et les deux qui en font partie ("Kivu" et "Malagarasi") correspondent, de part la présence de surfaces évaporantes importantes (lac Kivu et marais de la Malagarasi), à des versants à faibles écoulements spécifiques (Bergonzini, 1998a). Inversement sur le pourtour du lac (sous-régions "Lac Nord" et "Lac Sud") qui contribue majoritairement aux apports, l'augmentation des précipitations moyennes entre les deux périodes est moindre, de =58 mm an"1, et non significative (test de Student). Ces résultats ne permettent pas de conclure à une modulation spatiale marquée des pluies. Si une légère augmentation des précipitations semble avoir affecté le Nord-Est du bassin, aucune des huit sous-régions ne présente une véritable rupture dans les totaux pluviométriques annuels. Modulation saisonnière des précipitations? Les précipitations présentent un cycle saisonnier caractérisé par deux saisons pluvieuses: petite et grande saisons des pluies en novembre-décembre et en mars-avril (Fig. 5). Si juillet-septembre peut être qualifié de saison sèche, janvier-février correspond plutôt à un répit pluviométrique, répit à peine marqué dans la moitié Sud du bassin. La structuration spatiale des anomalies pluviométriques est variable selon la saison: maximale lors de la petite saison des pluies, minimale lors de la grande (Richard et al., 1998). Des modifications dans le calendrier des pluies pourraient avoir une incidence sur leur "efficacité". Des tests identiques à ceux calculés sur les valeurs annuelles ont donc été effectués sur les cumuls pluviométriques trimestriels, puis mensuels. En juillet-septembre, saison sèche, et avril-juin, grande saison des pluies, on n'observe aucune différence significative entre les deux périodes. En janvier—mars, seule la sous-région "Kivu" a connu une augmentation des précipitations d'environ 24 mm, significative au seuil 90%. Octobre-décembre, petite saison des pluies, connaît des augmentations plus nettes (Fig. 4(b)): significatives au seuil 95% dans les sousrégions "Rwanda", "Victoria" et "Rukwa", et au seuil 99% dans la sous-région "Malagarasi". Dans cette dernière, l'augmentation des précipitations d'octobredécembre est de 70 mm soit 21%.

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LAC NORD

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Fig. 5 Précipitations mo>ennes mensuelles (mm) des huit régions pour les souspériodes 1932-1961 et 1962-1990 (Kivu, période 1: 10 ans; période 2: 25 ans). En noir: excédent de 1962-1990; en blanc: excédent de 1932-1961 ; *: augmentation des précipitations significative au seuil 95%; 0: une diminution significative.

La comparaison des régimes pluviométriques mensuels avant et après 1961 (Fig. 5) montre une intensification de la petite saison des pluies dans les sous-régions à rythme clairement bimodal. Parallèlement, le pic pluviométrique s'est le plus souvent décalé, passant de décembre à novembre, traduisant une plus grande précocité des pluies. Il y a donc eu, en particulier dans le Nord et l'Est du bassin, modification de la répartition saisonnière des précipitations. Ces observations sont confirmées par les régressions linéaires multiples entre l'excédent annuel du lac et les précipitations trimestrielles (Tableau 1). Si les

Tableau 1 Régression linéaire multiple de l'excédent hydrique du lac Tanganyika (Ai/*) en fonction des précipitations trimestrielles du bassin versant. Les variables dépendantes significatives au seuil de 5% (1%) sont soulignées (en gras). Période Equation de régression 1932-1961 29 0.86 AH* = 0.28P„ND + 0.38P,,KM + 0.39PAMJ + 0.07PjAS - 0-53 1962-1990 28 0.85 AH* = 0ASP(mn +0A0Pmï +Q.21Pâm-0.0SPSAs +03H POND. f.i¥M, PAMI et PjAS: les précipitations trimestrielles normalisées associées respectivement à octobre-novembre-décembre, janvier-février-mars, avril-mai—j uin, et j uillet-août-septembre, respectivement.

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précipitations de janvier-mars et d'avril-juin ont le poids le plus important (à égalité) dans la variabilité interannuelle de AH* de 1932 à 1961, celles d'octobre-décembre deviennent prééminentes après 1962. A partir de 1962 les variations interannuelles de AH* dépendent donc davantage des précipitations d'octobre-décembre que de celles d'avril-juin alors qu'on observait l'inverse avant.

DISCUSSION Discussion sur l'hypothèse climatique Nous nous sommes attaché à l'étude de la répartition à des échelles temporelles et spatiales plus fines des précipitations, et ce afin de déterminer si elles pouvaient être à l'origine: (a) de la modification brutale du bilan lacustre à partir de 1962, et (b) de la modification de la relation entre AH* et P annuelles. Si aucune rupture significative du volume annuel précipité n'a pu être mise en évidence, une augmentation relative des pluies de =60 mm an" a pourtant affecté le Nord et l'Est du bassin. Cette augmentation devient significative durant la petite saison des pluies. Si on peut la considérer pour partie responsable de l'augmentation des excédents, elle n'explique cependant pas la brutalité des modifications du bilan et de la relation entre excédents et précipitations. L'étude des excédents lacustres moyens annuels a mis en évidence une augmentation de AH* qui passe de 110 à 630 mm an"1 de 1932-1961 à 1962-1991. Considérant l'évaporation à la surface du lac constante et une augmentation des pluies directes de 60 mm an"1 entre ces deux périodes, un accroissement des apports du bassin (Qi) doit être envisagé. Rapporté à la surface du lac, cet accroissement des écoulements serait de =460 mm an" , ce qui correspond, rapporté à la surface du bassin (197 400 km 2 ), à une lame d'eau d'environ 80 mm an"1, supérieure à l'augmentation observée pour les pluies. De plus, le caractère brutal de la rupture dans la relation entre AH* et P reste inexpliqué. Comme l'évolution du régime des pluies ne peut pas, à elle seule, expliquer la rupture et l'intensité des changements du bilan, cette modification doit être attribuée à un autre facteur déterminant "l'efficacité" des pluies. C'est donc sur l'évolution de l'occupation des versants et des conditions de surface que portera la suite de cette discussion.

Discussion sur l'hypothèse d'une évolution des conditions de surface Les changements dans le bilan lacustre ainsi que dans la relation entre excédents et précipitations annuels sont à replacer dans un environnement marqué par les activités humaines. Or la nature et l'intensité de ces activités ont sensiblement évolué depuis 1932. Ceci ne peut être sans conséquence sur "l'efficacité" des pluies et sur les écoulements associés, et par là même sur la relation entre AH* et P. Si ce changement, coïncidant avec les pluies exceptionnelles de 1961 (pouvant être à l'origine d'une altération et/ou d'une dégradation des versants), a orienté les investigations sur les précipitations, des éléments difficilement quantifiables d'origine anthropique doivent néanmoins être étudiés.

Variation interannuelle du bilan hydrique du lac Tanganyika (1932-1995)

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Sur les hautes terres d'Afrique orientale, très déboisées en raison des pressions démographique et agricole, les puissances coloniales avaient pris des mesures de protection des forêts. Au Nord du bassin, au Rwanda, "dans les années 1950-60 en particulier, la coïncidence de l'accélération de la croissance démographique et des troubles politiques a été fatale à de vastes étendues" forestières (Bart, 1994, p. 448). Les autorités coloniales avaient également imposé un travail d'aménagement antiérosif. Mais, toujours au Rwanda, "un certain nombre de défauts techniques, des problèmes d'adaptation des lignes anti-érosives aux limites foncières, des lacunes dans l'entretien, un relâchement des contrôles vont vite ruiner ce travail dans les années 60. En 1966, sur les 360 000 ha théoriquement protégés au Rwanda, un tiers seulement était encore en état" (Bart, 1994, p. 453). Ces observations faites au Rwanda sont aussi valables pour le Burundi. De plus, lors de la décolonisation, les pratiques culturales ont été modifiées, l'intensification des feux de brousse en saison sèche a pu rendre plus "efficaces" les pluies de la petite saison qui augmentaient par ailleurs. Ces changements, deforestation et mise en culture, sont à l'origine de nombreuses modifications dans l'occupation et la gestion du bassin du Tanganyika (Cohen et al, 1996). La correspondance fortuite en 1961 de deux événements, précipitations exceptionnelles et décolonisation, est à même d'expliquer une évolution brutale du milieu. Plus étonnant est le maintien jusqu'en 1990 d'une nouvelle relation entre AH* et P. L'augmentation des pluies, essentiellement en début de saison des pluies et dans le Nord et l'Est du bassin, associée à la densification de la population ayant entraîné une mise en valeur intégrale de la quasi-totalité des terroirs, y compris les surfaces les plus pentues et les nombreux fonds de vallée marécageux (Bart, 1994), ont pu contribuer au maintien d'écoulements plus importants. L'hypothèse d'une augmentation des coefficients d'écoulement et de "l'efficacité" des pluies suite à l'anthropisation n'est pas nouvelle pour la région. En effet, au Nord du lac Malawi la deforestation a entraîné une augmentation des écoulements (Calder et al, 1995). Cette augmentation de l'hydraulicité semble s'opposer aux tendances mises en évidence sur les écoulements en Afrique Australe (Fanta et al, 2001). Notons toutefois que ces résultats ont été obtenus sur des séries ne remontant qu'au milieu du siècle dernier. D'ailleurs, dans le cadre d'une modélisation du bilan mensuel du lac Tanganyika à l'aide d'un modèle conceptuel à compartiments (Bergonzini, 1998a), une diminution de la capacité du réservoir de surface a dû être introduite au début des années 1960 afin de simuler correctement les variations observées. Enfin, la rupture dans le bilan du lac Tanganyika après 1961 a des parallèles pour les lacs Kivu et Malawi, respectivement au milieu des années 1950 et au début des années 1970. Le caractère asynchrone de ces ruptures, dans une région à forte cohérence climatique, plaide pour une origine non climatique de ces évolutions. Dans la région, peu de données de débits sont disponibles sur une longue période, surtout avant 1961, pour confirmer les hypothèses d'une augmentation des écoulements. 11 est donc difficile de vérifier les impacts des changements climatiques et anthropiques sur les versants du lac. Cependant l'examen de certaines chroniques de débits disponibles dans la région (NORAD 1982, 1989; MAJI, 1963, 1967, 1976, 1985, 1991), montre une augmentation, souvent brutale, des écoulements au Nord du lac Kivu à partir de 1955, et au Nord du lac Malawi à partir de 1965-1970 (Bergonzini, 1998a). D'autres chroniques n'indiquent par contre aucune évolution significative. S'il y a des modifications des conditions de surface, elles ne concernent

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pas nécessairement l'ensemble des versants et portent sans doute sur les zones les plus anthropisées. Sur les données à notre disposition, les modifications apparaissent dans des régions peuplées du bassin versant semblant ainsi confirmer l'origine anthropique de la modification de la relation entre AH* et P.

CONCLUSION L'étude de l'évolution des excédents et/ou déficits annuels du lac Tanganyika a permis de mettre en évidence une augmentation brutale des apports au lac à partir du début des années 1960. Ces observations sont en accord avec celles faites par ailleurs sur les lacs Kivu et Malawi (Bergonzini, 1998a) qui présentent des augmentations de l'excédent, similaires dans leur brutalité, respectivement à partir des années 1950 et 1970. L'étude des relations entre AH* et la pluviométrie P a montré que la variabilité des précipitations annuelles était responsable pour une large part de la variabilité des excédents hydriques. Ainsi, les années de fortes (resp. faibles) précipitations sont associées à de forts (resp. faibles) excédents. Les totaux pluviométriques annuels apparaissent bien corrélés aux excédents lacustres. Par contre, la modification brutale de la relation entre P et AH* au début des années 1960 ne paraît pas s'expliquer par la seule évolution de la pluviométrie régionale. S'il est classiquement admis que la demande évaporatoire varie peu (Piper et ai, 1986; Sene & Plinston, 1994), les causes de ce changement doivent donc être attribuées à une plus grande "efficacité" des précipitations sur le bassin. Les précipitations sur la région n'ont enregistré après 1961 qu'une augmentation limitée, dans l'espace (Nord et Est du bassin) et dans le temps (octobre-décembre). Aucune rupture n'a été mise en évidence, alors que l'étude des relations entre AH* et P a clairement révélé une rupture. Les modifications des conditions de surface peuvent constituer un facteur non négligeable de la variabilité du bilan du lac. Faute de chroniques nombreuses d'écoulement avant 1960, l'hypothèse d'une augmentation des coefficients d'écoulement est difficilement verifiable directement. L'origine de ce phénomène pourrait être due à l'anthropisation du milieu et/ou à une évolution naturelle de ce dernier. Rappelons que l'hypothèse d'une augmentation des coefficients d'écoulement n'est pas nouvelle pour la région, puisque le même type d'évolution a pu être enregistré sur le bassin versant du lac Malawi (Calder et ai, 1995) et mis en relation avec la deforestation. De même l'anthropisation du milieu n'est pas sans effet sur le lac Victoria, puisqu'on lui attribue l'eutrophisation du lac (Bungenyi & Magumba, 1996). Cette évolution de la contribution du bassin versant au bilan du lac Tanganyika ne doit pas à long terme être sans effet sur le fonctionnement de cet écosystème. Il apparaît alors nécessaire de porter une attention particulière à ces bassins soumis à la pression anthropique afin de préserver ce qui constitue l'une des ressources essentielles des populations autochtones.

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Reçu 3 septembre 2001; accepté 9 avril 2002